ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
30 mai 2006
«Manquement d’État – Convention des Nations unies sur le droit de la mer – Partie XII – Protection et préservation du milieu marin – Régime de règlement des différends prévu par cette convention – Procédure d’arbitrage introduite dans le cadre de ce régime par l’Irlande contre le Royaume-Uni – Différend relatif à l’usine MOX de Sellafield (Royaume-Uni) – Mer d’Irlande – Articles 292 CE et 193 EA – Engagement de ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application du traité à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci – Accord mixte – Compétence de la Communauté – Articles 10 CE et 192 EA – Devoir de coopération»
Dans l’affaire C-459/03,
ayant pour objet un recours en manquement au titre des articles 226 CE et 141 EA, introduit le 30 octobre 2003,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. P. J. Kuijper et M. B. Martenczuk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
soutenue par:
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes C. Jackson et C. Gibbs, en qualité d’agents, assistées de M. R. Plender, QC, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie intervenante,
contre
Irlande, représentée par MM. R. Brady et D. O’Hagan, en qualité d’agents, assistés de MM. P. Sreenan et E. Fitzsimons, SC, M. P. Sands, QC, et Mme N. Hyland, BL, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
soutenue par:
Royaume de Suède, représenté par Mme K. Wistrand, en qualité d’agent,
partie intervenante,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans (rapporteur) et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. J.-P. Puissochet, R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues, M. Ilešič, J. Klučka, U. Lõhmus et E. Levits, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 novembre 2005,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 janvier 2006,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en engageant une procédure de règlement des différends contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord dans le cadre de la convention des Nations unies sur le droit de la mer (ci-après la «Convention») en ce qui concerne l’usine MOX implantée à Sellafield (Royaume-Uni), l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 10 CE, 292 CE, 192 EA et 193 EA.
Le cadre juridique
2 La Convention, signée à Montego Bay (Jamaïque) le 10 décembre 1982, est entrée en vigueur le 16 novembre 1994.
3 La Convention a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO L 179, p. 1). Elle a également été ratifiée par tous les États membres de l’Union européenne.
4 Le 21 juin 1996, lors de la ratification de la Convention par l’Irlande, cet État membre a fait la déclaration suivante:
«L’Irlande rappelle qu’en tant que membre de la Communauté européenne, elle a transféré à la Communauté ses compétences en ce qui concerne certaines questions régies par la Convention. Une déclaration détaillée sur la nature et l’étendue des compétences transférées à la Communauté européenne sera faite en temps voulu conformément aux dispositions de l’annexe IX de la Convention.»
5 Le premier visa de la décision 98/392 est libellé comme suit:
«vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment ses articles 43, 113, et son article 130 S, paragraphe 1, en liaison avec l’article 228, paragraphe 2, première phrase, et paragraphe 3, deuxième alinéa».
6 Les points 3, 5 et 6 des motifs de ladite décision énoncent:
«considérant que les conditions permettant le dépôt par la Communauté de l’instrument de confirmation formelle prévu à l’article 3 de l’annexe IX de la Convention et auquel l’article 4, paragraphe 4, de l’accord se réfère sont réunies;
[…]
considérant qu’il convient d’approuver la Convention […] afin de permettre à la Communauté d’en devenir partie dans les limites de sa compétence;
considérant que la Communauté doit accompagner le dépôt de l’instrument de confirmation formelle du dépôt d’une déclaration spécifiant les matières dont traitent la Convention […] et pour lesquelles compétence lui a été transférée par ses États membres […]»
7 L’article 1er de la décision 98/392 dispose:
«1. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer et l’accord relatif à l’application de la partie XI de ladite Convention sont approuvés au nom de la Communauté européenne.
2. Le texte de la Convention et le texte de l’accord figurent à l’annexe I.
3. L’instrument de confirmation formelle de la Communauté, qui figure à l’annexe II, sera déposé auprès du secrétaire général des Nations unies. Il contient une déclaration de compétences et une déclaration conformément à l’article 310 de la Convention.»
8 Aux termes de la déclaration de compétences visée à l’article 1er, paragraphe 3, de ladite décision (ci-après la «déclaration de compétences de la Communauté»):
«Déclaration de compétences de la Communauté européenne au regard des matières dont traitent la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 et l’accord du 28 juillet 1994 relatif à l’application de la partie XI de cette convention
(Déclaration faite en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de l’annexe IX de la Convention et de l’article 4, paragraphe 4, de l’accord)
L’article 5, paragraphe 1, de l’annexe IX de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer stipule que l’instrument de confirmation formelle d’une organisation internationale doit contenir une déclaration spécifiant les matières dont traite la convention pour lesquelles compétence lui a été transférée par ses États membres parties à la convention […]
[…]
Les Communautés européennes ont été instituées par les traités de Paris (CECA) et de Rome (CEE et CEEA) signés respectivement le 18 avril 1951 et le 25 mars 1957. […] [Ces traités] ont été modifiés par le traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 […]
[…]
Conformément aux dispositions rappelées ci-dessus, la présente déclaration indique les compétences transférées par les États membres à la Communauté en vertu des traités dans les matières dont [traite] la convention […]
[…]
La Communauté a dans certaines matières une compétence exclusive tandis que dans d’autres sa compétence est partagée avec ses États membres.
1. Domaines pour lesquels la Communauté a une compétence exclusive
– En ce qui concerne la conservation et la gestion des ressources de la pêche maritime, la Communauté indique que ses États membres lui ont transféré la compétence. Il lui appartient à ce titre, dans ce domaine, d’arrêter les règles et réglementations pertinentes (qui sont appliquées par les États membres) et de contracter, dans les limites de sa compétence, des engagements extérieurs avec les États tiers ou les organisations internationales compétentes. […]
– En vertu de sa politique commerciale et douanière, la Communauté dispose de la compétence au regard des dispositions des parties X et XI de la convention ainsi que de l’accord du 28 juillet 1994 relatives aux échanges internationaux.
2. Domaines pour lesquels la Communauté a une compétence partagée avec ses États membres
– En ce qui concerne la pêche, un certain nombre de domaines ne relevant pas directement de la conservation et de la gestion des ressources de la pêche maritime sont de compétence partagée, comme par exemple la recherche, le développement technologique et la coopération au développement.
– En ce qui concerne les dispositions relatives au transport maritime et à la sécurité du trafic maritime et à la prévention de la pollution marine figurant inter alia dans les parties II, III, V et VII et XII de la convention, la Communauté détient une compétence exclusive seulement dans la mesure où ces dispositions de la convention ou les instruments juridiques adoptés en exécution de celle-ci affectent des règles communautaires existantes. Lorsque des règles communautaires existent, mais ne sont pas affectées, notamment en cas de dispositions communautaires ne fixant que des normes minimales, les États membres ont compétence sans préjudice de celle de la Communauté à agir dans ce domaine. Dans les autres cas, la compétence relève de ces derniers.
Une liste des actes communautaires pertinents figure en appendice. L’étendue de la compétence communautaire découlant desdits textes doit être appréciée par rapport aux dispositions précises de chaque texte et, en particulier, dans la mesure où ces dispositions établissent des règles communes.
[…]
Appendice
Actes communautaires se rapportant à des sujets dont traitent la Convention et l’accord
– Dans le secteur de la sécurité maritime et de la prévention de la pollution marine
[…]
Directive 93/75/CEE du Conseil du 13 septembre 1993 relative aux conditions minimales exigées pour les navires à destination des ports maritimes de la Communauté ou en sortant et transportant des marchandises dangereuses ou polluantes (JO L 247 du 5.10.1993, p. 19).
[…]
– Dans le secteur de la protection et de la préservation du milieu marin (partie XII de la Convention)
[…]
Directive 85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO L 175 du 5.7.1985, p. 40).
[…]
– Conventions auxquelles la Communauté est partie contractante
Convention pour la prévention de la pollution marine d’origine tellurique, Paris, le 14 juin 1974 (décision 75/437/CEE du Conseil du 3 mars 1975, publiée au JO L 194 du 25.7.1975, p. 5).
Protocole d’amendement de la Convention pour la prévention de la pollution marine d’origine tellurique, Paris, 26 mars 1986 (décision 87/57/CEE du Conseil du 22.12.1986, publiée au JO L 24 du 27.1.1987, p. 47).
[…]»
9 La partie IX de la Convention, intitulée «Mers fermées ou semi-fermées», est composée des articles 122 et 123 qui sont rédigés comme suit:
«Article 122
Définition
Aux fins de la Convention, on entend par ‘mer fermée ou semi-fermée’ un golfe, un bassin ou une mer entourée par plusieurs États et relié à une autre mer ou à l’océan par un passage étroit, ou constitué, entièrement ou principalement, par les mers territoriales et les zones économiques exclusives de plusieurs États.
Article 123
Coopération entre États riverains de mers fermées ou semi-fermées
Les États riverains d’une mer fermée ou semi-fermée devraient coopérer entre eux dans l’exercice des droits et l’exécution des obligations qui sont les leurs en vertu de la Convention. À cette fin, ils s’efforcent, directement ou par l’intermédiaire d’une organisation régionale appropriée, de:
[…]
b) coordonner l’exercice de leurs droits et l’exécution de leurs obligations concernant la protection et la préservation du milieu marin;
[…]»
10 La partie XII de la Convention, intitulée «Protection et préservation du milieu marin», comporte une section 1, intitulée «Dispositions générales». Cette section contient les articles 192 à 194, lesquels disposent:
«Article 192
Obligation d’ordre général
Les États ont l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin.
Article 193
Droit souverain des États d’exploiter leurs ressources naturelles
Les États ont le droit souverain d’exploiter leurs ressources naturelles selon leur politique en matière d’environnement et conformément à leur obligation de protéger et de préserver le milieu marin.
Article 194
Mesures visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin
1. Les États prennent, séparément ou conjointement selon qu’il convient, toutes les mesures compatibles avec la Convention qui sont nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin, quelle qu’en soit la source; ils mettent en œuvre à cette fin les moyens les mieux adaptés dont ils disposent, en fonction de leurs capacités, et ils s’efforcent d’harmoniser leurs politiques à cet égard.
