AFFAIRE KUDŁA c. POLOGNE
(Requête no 30210/96)
ARRÊT
STRASBOURG
26 octobre 2000
En l’affaire Kudła c. Pologne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
M.L. Wildhaber, président,
MmeE. Palm,
MM.J.-P. Costa,
A. Pastor Ridruejo,
G. Bonello,
J. Makarczyk,
P. Kūris,
R. Türmen,
MmesF. Tulkens,
V. Strážnická,
MM.P. Lorenzen,
M. Fischbach,
J. Casadevall,
MmeH.S. Greve,
M.A.B. Baka,
MmeS. Botoucharova,
M.M. Ugrekhelidze,
ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 juin et 18 octobre 2000,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 30 octobre 1999, puis par un ressortissant polonais, M. AndrzejKudła (« le requérant »), le 2 décembre 1999 (article 5 § 4 du Protocole no 11 et anciens articles 47 et 48 de la Convention).
2. A son origine se trouve une requête (no 30210/96) dirigée contre la République de Pologne et dont le requérant avait saisi la Commission le 12 avril 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention.
3. Le requérant alléguait en particulier qu’il n’avait pas reçu un traitement psychiatrique adéquat pendant sa détention provisoire, que celle-ci avait connu une durée excessive, que son droit à faire entendre sa cause « dans un délai raisonnable » avait été méconnu, et qu’il n’avait eu à sa disposition aucun recours interne effectif au travers duquel il aurait pu se plaindre de la durée excessive de la procédure pénale intentée contre lui.
4. La Commission a déclaré la requête partiellement recevable le 20 avril 1998. Dans son rapport du 26 octobre 1999 (ancien article 31 de la Convention) [Note du greffe : le rapport est disponible au greffe.], elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention (quatorze voix contre treize), de l’article 5 § 3 (unanimité) et de l’article 6 § 1 (unanimité), mais qu’il ne s’impose pas de rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 (dix-huit voix contre neuf).
5. Devant la Cour, le requérant, qui s’est vu accorder le bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Mes K. Tor et P. Sołhaj, avocats inscrits au barreau de Cracovie (Pologne). Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. K. Drzewicki, du ministère des Affaires étrangères.
6. Le 6 décembre 1999, un collège de la Grande Chambre a décidé que l’affaire devait être examinée par celle-ci (article 100 § 1 du règlement). La composition de la Grande Chambre a été fixée conformément aux dispositions des articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Cour a décidé que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (articles 24, 43 § 2 et 71 du règlement), l’affaire devait être attribuée à la même Grande Chambre que l’affaire Mikulski c. Pologne (requête no 27914/95).
7. Le requérant et le Gouvernement ont chacun déposé un mémoire.
8. Par la suite, le président de la Grande Chambre a invité le Gouvernement à produire le dossier médical du requérant constitué par la maison d’arrêt de Cracovie pendant la détention provisoire subie par l’intéressé après le 4 octobre 1993. Le Gouvernement a fourni les documents pertinents le 12 mai 2000. Des copies en ont été envoyées au requérant le 25 mai 2000.
9. Une audience a eu lieu en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 7 juin 2000 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–pour le Gouvernement
M.K. Drzewicki, agent,
MmeM. Wąsek-Wiaderek,
MM.K. Kaliński,conseils,
W. Dziuban, conseiller ;
–pour le requérant
MesK. Tor,
P. Sołhaj,conseils.
La Cour a entendu Me Sołhaj, M. Drzewicki, M. Kaliński, Mme Wąsek-Wiaderek et Me Tor.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La détention du requérant et les poursuites dirigées contre lui
10. Le 8 août 1991, le requérant fut déféré au procureur régional (Prokurator Wojewódzki) de Cracovie, inculpé d’escroquerie et de faux, et placé en détention provisoire. L’intéressé ayant signalé au procureur qu’il souffrait de divers maux, notamment de dépression, les autorités ordonnèrent qu’il fût examiné par un médecin. A l’issue de l’examen, effectué quelques jours plus tard, le requérant fut déclaré apte à séjourner en prison. Il fut incarcéré à la maison d’arrêt (Areszt Śledczy) de Cracovie.
11. Plus tard, à une date non précisée, il interjeta appel de l’ordonnance de placement en détention. Le 21 août 1991, le tribunal régional (Sąd Wojewódzki) de Cracovie rejeta le recours, estimant qu’il y avait de forts indices donnant à penser que l’appelant avait commis les infractions qui lui étaient reprochées. Se référant aux résultats de l’examen médical pratiqué, le tribunal constata qu’aucune raison tenant à l’état de santé du requérant ne justifiait qu’il fût libéré.
12. D’août 1991 à fin juillet 1992, le requérant introduisit une trentaine de demandes de libération et recours contre les décisions de rejet rendues à leur propos.
13. Dans l’intervalle, en octobre 1991, le requérant avait tenté de mettre fin à ses jours en prison. Le 4 novembre 1991, il entama une grève de la faim, qu’il interrompit après une période non précisée.
14. En novembre 1991, les autorités ordonnèrent que le requérant fût examiné par des médecins. Daté du 25 novembre 1991, le rapport établi à la suite de ces examens par des experts de la faculté de psychiatrie criminelle de l’université jagellonienne affirmait que, vu son état, le requérant ne pouvait être détenu dans une prison ordinaire. Les experts concluaient que si l’intéressé devait être maintenu en détention, il y avait lieu de l’interner dans le service psychiatrique d’un hôpital carcéral. Le requérant fut par la suite transféré à l’hôpital carcéral de Bytom, où il fut placé dans un service de maladies internes et reçut un traitement pour son état mental. Il y demeura pendant une période non déterminée, à la suite de laquelle il fut ramené à la maison d’arrêt de Cracovie.
15. Le 20 janvier et le 27 février 1992, le requérant fut examiné par des médecins légistes. Ceux-ci conclurent que l’intéressé était justiciable d’un traitement psychiatrique en prison mais qu’il ne devait pas nécessairement être interné dans le service psychiatrique d’un hôpital carcéral.
16. Le 30 avril 1992, un acte d’accusation dirigé contre le requérant fut déposé devant le tribunal régional de Cracovie. Au total, vingt-neuf charges y étaient portées contre le requérant et ses neuf coaccusés. Le dossier comportait dix-neuf volumes. L’accusation invita le tribunal à entendre les dépositions de quatre-vingt-dix-huit témoins.
17. Le 15 juin 1992, à la demande du tribunal, des médecins de la clinique psychiatrique de Cracovie et de la faculté de médecine de l’université jagellonienne rédigèrent un rapport relatif à l’état psychologique du requérant. Il comportait notamment le passage suivant :
« Le patient présente des tendances suicidaires persistantes. Après l’avoir examiné, nous estimons qu’il souffre d’un profond syndrome de dépression, aggravé de pensées suicidaires. Eu égard à l’intensité de celles-ci et au fait qu’il a déjà tenté de mettre fin à ses jours, il est justiciable d’un traitement psychiatrique. Son maintien en détention provisoire comporte un danger sérieux pour sa vie (un risque grave de le voir à nouveau faire une tentative de suicide) (…) »
18. Le 27 juillet 1992, le tribunal régional de Cracovie annula l’ordonnance de placement en détention.
19. Les 26, 27 et 28 octobre et les 14 et 15 décembre 1992, le tribunal tint des audiences. Une autre, fixée au 8 février 1993, fut annulée pour défaut de comparution du requérant. L’avocat de l’intéressé soumit un certificat médical attestant que son client était malade pour cinq jours, mais le tribunal ordonna la production, dans les trois jours, d’un certificat médical établi par un médecin légiste, « faute de quoi, des mesures préventives [środki zapobiegawcze] destinées à assurer sa présence au procès ser[aie]nt imposées à l’endroit de l’accusé ». Le requérant ne présenta pas le certificat requis mais, le 12 février 1993, il informa le tribunal qu’il suivait un traitement climatique à Świnoujście, où il devait demeurer jusqu’au 7 mars 1993. Le 18 février 1993, le requérant n’ayant pas indiqué l’adresse à laquelle la citation à comparaître devait lui être notifiée, le tribunal ordonna la diffusion d’un avis de recherche en vue de localiser l’intéressé et de le replacer en détention au motif qu’il n’avait pas comparu aux audiences. La suivante, fixée au 16 mars 1993, fut annulée en raison de l’absence du requérant.
20. L’ordonnance de placement en détention du 18 février 1993 n’avait toujours pas été exécutée lorsque, le 4 octobre 1993, le requérant fut arrêté par la police en rapport avec une infraction au code de la route. Il fut incarcéré à la maison d’arrêt de Cracovie.
21. Le tribunal programma des audiences pour le 6 octobre et les 15 et 17 novembre 1993, mais dut les annuler toutes au motif que l’état mental du requérant (en particulier ses difficultés de concentration) ne lui permettait pas de participer utilement au procès. Une note rédigée le 17 novembre 1993 par un médecin de la prison décrivait son état comme suit :
« Est apte à participer aux débats de ce jour (avec une participation active limitée, eu égard à ses [mots illisibles] difficultés de concentration). »
D’après un autre rapport d’expert (recueilli par le tribunal fin 1993), le requérant « ne souffr[ait] pas d’une maladie mentale » et son état mental ne « form[ait] pas obstacle à son maintien en détention ».
22. Entre-temps, le 18 octobre 1993, l’avocat du requérant avait vainement interjeté appel de l’ordonnance de placement en détention, faisant valoir que, depuis sa libération le 27 juillet 1992, son client était traité en permanence pour sa grave dépression et que c’était son état psychologique qui l’avait empêché de comparaître devant le tribunal.
23. Entre octobre 1993 et novembre 1994, le requérant déposa sans succès vingt et une nouvelles demandes de libération et attaqua, sans plus de succès, chacune des décisions de rejet rendues à leur propos.
24. Les 13, 14 et 16 décembre 1993, le tribunal tint des audiences. D’autres, programmées pour fin janvier 1994, furent annulées au motif que, le 26 janvier 1994, le requérant avait tenté de se suicider par overdose (paragraphes 63-64 ci-dessous).
25. Le procès se poursuivit les 14, 15 et 16 février 1994. Les audiences fixées aux 9 et 10 mars 1994 furent annulées pour cause de maladie du président. De nouvelles audiences eurent lieu les 14, 15 et 16 juin 1994. Dans l’intervalle, le requérant avait été placé en observation psychiatrique à l’hôpital carcéral de Wrocław (paragraphe 58 ci-dessous).
26. L’audience suivante eut lieu le 11 juillet 1994. D’autres, prévues pour les 12 et 14 juillet 1994, furent annulées au motif que le requérant avait retiré la procuration donnée à son avocat. Le procès se poursuivit les 20, 21 et 22 septembre, les 25 et 26 octobre et les 14 et 15 novembre 1994. Les audiences fixées aux 20, 21 et 22 décembre 1994 furent annulées au motif que l’un des coaccusés du requérant était hospitalisé.