2. Les États prennent toutes les mesures nécessaires pour que les activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle le soient de manière à ne pas causer de préjudice par pollution à d’autres États et à leur environnement et pour que la pollution résultant d’incidents ou d’activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne s’étende pas au-delà des zones où ils exercent des droits souverains conformément à la Convention.
3. Les mesures prises en application de la présente partie doivent viser toutes les sources de pollution du milieu marin. Elles comprennent notamment les mesures tendant à limiter autant que possible:
a) l’évacuation de substances toxiques, nuisibles ou nocives, en particulier de substances non dégradables, à partir de sources telluriques, depuis ou à travers l’atmosphère ou par immersion;
b) la pollution par les navires, en particulier les mesures visant à prévenir les accidents et à faire face aux cas d’urgence, à assurer la sécurité des opérations en mer, à prévenir les rejets, qu’ils soient intentionnels ou non, et à réglementer la conception, la construction, l’armement et l’exploitation des navires;
c) la pollution provenant des installations ou engins utilisés pour l’exploration ou l’exploitation des ressources naturelles des fonds marins et de leur sous-sol, en particulier les mesures visant à prévenir les accidents et à faire face aux cas d’urgence, à assurer la sécurité des opérations en mer et à réglementer la conception, la construction, l’équipement, l’exploitation de ces installations ou engins et la composition du personnel qui y est affecté;
d) la pollution provenant des autres installations ou engins qui fonctionnent dans le milieu marin, en particulier les mesures visant à prévenir les accidents et à faire face aux cas d’urgence, à assurer la sécurité des opérations en mer et à réglementer la conception, la construction, l’équipement, l’exploitation de ces installations ou engins et la composition du personnel qui y est affecté.
4. Lorsqu’ils prennent des mesures pour prévenir, réduire ou maîtriser la pollution du milieu marin, les États s’abstiennent de toute ingérence injustifiable dans les activités menées par d’autres États qui exercent leurs droits ou s’acquittent de leurs obligations conformément à la Convention.
5. Les mesures prises conformément à la présente partie comprennent les mesures nécessaires pour protéger et préserver les écosystèmes rares ou délicats ainsi que l’habitat des espèces et autres organismes marins en régression, menacés ou en voie d’extinction.»
11 Les articles 204 à 206, figurant dans la section 4, intitulée «Surveillance continue et évaluation écologique», de la partie XII de la Convention, prévoient:
«Article 204
Surveillance continue des risques de pollution et des effets de la pollution
1. Les États s’efforcent, dans toute la mesure possible et d’une manière compatible avec les droits des autres États, directement ou par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes, d’observer, mesurer, évaluer et analyser, par des méthodes scientifiques reconnues, les risques de pollution du milieu marin ou les effets de cette pollution.
2. En particulier, ils surveillent constamment les effets de toutes les activités qu’ils autorisent ou auxquelles ils se livrent afin de déterminer si ces activités risquent de polluer le milieu marin.
Article 205
Publication de rapports
Les États publient des rapports sur les résultats obtenus en application de l’article 204 ou fournissent, à intervalles appropriés, de tels rapports aux organisations internationales compétentes, qui devront les mettre à la disposition de tous les autres États.
Article 206
Évaluation des effets potentiels des activités
Lorsque des États ont de sérieuses raisons de penser que des activités envisagées relevant de leur juridiction ou de leur contrôle risquent d’entraîner une pollution importante ou des modifications considérables et nuisibles du milieu marin, ils évaluent, dans la mesure du possible, les effets potentiels de ces activités sur ce milieu et rendent compte des résultats de ces évaluations de la manière prévue à l’article 205.»
12 La section 5 de la partie XII de la Convention, intitulée «Réglementation internationale et droit interne visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin», comporte notamment les articles 207 et 211, lesquels sont rédigés comme suit:
«Article 207
Pollution d’origine tellurique
1. Les États adoptent des lois et règlements pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin d’origine tellurique, y compris la pollution provenant des fleuves, rivières, estuaires, pipelines et installations de décharge, en tenant compte des règles et des normes, ainsi que des pratiques et procédures recommandées, internationalement convenues.
2. Les États prennent toutes autres mesures qui peuvent être nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser cette pollution.
3. Les États s’efforcent d’harmoniser leurs politiques à cet égard au niveau régional approprié.
4. Les États, agissant en particulier par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes ou d’une conférence diplomatique, s’efforcent d’adopter au plan mondial et régional, des règles et des normes, ainsi que des pratiques et procédures recommandées pour prévenir, réduire et maîtriser cette pollution, en tenant compte des particularités régionales, de la capacité économique des États en développement et des exigences de leur développement économique. Ces règles et ces normes, ainsi que ces pratiques et procédures recommandées, sont réexaminées de temps à autre, selon qu’il est nécessaire.
5. Les lois, règlements et mesures, ainsi que les règles et les normes et les pratiques et procédures recommandées, visés aux paragraphes 1, 2 et 4, comprennent des mesures tendant à limiter autant que possible l’évacuation dans le milieu marin de substances toxiques, nuisibles ou nocives, en particulier de substances non dégradables.
[…]
«Article 211
Pollution par les navires
1. Les États, agissant par l’intermédiaire de l’organisation internationale compétente ou d’une conférence diplomatique générale, adoptent des règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les navires et s’attachent à favoriser l’adoption, s’il y a lieu de la même manière, de dispositifs de circulation des navires visant à réduire à un minimum le risque d’accidents susceptibles de polluer le milieu marin, y compris le littoral, et de porter atteinte de ce fait aux intérêts connexes des États côtiers. Ces règles et normes sont, de la même façon, réexaminées de temps à autre, selon qu’il est nécessaire.
2. Les États adoptent des lois et règlements pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les navires battant leur pavillon ou immatriculés par eux. Ces lois et règlements ne doivent pas être moins efficaces que les règles et normes internationales généralement acceptées, établies par l’intermédiaire de l’organisation internationale compétente ou d’une conférence diplomatique générale.
[…]»
13 L’article 213, figurant dans la section 6, intitulée «Mise en application», de la partie XII de la Convention, dispose:
«Mise en application de la réglementation relative à la pollution d’origine tellurique
Les États assurent l’application des lois et règlements adoptés conformément à l’article 207; ils adoptent les lois et règlements et prennent les autres mesures nécessaires pour donner effet aux règles et normes internationales applicables, établies par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes ou d’une conférence diplomatique, afin de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin d’origine tellurique.»
14 La partie XV de la Convention, intitulée «Règlement des différends», comporte une section 1, intitulée «Dispositions générales». L’article 282, qui figure dans cette section, dispose:
«Obligations résultant d’accords généraux, régionaux ou bilatéraux
Lorsque les États parties qui sont parties à un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention sont convenus, dans le cadre d’un accord général, régional ou bilatéral ou de toute autre manière, qu’un tel différend sera soumis, à la demande d’une des parties, à une procédure aboutissant à une décision obligatoire, cette procédure s’applique au lieu de celles prévues dans la présente partie, à moins que les parties en litige n’en conviennent autrement.»
15 Les articles 286 à 288, qui figurent dans la section 2, intitulée «Procédures obligatoires aboutissant à des décisions obligatoires», de la partie XV de la Convention, prévoient:
«Article 286
Champ d’application de la présente section
Sous réserve de la section 3, tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention qui n’a pas été réglé par l’application de la section 1 est soumis, à la demande d’une partie au différend, à la cour ou au tribunal ayant compétence en vertu de la présente section.
Article 287
Choix de la procédure
1. Lorsqu’il signe ou ratifie la Convention ou y adhère, ou à n’importe quel moment par la suite, un État est libre de choisir, par voie de déclaration écrite, un ou plusieurs des moyens suivants pour le règlement des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention:
a) le Tribunal international du droit de la mer constitué conformément à l’annexe VI;
b) la Cour internationale de justice;
c) un tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII;
d) un tribunal arbitral spécial, constitué conformément à l’annexe VIII, pour une ou plusieurs des catégories de différends qui y sont spécifiés.
[…]
Article 288
Compétence
1. Une cour ou un tribunal visé à l’article 287 a compétence pour connaître de tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention qui lui est soumis conformément à la présente partie.
2. Une cour ou un tribunal visé à l’article 287 a aussi compétence pour connaître de tout différend qui est relatif à l’interprétation ou à l’application d’un accord international se rapportant aux buts de la Convention et qui lui est soumis conformément à cet accord.
[…]»
16 En vertu de l’article 290, figurant lui aussi dans section 2 de la partie XV de la Convention, une cour ou un tribunal dûment saisi d’un différend peut prescrire des mesures conservatoires.
17 L’article 293, également compris dans ladite section de la partie XV de la Convention, est libellé comme suit:
«Droit applicable
1. Une cour ou un tribunal ayant compétence en vertu de la présente section applique les dispositions de la Convention et les autres règles du droit international qui ne sont pas incompatibles avec celle-ci.
[…]»
18 Aux termes de l’article 296, figurant dans la même section de la partie XV de la Convention:
«Caractère définitif et force obligatoire des décisions
1. Les décisions rendues par une cour ou un tribunal ayant compétence en vertu de la présente section sont définitives, et toutes les parties au différend doivent s’y conformer.
2. Ces décisions n’ont force obligatoire que pour les parties et dans le cas d’espèce considéré.»
19 L’annexe IX de la Convention, intitulée «Participation d’organisations internationales», comporte notamment les dispositions suivantes:
«Article premier
Emploi du terme ‘organisation internationale’
Aux fins de l’article 305 et de la présente annexe, on entend par ‘organisation internationale’ une organisation intergouvernementale constituée d’États qui lui ont transféré compétence pour des matières dont traite la Convention, y compris la compétence pour conclure des traités sur ces matières.