27. Entre-temps, le 17 novembre 1994, le requérant s’était plaint au président du tribunal régional de Cracovie de la durée de sa détention provisoire et de la manière dont la procédure était menée. Il faisait valoir, en particulier, que l’ensemble de ses neuf coaccusés avaient été élargis, alors que lui-même se trouvait toujours détenu et que la durée totale de sa détention provisoire excédait à présent deux ans. Il soutenait que les comptes rendus des audiences tenues dans sa cause ne reflétaient pas les dépositions des témoins et que le tribunal avait omis de consigner par écrit les observations présentées par lui-même et par son avocat et ne l’avait pas laissé exposer librement sa version des faits. Enfin, il affirmait que la durée de la procédure pénale engagée à son encontre plus de quatre ans auparavant constituait pour lui un « cauchemar ».
28. Le 7 décembre 1994, le requérant se plaignit au tribunal du traitement psychiatrique qu’il recevait en prison. Le président demanda des explications aux autorités carcérales. Celles-ci l’informèrent du nombre des examens médicaux subis par le requérant, donnèrent le détail de ces examens et produisirent des copies des dossiers médicaux pertinents.
29. A la même époque, le requérant demanda une nouvelle fois au tribunal de le libérer pour motifs de santé. Il invoqua également sa situation familiale, soutenant que sa longue détention provisoire mettait sa famille à rude épreuve. Le 8 décembre 1994, le tribunal régional de Cracovie rejeta la requête.
30. Le 4 janvier 1995, la cour d’appel (Sąd Apelacyjny) de Cracovie, qui avait été saisie par le requérant, confirma la décision du tribunal régional et jugea que M. Kudła devait être maintenu en détention aux motifs que l’on pouvait raisonnablement le soupçonner d’avoir commis les infractions qui lui étaient reprochées et qu’il avait été placé en détention eu égard au risque de le voir se soustraire à la justice. La cour d’appel estima également que, bien qu’elle fût difficile, la situation de la famille du requérant ne constituait pas une circonstance pouvant militer en faveur de son élargissement.
31. Le 25 janvier 1995, l’avocat du requérant sollicita du tribunal régional de Cracovie l’annulation de l’ordonnance de placement en détention et la libération de l’intéressé, moyennant son placement sous contrôle judiciaire. Il souligna que, le 23 janvier 1995, son client avait une nouvelle fois cherché à mettre fin à ses jours en prison (il avait tenté de se pendre, paragraphes 69-70 ci-dessous), ce qui, compte tenu de sa dépression chronique, constituait un indice sérieux de ce qu’un maintien en détention risquait de compromettre sa vie. Il affirmait de plus que si le requérant avait été réincarcéré c’était uniquement parce qu’il n’avait pas comparu aux audiences. Or ce motif ne pouvait d’après lui justifier le maintien en détention de son client, dès lors que les preuves à charge avaient déjà été recueillies et que le maintien en détention ne visait pas à assurer le bon déroulement du procès.
32. Le 13 février 1995, le tribunal régional de Cracovie rejeta la demande de mise en liberté. Il observa que, d’après un rapport des autorités carcérales, la tentative de suicide du requérant n’était qu’une manœuvre destinée à attirer l’attention sur l’intéressé, et que les motifs justifiant le maintien en détention n’avaient pas cessé d’exister. Daté du 10 février 1995, le rapport était ainsi libellé :
« En réponse à la demande du tribunal [régional] concernant l’accusé, nous confirmons qu’Andrzej Kudła, qui reste à votre disposition, a fait (…) à 4 h 45 du matin le 23 janvier de cette année, une tentative de suicide afin d’attirer l’attention sur son cas.
Sur la base des informations obtenues auprès du médecin de garde, qui est psychiatre et psychologue, et sur ses conclusions, il a été établi que le prisonnier souffrait de troubles de la personnalité se manifestant sous la forme d’une dépression réactive. La tentative de l’intéressé a eu pour conséquence une légère abrasion, en forme de bande, de la peau de son cou, provoquée par la corde après la pendaison ; aucun changement d’ordre neurologique n’a été observé.
Le détenu s’est livré à cet acte parce qu’il considère que la procédure pénale traîne beaucoup en longueur et parce qu’il se distancie des charges pesant sur lui.
Nonobstant ses problèmes d’émotivité, il est parfaitement lucide et exerce une pression sur les [autorités carcérales].
Par décision du directeur de la prison, il n’a pas écopé d’une peine disciplinaire pour son comportement. Des discussions psychocorrectives [ont eu lieu avec lui], le but étant de lui expliquer les dangers réels qu’un tel comportement peut faire peser sur sa santé et sur sa vie.
Lors d’une consultation psychiatrique ultérieure (intervenue après la tentative de suicide) une régression des symptômes de dépression réactive a été relevée.
L’intéressé continue d’être détenu dans une cellule avec d’autres personnes, vu la possibilité d’un comportement autodestructeur résultant d’un sentiment subjectif de souffrance. Il est classé dans la catégorie des détenus difficiles et demeure pour cette raison sous observation constante et sous la surveillance des agents de sécurité et du personnel médical de la prison.
[Tampon et signature illisibles] »
33. Le 25 février 1995, l’avocat du requérant interjeta appel de la décision du tribunal régional, faisant valoir que la santé mentale de son client, qui souffrait en permanence de dépression, s’était beaucoup détériorée. Il invita le tribunal à désigner des experts médicaux, psychiatres notamment, afin d’évaluer l’état de santé du requérant, plutôt que de s’en remettre à l’appréciation livrée par les autorités carcérales. Il se plaignit également que la durée de la procédure était excessive et que cela faisait déjà plus de deux ans et quatre mois que son client se trouvait en détention provisoire.
34. Le 2 mars 1995, la cour d’appel de Cracovie rejeta le recours. Elle jugea notamment qu’il ne s’imposait pas de désigner des experts médicaux et que le requérant devait être maintenu en détention, eu égard à la nécessité de garantir le bon déroulement de la procédure. Plus tard, entre le 8 mars et le 1er juin 1995, le requérant forma en vain quatre demandes de libération et autant de recours contre les décisions de rejet rendues à leur propos.
35. Les 13, 14 et 15 mars, les 3, 4 et 5 avril et les 4, 5, 30 et 31 mai 1995, le tribunal régional tint des audiences et entendit des témoins. Certains de ceux-ci, qui s’étaient précédemment abstenus de comparaître, furent amenés au tribunal par la police.
36. Le 1er juin 1995, le tribunal régional de Cracovie reconnut le requérant coupable d’escroquerie et de faux et le condamna à six ans d’emprisonnement et à 5 000 zlotys (PLN) d’amende. Le 2 juin 1995, le requérant et son avocat déposèrent une déclaration d’appel.
37. Le 1er août 1995, le requérant se plaignit au ministre de la Justice que les motifs du jugement n’avaient pas été rédigés dans le délai légal de sept jours. Il affirmait que deux mois s’étaient écoulés avant l’accomplissement de cette formalité.
38. A une date ultérieure non précisée, le requérant sollicita son élargissement, faisant valoir que la prolongation de sa détention avait produit des effets délétères sur sa santé et sur le bien-être de sa famille. Le 14 août 1995, le tribunal régional de Cracovie rejeta sa demande. Le 31 août 1995, la cour d’appel de Cracovie, qui avait été saisie par le requérant, confirma ladite décision, précisant que le maintien en détention était justifié, eu égard à la gravité de la peine infligée.
39. A une date non précisée, le requérant se plaignit au ministre de la Justice de la durée de la procédure relative à son affaire, soulignant que le tribunal régional de Cracovie avait omis de lui notifier les motifs de son jugement dans le délai légal. Cela avait eu pour effet, d’après lui, de prolonger de manière significative la procédure d’appel. Le 28 août 1995, le chef du service criminel du ministère de la Justice répondit au requérant qu’il était probable que le document en question excédât deux cents pages et que le non-respect du délai légal s’expliquait par le fait que le juge rapporteur était en congé.
40. Le 27 septembre 1995, à la demande du tribunal régional, le requérant fut examiné par les médecins légistes psychiatres du Collegium Medicum, faculté de médecine légale de l’université jagellonienne de Cracovie. Leur rapport comportait le passage suivant :
« (…) Ainsi qu’il ressort du dossier, et conformément aux conclusions des experts médicaux, l’accusé a séjourné en observation dans le service psychiatrique de l’hôpital carcéral de Wrocław. Au cours de cette période, il a commis des tentatives de suicide et est passé par des phases assez longues de vagues pertes de conscience. Il ressort des conclusions globales (…) du rapport établi par les experts psychiatres à Wrocław que l’accusé manifeste des troubles de la personnalité et une prédisposition aux réactions situationnelles, qui ne militent pas d’une manière décisive contre son maintien en prison, pourvu qu’on lui garantisse des soins psychiatriques en consultation externe.
[Le requérant] a expliqué qu’il est toujours à la maison d’arrêt et s’y sent très malade, qu’il souffre en permanence d’un mal de tête localisé dans l’apex, avec irradiation dans la nuque. Il est souvent à bout de souffle et a des difficultés à respirer, particulièrement la nuit. Lorsque cela arrive, il demande aux gardiens de l’aider et ceux-ci l’emmènent au service médical. La plupart du temps, le docteur lui prescrit du Relanium [diazepam], qui n’atténue pas sa souffrance. A ses dires, il continue à prendre du Relanium à raison d’au moins 30 mg la nuit et de 15 mg le jour. Ce médicament l’aide, selon lui, à « s’organiser » et il affirme qu’il ne pourrait pas s’en passer. Il se sent constamment fatigué, ne dort pas la nuit et est perturbé par son séjour prolongé en prison. Il juge cela grotesque, estimant qu’il a déjà « plus que purgé » les peines qui pourraient lui être infligées. Au cours d’une conversation avec l’accusé, il a été observé qu’il présentait une abrasion de l’épiderme à la base du cou. Une fois le col de la chemise ouvert, il a été constaté qu’il s’agissait d’une abrasion linéaire de l’épiderme, tout autour de la section antérieure du cou, correspondant aux striures que l’on trouve chez un pendu. L’accusé a expliqué que (…) il avait tenté de se pendre avec un drap mais qu’on l’avait ranimé. C’était sa deuxième tentative de suicide, et il est incapable d’expliquer pourquoi il a agi de cette manière. Il affirme qu’il y a des moments où il a l’impression que sa conscience s’interrompt et que, lorsque cela arrive, il tente de mettre fin à ses jours, essentiellement par pendaison, mais également par prise de médicaments et par lacération avec un rasoir. Il lui serait également arrivé un jour de quitter son domicile après une dispute familiale et de se réveiller plusieurs semaines plus tard, dans une pension de famille à Świnoujście. Il ne comprenait pas comment il était arrivé là, ni ce qui lui était arrivé pendant ces semaines.
L’individu examiné s’exprime maintenant de manière claire, il est parfaitement lucide, son humeur est quelque peu morose, il est tendu, irritable et éprouve un fort sentiment d’injustice. Il estime être traité de manière inadéquate. Il reçoit des médicaments qui n’améliorent pas son état d’esprit et il considère que ce traitement ne fait que le « soumettre à un comportement psychotrope ».
Après avoir été examiné par des psychiatres, l’accusé a été envoyé au laboratoire EEG afin d’y subir un examen spécialisé.
Les résultats de cet examen se trouvent annexés au rapport.
Rapport
L’examen de l’accusé Andrzej Kudła, homme de trente-trois ans, et l’analyse des résultats des examens antérieurs et des observations médicales et psychologiques effectués pendant son hospitalisation, qui a duré plusieurs semaines, montrent que l’état mental actuel de l’intéressé est le résultat de ses troubles de la personnalité et de sa prédisposition à décompenser lorsqu’il est confronté à des situations difficiles. Ces troubles ne sont pas de nature psychotique, mais de nouvelles tentatives de suicide pourraient constituer une menace réelle pour sa santé. C’est la raison pour laquelle nous considérons également que si la procédure judiciaire exige que l’intéressé continue de séjourner en prison il faut l’envoyer dans un service hospitalier où il puisse être surveillé par du personnel spécialisé. Il faudrait également lui garantir l’accès à un psychiatre et à un psychologue.
ExpertExpert
Docteur Elżbieta SkupieńDocteur Andrzej Zięba »
41. Le 6 octobre 1995, le requérant se vit notifier les motifs du jugement et, à une date ultérieure non précisée, il interjeta appel. Le dossier fut transféré à la cour d’appel de Cracovie le 14 novembre 1995.
42. Le 22 février 1996, la cour d’appel annula la condamnation et ordonna que l’affaire fût rejugée, aux motifs que la juridiction inférieure avait siégé dans une mauvaise composition et que de nombreuses dispositions procédurales avaient été violées. Lors de l’audience, l’avocat du requérant l’avait, sans succès, invitée à annuler l’ordonnance de placement en détention.
43. Le 11 avril 1996, le dossier fut transmis au tribunal régional. Celui-ci rendit par la suite une ordonnance de disjonction, en vertu de laquelle le requérant fut jugé séparément de plusieurs autres accusés.
44. Le 30 avril 1996, le requérant sollicita l’annulation ou, à défaut, la modification de la mesure préventive prononcée à son égard. Le 28 mai 1996, le tribunal régional de Cracovie rendit une décision qui comportait notamment le passage suivant :
« (…) A ce stade de l’affaire, le bon déroulement de la procédure peut être garanti par l’imposition de mesures préventives autres que la détention provisoire. (…) En conséquence, le tribunal soumet l’annulation de l’ordonnance de placement en détention à la condition que le requérant verse à titre de caution la somme de 10 000 PLN dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la présente décision lui aura été notifiée. (…) »
45. Le requérant interjeta appel de cette décision et demanda que le montant de la caution fût réduit et fixé en fonction de sa situation financière, ou qu’à défaut le tribunal assurât le bon déroulement du procès en ordonnant un placement sous contrôle judiciaire.
46. Le 11 juin 1996, le tribunal reçut le rapport d’un expert psychiatre désigné par lui. L’expert y affirmait que le requérant souffrait d’un état de dépression chronique et avait des pensées suicidaires. Il estimait que l’intéressé était apte à participer aux audiences, mais que son maintien en détention pouvait mettre sa vie en danger, eu égard à la probabilité de le voir tenter de se suicider.
47. Le 20 juin 1996, la cour d’appel de Cracovie rejeta le recours formé par le requérant contre la décision du 28 mai 1996, estimant que le montant de la caution n’était pas excessif, eu égard à l’ampleur des dommages étant résultés de la commission des infractions dont l’intéressé avait été inculpé et à la gravité de celles-ci. La cour d’appel attacha une importance considérable au fait qu’après l’annulation, en juillet 1992, de la première ordonnance de placement en détention, le requérant avait tenté d’échapper à la justice et avait été réincarcéré pour ce motif. Elle précisa que la caution était une mesure censée assurer la présence de l’accusé au procès ou l’empêcher de commettre d’autres actes visant à perturber le bon déroulement de la procédure. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la caution avait dès lors, selon elle, été fixée à un niveau approprié.
48. Peu de temps après, le requérant se plaignit au médiateur (Rzecznik Praw Obywatelskich) du fait que la durée totale de sa détention provisoire excédait maintenant trois ans. La plainte fut transmise au président de la cour d’appel de Cracovie qui, le 12 juillet 1996, adressa au requérant une lettre dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :
« (…) Vous avez été inculpé d’escroquerie et de faux le 30 avril 1992. L’acte d’accusation visait dix coaccusés, et les dépositions de quatre-vingt-dix-huit témoins ont été recueillies. La procédure a subi du retard en raison du fait que vous vous êtes tenu caché jusqu’à votre réincarcération en octobre 1993. Vous avez également présenté de nombreuses demandes de libération. (…) La durée de la procédure entre la date du jugement de la juridiction de première instance et la date à laquelle le dossier a été envoyé à la cour d’appel s’explique par le volume de votre dossier et par la longueur des motifs du jugement (29 liasses et 140 pages respectivement). (…) Prêts pour le 16 août 1995, les motifs écrits de la décision ne vous ont été notifiés que le 16 septembre 1995, du fait que le juge rapporteur était en vacances. Le seul retard survenu concerne l’instruction de votre demande de libération du 30 avril 1996, celle-ci n’ayant été examinée que le 28 mai 1996 au motif que la période du 1er mai au 5 mai 1996 était fériée. (…) »
49. Entre-temps, l’avocat du requérant avait une nouvelle fois invité le tribunal régional de Cracovie à libérer son client, moyennant le placement de celui-ci sous contrôle judiciaire, ou à réduire le montant de la caution exigée par ladite juridiction le 28 mai 1996. Le 2 juillet 1996, le tribunal écarta la requête. L’avocat du requérant interjeta appel de cette décision, soutenant que, compte tenu du rapport psychiatrique du 11 juin 1996, le requérant devait être libéré au motif que sa vie était en danger.
50. Le 18 juillet 1996, la cour d’appel de Cracovie repoussa le recours, faisant observer que le danger pour la vie du requérant n’était pas absolu puisque l’intéressé pouvait obtenir un traitement psychiatrique en prison. Elle considéra qu’eu égard au comportement qu’il avait adopté après son élargissement en juillet 1992, le requérant devait être maintenu en détention afin d’assurer le bon déroulement de la procédure, sauf pour l’intéressé à verser une caution de 10 000 PLN.
51. Le 31 juillet 1996, le requérant invita une nouvelle fois le tribunal régional de Cracovie à réduire le montant de la caution ou à le libérer moyennant placement sous contrôle judiciaire. Il affirmait ne pas avoir suffisamment de moyens pour verser une somme aussi substantielle. Le 19 août 1996, le tribunal rejeta la demande pour défaut manifeste de fondement. Il observa que les arguments de l’intéressé relatifs à la question de la caution s’analysaient en une « polémique injustifiée avec les organes de la justice » et que la caution pouvait être versée non seulement par le requérant lui-même mais également par des tiers.
52. A une date ultérieure, le requérant demanda au tribunal régional de le libérer afin de lui permettre de verser la caution. Le 10 septembre 1996, le tribunal rejeta la requête. Il s’exprima notamment ainsi :
« (…) Il est logique que le requérant soit libéré une fois la caution versée. La demande de l’intéressé tendant au renversement de la séquence des événements est contraire aux règles de procédure et au bon sens. Elle doit donc être rejetée. (…) »
53. Fixée au 10 octobre 1996, l’ouverture du procès fut reportée au motif que l’un des coaccusés du requérant avait entre-temps été placé en détention dans le cadre d’autres poursuites pénales dirigées contre lui.
54. Le 29 octobre 1996, le tribunal régional de Cracovie annula l’ordonnance de placement en détention après que la famille du requérant eut versé la somme de 10 000 PLN à titre de caution.
55. Les deux prochaines audiences furent fixées au 18 mars et au 17 avril 1997, mais le procès fut derechef ajourné pour cause de maladie d’un coaccusé du requérant. De nouvelles audiences furent fixées aux 6, 21 et 23 octobre 1997. Le tribunal régional fixa ultérieurement des audiences pour les dates suivantes en 1998 : le 15 janvier, le 26 février, le 19 mars, les 6 et 28 avril, les 2, 22 et 24 juin, le 13 juillet, le 23 septembre, les 3 et 30 octobre, et les 17 et 24 novembre. Il rendit son jugement le 4 décembre 1998. Suivant les réquisitions du parquet, il condamna le requérant à six ans d’emprisonnement.
56. L’intéressé attaqua la décision le 19 avril 1999. Le 27 octobre 1999, la cour d’appel de Cracovie réforma le jugement et réduisit la peine du requérant à cinq ans d’emprisonnement.
57. Par la suite, le requérant se pourvut en cassation (kasacja). Le 24 février 2000, la cour d’appel de Cracovie, après avoir constaté que le requérant avait accompli les formalités requises pour ce type de recours, transmit le pourvoi à la Cour suprême (Sąd Najwyższy). La procédure devant cette juridiction est toujours pendante.
B. Le traitement médical reçu par le requérant pendant sa détention du 4 octobre 1993 au 29 octobre 1996, tel qu’attesté par le registre médical tenu par la maison d’arrêt de Cracovie
58. Le requérant séjourna à la maison d’arrêt de Cracovie du 4 octobre 1993 au 29 octobre 1996, avec seulement une interruption : le 9 mars 1994, il fut transféré à l’hôpital carcéral de Wrocław où, jusqu’au 26 mai 1994, il demeura sous observation psychiatrique, conformément à ce qui avait été ordonné dans une autre procédure pénale intentée contre lui.
59. Il ressort du registre médical que le requérant fut examiné par un médecin peu après son incarcération. Le 6 octobre 1993, il demanda à être examiné par un psychiatre. L’examen eut lieu le 15 octobre. Le psychiatre conclut que l’intéressé souffrait de reactio situatione (réaction situationnelle). Auparavant, il avait été examiné à trois reprises par un médecin pénitentiaire ou avait consulté un tel médecin.
60. En novembre 1993, le requérant fut examiné à huit reprises par des médecins pénitentiaires. Ceux-ci notèrent qu’il souffrait d’insomnie et d’anorexie chroniques, de maux de tête récurrents, de vertiges et de difficultés de concentration.
61. Le 10 décembre 1993, le requérant fut examiné par un psychiatre. Celui-ci diagnostiqua des troubles de la personnalité et une réaction dépressive. Au cours du même mois, il fut examiné ou se fit examiner à quatre reprises dans le service de consultations externes de la prison. Il se plaignit d’insomnies et demanda à changer de traitement. Le 24 décembre 1993, un médecin recommanda qu’il fût examiné par un psychiatre.
62. Le 4 janvier 1994, le requérant commença à se plaindre d’un voile sombre devant les yeux et de maux de tête.
63. Le 26 janvier 1994, il fit une tentative de suicide par overdose. Le médecin de garde rédigea le rapport suivant :
« Patient inconscient, aucun contact verbal. (…) Il se dégage des déclarations de [ses compagnons de cellule] qu’hier il a pris sa dose de médicaments du soir (…) Personne ne l’a vu prendre d’autres médicaments.
Diagnostic : intoxicatio medicamentosa acuta per os susp. [suspicion d’intoxication médicamenteuse aiguë par voie orale].