Article 2
Signature
Une organisation internationale peut signer la Convention si la majorité de ses États membres en sont signataires. Au moment où elle signe la Convention, une organisation internationale fait une déclaration spécifiant les matières dont traite la Convention pour lesquelles ses États membres signataires lui ont transféré compétence, ainsi que la nature et l’étendue de cette compétence.
Article 3
Confirmation formelle et adhésion
1. Une organisation internationale peut déposer son instrument de confirmation formelle ou d’adhésion si la majorité de ses États membres déposent ou ont déposé leurs instruments de ratification ou d’adhésion.
2. L’instrument déposé par l’organisation internationale doit contenir les engagements et déclarations prescrits aux articles 4 et 5 de la présente annexe.
Article 4
Étendue de la participation, droits et obligations
1. L’instrument de confirmation formelle ou d’adhésion déposé par une organisation internationale doit contenir l’engagement d’accepter, en ce qui concerne les matières pour lesquelles compétence lui a été transférée par ses États membres parties à la Convention, les droits et obligations prévus par la Convention pour les États.
2. Une organisation internationale est partie à la Convention dans les limites de la compétence définie dans les déclarations, communications ou notifications visées à l’article 5 de la présente annexe.
3. En ce qui concerne les matières pour lesquelles ses États membres parties à la Convention lui ont transféré compétence, une organisation internationale exerce les droits et s’acquitte des obligations qui autrement seraient ceux de ces États en vertu de la Convention. Les États membres d’une organisation internationale n’exercent pas la compétence qu’ils lui ont transférée.
4. La participation d’une organisation internationale n’entraîne en aucun cas une représentation supérieure à celle à laquelle ses États membres parties à la Convention pourraient autrement prétendre; cette disposition s’applique notamment aux droits en matière de prise de décisions.
5. La participation d’une organisation internationale ne confère à ses États membres qui ne sont pas parties à la Convention aucun des droits prévus par celle-ci.
6. En cas de conflit entre les obligations qui incombent à une organisation internationale en vertu de la Convention et celles qui lui incombent en vertu de l’accord instituant cette organisation ou de tout acte connexe, les obligations découlant de la Convention l’emportent
Article 5
Déclarations, notifications et communications
1. L’instrument de confirmation formelle ou d’adhésion d’une organisation internationale doit contenir une déclaration spécifiant les matières dont traite la Convention pour lesquelles compétence lui a été transférée par ses États membres parties à la Convention.
2. Un État membre d’une organisation internationale, au moment où il ratifie la Convention ou y adhère, ou au moment où l’organisation dépose son instrument de confirmation formelle ou d’adhésion, la date la plus tardive étant retenue, fait une déclaration spécifiant les matières dont traite la Convention pour lesquelles il a transféré compétence à l’organisation.
3. Les États parties membres d’une organisation internationale qui est partie à la Convention sont présumés avoir compétence en ce qui concerne toutes les matières traitées par la Convention pour lesquelles ils n’ont pas expressément indiqué, par une déclaration, communication ou notification faite conformément au présent article, qu’ils transféraient compétence à l’organisation.
4. L’organisation internationale et ses États membres parties à la Convention notifient promptement au dépositaire toute modification de la répartition des compétences spécifiée dans les déclarations visées aux paragraphes 1 et 2, y compris les nouveaux transferts de compétence.
5. Tout État partie peut demander à une organisation internationale et aux États membres de celle-ci qui sont parties à la Convention d’indiquer qui, de l’organisation ou de ces États membres, a compétence pour une question précise qui s’est posée. L’organisation et les États membres concernés communiquent ce renseignement dans un délai raisonnable. Ils peuvent également communiquer un tel renseignement de leur propre initiative.
6. La nature et l’étendue des compétences transférées doivent être précisées dans les déclarations, notifications et communications faites en application du présent article.
[…]»
Les antécédents du litige
Le différend entre l’Irlande et le Royaume-Uni relatif à l’usine MOX
20 La société British Nuclear Fuel plc (ci-après «BNFL») exploite plusieurs usines sur le site de Sellafield, sur la côte bordant la mer d’Irlande. Sont notamment implantées sur ce site les usines dites MOX et THORP.
21 L’activité de l’usine MOX consiste dans le recyclage du plutonium provenant de combustibles nucléaires irradiés, opéré en mélangeant le dioxyde de plutonium avec du dioxyde d’uranium appauvri. Il en résulte un nouveau combustible dénommé MOX, abréviation utilisée pour désigner le combustible d’oxydes mixtes («mixed oxide fuel»), destiné à être utilisé en tant que source d’énergie dans des centrales nucléaires.
22 Une partie des matériaux utilisés dans l’usine MOX provient de l’usine THORP, abréviation désignant cette usine de retraitement de dioxyde thermique («thermal oxide reprocessing plant»), dans laquelle des combustibles nucléaires irradiés provenant de réacteurs nucléaires implantés tant au Royaume-Uni que dans d’autres pays sont traités afin d’en extraire le dioxyde de plutonium et le dioxyde d’uranium.
23 La construction de l’usine MOX a été autorisée par les autorités du Royaume-Uni à la suite d’une demande introduite par BNFL, sur la base d’un rapport environnemental présenté par cette société en 1993 (ci-après le «rapport environnemental de 1993»).
24 En 1996, BNFL a introduit auprès de l’agence du Royaume-Uni chargée de l’environnement une demande en vue d’obtenir l’autorisation d’exploiter cette usine.
25 Le 11 février 1997, se fondant sur les informations fournies par le gouvernement du Royaume-Uni, la Commission a rendu un avis concernant le projet de rejet d’effluents radioactifs de l’usine MOX en application de l’article 37 EA (JO C 68, p. 4). Aux termes de cet avis, «la mise en œuvre du projet de rejet d’effluents radioactifs provenant de l’exploitation de l’usine MOX de Sellafield ne risque pas d’entraîner, aussi bien en fonctionnement normal qu’en cas d’accident, de l’ampleur considérée dans les données générales, une contamination radioactive significative du point de vue sanitaire des eaux, du sol ou de l’espace aérien d’un autre État membre».
26 Par ailleurs, pour satisfaire aux exigences posées par la directive 80/836/Euratom du Conseil, du 15 juillet 1980, portant modification des directives fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants (JO L 246, p. 1), une entreprise de conseil privée a établi un rapport d’évaluation portant sur la justification économique de l’usine MOX (ci-après le «rapport PA»), dont une version a été rendue publique en 1997.
27 En outre, entre le mois d’avril 1997 et le mois d’août 2001, les autorités du Royaume-uni ont organisé cinq consultations publiques sur la justification économique de l’usine MOX. Le 3 octobre 2001, ces autorités ont décidé que ladite usine était économiquement justifiée, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 96/29/Euratom du Conseil, du 13 mai 1996, fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants (JO L 159, p. 1), directive ayant abrogé la directive 80/836 avec effet au 13 mai 2000.
28 À plusieurs reprises entre 1994 et 2001, l’Irlande a interpellé les autorités du Royaume-Uni au sujet de l’usine MOX, mettant plus particulièrement en cause tant le bien-fondé du rapport environnemental de 1993 que celui de la décision relative à la justification économique de cette usine. L’Irlande a en outre contesté la base sur laquelle les consultations publiques ont été organisées et demandé des informations complémentaires à celles contenues dans la version publique du rapport PA.
29 Dans un communiqué de presse du 4 octobre 2001, le ministre irlandais chargé de la sûreté nucléaire a indiqué que l’Irlande envisageait de déposer une plainte sur le fondement de la Convention, eu égard à l’absence d’évaluation adéquate de l’impact de l’usine MOX sur l’environnement.
Les procédures de règlement du différend relatif à l’usine MOX engagées par l’Irlande
30 Le 15 juin 2001, l’Irlande a transmis au Royaume-Uni une demande de constitution d’un tribunal arbitral ainsi qu’une demande introductive d’instance en application de l’article 32 de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, signée à Paris le 22 septembre 1992, convention qui a été approuvée au nom de la Communauté par la décision 98/249/CE du Conseil, du 7 octobre 1997 (JO 1998, L 104, p. 1). Cette Convention remplace notamment les accords de Paris en matière de prévention de la pollution marine d’origine tellurique auxquels la Communauté était déjà partie et qui, à ce titre, ont été mentionnés à l’appendice de la déclaration de compétences de la Communauté.
31 Dans cette requête, l’Irlande soutenait que le Royaume-Uni avait manqué aux obligations prévues à l’article 9 de ladite Convention en refusant de lui fournir une copie complète du rapport PA.
32 Le 2 juillet 2003, le tribunal arbitral constitué en vertu de cette Convention a rejeté la demande de l’Irlande.
33 L’engagement de cette procédure n’est cependant pas visé par le présent recours en manquement.
34 Le 25 octobre 2001, l’Irlande a notifié au Royaume-Uni que, en vertu de l’article 287 de la Convention, elle engageait une procédure devant le tribunal arbitral prévu à l’annexe VII de cette Convention (ci-après le «Tribunal arbitral») en vue du règlement du «différend relatif à l’usine MOX, aux transferts internationaux de substances radioactives et à la protection du milieu marin de la mer d’Irlande».