Recommandations médicales : hospitalisation pour observation et traitement psychiatrique d’urgence. »
64. Le requérant fut admis à l’hôpital de la prison, où il demeura les 27 et 28 janvier 1994, avec le diagnostic suivant : « status post intoxicationem medicamentosam ». Il subit plusieurs tests médicaux (morphologie des cellules sanguines, examen toxicologique des urines et électrocardiographie).
65. Le 27 février 1994, il fut examiné par un psychiatre, qui diagnostiqua des troubles névrotiques.
66. Du 26 mai 1994 (date de son retour de l’hôpital de la prison de Wrocław) au début de novembre 1994, il consulta à treize reprises les médecins du service de consultations externes de la prison. Il se plaignait essentiellement de difficultés d’endormissement et de maux de tête récurrents qui duraient plusieurs jours, mais également d’une sensation de froid et de problèmes de peau. En septembre 1994, il sollicita à plusieurs reprises une consultation psychiatrique. Le 9 novembre 1994, il fut examiné par un psychiatre, qui diagnostiqua des troubles névrotiques.
67. Dans l’intervalle, le 5 novembre 1994, le médecin de garde de la prison avait demandé une nouvelle consultation psychiatrique pour le requérant. Le psychiatre examina l’intéressé le 7 décembre 1994 et confirma son diagnostic précédent. D’après le registre, le requérant se plaignait de vertiges et de troubles du sommeil.
68. Le 2 janvier 1995, le médecin de garde sollicita pour le requérant une consultation psychiatrique de suivi. Les 11 et 13 janvier 1995, le médecin nota que le requérant ne lui avait pas fait part des résultats de la visite. Le 16 janvier 1995, le requérant se vit administrer un médicament non précisé.
69. Le 23 janvier 1995, il tenta de se suicider en se pendant. Ce jour-là, les médecins insérèrent deux notes dans le registre médical. La partie pertinente de la première, écrite par le médecin de garde, est ainsi libellée :
« Vers 4 h 30, il a fait une tentative ostensible de suicide en se pendant à un appareil sanitaire fixé au mur. Pression artérielle 110/60, (…). Petite quantité d’écume de sang dans la narine gauche. Abrasions de l’épiderme sur le cou correspondant aux cicatrices que l’on trouve chez les pendus. (…) Il ne souhaite pas communiquer oralement. (…)
Diagnostic : tentative ostensible de suicide par pendaison.
Recommandations médicales : examen psychiatrique (…) »
La seconde note, établie par un spécialiste des maladies internes, est ainsi libellée :
« Etat général bon. (…) Capable de communiquer logiquement. A précisé qu’il n’en était pas à sa première tentative de suicide.
Diagnostic : état consécutif à une tentative de suicide.
Recommandations médicales : examen psychiatrique. Hospitalisation aux fins de traitement non requise. »
70. Le 24 janvier 1995, le requérant fut examiné par un psychiatre, qui établit un rapport ainsi libellé :
« Bonne communication verbale, état émotionnel satisfaisant. (…) Il a séjourné dans le service psychiatrique de l’hôpital carcéral de Wrocław (…) à juin 1994. Tentative de suicide : « Je n’en peux plus. » Il est anxieux. Sommeil perturbé, anorexie, nausées, vomissements. L’affaire dure depuis trois ans – sans jugement, il n’a pas de casier judiciaire. Il est effrayé par ses actes : « Je ne sais pas ce qui m’a pris. »
Diagnostic : état consécutif à une tentative de suicide par pendaison. Réaction situationnelle dépressive. »
71. Le 3 février 1995, le requérant fut une nouvelle fois examiné par un psychiatre. La note du spécialiste est ainsi libellée :
« Bon contact. Bonne lucidité, humeur équilibrée. Pas de symptômes psychotiques. Plaintes : « Je ne me sens pas bien, j’en ai assez, je ne dors pas bien, je vais me pendre. »
Diagnostic : troubles de la personnalité ; réactions auto-agressives. »
72. En mars 1995, le requérant fut examiné par des médecins à six reprises, dont deux fois par des psychiatres. Un certificat médical délivré après le premier examen comporte les passages suivants :
« Cracovie, le 7 mars 1995
Certificat médical
Quant à l’état de santé du prisonnier
Plaintes, maladies et opérations antérieures du prisonnier – Voici ce dont il se plaint actuellement : difficultés de concentration, agitation psychomotrice, sentiment de tension intérieure, douleurs récurrentes dans la région épigastrique. Ses antécédents médicaux révèlent de fréquentes tentatives de suicide, notamment par pendaison et par overdose. Il est sous surveillance psychiatrique régulière. (…)
Consultation psychiatrique du 7 mars 1995. Réaction situationnelle avec caractéristiques dépressives. Apte à participer à des débats judiciaires. (…) »
Après le second examen, pratiqué le 31 mars 1995, un médecin nota :
« Bon contact, bonne lucidité, humeur dysphorique. Plaintes – tension (…) troubles du sommeil et difficultés de concentration.
Diagnostic : troubles névrotiques. »
73. De début avril à fin décembre 1995, le requérant fut examiné par les psychiatres au moins une fois par mois, soit à sa propre demande, soit à la demande des médecins de la prison. Il fut par ailleurs soigné pour d’autres problèmes. En ce qui concerne son état mental, le registre médical fait apparaître qu’il ne cessait de se plaindre de dépression, de troubles du sommeil, de tension, de difficultés de concentration, d’irritation et de l’absence d’amélioration de son état.
74. Au cours de la période allant de début janvier à fin août 1996, le requérant fut examiné par des médecins à trente-deux reprises ; douze examens furent pratiqués par des psychiatres.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
75. A l’époque pertinente, les règles régissant la détention provisoire étaient contenues dans le chapitre 24 de la loi du 19 avril 1969 – code de procédure pénale (Kodeks postępowaniakarnego), sous le titre « Mesures préventives » (Środki zapobiegawcze). Le code n’est plus en vigueur. Il a été abrogé et remplacé par la loi du 6 juin 1997 (communément appelée « nouveau code de procédure pénale »), qui est entrée en vigueur le 1er septembre 1998.
76. Parmi les mesures préventives énumérées par le code figuraient notamment la détention provisoire, la caution et le contrôle judiciaire.
L’article 209 définissait les motifs généraux justifiant l’imposition de mesures préventives. Il était ainsi libellé :
« Des mesures préventives peuvent être imposées afin d’assurer le bon déroulement de la procédure si les preuves contre l’accusé justifient de manière suffisante l’opinion qu’il a commis une infraction pénale. »
L’article 217 § 1 précisait les motifs pour lesquels un individu pouvait être mis en détention provisoire. Dans sa version applicable jusqu’au 1er janvier 1996, cette disposition était ainsi libellée :
« 1. La détention provisoire peut être imposée :
1) s’il existe un risque raisonnable de voir l’accusé s’enfuir ou se cacher, en particulier s’il n’a pas de résidence fixe [en Pologne] ou si son identité ne peut être établie ;
2) s’il existe un risque raisonnable de le voir tenter de suborner des témoins ou d’entraver le bon déroulement de la procédure par tous autres moyens illégaux ;
3) si l’accusé a été inculpé d’une infraction grave ou a récidivé de la manière prévue par le code pénal ; ou
4) si l’accusé a été inculpé d’une infraction créant un danger grave pour la société.
(…) »
Le 1er janvier 1996, les alinéas 3 et 4 du paragraphe 1 de l’article 217 furent abrogés et toute la disposition fut réécrite. Après ladite date, les alinéas pertinents se lisaient comme suit :
« 1) s’il existe un risque raisonnable de voir l’accusé s’enfuir ou se cacher, en particulier si son identité ne peut être établie ou s’il n’a pas de domicile permanent [en Pologne] ; ou
2) [texte tel qu’il était libellé avant le 1er janvier 1996]. »
Le paragraphe 2 de l’article 217 disposait :
« Si un accusé a été inculpé d’une infraction grave ou d’une infraction intentionnelle [pour la commission de laquelle il peut être] passible d’une peine d’un maximum légal d’au moins huit ans d’emprisonnement, ou si un tribunal de première instance l’a condamné à au moins trois ans d’emprisonnement, la nécessité de maintenir l’intéressé en détention afin d’assurer le bon déroulement de la procédure peut se fonder sur la probabilité de l’infliction d’une lourde peine. »
Le code encadrait la marge d’appréciation relativement au maintien d’une mesure préventive décidée. Les articles 213 § 1, 218 et 225 se fondaient sur l’idée que la détention provisoire constituait la mesure préventive la plus extrême et qu’elle ne devait pas être imposée si des mesures moins sévères pouvaient suffire.
L’article 213 § 1 était ainsi libellé :
« Toute mesure préventive [y compris de détention provisoire] sera immédiatement annulée ou modifiée si son fondement a cessé d’exister, ou si des circonstances nouvelles se sont fait jour qui justifient l’annulation ou le remplacement de la mesure par une autre, plus ou moins sévère. »
L’article 225 énonçait :
« La détention provisoire ne doit être décidée qu’en cas de nécessité ; elle ne peut être imposée si le versement d’une caution ou un contrôle judiciaire, ou la combinaison de ces deux mesures, sont jugés adéquats. »
Les dispositions régissant la « détention obligatoire » (par exemple, pendant l’instruction d’un recours formé contre une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans) furent abrogées le 1erjanvier 1996 par la loi du 29 juin 1995 portant amendements au code de procédure pénale et à d’autres lois pénales.
Enfin, l’article 218 disposait :
« Sauf raisons spéciales, une détention provisoire doit être annulée, en particulier,
1) si elle risque de compromettre gravement la vie ou la santé de l’accusé ; ou
2) si elle est de nature à produire des effets excessivement néfastes sur l’accusé ou sa famille. »
77. En droit polonais, une « libération sous caution » ne signifie pas une libération subordonnée à la condition que le détenu s’engage à verser une somme déterminée au tribunal en cas de non-comparution, mais une libération subordonnée à la condition que soit le détenu lui-même soit des tiers versent au tribunal la somme requise préalablement à l’élargissement.
78. L’article 219 du code traitait des soins médicaux prodigués aux accusés séjournant en détention provisoire. Il était ainsi libellé :
« Si l’état de santé d’un accusé nécessite des soins dans un établissement médical, l’intéressé ne peut continuer à être détenu que dans pareil établissement. »
79. L’article 214 prévoyait qu’un accusé pouvait à tout moment introduire une demande de libération. Il se lisait ainsi :
« Un accusé peut à tout moment solliciter la levée ou la modification d’une mesure préventive.
Il sera statué sur semblable demande par le procureur ou, si l’acte d’accusation a déjà été déposé, par le tribunal compétent pour connaître de la cause, et ce dans un délai n’excédant pas trois jours. »
80. L’article 371 § 1 prévoyait un délai pour la rédaction des motifs du jugement de première instance dans les cas où il y avait appel. Sa partie pertinente en l’espèce était ainsi libellée :
« Les motifs du jugement doivent être rédigés dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle un acte d’appel a été déposé ; s’il s’agit d’une affaire complexe où il est impossible de rédiger les motifs dans le délai prescrit, le président du tribunal peut proroger le délai pour une durée déterminée (…) »
81. Le code prévoyait deux voies de recours principales, appelées « mesures d’appel » : l’appel, qui, en vertu des articles 374 et suivants, ne pouvait être interjeté que contre un jugement rendu par un tribunal, et l’appel interlocutoire, qui, en vertu des articles 409 et suivants, pouvait être interjeté contre les décisions autres que les jugements et contre les ordonnances prescrivant des mesures préventives. Le code ne comportait (et ne comporte toujours) aucune disposition spécifique prévoyant expressément des voies de recours pour attaquer l’inaction des organes judiciaires dans le cadre d’une procédure pénale.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
82. Le requérant se plaint de n’avoir pas reçu un traitement psychiatrique adéquat pendant sa détention à compter du 4 octobre 1993. La maison d’arrêt de Cracovie, où il séjourna alors, serait dépourvue de service psychiatrique, et aucun effort n’y aurait été fait pour traiter sa dépression chronique. A l’origine de ses tentatives répétées de suicide en prison, cette carence s’analyserait en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention, dont voici le texte :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
83. L’intéressé affirme que les autorités avaient l’obligation, en vertu de l’article 219 du code de procédure pénale, d’au moins rechercher si son état de santé nécessitait son placement dans un établissement médical approprié (paragraphe 78 ci-dessus). De fait, elles auraient été parfaitement conscientes de ses tendances suicidaires, que n’avaient pu qu’aggraver ses conditions extrêmes de détention. Elles auraient disposé de preuves abondantes à cet effet, puisque aussi bien il avait précédemment été libéré dans l’attente de son jugement eu égard au danger que son maintien en détention aurait représenté pour sa vie.
84. Du 4 octobre 1993 au 29 octobre 1996, c’est-à-dire pendant trois ans, il avait à nouveau séjourné en détention provisoire. Pendant cette période, il n’avait reçu des soins qu’une seule fois dans un « établissement médical » au sens de l’article 219. En mars 1994, le tribunal l’avait placé pour plusieurs mois dans le service psychiatrique de l’hôpital carcéral de Wrocław. En réalité, le tribunal aurait agi ainsi au seul motif que son état s’était nettement détérioré après sa tentative de suicide, en janvier 1994.
85. Le requérant précise qu’après cette brève période de traitement spécialisé il fut une nouvelle fois transféré à la maison d’arrêt de Cracovie, où il ne reçut aucun médicament propre à l’empêcher de commettre de nouvelles tentatives de suicide et où il fut détenu dans des conditions carcérales difficiles, avec des délinquants condamnés. Il aurait trouvé cela psychologiquement insupportable et, le 23 janvier 1995, aurait tenté une nouvelle fois de mettre fin à ses jours. Il affirme que les autorités carcérales ont arbitrairement et sans aucun motif considéré que sa tentative de suicide n’était pas authentique mais constituait plutôt un geste destiné à attirer l’attention, et qu’elles ont présenté la chose de cette manière au tribunal. Elles auraient omis de signaler que le lendemain un psychiatre avait expliqué son geste en l’attribuant à une « réaction situationnelle dépressive ».
Nonobstant ce diagnostic, les autorités n’auraient rien fait de substantiel pour améliorer son état ou pour lui fournir une aide psychiatrique adéquate. Non seulement le tribunal de première instance aurait négligé d’assurer une surveillance constante de sa santé et de ses conditions de détention, mais il n’aurait tenu aucun compte des rapports des médecins concernant son état. En particulier, il aurait séjourné en prison du 11 juin au 29 octobre 1996 alors que, à la première de ces deux dates, l’expert psychiatre avait qualifié son état de très sérieux et avait déclaré que son maintien en détention mettrait sa vie en danger. En somme, son maintien en détention alors qu’il aurait pu mettre sa vie en péril et le défaut de soins médicaux adéquats s’analyseraient en un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
86. Le Gouvernement conteste que – mis à part les impressions subjectives du requérant – le traitement incriminé ait atteint le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. Il affirme tout d’abord qu’au vu des preuves médicales produites par lui devant la Cour, nul ne peut douter que les autorités compétentes se soient livrées à des contrôles attentifs et fréquents de l’état de santé du requérant et lui aient fourni une assistance médicale conforme à ce qu’exigeait son état.
87. Quant à la question de savoir si les autorités ont rempli leur obligation de placer le requérant dans un « établissement médical approprié », au sens de l’article 219 du code de procédure pénale, le Gouvernement fait observer qu’il ressort des dossiers médicaux que l’intéressé a séjourné en hôpital carcéral chaque fois que cela s’est avéré nécessaire. Hormis le séjour en observation à Wrocław précité, il aurait été hospitalisé après sa seconde tentative de suicide. Dès lors, on ne pourrait rien reprocher aux autorités à cet égard.
88. Le Gouvernement estime que l’on ne peut davantage dire que les tribunaux aient négligé de vérifier que le requérant recevait l’aide médicale dont il avait besoin ou que son maintien en détention était compatible avec son état. Ils auraient fréquemment interrogé les services pénitentiaires au sujet de l’état de santé du requérant et, là où c’était nécessaire, étudié les conclusions des examens psychiatriques, et ils seraient même intervenus afin d’améliorer la situation. Par exemple, le tribunal de première instance aurait immédiatement réagi à la plainte formulée par l’intéressé le 7 décembre 1994 à propos de son traitement psychiatrique en prison et aurait invité les services pénitentiaires compétents à fournir des explications. En outre, il aurait à plusieurs reprises demandé à des psychiatres d’établir des rapports sur l’état de santé du requérant.
89. En définitive, le Gouvernement invite la Cour à souscrire à l’opinion exprimée par les membres dissidents de la Commission qui ont considéré que si l’on peut certes soutenir que les autorités auraient dû se montrer plus attentives à l’état psychiatrique du requérant, il n’en reste pas moins qu’elles ne l’ont pas exposé à des souffrances d’une gravité telle que l’on pourrait conclure à un traitement inhumain ou dégradant.
90. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts V. c. Royaume-Uni[GC], no 24888/94, § 69, CEDH 1999-IX, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV).
91. Toutefois, pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, par exemple, l’arrêt Raninen c. Finlande du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, pp. 2821-2822, § 55).
92. La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir. En revanche, elle a toujours souligné que la souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (voir, mutatis mutandis, les arrêts Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, série A no 26, p. 15, § 30, Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 39, § 100, et V. c. Royaume-Uni précité, § 71).
93. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation. Toutefois, on ne saurait considérer qu’un placement en détention provisoire pose en soi un problème sur le terrain de l’article 3 de la Convention. De même, cet article ne peut être interprété comme établissant une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le placer dans un hôpital civil afin de lui permettre d’obtenir un traitement médical d’un type particulier.
94. Néanmoins, l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, p. 1966, §§ 64 et suiv.).
95. La Cour observe d’emblée qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le requérant a souffert de dépression chronique tant avant que pendant sa détention du 4 octobre 1993 au 29 octobre 1996, et qu’il a par deux fois tenté de mettre fin à ses jours en prison. Le diagnostic posé concernant son état parlait de troubles de la personnalité ou de troubles névrotiques, et de réaction situationnelle dépressive (paragraphes 58-67 et 69-72 ci-dessus).
96. La Cour note de surcroît qu’il ressort des preuves médicales produites par le Gouvernement devant elle (mais non devant la Commission) que le requérant a régulièrement sollicité et obtenu des soins médicaux au cours de sa détention. Il a été examiné par des médecins de diverses spécialités et a fréquemment reçu une assistance psychiatrique (paragraphes 59-74 ci-dessus). De début octobre à fin décembre 1993, il a été à plusieurs reprises examiné par des psychiatres en prison (paragraphes 59-61 ci-dessus). Fin 1993, la juridiction de première instance obtint d’un psychiatre un rapport confirmant que l’état de santé de l’intéressé était à l’époque compatible avec son maintien en détention (paragraphe 21 in fine ci-dessus).
Peu après sa tentative de suicide de 1994, événement qui, à la lumière des preuves produites devant la Cour, ne semble pas être résulté d’une quelconque carence discernable de la part des autorités ou pouvoir être corrélé à semblable carence, le requérant reçut un traitement spécialisé, sous la forme d’un séjour en observation psychiatrique à l’hôpital carcéral de Wrocław du 9 mars au 26 mai 1994 (paragraphe 58 ci-dessus). Plus tard, après ladite période d’observation, il subit deux examens de contrôle, les 9 novembre et 7 décembre 1994 (paragraphes 66-67 ci-dessus).
97. Certes, cela ne l’empêcha pas de faire encore une tentative de suicide en janvier 1995 (paragraphe 69 ci-dessus). Néanmoins, tout en ne jugeant pas nécessaire de s’exprimer sur la question de savoir si cette tentative représentait de la part de M. Kudła, comme les autorités l’ont affirmé, un geste destiné à attirer l’attention ou véritablement une manifestation de la souffrance causée par ses troubles, la Cour estime, au vu des éléments dont elle dispose, que les autorités ne peuvent être jugées responsables de ce qui s’est produit.
98. De même, elle ne discerne aucun manquement ultérieur de leur part à maintenir le requérant sous surveillance psychiatrique. Elle constate au contraire que, du début de 1995 à sa mise en liberté le 29 octobre 1996, l’intéressé a été examiné par un psychiatre au moins une fois par mois. C’est ainsi que pour la seule année 1996, c’est-à-dire avant l’élargissement précité, on recense douze consultations psychiatriques (paragraphes 70-74 ci-dessus).
99. La Cour admet que la nature même de l’état psychologique du requérant rendait celui-ci plus vulnérable que le détenu moyen, et que sa détention peut avoir exacerbé dans une certaine mesure les sentiments de détresse, d’angoisse et de crainte éprouvés par lui. Elle prend note également du fait que, du 11 juin au 29 octobre 1996, l’intéressé a été maintenu en détention alors que, de l’avis d’un psychiatre, cela risquait de compromettre sa vie à cause de la probabilité de le voir attenter à ses jours (paragraphes 46-50 ci-dessus). Toutefois, après s’être livrée à une appréciation globale des faits pertinents sur la base des preuves produites devant elle, la Cour n’estime pas établi que le requérant ait été soumis à des mauvais traitements atteignant un niveau de gravité suffisant pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.
100. En conséquence, il n’y a pas eu violation de cette clause en l’espèce.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
101. Le requérant estime par ailleurs que sa détention provisoire a connu une durée excessive ; il y voit une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :
« Toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (…) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
A. Période à considérer
102. Au cours de la procédure litigieuse, le requérant a séjourné à deux reprises en détention provisoire. Incarcéré une première fois le 8 août 1991, il demeura détenu jusqu’au 27 juillet 1992, soit pendant pratiquement un an. A nouveau appréhendé le 4 octobre 1993, il passa alors trois ans en détention provisoire, avant d’être libéré sous caution le 29 octobre 1996 (paragraphes 10, 18-20 et 54 ci-dessus).
103. Toutefois, la déclaration polonaise reconnaissant le droit de recours individuel aux fins de l’ancien article 25 de la Convention ayant pris effet le 1er mai 1993, la période de détention du requérant antérieure à cette date échappe à la compétence ratione temporis de la Cour.