35 La demande introductive d’instance tendait à obtenir dudit tribunal qu’il juge et décide:
«1) que le Royaume-Uni n’a pas observé les obligations que lui imposent les articles 192 et 193 et/ou l’article 194 et/ou l’article 207 et/ou les articles 211 et 213 de la Convention en ce qui concerne l’autorisation d’exploitation de l’usine MOX, notamment en ne prenant pas les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin de la mer d’Irlande résultant 1) des rejets intentionnels de matières et/ou de déchets radioactifs provenant de l’usine MOX, et/ou 2) d’émissions accidentelles de matières et/ou de déchets radioactifs provenant de l’usine MOX et/ou de transferts internationaux liés à l’activité de l’usine MOX, et/ou 3) des émissions de matières et/ou de déchets radioactifs provenant de l’usine MOX et/ou de transferts internationaux liés à l’activité de l’usine MOX, résultant d’un acte de terrorisme;
2) que le Royaume-Uni n’a pas observé les obligations que lui imposent les articles 192 et 193 et/ou l’article 194 et/ou l’article 207 et/ou les articles 211 et 213 de la Convention en ce qui concerne l’autorisation d’exploitation de l’usine MOX 1) en n’évaluant pas de manière appropriée, ou en n’évaluant pas, le risque pouvant découler d’une attaque terroriste contre l’usine MOX et contre les transferts internationaux de matières radioactives liés à l’activité de cette usine, et/ou 2) en ne préparant pas de manière appropriée, ou en ne préparant pas, une stratégie globale ou un plan global pour prévenir une attaque terroriste contre l’usine MOX ou contre les transferts internationaux de déchets radioactifs liés à l’activité de l’usine ainsi que pour faire face et réagir à une telle attaque;
3) que le Royaume-Uni n’a pas observé les obligations que lui imposent les articles 123 et 197 de la Convention en ce qui concerne l’autorisation d’exploitation de l’usine MOX et a manqué à son obligation de coopérer avec l’Irlande pour protéger le milieu marin de la mer d’Irlande, notamment en refusant de partager certaines informations et/ou en refusant de procéder à une évaluation environnementale appropriée des effets sur le milieu marin de l’usine MOX et des activités liées à cette usine et/ou en accordant une autorisation d’exploitation de l’usine MOX alors qu’une procédure relative au règlement d’un différend concernant l’accès à l’information était encore pendante;
4) que le Royaume-Uni n’a pas observé les obligations que lui impose l’article 206 de la Convention en ce qui concerne l’autorisation d’exploitation accordée à l’usine MOX, notamment
a) en ne procédant pas, dans [le rapport environnemental de 1993], à une évaluation appropriée et complète des effets potentiels de l’exploitation de l’usine MOX sur le milieu marin de la mer d’Irlande, et/ou
b) en ne procédant pas, depuis la publication du [rapport environnemental de 1993], à l’évaluation des effets potentiels de l’exploitation de l’usine MOX sur le milieu marin compte tenu des développements de fait et de droit survenus depuis 1993, et en particulier depuis 1998, et/ou
c) en ne procédant pas à l’évaluation des effets potentiels sur le milieu marin de la mer d’Irlande des transferts internationaux de matières radioactives à destination ou en provenance de l’usine MOX, et/ou
d) en ne procédant pas à l’évaluation du risque que représentent les effets potentiels sur le milieu marin de la mer d’Irlande d’un ou de plusieurs actes terroristes visant l’usine MOX et/ou les transferts internationaux de matières radioactives à destination ou en provenance de l’usine MOX;
5) que le Royaume-Uni n’autorisera pas ou empêchera a) l’exploitation de l’usine MOX, et/ou b) les transferts internationaux de matières radioactives à destination ou en provenance du Royaume-Uni liés à l’exploitation de l’usine MOX ou à une quelconque activité préparatoire ou autre en rapport avec l’exploitation de l’usine MOX jusqu’à ce que 1) il ait été procédé à une évaluation appropriée des effets sur l’environnement de l’exploitation de l’usine MOX ainsi que des transferts internationaux de matières radioactives liés à cette exploitation, 2) il ait été démontré que l’exploitation de l’usine MOX et les transferts internationaux de matières radioactives liés à cette exploitation n’entraîneront pas, directement ou indirectement, le rejet intentionnel dans le milieu marin de la mer d’Irlande de matières radioactives, y compris de déchets radioactifs, et 3) qu’un document ou un plan stratégique global permettant de prévenir une attaque terroriste contre l’usine MOX et contre les transferts internationaux de déchets radioactifs liés à l’activité de cette usine, de faire face ou de réagir à une telle attaque ait été approuvé et adopté conjointement avec l’Irlande;
6) que les frais de procédure de l’Irlande soient mis à la charge du Royaume-Uni.»
36 S’agissant du droit à appliquer par le Tribunal arbitral, la demande introductive d’instance mentionne notamment que ce tribunal «sera invité à tenir compte, le cas échéant, des dispositions d’autres instruments internationaux, y compris les conventions internationales et la législation communautaire […]».
37 Par ailleurs, se référant à l’article 293 de la Convention, ladite demande précise que «l’Irlande considère que les dispositions de la Convention doivent être interprétées par référence à d’autres règles internationales contraignantes pour l’Irlande et le Royaume-Uni, comme la convention [pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est] […], la directive 85/337/CEE et les directives 80/836/Euratom et 96/29/Euratom».
38 Le 9 novembre 2001, l’Irlande a également introduit une demande de mesures conservatoires devant le Tribunal international du droit de la mer, au titre de l’article 290, paragraphe 5, de la Convention, tendant en particulier à obtenir que le Royaume-Uni suspende immédiatement l’autorisation d’exploitation de l’usine MOX.
39 Par ordonnance du 3 décembre 2001 (affaire 10, «Affaire de l’usine MOX», Irlande c. Royaume-Uni), le Tribunal international du droit de la mer a arrêté un ensemble de mesures conservatoires autres que celles demandées par l’Irlande dans les termes suivants:
«L’Irlande et le Royaume-Uni doivent coopérer et, à cette fin, procéder sans retard à des consultations dans le but:
a) d’échanger des informations supplémentaires concernant les conséquences possibles, pour la mer d’Irlande, de la mise en service de l’usine MOX;
b) de surveiller les risques ou les effets qui pourraient découler ou résulter, pour la mer d’Irlande, des opérations de l’usine MOX;
c) d’adopter, le cas échéant, des mesures pour prévenir une pollution du milieu marin pouvant résulter des opérations de l’usine MOX.»
40 Dans cette même ordonnance, ledit tribunal s’est déclaré prima facie compétent et a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par le Royaume-Uni sur la base de l’article 282 de la Convention, cet État ayant soutenu que certains aspects des griefs articulés par l’Irlande relèvent du droit communautaire de sorte que la Cour est exclusivement compétente pour connaître du différend.
41 Cette exception d’incompétence a de nouveau été soulevée par le Royaume-Uni dans le cadre de la procédure écrite devant le Tribunal arbitral et a été débattue au cours des audiences devant ce tribunal.
42 Par ordonnance du 24 juin 2003, notifiée à la Commission le 27 juin suivant, le Tribunal arbitral a décidé de suspendre la procédure jusqu’au 1er décembre 2003 et a demandé à être plus amplement informé, pour cette date, en ce qui concerne les implications du droit communautaire dans le différend dont il était saisi.
43 Dans ladite ordonnance, ce même tribunal a exposé que des difficultés étroitement liées au droit communautaire sont apparues à propos de questions importantes telles que la qualité pour agir de l’Irlande et du Royaume-Uni, le partage de compétences entre la Communauté et ses États membres en ce qui concerne la Convention, la mesure dans laquelle ledit tribunal peut se prononcer sur la base des dispositions invoquées par les parties et la compétence juridictionnelle exclusive de la Cour.
44 À cet égard, le Tribunal arbitral a considéré qu’il existait une réelle possibilité que la Cour soit amenée à connaître du différend et décide que celui-ci relève du droit communautaire, excluant ainsi la compétence juridictionnelle dudit tribunal en vertu de l’article 282 de la Convention.
45 Le tribunal arbitral a en outre relevé que les questions soulevées à propos de sa compétence concernent essentiellement le fonctionnement interne d’un ordre juridique distinct, à savoir l’ordre juridique communautaire, et doivent être tranchées dans le cadre institutionnel de la Communauté, notamment par la Cour.
46 Dans ce contexte, ledit tribunal a considéré qu’il ne serait pas opportun de poursuivre la procédure en l’absence de réponses aux questions qui relèvent du droit communautaire, eu égard au risque de décisions contradictoires et compte tenu de considérations relatives au respect mutuel et à la courtoisie entre institutions judiciaires. Le Tribunal arbitral a, dès lors, invité les parties à prendre, séparément ou conjointement, les mesures appropriées pour régler rapidement lesdites questions dans le cadre institutionnel des Communautés européennes.
47 Par cette même ordonnance, le Tribunal arbitral a confirmé les mesures conservatoires précédemment prescrites par le Tribunal international du droit de la mer, rejetant la demande de mesures conservatoires supplémentaires présentée par l’Irlande.
48 À la suite de la décision de la Commission d’engager le présent recours en manquement, l’Irlande a demandé au Tribunal arbitral de suspendre ses audiences jusqu’à ce que la Cour ait statué. Par ordonnance du 14 novembre 2004, ledit tribunal a fait droit à cette demande.
La procédure en manquement
49 La Commission a été informée de la procédure engagée par l’Irlande devant le tribunal arbitral constitué en vertu de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (voir point 30 du présent arrêt) par une lettre du 18 juin 2001 du secrétaire exécutif de la commission instituée dans le cadre de cette convention.
50 Par lettre du 8 octobre 2001, les services de la Commission ont demandé à l’Irlande de suspendre cette procédure au motif que le différend concerné relevait de la compétence exclusive de la Cour.
51 Le 25 octobre 2001, l’Irlande a engagé la procédure de règlement du différend relatif à l’usine MOX dans le cadre de la Convention.
52 Le 20 juin 2002, une réunion a eu lieu entre les services de la Commission et les autorités irlandaises au sujet de l’ensemble des éléments dudit différend.
53 Par lettre du 27 juin 2002, rappelée le 8 octobre suivant, les services de la Commission ont invité les autorités irlandaises à lui communiquer certains documents supplémentaires, notamment les mémoires déposés au cours des procédures engagées dans le cadre de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est et de la Convention.
54 Par lettre du 22 octobre 2002, l’Irlande a satisfait à cette demande en ce qui concerne les mémoires déposés en son nom dans les procédures devant le tribunal arbitral constitué en vertu de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est et devant le Tribunal international du droit de la mer. En revanche, s’agissant de la procédure devant le Tribunal arbitral, l’Irlande a indiqué que les deux parties étaient tenues à une obligation de confidentialité jusqu’à l’audience. Elle a par ailleurs précisé que sa lettre ne devait pas être considérée comme valant dépôt d’une plainte au titre de l’article 227 CE.
55 Ultérieurement, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE. Par lettre du 15 mai 2003, elle a mis l’Irlande en demeure de présenter ses observations sur le grief d’avoir manqué à ses obligations au titre des articles 10 CE et 292 CE, d’une part, des articles 192 EA et 193 EA, d’autre part, en engageant une procédure dans le cadre de la Convention.
56 L’Irlande ayant, par lettre du 15 juillet 2003, exprimé son désaccord avec la position de la Commission, cette dernière a, le 19 août suivant, émis un avis motivé invitant ledit État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux semaines, ultérieurement prolongé de deux semaines supplémentaires, à compter de la réception de cet avis.
57 N’étant pas satisfaite de la réponse réservée par l’Irlande audit avis, la Commission a introduit le présent recours.
58 Par ordonnance du président de la Cour du 7 avril 2004, le Royaume de Suède a été admis à intervenir au soutien des conclusions de l’Irlande et le Royaume-Uni, au soutien des conclusions de la Commission.
Sur le recours
59 Dans son recours, la Commission soulève trois griefs. En engageant la procédure contre le Royaume-Uni dans le cadre de la Convention, l’Irlande aurait, en premier lieu, méconnu la compétence exclusive de la Cour pour statuer sur tout différend relatif à l’interprétation et à l’application du droit communautaire prévue à l’article 292 CE, en deuxième lieu, violé cette même disposition, outre l’article 193 EA, en soumettant au Tribunal arbitral un différend dont la solution implique d’interpréter et d’appliquer des instruments relevant du droit communautaire, en troisième lieu, d’une part, manqué au devoir de coopération découlant de l’article 10 CE en exerçant une compétence qui appartient à la Communauté, d’autre part, manqué à ce même devoir tel qu’il découle des articles 10 CE et 192 EA en n’informant ni ne consultant au préalable les institutions communautaires compétentes.
Sur le premier grief
60 Par son premier grief, la Commission fait valoir que, en engageant la procédure de règlement des différends prévue par la Convention pour faire trancher le différend relatif à l’usine MOX qui l’oppose au Royaume-Uni, l’Irlande n’a pas respecté la compétence exclusive de la Cour en ce qui concerne les différends relatifs à l’interprétation et à l’application du droit communautaire et a, ainsi, enfreint l’article 292 CE.
Arguments des parties
61 La Commission soutient que, la Convention étant un accord mixte, les dispositions de celle-ci invoquées par l’Irlande devant le Tribunal arbitral relèvent de la compétence externe de la Communauté en matière de protection de l’environnement telle que prévue à l’article 175 CE et que, partant, l’interprétation et l’application de ces dispositions dans le cadre d’un différend entre États membres relèvent de la compétence exclusive de la Cour en vertu de l’article 292 CE.
62 La décision 98/392, en ce qu’elle vise notamment l’article 175 CE, et la déclaration de compétences de la Communauté, en ce qu’elle énonce que la protection du milieu marin relève des compétences partagées de la Communauté, confirmeraient que, en devenant partie à la Convention, la Communauté a exercé sa compétence partagée en matière de protection de l’environnement. Il ne serait, dès lors, pas nécessaire d’établir une compétence exclusive de la Communauté dans les domaines concernés par le différend.
63 Il découlerait, en effet, de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’elle est saisie conformément aux dispositions du traité CE, celle-ci a compétence pour interpréter les dispositions des accords mixtes non seulement lorsque les dispositions en cause relèvent de la compétence exclusive de la Communauté, mais également lorsque celles-ci relèvent d’une de ses compétences partagées. La Commission se réfère, à cet égard, aux arrêts du 16 juin 1998, Hermès (C-53/96, Rec. p. I-3603, point 33), du 14 décembre 2000, Dior e.a. (C-300/98 et C-392/98, Rec. p. I-11307, point 33), et du 19 mars 2002, Commission/Irlande (C‑13/00, Rec. p. I‑2943, point 20).
64 En outre, toutes les questions soulevées devant le Tribunal arbitral seraient largement couvertes par un cadre législatif presque complet d’actes communautaires internes dont certains sont d’ailleurs mentionnés à l’appendice de la déclaration de compétences de la Communauté.
65 Cette déclaration, qui indique que la Communauté ne peut devenir partie à la Convention que dans les limites de ses compétences, ne restreindrait toutefois nullement cette adhésion aux matières faisant l’objet d’une compétence exclusive.
66 L’Irlande fait valoir qu’il n’y a pas eu de transfert de compétences à la Communauté pour ce qui concerne les matières dont relèvent les dispositions de la Convention sur lesquelles cet État membre fonde sa demande devant le Tribunal arbitral.
67 Comme le confirmerait la déclaration de compétences de la Communauté, il serait nécessaire, pour établir la compétence de la Communauté, de démontrer que des actes de droit communautaire sont affectés par les dispositions de la Convention concernées.
68 Les compétences partagées spécifiées dans ladite déclaration, pour autant qu’elles concernent des domaines dans lesquels la Communauté n’a fixé que des normes minimales, ne seraient pas transférées et appartiendraient donc toujours aux États membres.
69 Des dispositions d’accords mixtes relatives à des compétences partagées de la Communauté ne feraient partie intégrante du droit communautaire que dans l’hypothèse où ces dispositions sont susceptibles d’affecter des règles communes de droit communautaire.
70 Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce, les règles communautaires relatives à la protection de l’environnement concernées ne fixant que des normes minimales.
71 Dès lors, la Commission ne démontrerait pas que les dispositions de la Convention invoquées par l’Irlande devant le Tribunal arbitral comportent les mêmes obligations que celles prévues par des actes communautaires existants et, partant, ne rapporterait pas la preuve de l’affectation de normes communautaires.
72 Selon le gouvernement irlandais, les dispositions de la Convention en cause comportent des obligations plus strictes que celles prévues par le droit communautaire.
73 En ce qui concerne le rejet de substances radioactives dans le milieu marin ainsi qu’en matière de notification et de coopération dans le secteur du transport maritime de ces substances, la législation communautaire serait même totalement absente. En outre, celle-ci ne comporterait aucune règle comparable à l’article 123 de la Convention.
74 Par ailleurs, l’Euratom n’étant pas partie à la Convention et aucun acte adopté dans le cadre du traité CEEA ne figurant à l’appendice de la déclaration de compétences de la Communauté, aucune compétence fondée sur ce traité ne saurait être attribuée à la Communauté dans le cadre de la Convention.
75 Le gouvernement suédois soutient que, dès lors que la compétence externe de la Communauté en matière de protection de l’environnement n’est pas de nature exclusive, ce n’est que si et dans la mesure où elle a adopté, au niveau interne, des règles communes susceptibles d’être affectées par des engagements contractés par les États membres au niveau international que la compétence de la Communauté devient exclusive. Ledit gouvernement invoque, à cet égard, l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR» (22/70, Rec. p. 263, point 17).
76 Or, dans l’hypothèse où les règles communes ne consistent qu’en des normes minimales, les États membres conserveraient le pouvoir de rechercher une protection plus élevée tant au niveau national qu’au niveau international.
77 Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que, s’agissant de la partie XII de la Convention, relative à la protection du milieu marin, la compétence de la Communauté doit se fonder sur des règles communes adoptées en vertu de l’article 175 CE et non sur les objectifs environnementaux énumérés à l’article 174 CE.
78 Afin de vérifier l’étendue du transfert de compétence à la Communauté dans le domaine dont relèvent les dispositions de la Convention concernées, il y aurait lieu de se référer aux principes consacrés aux points 15 à 17 de l’arrêt AETR, précité, et à la jurisprudence subséquente ayant développé ces principes, notamment les avis 1/94, du 15 novembre 1994 (Rec. p. I-5267, point 77) et 2/94, du 28 mars 1996 (Rec. p. I-1759, points 24 à 26).
79 Or, les dispositions de la Convention invoquées par l’Irlande devant le Tribunal arbitral seraient susceptibles d’affecter des règles communes adoptées par la Communauté dès lors que, telles qu’elles sont invoquées et interprétées par cet État membre devant ledit tribunal, lesdites dispositions se rapportent à un domaine couvert par le traité CE, non pas dans une large mesure, mais de manière précise.
Appréciation de la Cour
80 À titre liminaire, il convient de préciser que, par son premier grief, la Commission reproche à l’Irlande d’avoir méconnu la compétence exclusive de la Cour en portant devant le Tribunal arbitral un différend l’opposant à un autre État membre relatif à l’interprétation et à l’application de dispositions de la Convention comportant des obligations assumées par la Communauté dans l’exercice de ses compétences externes en matière de protection de l’environnement, et d’avoir, ainsi, enfreint l’article 292 CE. Les articles du traité CEEA auxquels référence est faite dans les conclusions de la Commission concernent les deuxième et troisième griefs.
81 En vertu de l’article 300, paragraphe 7, CE, «[l]es accords conclus selon les conditions fixées [audit] article lient les institutions de la Communauté et les États membres».
82 La Convention a été signée par la Communauté et ensuite approuvée par la décision 98/392. Il s’ensuit que, selon une jurisprudence constante, les dispositions de cette Convention font désormais partie intégrante de l’ordre juridique communautaire (voir, notamment, arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, non encore publié au Recueil, point 36).
83 La Convention a été conclue par la Communauté et tous ses États membres en vertu d’une compétence partagée.
84 Or, la Cour a déjà jugé que les accords mixtes ont le même statut dans l’ordre juridique communautaire que les accords purement communautaires, s’agissant des dispositions qui relèvent de la compétence de la Communauté (arrêt Commission/Irlande, précité, point 14).