104. De surcroît, la Cour rappelle qu’eu égard au lien essentiel entre le paragraphe 3 et le paragraphe 1 c) de l’article 5 de la Convention, un individu condamné en première instance ne peut être considéré comme détenu « en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction », au sens de cette dernière disposition, mais doit être regardé comme se trouvant dans la situation prévue à l’article 5 § 1 a), qui autorise une privation de liberté « après condamnation par un tribunal compétent » (voir, par exemple, l’arrêt B. c. Autriche du 28 mars 1990, série A no 175, pp. 14-16, §§ 36-39). En conséquence, la détention subie par le requérant du 1er juin 1995, date de sa condamnation initiale en première instance, au 22 février 1996, date à laquelle cette condamnation fut annulée et la cause renvoyée, ne peut être prise en considération aux fins de l’article 5 § 3.
105. Dans ces conditions, la Cour constate que la période à considérer se compose de deux parties distinctes, la première allant du 4 octobre 1993 au 1er juin 1995 et la seconde du 22 février au 29 octobre 1996, ce qui représente au total deux ans, quatre mois et trois jours.
B. Caractère raisonnable de la durée de la détention
106. Le requérant soutient que les autorités n’ont pas fourni des motifs suffisants pour sa détention. Premièrement, son incarcération le 4 octobre 1993 n’aurait reposé sur aucun motif valable, puisque aussi bien il avait produit un certificat médical attestant qu’il était en congé de maladie et avait donc dûment justifié sa non-comparution aux audiences de février et mars 1993. De surcroît, il aurait été évident dès le début que l’imposition de mesures autres que la détention – caution ou contrôle judiciaire, ou l’une et l’autre de ces mesures, par exemple – était de nature à assurer sa comparution au procès.
107. Quoi qu’il en soit, une détention provisoire de deux ans et quatre mois ne pourrait être considérée comme « raisonnable » dans son cas. De fait, dans la procédure litigieuse, il n’aurait pas seulement passé en détention ces deux ans et quatre mois relevant de la compétence ratione temporis de la Cour et de l’article 5 § 3 de la Convention, mais au total quatre ans et treize jours.
108. Le Gouvernement rétorque que le motif principal pour lequel le requérant fut réincarcéré le 4 octobre 1993 ne réside pas dans sa non-comparution devant le tribunal en février et en mars 1993, mais dans le non-respect par son avocat du délai imparti pour produire un certificat médical émanant d’un médecin légiste.
109. La détention du requérant s’expliquerait ainsi par le comportement de l’intéressé. Elle aurait été imposée à cause du risque de voir M. Kudła se soustraire à la justice, ce qu’il avait tenté de faire après son élargissement en juillet 1992. Par la suite, le tribunal avait envisagé de libérer le requérant sous caution. Afin de réduire le risque de le voir à nouveau prendre la fuite, il avait fixé la caution à 10 000 zlotys (PLN), somme qui était en rapport avec le préjudice résultant des infractions reprochées mais que le requérant avait jugée excessive et n’avait versée que plusieurs mois plus tard. Le retard mis à le libérer aurait ainsi eu pour origine le caractère tardif du paiement de la caution requise et aurait donc été provoqué par le requérant lui-même. Les autorités auraient fait preuve de la diligence voulue dans l’instruction de la cause, laquelle n’aurait connu aucune période d’inertie imputable à leur comportement. Aussi le Gouvernement invite-t-il la Cour à juger que la détention provisoire subie par le requérant n’a pas dépassé une durée « raisonnable », au sens de l’article 5 § 3 de la Convention.
110. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une détention ne se prête pas à une évaluation abstraite. La légitimité du maintien en détention d’un accusé doit s’apprécier dans chaque cas d’après les particularités de la cause. La poursuite de l’incarcération ne se justifie dans une espèce donnée que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention (voir notamment l’arrêt Labita précité, §§ 152 et suiv.).
Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que dans une affaire donnée la détention provisoire subie par un accusé n’excède pas une durée raisonnable. A cet effet, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d’innocence, examiner toutes les circonstances de nature à manifester ou écarter l’existence de ladite exigence d’intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l’article 5 et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement au vu des motifs figurant dans lesdites décisions et sur la base des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses moyens que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 (arrêt Muller c. France du 17 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 388, § 35).
111. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus. La Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (ibidem).
112. La Cour observe qu’en l’espèce nul ne semble contester que la raison principale pour laquelle les autorités ont ordonné la diffusion d’un avis de recherche, puis décidé la réincarcération du requérant, réside dans le non-respect par lui du délai imparti pour produire un certificat médical et indiquer une adresse à laquelle les assignations pourraient lui être notifiées pendant qu’il se faisait traiter à Świnoujście (paragraphe 19 ci-dessus). C’est sur ces deux faits que le tribunal régional de Cracovie et la cour d’appel de Cracovie fondèrent leur opinion selon laquelle il y avait un risque de voir le requérant chercher à se dérober à la justice, risque qui justifiait son placement en détention, de manière à assurer le bon déroulement de la procédure. Les tribunaux réitérèrent cet avis dans pratiquement toutes leurs décisions rejetant les nombreuses demandes d’élargissement que l’intéressé introduisit dans les années qui suivirent son arrestation le 4 octobre 1993 (paragraphes 29-34 ci-dessus).
113. Là encore, le risque de fuite fut l’un des éléments essentiels pris en compte par le tribunal régional dans la fixation du montant de la caution exigée du requérant (paragraphes 44-47 ci-dessus). Ce risque justifiait la détention de l’intéressé pendant le litige portant sur ledit montant (paragraphes 49-54 ci-dessus) et, au-delà des raisons plausibles de le soupçonner de s’être rendu coupable d’escroquerie et de faux, constitue effectivement le motif essentiel pour lequel il a été détenu pendant la période en cause.
114. La Cour reconnaît que ce motif, ajouté aux raisons de soupçonner le requérant d’avoir commis les infractions en question, pouvait initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, il est inévitablement devenu moins pertinent et, compte tenu de ce qu’avant d’être réincarcéré le 4 octobre 1993 le requérant avait déjà passé presque un an en détention (paragraphes 10-18 et 102-103 ci-dessus), seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que cette nouvelle période de deux ans et quatre mois de privation de liberté se justifiait au regard de l’article 5 § 3.
115. La Cour n’a pas décelé pareilles raisons en l’espèce, dès lors spécialement que les tribunaux, s’ils n’ont cessé de se référer aux deux occasions précitées où le requérant était resté en défaut de déférer à une ordonnance judiciaire, n’ont mentionné aucune autre circonstance de nature à attester que le risque invoqué soit resté d’actualité d’un bout à l’autre de la période pertinente.
116. Aussi la Cour conclut-elle que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n’étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question.
117. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
118. Le requérant soutient en outre que son droit à un procès « dans un délai raisonnable » a été méconnu et qu’il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) »
A. Période à considérer
119. Il n’y a pas controverse sur le point de départ de la procédure : chacun admet que celle-ci a débuté le 8 août 1991, avec l’inculpation du requérant. Les parties sont par contre en désaccord sur la question de savoir si la procédure peut toujours être considérée comme pendante au regard de l’article 6 § 1.
120. Le requérant affirme qu’il n’a toujours pas obtenu de décision sur « l’accusation dirigée contre lui », l’examen au fond de son pourvoi en cassation étant pendant devant la Cour suprême.
121. Le Gouvernement soutient que le procès a pris fin le 27 octobre 1999, date à laquelle la cour d’appel de Cracovie aurait rendu la décision définitive, et qu’il importe peu que le requérant se soit pourvu en cassation, puisqu’il s’agit là d’une voie de recours exceptionnelle au travers de laquelle on ne peut attaquer que des décisions définitives.
122. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 n’astreint pas les Etats à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (voir, entre autres, les arrêts Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 13-15, § 25, et Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2956, § 37).
Si la manière dont l’article 6 doit s’appliquer aux procédures d’appel et de cassation dépend des particularités de ces procédures, il ne peut faire aucun doute que celles-ci entrent dans le champ d’application de l’article 6 (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Twalib c. Grèce du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, pp. 1427-1428, § 46). En conséquence, il y a lieu de les faire entrer en ligne de compte pour déterminer si la durée globale de la procédure a été raisonnable.
123. Dès lors, et en l’absence de toute preuve montrant que la Cour suprême se soit déjà prononcée sur la cause du requérant, la Cour constate que la procédure dure à ce jour depuis plus de neuf ans. Toutefois, eu égard à sa compétence ratione temporis (paragraphe 103 ci-dessus), elle ne peut prendre en considération que la période de sept ans et cinq mois environ qui s’est écoulée depuis le 1er mai 1993, même si elle aura égard au stade qu’avait atteint la procédure à cette date (voir, par exemple, l’arrêt Humen c. Pologne [GC], no 26614/95, §§ 58-59, 15 octobre 1999, non publié).
B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
124. La Cour appréciera le caractère raisonnable de la durée de la procédure à la lumière des circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. A cette fin, il importe également de tenir compte de l’enjeu du litige pour le requérant (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Philis c. Grèce (no 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1083, § 35, et l’arrêt Portington c. Grèce du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2630, § 21).
125. Le requérant soutient que ce sont les autorités judiciaires elles-mêmes qui, en organisant mal le procès, ont rendu sa cause complexe. Premièrement, neuf personnes auraient été mises en accusation en même temps que lui, alors que les charges dirigées contre elles ne présentaient aucun rapport avec celles pesant sur lui. Cela expliquerait que quatre-vingt-dix-huit témoins aient été assignés à comparaître, alors que la déposition de sept d’entre eux seulement se serait révélée pertinente pour la cause du requérant. Deuxièmement, lors du procès initial, le tribunal aurait siégé dans une mauvaise composition, ce qui aurait entraîné l’annulation de la décision et un nouveau procès. Troisièmement, le tribunal n’aurait que tardivement rendu une ordonnance de disjonction, pour finalement connaître de sa cause séparément, après l’annulation de sa condamnation initiale en première instance. Si le tribunal avait rendu pareille ordonnance d’emblée, le requérant aurait obtenu plus tôt une décision judiciaire sur les charges portées contre lui.
126. Le requérant considère donc que c’est l’inefficacité dont les autorités ont fait preuve dans l’instruction de sa cause qui constitue la raison principale pour laquelle la procédure a duré aussi longtemps. De surcroît, pendant la longue période de dix-neuf mois s’étant écoulée de février 1996 à septembre 1997, le tribunal régional n’aurait pas fait preuve de la diligence procédurale requise. En conclusion, les tribunaux polonais seraient entièrement responsables de la durée excessive de la procédure.
127. Le Gouvernement combat cette analyse et soutient que l’affaire était complexe du fait de l’abondance des preuves recueillies, du nombre de charges dirigées contre le requérant et ses coaccusés et de la multitude de témoins entendus.
128. Il considère que le requérant a contribué de manière substantielle à allonger la procédure. L’intéressé aurait omis de comparaître à un certain nombre d’audiences et se serait soustrait à la justice, provoquant une suspension du procès de mars à octobre 1993. Ses séjours en observation psychiatrique et la nécessité de le placer dans des hôpitaux auraient également engendré des retards. En somme, la durée de la procédure serait essentiellement imputable à son attitude.