85 La Cour en a déduit que, en assurant le respect des engagements découlant d’un accord conclu par les institutions communautaires, les États membres remplissent dans l’ordre communautaire une obligation envers la Communauté qui a assumé la responsabilité de la bonne exécution de cet accord (arrêt Commission/Irlande, précité, point 15).
86 La Convention étant un accord mixte, il y a donc lieu d’examiner si les dispositions de cet accord invoquées par l’Irlande devant le Tribunal arbitral dans le cadre du différend relatif à l’usine MOX relèvent de la compétence de la Communauté.
87 Il ressort des termes de la demande introductive d’instance de l’Irlande (reproduits au point 35 du présent arrêt) que cet État membre reproche essentiellement au Royaume-Uni d’avoir octroyé l’autorisation d’exploitation de l’usine MOX sans avoir respecté certaines obligations découlant de la Convention.
88 À l’exception de l’article 123 de la Convention, les dispositions invoquées à cet égard sont toutes comprises dans la partie XII de ladite convention, intitulée «Protection et préservation du milieu marin».
89 En particulier, l’Irlande fait grief au Royaume-Uni d’avoir violé d’abord l’article 206 de la Convention en manquant à l’obligation de procéder à une évaluation adéquate des incidences environnementales de l’ensemble des activités liées à l’usine MOX sur le milieu marin de la mer d’Irlande, ensuite les articles 123 et 197 de la Convention en manquant à son obligation de coopérer avec l’Irlande pour protéger le milieu marin de la mer d’Irlande, mer semi-fermée, enfin les articles 192, 193 et/ou 194 et/ou 207, 211 et 213 de la Convention en ne prenant pas les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin de la mer d’Irlande.
90 Or, la Cour a déjà interprété l’article 175, paragraphe 1, CE comme constituant la base juridique appropriée pour la conclusion d’accords internationaux en matière de protection de l’environnement au nom de la Communauté (voir, en ce sens, avis 2/00, du 6 décembre 2001, Rec. p. I-9713, point 44).
91 Cette conclusion est confirmée par la lecture conjointe de cette disposition et du dernier tiret de l’article 174, paragraphe 1, CE, qui inclut expressément parmi les objectifs devant être poursuivis dans le cadre de la politique de l’environnement «la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement».
92 Certes, ainsi que le précise l’article 176 CE, cette compétence externe de la Communauté en matière de protection de l’environnement, en l’occurrence du milieu marin, n’est pas exclusive mais bien, en principe, partagée entre la Communauté et les États membres (voir, en ce sens, avis 2/00, précité, point 47).
93 Toutefois, la question de savoir si une disposition d’un accord mixte relève de la compétence de la Communauté concerne l’attribution et, dès lors, l’existence même de cette compétence, et non sa nature exclusive ou partagée.
94 Il découle de ce qui précède que l’existence de la compétence externe de la Communauté en matière de protection du milieu marin ne dépend pas, en principe, de l’adoption d’actes de droit dérivé qui couvriraient la matière concernée et seraient susceptibles d’être affectés en cas de participation des États membres à la procédure de conclusion de l’accord en cause, au sens du principe dégagé par la Cour au point 17 de l’arrêt AETR, précité.
95 La Communauté peut, en effet, conclure des accords dans le domaine de la protection de l’environnement même si les matières spécifiques couvertes par ces accords ne font pas encore ou ne font que très partiellement l’objet d’une réglementation sur le plan communautaire, réglementation qui, par ce fait, n’est pas susceptible d’être affectée (voir, en ce sens, avis 2/00, précité, points 44 à 47, et arrêt du 7 octobre 2004, Commission/France, C-239/03, Rec. p. I-9325, point 30).
96 Dans ces conditions, il convient de vérifier si et dans quelle mesure la Communauté, en devenant partie à la Convention, a choisi d’exercer sa compétence externe en matière de protection de l’environnement.
97 À cet égard, la mention au premier visa de la décision 98/392 de l’article 130 S, paragraphe 1, du traité CE parmi les dispositions constituant le fondement juridique de la décision d’approbation de la Convention indique que tel a effectivement été le cas.
98 Par ailleurs, il est précisé au point 5 des motifs de la même décision que l’approbation de ladite convention par la Communauté vise à permettre à celle-ci d’en devenir partie dans les limites de sa compétence.
99 La déclaration de compétences de la Communauté, visée à l’article 1er, paragraphe 3, de ladite décision, qui fait partie de l’instrument de confirmation formelle de la Communauté constituant l’annexe II de cette décision, précise l’étendue et la nature des compétences transférées par les États membres à la Communauté dans les matières dont traite la Convention pour lesquelles la Communauté accepte les droits et obligations prévus par cette convention.
100 L’Irlande soutient que l’article 4, paragraphe 3, de l’annexe IX de la Convention, en particulier la notion de «transfert de compétences» y figurant, ainsi que la déclaration de compétences de la Communauté doivent être compris en ce sens que, s’agissant des compétences partagées, seules ont été transférées et exercées par la Communauté en devenant partie à la Convention les compétences devenues exclusives à cause d’un effet d’affectation, au sens du principe dégagé par la Cour au point 17 de l’arrêt AETR, précité.
101 Il s’agirait d’une particularité de la Convention, cette dernière ne permettant que le transfert de compétences exclusives à la Communauté, les autres compétences ainsi que les responsabilités y afférentes demeurant du ressort des États membres.
102 Or, selon l’Irlande, les dispositions communautaires en cause, dès lors qu’elles ne constituent que des normes minimales, ne sont, en principe, pas affectées; partant, les compétences partagées s’y rapportant n’auraient pas été transférées dans le cadre de la Convention.
103 À l’inverse, la Commission affirme que la déclaration de compétences de la Communauté doit être comprise en ce sens que les compétences partagées concernées sont transférées et exercées par la Communauté même si elles portent sur des matières pour lesquelles il n’existe pas actuellement de réglementation communautaire.
104 Il convient de relever à cet égard que le point 2, deuxième tiret, premier alinéa, deuxième phrase, de la déclaration de compétences de la Communauté énonce, pour ce qui concerne, notamment, les dispositions de la Convention relatives à la prévention de la pollution marine, que, «[l]orsque des règles communautaires existent, mais ne sont pas affectées, notamment en cas de dispositions communautaires ne fixant que des normes minimales, les États membres ont compétence sans préjudice de celle de la Communauté à agir dans ce domaine».
105 Partant, ladite déclaration confirme qu’un transfert de compétences partagées, notamment en matière de prévention de la pollution marine, a eu lieu dans le cadre de la Convention, y compris en l’absence d’affectation des règles communautaires concernées, au sens du principe dégagé dans l’arrêt AETR, précité.
106 Toutefois, ce même passage de la déclaration de compétences de la Communauté subordonne le transfert de compétences partagées à l’existence de règles communautaires, sans qu’il soit nécessaire que celles-ci soient affectées.
107 Dans les autres cas, à savoir ceux dans lesquels des règles communautaires n’existent pas, conformément au point 2, deuxième tiret, premier alinéa, troisième phrase, de ladite déclaration, la compétence relève des États membres.
108 Il s’ensuit que, dans le contexte spécifique de la Convention, le constat d’un transfert de compétences partagées à la Communauté est subordonné à l’existence, dans les matières dont relèvent les dispositions de la Convention concernées, de règles communautaires, quelles qu’en soient du reste la portée et la nature.
109 À cet égard, sans être exhaustif, l’appendice de la déclaration de compétences de la Communauté constitue une base de référence utile.
110 Or, il apparaît que les matières couvertes par les dispositions de la Convention invoquées par l’Irlande devant le Tribunal arbitral sont très largement réglementées par des actes communautaires, dont plusieurs sont expressément mentionnés audit appendice.
111 Ainsi, s’agissant du grief relatif à la violation de l’obligation de procéder à une évaluation adéquate des incidences environnementales de l’ensemble des activités liées à l’usine MOX sur le milieu marin de la mer d’Irlande, tiré de l’article 206 de la Convention, il y a lieu de constater que cette matière fait l’objet de la directive 85/337, laquelle est mentionnée à l’appendice de la déclaration de compétences de la Communauté.
112 L’Irlande ne saurait d’ailleurs contester la pertinence de cette directive dès lors que, dans sa demande introductive d’instance devant le Tribunal arbitral, elle en a fait elle-même état en tant qu’acte pouvant servir de référence pour l’interprétation des dispositions de la Convention concernées.
113 En outre, l’Irlande a déduit certains arguments de cette directive à l’appui dudit grief dans ses plaidoiries devant ledit tribunal.
114 La même observation vaut également pour le grief que fonde l’Irlande sur les articles 192, 193, 194, 207, 211 et 213 de la Convention, en tant qu’il porte sur l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution de la mer de l’Irlande.
115 En effet, dans ses plaidoiries devant le Tribunal arbitral, l’Irlande a tiré de nombreux arguments de la directive 85/337 pour étayer ce grief en ce qui concerne l’obligation de prévention de la pollution. La pertinence de cette directive en cette matière est donc évidente.
116 D’autre part, le même grief, en tant qu’il porte sur les transferts internationaux de substances radioactives liés à l’activité de l’usine MOX, présente un lien étroit avec la directive 93/75, également mentionnée à l’appendice de la déclaration de compétences de la Communauté, qui réglemente les conditions minimales exigées pour les navires à destination des ports maritimes de la Communauté ou en sortant et transportant des marchandises dangereuses ou polluantes.
117 En outre, s’agissant du grief tiré des articles 123 et 197 de la Convention, relatif au manque de coopération du Royaume-Uni et, en particulier, au refus de partager certaines informations avec l’Irlande, telle la version complète du rapport PA, il y a lieu de constater que la mise à disposition d’informations de cette nature relève de la directive 90/313/CEE du Conseil, du 7 juin 1990, concernant la liberté d’accès à l’information en matière d’environnement (JO L 158, p. 56).