129. Quant au comportement des autorités compétentes, on ne pourrait déceler aucun signe d’inertie de leur part. Au contraire, les tribunaux auraient fait preuve de la diligence requise dans le traitement de l’affaire et, malgré les quelques retards, somme toute négligeables, que l’on pourrait effectivement leur imputer, la condition de « délai raisonnable » aurait été satisfaite en l’espèce.
130. La Cour considère que, si l’affaire présentait assurément une certaine complexité, celle-ci ne saurait, en soi, justifier la durée totale de la procédure.
Certes, en février et en mars 1993, le requérant s’abstint de comparaître devant le tribunal, ce qui entraîna l’ajournement du procès à octobre 1993 (paragraphes 19-21 ci-dessus). Cela dit, la Cour n’aperçoit aucun élément propre à démontrer qu’à un quelconque stade subséquent de la procédure le requérant ait adopté un comportement dilatoire ou ait autrement mis obstacle au bon déroulement du procès. Dès lors, la Cour considère que le comportement de l’intéressé n’a pas contribué de manière substantielle à allonger la procédure.
Le Gouvernement soutient que, s’ils sont effectivement responsables de quelques retards, les tribunaux ont dans l’ensemble rempli leur obligation de statuer sur la cause dans un délai raisonnable. La Cour observe toutefois que c’est à eux au premier chef qu’il incombait d’assurer une administration rapide de la justice, d’autant que, pendant une bonne partie de la procédure, M. Kudła a séjourné en détention provisoire alors qu’il souffrait d’une grave dépression. Cela requérait de la part des tribunaux une diligence particulière dans l’instruction de la cause.
La Cour note à cet égard qu’après l’annulation, le 22 février 1996, de la condamnation initiale du requérant en première instance, le nouveau procès fut fixé au 10 octobre 1996 mais ne débuta que le 18 mars 1997, soit après une période de plus d’un an, pour être ensuite ajourné à octobre 1997 (paragraphes 42 et 53-55 ci-dessus). Nul ne conteste que cet ajournement fut provoqué – au moins en partie – par des événements imputables aux coaccusés du requérant (paragraphes 53 et 55 ci-dessus). Toujours est-il que cette stagnation de la procédure entraîna au total un retard de pratiquement un an et huit mois pour lequel la Cour ne trouve pas une justification suffisante et qu’elle estime incompatible avec la diligence requise au titre de l’article 6 § 1.
131. En conséquence, la Cour ne peut juger raisonnable le laps de temps qui s’est écoulé en l’espèce.
Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
132. Le requérant soutient enfin qu’il n’y avait aucun recours effectif au travers duquel il aurait pu soulever devant une instance nationale la question de la durée excessive de la procédure suivie dans sa cause. Il y voit une violation de l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
133. La Cour est appelée en l’espèce à déterminer la portée de l’obligation que l’article 13 impose aux Etats contractants de fournir aux justiciables un « recours effectif devant une instance nationale » si le droit revendiqué par le requérant est celui, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, à voir statuer sur sa cause dans un « délai raisonnable ». Le requérant soutient que l’article 13 doit être interprété comme exigeant un « recours effectif » dans un tel cas ; le Gouvernement défend la thèse inverse. Quant à la Commission, elle n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur cette question.
A. Les arguments des parties
1. Le requérant
134. Tant dans son mémoire qu’à l’audience devant la Cour, le requérant s’est beaucoup appuyé sur l’avis formulé par les membres dissidents de la Commission qui ont considéré non seulement qu’il était nécessaire d’examiner son grief tiré de l’article 13, mais également que cette disposition avait été violée. Il s’est de surcroît référé au rapport (non publié) adopté par la Commission le 10 septembre 1999 dans l’affaire Mikulski c. Pologne (requête no 27914/95), dans lequel la Commission, après avoir constaté que l’article 6 § 1 de la Convention n’avait pas été violé du point de vue de la durée de la procédure pénale intentée contre le requérant, avait néanmoins conclu à la violation de l’article 13 du fait de l’absence de tout recours au travers duquel l’intéressé aurait pu saisir une autorité nationale compétente de la substance de son grief relatif à la durée de la procédure.
135. Comme la Commission dans le rapport Mikulski, M. Kudła considère que si dans certains cas l’article 6 § 1 peut être appréhendé comme une lex specialis par rapport à l’article 13 – par exemple dans les cas où une personne allègue que son droit d’accès à un tribunal n’a pas été respecté – il n’en va pas de même des griefs concernant le droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable. Dans cette hypothèse, l’article 13 de la Convention doit d’après lui en principe s’appliquer, qu’une violation de l’article 6 § 1 ait ou non été constatée.
136. L’intéressé soutient également que le droit d’un individu à un recours effectif au sens de l’article 13 ne dépend pas de la question de savoir si une violation de ses droits garantis par la Convention a ou non été constatée, mais de celle de savoir s’il avait un grief défendable à cet égard.
137. D’après le requérant, la législation polonaise ne prévoyait aucune voie de droit au travers de laquelle il aurait pu dénoncer de manière effective la durée de la procédure pénale dirigée contre lui et faire sanctionner son droit à ce que sa cause soit « entendue dans un délai raisonnable ». En conséquence, son droit à un « recours effectif devant une instance nationale », au sens de l’article 13, aurait été méconnu.
2. Le Gouvernement
138. Le Gouvernement est en désaccord avec le requérant sur tous les points. Dans son mémoire, il déclare souscrire à l’opinion exprimée par la majorité de la Commission et soutient qu’il n’est pas nécessaire de rechercher s’il n’y a pas eu de surcroît en l’espèce une violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence alléguée d’un « recours interne effectif » qui eût permis de dénoncer la durée excessive de la procédure.
139. A l’audience, il a soutenu en outre que la démarche suivie par la Commission dans l’affaire Mikulski était incompatible avec la jurisprudence constante de la Cour sur la relation entre l’article 6 § 1 et l’article 13 de la Convention, et que l’avis formulé par la Commission dans ladite affaire ne trouvait aucun support dans la ratio legis de l’article 13. A cet égard, il a souligné que la Cour a rendu de nombreux arrêts – il s’est référé en particulier aux arrêts Kadubec c. Slovaquie du 2 septembre 1998 (Recueil 1998-VI) et Brualla Gómez de la Torre (précité) – dans lesquels elle a considéré que « les exigences de l’article 13 sont moins strictes que celles de l’article 6, et absorbées par elles en l’espèce » ou que « l’article 6 § 1 constitue une lex specialispar rapport à l’article 13, dont les garanties se trouvent absorbées par celle-ci ». La Cour aurait d’ailleurs adopté la même démarche pour ce qui est de l’article 5 § 4 de la Convention qui, comme l’article 6 § 1, garantit un droit de nature strictement procédurale.
140. S’appuyant sur les arrêts Pizzetti c. Italie du 26 février 1993, série A no 257-C, Giuseppe Tripodi c. Italie, no 40946/98, 25 janvier 2000, non publié, et Bouilly c. France, no 38952/97, 7 décembre 1999, non publié, le Gouvernement soutient également que la Cour a toujours considéré qu’après un constat de violation du droit à un procès dans un « délai raisonnable » il ne s’imposait pas d’examiner sur le terrain de l’article 13 le grief tiré de l’absence de tout recours permettant de dénoncer la durée excessive de la procédure. Il souligne que la Commission elle-même a mentionné cette jurisprudence en l’espèce, citant plus précisément l’arrêt Pizzetti. Or la Commission a jugé celui-ci dépourvu de pertinence dans l’affaire Mikulski, au motif qu’elle n’avait constaté aucune violation du droit à un procès dans un délai raisonnable mais avait estimé que le requérant n’en avait pas moins un « grief défendable » de violation de son droit et qu’il y avait donc lieu de faire jouer les garanties moins strictes de l’article 13.
141. Pour le Gouvernement, cette conclusion est incompatible avec la démarche adoptée par la Commission elle-même à l’occasion de l’affaire Pizzetti, dans laquelle elle avait considéré que l’article 13 était inapplicable lorsque la violation alléguée de la Convention s’inscrivait dans le contexte d’une procédure judiciaire (arrêt Pizzetti précité, avis de la Commission, pp. 41-42).
142. Le Gouvernement affirme n’apercevoir aucune raison convaincante pour la Cour de reconsidérer sa jurisprudence constante et limpide sur la relation entre l’article 6 § 1 et l’article 13 de la Convention. En particulier, il critique l’argument développé par la Commission dans l’affaire Mikulski et selon lequel, eu égard au très grand nombre de plaintes concernant la durée excessive de procédures, l’applicabilité de l’article 13 au droit à un procès dans un délai raisonnable pourrait revêtir une importance pratique considérable dans la mise en œuvre au niveau interne de l’une des garanties procédurales fondamentales de l’article 6. La création d’un recours distinct – qui en pratique impliquerait l’institution d’un droit d’appel supplémentaire – ne ferait au contraire, d’après lui, que prolonger la durée de la procédure devant les tribunaux internes.
143. Il soutient à cet égard que si le système judiciaire d’un Etat a un problème d’arriéré, il ne paraît pas raisonnable, pour porter remède à la situation, d’obliger cet Etat à créer une nouvelle voie, judiciaire ou autre, permettant de se plaindre des longues durées de procédure. Il s’agirait là d’un problème devant être appréhendé comme un dysfonctionnement structurel que seules des mesures plus globales pourraient résoudre.
144. Le Gouvernement soutient en outre qu’à pousser l’interprétation littérale ad absurdum on aboutirait à la conclusion qu’il faudrait également prévoir un « recours effectif devant une instance nationale » pour les justiciables se plaignant d’une violation de l’article 13. Pour tous ces motifs, le Gouvernement conclut que l’article 6 § 1 de la Convention constitue une lexspecialis par rapport à l’article 13 et que, par conséquent, cette dernière disposition ne s’applique pas aux cas où le grief du requérant tiré de la durée de la procédure a été examiné sous l’angle de l’article 6 § 1.
145. Pour le cas où la Cour jugerait nécessaire d’examiner l’affaire sur le terrain de l’article 13, le Gouvernement soutient enfin que cette disposition n’a pas été enfreinte. Il reconnaît qu’il n’existe pas en Pologne un recours bien spécifique permettant de se plaindre de la lenteur d’une procédure judiciaire. Il estime toutefois que, dans la procédure pénale dirigée contre lui, le requérant aurait pu soulever la question de la durée de la procédure à l’occasion de ses recours contre les décisions de maintien en détention ou de ses demandes d’élargissement fondées sur l’article 214 du code de procédure pénale (paragraphe 79 ci-dessus). Le requérant aurait également pu se plaindre au président du tribunal saisi de sa cause ou au ministre de la Justice. Ces personnes auraient alors placé l’affaire sous leur contrôle administratif. Cela aurait pu, en principe, aboutir à l’application de sanctions disciplinaires au juge s’il avait manqué à son obligation de conduire le procès avec efficacité et célérité.