118 Par ailleurs, ainsi que cela a été exposé au point 31 du présent arrêt, l’Irlande a formulé ce même grief devant le tribunal arbitral constitué en vertu de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est sur le fondement de l’article 9 de cette convention, convention qu’elle a de nouveau invoquée dans sa demande introductive d’instance devant le Tribunal arbitral en tant que base de référence pour l’interprétation des dispositions de la Convention concernées. Or, la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est a été conclue par la Communauté et a, d’ailleurs, remplacé les accords de Paris en matière de prévention de la pollution marine d’origine tellurique, ces accords étant eux-mêmes mentionnés à l’appendice de la déclaration de compétences de la Communauté.
119 Il est en outre constant que, dans ses plaidoiries devant le Tribunal arbitral, l’Irlande a fondé son argumentation à l’appui du grief dont il s’agit à la fois sur la directive 85/337, sur la directive 90/313 et sur la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est.
120 Ces éléments suffisent à établir que les dispositions de la Convention relatives à la prévention de la pollution marine invoquées par l’Irlande, qui couvrent manifestement une partie significative du différend relatif à l’usine MOX, relèvent d’une compétence de la Communauté que celle-ci a choisi d’exercer en devenant partie à la Convention.
121 Il résulte de ce qui précède que les dispositions de la Convention invoquées par l’Irlande dans le cadre du différend relatif à l’usine MOX soumis au Tribunal arbitral constituent des règles faisant partie de l’ordre juridique communautaire. Partant, la Cour est compétente pour connaître des différends relatifs à l’interprétation et à l’application desdites dispositions ainsi que pour en apprécier le respect par un État membre (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Irlande, point 20, et Commission/France, point 31).
122 Il convient toutefois de déterminer si cette compétence de la Cour est exclusive, de sorte qu’elle s’opposerait à ce qu’un différend tel celui relatif à l’usine MOX soit porté par un État membre devant un tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII de la Convention.
123 La Cour a déjà rappelé qu’un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique communautaire dont la Cour assure le respect en vertu de l’article 220 CE. Cette compétence exclusive de la Cour est confirmée par l’article 292 CE selon lequel les États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application du traité CE à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci (voir, en ce sens, avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I‑6079, point 35, et 1/00, du 18 avril 2002, Rec. p. I-3493, points 11 et 12).
124 Il convient d’emblée de constater que la Convention permet précisément d’éviter qu’une telle atteinte soit portée à la compétence exclusive de la Cour de façon à préserver l’autonomie du système juridique communautaire.
125 En effet, il découle de l’article 282 de la Convention que le régime de règlement des différends que comporte le traité CE, dès lors qu’il prévoit des procédures aboutissant à des décisions obligatoires pour le règlement de différends entre États membres, prime, en principe, celui que comporte la partie XV de la Convention.
126 Il a été établi que les dispositions de la Convention qui interviennent dans le différend relatif à l’usine MOX relèvent d’une compétence de la Communauté que celle-ci a exercée en adhérant à la Convention, de sorte que lesdites dispositions font partie intégrante de l’ordre juridique communautaire.
127 Partant, il s’agit bien, en l’espèce, d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application du traité CE, au sens de l’article 292 CE.
128 En outre, dès lors qu’il oppose deux États membres au sujet du non-respect prétendu d’obligations de droit communautaire que comporteraient lesdites dispositions de la Convention, ce différend relève manifestement de l’un des modes de règlement des différends instaurés par le traité CE, au sens de l’article 292 CE, à savoir la procédure prévue à l’article 227 CE.
129 Par ailleurs, il n’est pas contestable qu’une procédure telle que celle introduite par l’Irlande devant le Tribunal arbitral doit être qualifiée de mode de règlement d’un différend, au sens de l’article 292 CE, dès lors que, en vertu de l’article 296 de la Convention, les décisions rendues par un tel tribunal sont définitives et ont une force obligatoire pour les parties au différend.
130 L’Irlande soutient toutefois, à titre subsidiaire, que, si la Cour devait arriver à la conclusion que les dispositions de la Convention invoquées devant le Tribunal arbitral font partie intégrante du droit communautaire, la même conclusion s’imposerait en ce qui concerne les dispositions de la Convention relatives au règlement des différends. Partant, la saisine d’un tribunal arbitral visé à l’article 287, paragraphe 1, sous c), de la Convention constituerait un mode de règlement des différends prévu par le traité CE, au sens de l’article 292 CE.
131 Cet argument doit être rejeté.
132 En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 123 du présent arrêt, une convention internationale telle la Convention ne saurait porter atteinte à la compétence exclusive de la Cour en ce qui concerne le règlement des différends entre États membres relatifs à l’interprétation et à l’application du droit communautaire. De plus, ainsi qu’il a été relevé aux points 124 et 125 du présent arrêt, l’article 282 de la Convention permet précisément d’assurer qu’une telle atteinte ne se produise pas et, partant, que l’autonomie du système juridique communautaire soit effectivement sauvegardée.
133 Il découle de tout ce qui précède que les articles 220 CE et 292 CE s’opposaient à la saisine du Tribunal arbitral par l’Irlande en vue du règlement du différend relatif à l’usine MOX.
134 Cette constatation ne saurait être remise en cause par le fait que la requête introductive de l’Irlande devant le Tribunal arbitral porte également sur certaines obligations du Royaume-Uni en matière de risques liés au terrorisme.
135 En effet, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si cette partie du différend relève du droit communautaire, il suffit de constater que, ainsi qu’il ressort du point 120 du présent arrêt, en l’espèce, une partie significative du différend qui oppose l’Irlande au Royaume-Uni porte sur l’interprétation ou l’application du droit communautaire. Il appartient à la Cour, le cas échéant, d’identifier les éléments du différend relatifs à des dispositions de l’accord international concerné qui ne relèvent pas de sa compétence.
136 La compétence de la Cour étant exclusive et obligatoire pour les États membres, les arguments de l’Irlande quant aux avantages que présenterait une procédure d’arbitrage au titre de l’annexe VII de la Convention par rapport à un recours devant la Cour au titre de l’article 227 CE ne sauraient prospérer.
137 En effet, de tels avantages, à les supposer démontrés, ne sauraient en aucun cas justifier qu’un État membre s’affranchisse des obligations prévues par le traité CE en ce qui concerne les recours juridictionnels destinés à obvier à une méconnaissance prétendue, par un autre État membre, du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 1979, Commission/France, 232/78, Rec. p. 2729, point 9).
138 Enfin, s’agissant des arguments de l’Irlande concernant l’urgence et la possibilité d’obtenir des mesures conservatoires en vertu de l’article 290 de la Convention, il suffit de relever que, en vertu de l’article 243 CE, la Cour peut prescrire les mesures provisoires nécessaires dans les affaires dont elle est saisie. De telles mesures peuvent donc, à l’évidence, être ordonnées dans le cadre d’une procédure introduite au titre de l’article 227 CE.
139 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le premier grief.
Sur le deuxième grief
140 Par son deuxième grief, la Commission fait valoir que la soumission par l’Irlande d’instruments de droit communautaire à l’interprétation et à l’application du Tribunal arbitral constitue une violation de l’article 292 CE et, pour ce qui concerne les instruments invoqués qui relèvent du traité CEEA, une violation de l’article 193 EA.
Arguments des parties
141 La Commission reproche à l’Irlande d’avoir méconnu la compétence exclusive de la Cour, telle que prévue aux articles 292 CE et 193 EA, dès lors que cet État membre aurait invoqué devant le Tribunal arbitral, notamment dans sa demande introductive d’instance, certains instruments de droit communautaire relevant du traité CE ou du traité CEEA au titre de l’article 293 de la Convention et, donc, en tant que droit à appliquer par ce tribunal.
142 Le gouvernement du Royaume-Uni, qui partage cette opinion, précise que, dans les mémoires qu’elle a déposés devant ledit tribunal, l’Irlande a invoqué au titre de l’article 293 de la Convention plusieurs actes de droit communautaire, notamment les directives 85/337, 90/313 et 92/3/Euratom du Conseil, du 3 février 1992, relative à la surveillance et au contrôle des transferts de déchets radioactifs entre États membres ainsi qu’à l’entrée et à la sortie de la Communauté (JO L 35, p. 24), de même que des accords internationaux, telle la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est.
143 Ledit gouvernement relève également que, devant ce tribunal, l’Irlande a fait valoir des arguments se rapportant à l’interprétation qu’il conviendrait de donner à des dispositions particulières de ces actes ou de ces accords et a allégué que le comportement du Royaume-Uni est incompatible avec certaines obligations de droit communautaire qui en découleraient.
144 L’Irlande soutient qu’elle s’est référée à des instruments de droit communautaire en tant qu’éléments de fait non contraignants, dans l’unique but de faciliter l’interprétation de certains termes de la Convention en indiquant la manière dont ceux-ci sont entendus dans la pratique de juridictions d’ordres juridiques autres que celui du for.
145 Selon cet État membre, des éléments d’un ordre juridique distinct de celui de la Convention peuvent également être utilisés au titre du «renvoi», technique juridique courante qui serait destinée à assurer la coexistence harmonieuse de normes issues d’ordres juridiques différents.
Appréciation de la Cour
146 Il est constant que, dans sa demande introductive d’instance ainsi que dans ses mémoires devant le Tribunal arbitral, l’Irlande a invoqué un certain nombre d’actes communautaires.
147 Outre la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, il s’agit essentiellement, pour ce qui concerne le traité CE, des directives 85/337 et 90/313 et, pour ce qui concerne le traité CEEA, des directives 80/836, 92/3 et 96/29.
148 Il est également constant que ces actes communautaires ont été invoqués par l’Irlande au titre de l’article 293, paragraphe 1, de la Convention, qui prévoit qu’un tribunal tel que le Tribunal arbitral «applique les dispositions de la Convention et les autres règles du droit international qui ne sont pas incompatibles avec [cette convention]».
149 En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 49 et 50 de ses conclusions, il résulte de différents passages des mémoires déposés par l’Irlande devant le Tribunal arbitral que cet État membre a présenté lesdits actes communautaires non seulement comme éléments pertinents pour clarifier le sens des dispositions générales de la Convention concernées par le différend, mais également en tant que règles du droit international devant être appliquées par ledit tribunal en vertu de l’article 293 de la Convention.
150 Ainsi, comme l’a soutenu le gouvernement du Royaume-Uni sans être contredit sur ce point, l’Irlande a notamment fait valoir devant le Tribunal arbitral que l’étude environnementale de 1993 ne répondait pas aux exigences de la directive 85/337 et que le refus du Royaume-Uni de communiquer le plan d’exploitation de l’usine MOX n’a pas permis d’évaluer la justification de cette usine telle que requise par la directive 96/29, outre que ce refus a constitué une infraction à l’article 6 de la directive 80/836 ainsi qu’à l’article 6 de la directive 96/29.
151 Il apparaît dès lors que l’Irlande a soumis des instruments de droit communautaire au Tribunal arbitral en vue de leur interprétation et de leur application dans le cadre d’une procédure tendant à faire constater une violation des dispositions desdits instruments par le Royaume-Uni.
152 Or, ceci est contraire à l’obligation s’imposant aux États membres, en vertu respectivement des articles 292 CE et 193 EA, de respecter la nature exclusive de la compétence de la Cour pour connaître des différends relatifs à l’interprétation et à l’application des dispositions du droit communautaire, notamment en recourant aux procédures prévues aux articles 227 CE et 142 EA dans le but de faire constater une violation de ces dispositions par un autre État membre.
153 Partant, dès lors que les instruments concernés relèvent, pour certains, du traité CE et, pour d’autres, du traité CEEA, il y a lieu de constater une violation des articles 292 CE et 193 EA.
154 Il convient en outre de relever que l’engagement et la poursuite d’une procédure devant le Tribunal arbitral, dans les circonstances qui ressortent des points 146 à 150 du présent arrêt, comportent un risque manifeste d’atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique communautaire.
155 Or, ce risque existe quoique, comme l’affirme l’Irlande, celle-ci ait donné l’assurance formelle qu’elle n’a pas invité et n’invitera pas le Tribunal arbitral à examiner ou à apprécier, sur la base l’article 293 de la Convention ou de toute autre disposition, si le Royaume-Uni a enfreint une règle de droit communautaire.
156 Par ailleurs, l’existence dudit risque ôte toute pertinence au fait que l’Irlande ait pu inviter ledit tribunal à appliquer le droit communautaire par voie de renvoi ou en recourant à toute autre technique.
157 En conclusion, le deuxième grief doit être considéré comme fondé.
Sur le troisième grief
158 Par son troisième grief, la Commission soutient, en premier lieu, que l’Irlande n’a pas respecté le devoir de coopération qui découle de l’article 10 CE dès lors que, en engageant une procédure dans le cadre de la Convention sur la base de dispositions relevant de la compétence de la Communauté, l’Irlande a exercé une compétence qui appartient à la Communauté. En second lieu, l’Irlande aurait également manqué au devoir de coopération qui découle tant de l’article 10 CE que de l’article 192 EA en engageant unilatéralement cette procédure sans avoir informé ni consulté au préalable les institutions communautaires compétentes.
Arguments des parties
159 La Commission soutient que, en engageant une procédure de règlement des différends dans le cadre de la Convention sur la base de dispositions de cette convention qui relèvent de la compétence de la Communauté, l’Irlande a exercé une compétence qui appartient à la Communauté.
160 Or, une telle action serait susceptible de créer la confusion auprès des États tiers, parties à la Convention, en ce qui concerne la représentation extérieure et la cohésion interne de la Communauté en tant que partie contractante et serait hautement préjudiciable à l’efficacité ainsi qu’à la cohérence de l’action extérieure de la Communauté.
161 De plus, les articles 10 CE et 192 EA auraient été enfreints du fait qu’un État membre ne peut engager unilatéralement une procédure de règlement des différends dans le cadre d’un accord mixte sans avoir informé ni consulté au préalable les institutions communautaires compétentes.
162 Or, tous les contacts entre la Commission et l’Irlande auraient été postérieurs à l’introduction des procédures de règlement du différend dans le cadre de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est et de la Convention.
163 L’Irlande fait valoir que, en tant que principe général, l’article 10 CE crée une obligation résiduelle. Dès lors, si la Cour devait estimer qu’il y a eu manquement à l’article 292 CE, il ne saurait y avoir, en outre, un manquement à l’article 10 CE.
164 Le gouvernement suédois partage, en substance, ce point de vue.
165 L’Irlande ajoute que, dans les circonstances de l’espèce, une consultation préalable n’aurait pas permis de concilier les opinions en présence dès lors que la Commission était manifestement d’avis que cet État membre ne pouvait recourir à la procédure de règlement des différends de la Convention.
166 Le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que l’Irlande aurait dû, à tout le moins, considérer qu’il existait des raisons objectives de nourrir des doutes sérieux quant à la conformité de son intention avec les articles 292 CE et 193 EA.
167 Dans ces circonstances, il aurait incombé à cet État membre de consulter ses partenaires et, à défaut d’aboutir à un règlement du différend par cette voie, il aurait alors appartenu à la Cour de statuer sur la compétence de la Communauté.
Appréciation de la Cour
168 En premier lieu, la Commission reproche à l’Irlande d’avoir méconnu le devoir de coopération qui découle de l’article 10 CE dès lors que, en engageant une procédure arbitrale au titre de la Convention, ledit État membre aurait exercé une compétence qui appartient à la Communauté.
169 Or, l’obligation des États membres, prévue à l’article 292 CE, de recourir au système juridictionnel communautaire et de respecter la compétence exclusive de la Cour qui en constitue un trait fondamental doit être comprise comme une manifestation spécifique de leur devoir plus général de loyauté qui découle de l’article 10 CE.
170 En outre, force est, de constater que cette première partie du troisième grief a le même objet que le premier grief dès lors qu’elle vise le même comportement de l’Irlande, à savoir l’engagement, par cet État membre, de la procédure devant le Tribunal arbitral en violation de l’article 292 CE.
171 Partant, il n’y a pas lieu de constater un manquement aux obligations générales prévues à l’article 10 CE distinct du manquement déjà constaté aux obligations communautaires plus spécifiques auxquelles l’Irlande était tenue en vertu de l’article 292 CE.
172 En second lieu, la Commission fait grief à l’Irlande d’avoir enfreint les articles 10 CE et 192 EA dès lors que cet État membre a engagé la procédure devant le Tribunal arbitral sans avoir informé ni consulté au préalable les institutions communautaires compétentes.
173 Cette seconde partie du troisième grief porte sur une omission prétendue de l’Irlande qui est distincte du comportement faisant l’objet du premier grief. Partant, il y a lieu de l’examiner.
174 La Cour a rappelé que, dans tous les domaines qui correspondent aux objectifs du traité CE, l’article 10 CE impose aux États membres de faciliter à la Communauté l’accomplissement de sa mission et de s’abstenir de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts dudit traité (voir, notamment, avis 1/03, du 7 février 2006, non encore publié au Recueil, point 119). Les États membres assument des obligations de même nature dans le cadre du traité CEEA en vertu de l’article 192 EA.
175 La Cour a en outre souligné que les États membres et les institutions communautaires sont tenus à une obligation de coopération étroite dans l’exécution des engagements qu’ils ont assumés en vertu d’une compétence partagée pour conclure un accord mixte (voir arrêt Dior e.a., précité, point 36).
176 Il en est particulièrement ainsi dans le cas d’un différend qui, tel celui de l’espèce, porte essentiellement sur des engagements découlant d’un accord mixte qui relèvent d’un domaine, la protection et la préservation du milieu marin, dans lequel les compétences respectives de la Communauté et des États membres sont susceptibles d’être étroitement imbriquées, comme en attestent d’ailleurs la déclaration de compétences de la Communauté et son appendice.
177 Le fait de soumettre un différend de cette nature à une juridiction telle que le Tribunal arbitral comporte le risque qu’une juridiction autre que la Cour se prononce sur la portée d’obligations s’imposant aux États membres en vertu du droit communautaire.
178 Par ailleurs, dans leur lettre du 8 octobre 2001, les services de la Commission avaient déjà soutenu que le différend relatif à l’usine MOX, tel qu’il avait été porté par l’Irlande devant le tribunal arbitral constitué en vertu de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, relevait de la compétence exclusive de la Cour.
179 Dans ces conditions, l’obligation de coopération étroite dans le cadre d’un accord mixte impliquait, dans le chef de l’Irlande, un devoir d’information et de consultation préalables des institutions communautaires compétentes avant d’engager une procédure de règlement du différend relatif à l’usine MOX dans le cadre de la Convention.
180 Un même devoir d’information et de consultation préalables s’imposait en outre à l’Irlande en vertu du traité CEEA dans la mesure où cet État membre envisageait d’invoquer des dispositions dudit traité ainsi que des actes adoptés en exécution de celui-ci dans le cadre de la procédure qu’il se proposait d’engager devant le Tribunal arbitral.
181 Or, il est constant que, à la date de l’introduction de ladite procédure, l’Irlande n’a pas respecté ce devoir d’information et de consultation préalables.
182 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le troisième grief pour autant qu’il vise à faire constater par la Cour que, en engageant une procédure dans le cadre du régime de règlement des différends prévu par la Convention sans avoir informé ni consulté au préalable les institutions communautaires compétentes, l’Irlande n’a pas respecté le devoir de coopération qui découle des articles 10 CE et 192 EA.
183 En conclusion, il y a lieu d’accueillir le recours.
Sur les dépens
184 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément au paragraphe 4 du même article, le Royaume-Uni et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) En engageant une procédure de règlement des différends contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord dans le cadre de la convention des Nations unies sur le droit de la mer en ce qui concerne l’usine MOX implantée sur le site de Sellafield (Royaume-Uni), l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 10 CE, 292 CE, 192 EA et 193 EA.
2) L’Irlande est condamnée aux dépens.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.