Tout en admettant que l’ensemble des recours mentionnés par lui n’aurait pu fournir au requérant un redressement direct de ses griefs, le Gouvernement soutient qu’il remplissait les exigences de l’article 13 de la Convention.
B. L’appréciation de la Cour
1. Sur la nécessité d’examiner le grief tiré de l’article 13
146. Dans de nombreuses affaires précédentes où elle a constaté une violation de l’article 6 § 1, la Cour n’a pas jugé nécessaire, lorsqu’était en outre invoqué l’article 13, de se prononcer aussi sur ce grief. La plupart du temps, elle a estimé qu’eu égard aux circonstances l’article 6 § 1 devait passer pour une lex specialis par rapport à l’article 13.
Ainsi, lorsque le droit revendiqué par le justiciable sur le fondement de la Convention est un « droit de caractère civil » reconnu en droit interne – tel le droit de propriété –, la protection offerte par l’article 6 § 1 entre aussi en jeu (voir, par exemple, l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 31-32, § 88). En pareille circonstance, les exigences de l’article 6 § 1, qui impliquent toute la panoplie des garanties propres aux procédures judiciaires, sont plus strictes que celles de l’article 13, qui se trouvent absorbées par elles (voir, par exemple, l’arrêt Brualla Gómez de la Torre précité, p. 2957, § 41).
La Cour a suivi un raisonnement analogue dans des affaires où le requérant alléguait l’inadéquation d’une procédure d’appel ou de cassation existante relevant tant de l’article 6 § 1 dans sa branche « pénale » que de l’article 13 (arrêt Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989, série A no 168, pp. 45-46, § 110, à propos d’une procédure en cassation devant la Cour suprême).
En pareil cas, il n’y a aucun intérêt juridique à réexaminer l’allégation sous l’angle des exigences moins sévères de l’article 13.
147. Il n’y a toutefois pas superposition, et donc pas absorption, lorsque, comme en l’espèce, le grief fondé sur la Convention que l’individu souhaite porter devant une « instance nationale » est celui tiré d’une méconnaissance du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1. La question de savoir si le requérant dans une affaire donnée a pu faire statuer dans un délai raisonnable sur une contestation relative à des droits ou obligations de caractère civil ou sur une accusation en matière pénale est juridiquement distincte de celle de savoir s’il disposait, en droit interne, d’un recours effectif pour se plaindre à cet égard. En l’espèce, la question que les « tribunaux » visés par l’article 6 § 1 devaient trancher était celle des accusations en matière pénale dirigées contre le requérant, tandis que le grief que l’intéressé souhaitait voir examiner par une « instance nationale » aux fins de l’article 13 était celui, distinct, du caractère déraisonnable de la durée de la procédure.
Dans des affaires comparables portées devant elle par le passé, la Cour s’est néanmoins refusée à statuer sur le grief tiré de l’absence d’un recours effectif au sens de l’article 13, jugeant que cela ne s’imposait pas, vu son constat de violation de la condition de « délai raisonnable » imposée par l’article 6 § 1 (voir, entre autres, les arrêts Pizzetti, p. 37, § 21, Bouilly, § 27, et Giuseppe Tripodi, § 15, précités).
148. La Cour estime aujourd’hui que le temps est venu de revoir sa jurisprudence, eu égard à l’introduction devant elle d’un nombre toujours plus important de requêtes dans lesquelles se trouve exclusivement ou principalement allégué un manquement à l’obligation d’entendre les causes dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1.
La fréquence croissante de ses constats de violation à cet égard a récemment amené la Cour à attirer l’attention sur le « danger important » que la « lenteur excessive de la justice » représente pour l’état de droit dans les ordres juridiques nationaux « lorsque les justiciables ne disposent, à cet égard, d’aucune voie de recours interne » (voir, par exemple, les arrêts Bottazzic. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, Di Mauro c. Italie [GC], no 34256/96, § 23, CEDH 1999-V, A.P. c. Italie [GC], no 35265/97, § 18, 28 juillet 1999, non publié, et Ferrari c. Italie[GC], no 33440/96, § 21, 28 juillet 1999, non publié).
149. Dans ces conditions, la Cour perçoit à présent la nécessité d’examiner le grief fondé par le requérant sur l’article 13 considéré isolément, nonobstant le fait qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 6 § 1 pour manquement à l’obligation d’assurer à l’intéressé un procès dans un délai raisonnable.
2. Sur l’applicabilité de l’article 13 aux allégations de violation du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable
150. Le Gouvernement soutient que l’article 13 est inapplicable aux cas où le grief du requérant concernant la durée de la procédure a été examiné sur le terrain de l’article 6 § 1. Il renvoie aussi à l’avis de la Commission relatif à l’affaire Pizzetti, selon lequel l’article 13 ne peut trouver à s’appliquer lorsque la violation alléguée s’inscrit dans le contexte d’une procédure judiciaire (paragraphes 139-144 ci-dessus).
151. La Cour ne décèle rien dans la lettre de l’article 13 dont on puisse dégager un principe en vertu duquel il ne serait possible d’appliquer l’article 13 à aucun des aspects du « droit à un tribunal » consacré par l’article 6 § 1. De même, rien dans les travaux préparatoires de la Convention ne va dans le sens de pareille limitation de la portée de l’article 13.
Certes, la protection offerte par cette disposition n’est pas absolue. En fonction du contexte dans lequel s’inscrit la violation alléguée, ou la catégorie de violations alléguées, il peut y avoir des limitations implicites aux recours possibles. En pareille circonstance, l’article 13 n’est pas considéré comme étant inapplicable, mais son exigence d’un « recours effectif » doit s’entendre d’un « recours aussi effectif qu’il peut l’être eu égard à sa portée limitée, inhérente [au contexte] » (arrêt Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 31, § 69). De surcroît, « l’article 13 ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois d’un Etat contractant comme contraires en tant que telles à la Convention » (arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A no 98, p. 47, § 85). Ainsi, l’article 13 ne peut être interprété comme exigeant la mise à disposition d’un recours effectif permettant de se plaindre de l’absence en droit interne de tout accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1.
En ce qui concerne les allégations de manquement à l’obligation d’entendre les causes dans un délai raisonnable, en revanche, pareille restriction implicite de la portée de l’article 13 ne peut être discernée.
152. Au contraire, la place de l’article 13 dans le système de protection des droits de l’homme institué par la Convention milite en faveur d’une limitation maximale des restrictions implicites à cette clause.
En vertu de l’article 1 (qui dispose : « Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention »), ce sont les autorités nationales qui sont responsables au premier chef de la mise en œuvre et de la sanction des droits et libertés garantis. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt donc un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention.
La finalité de l’article 35 § 1, qui énonce la règle de l’épuisement des voies de recours internes, est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (voir, récemment, l’arrêt Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13 (avec lequel elle présente d’étroites affinités), que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (ibidem).
Ainsi, en énonçant de manière explicite l’obligation pour les Etats de protéger les droits de l’homme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique, l’article 13 établit au profit des justiciables une garantie supplémentaire de jouissance effective des droits en question. Tel qu’il se dégage des travaux préparatoires (Recueil des Travaux préparatoires de la Convention européenne des Droits de l’Homme, vol. II, pp. 485 et 490, et vol. III, p. 651), l’objet de l’article 13 est de fournir un moyen au travers duquel les justiciables puissent obtenir, au niveau national, le redressement des violations de leurs droits garantis par la Convention, avant d’avoir à mettre en œuvre le mécanisme international de plainte devant la Cour. Vu sous cet angle, le droit de chacun à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable ne peut être que moins effectif s’il n’existe aucune possibilité de saisir d’abord une autorité nationale des griefs tirés de la Convention, et les exigences de l’article 13 doivent être regardées comme renforçant celles de l’article 6 § 1 plutôt que comme étant absorbées par l’obligation générale, imposée par cet article, de ne pas soumettre les justiciables à des procédures judiciaires anormalement longues.
153. Le Gouvernement soutient quant à lui que le fait d’exiger un recours permettant de dénoncer la durée excessive d’une procédure au titre de l’article 13 revient à imposer aux Etats une nouvelle obligation d’établir un « droit d’appel », en particulier un droit d’appel au fond, qui, en tant que tel, n’est garanti qu’en matière pénale en vertu de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention. Il affirme de plus qu’en pratique l’exercice de pareil recours ne pourrait qu’allonger la procédure sur le plan interne (paragraphes 142-143 ci-dessus).
154. La Cour ne partage pas ce point de vue.
Un recours permettant de dénoncer la durée excessive d’une procédure n’implique pas en soi un appel contre la « décision » sur l’accusation en matière pénale ou sur la contestation relative à des droits ou obligations de caractère civil. De toute manière, dans le respect des exigences de la Convention, les Etats contractants jouissent, la Cour l’a dit à de nombreuses reprises, d’une certaine marge d’appréciation quant à la façon d’offrir le recours exigé par l’article 13 et de se conformer à l’obligation que leur fait cette disposition de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 329-330, § 106).
Quant à l’argument consistant à dire que le fait d’exiger un nouveau recours aurait pour effet d’alourdir encore la procédure interne, la Cour observe que même si pour l’heure il n’existe pas, dans les ordres juridiques des Etats contractants, un système prédominant en matière de recours permettant de dénoncer les durées excessives de procédure, on peut trouver, dans la jurisprudence de la Cour relative à la règle de l’épuisement des voies de recours internes, des exemples démontrant qu’il n’est pas impossible de créer pareils recours et de les faire fonctionner de manière effective (voir, par exemple, les affaires Gonzalez Marin c. Espagne (déc.), no 39521/98, CEDH 1999-VII, et Tomé Mota c. Portugal (déc.), no 32082/96, CEDH 1999-IX).
155. Si, comme le soutient le Gouvernement, l’article 13 doit être interprété comme ne s’appliquant pas au droit à un procès dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1, les justiciables se verront systématiquement contraints de soumettre à la Cour de Strasbourg des requêtes qui auraient pu être instruites d’abord et, selon la Cour, de manière plus appropriée, au sein des ordres juridiques internes. A long terme, le fonctionnement, tant au plan national qu’au plan international, du système de protection des droits de l’homme érigé par la Convention risque de perdre son efficacité.
156. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que l’interprétation correcte de l’article 13 est que cette disposition garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable.
3. Sur l’observation en l’espèce des exigences de l’article 13
157. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Kaya précité).
La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, par exemple, l’arrêt İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII).
L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).
158. Il reste à la Cour à déterminer si les moyens dont le requérant disposait en droit polonais pour se plaindre de la durée de la procédure suivie dans sa cause étaient « effectifs » en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite.
159. La Cour relève d’emblée que le Gouvernement n’affirme pas qu’il existât une voie de droit spécifique au travers de laquelle le requérant aurait pu se plaindre de la durée de la procédure mais soutient que l’ensemble des divers recours disponibles remplissait les conditions de l’article 13. Il n’indique toutefois pas dans quelle mesure le requérant pouvait obtenir satisfaction – préventive ou compensatoire – en utilisant ces voies de droit (paragraphe 145 ci-dessus). Il ne prétend pas que l’un quelconque des différents recours évoqués, ou une combinaison de plusieurs d’entre eux, aurait pu faire intervenir plus tôt la décision sur les charges dirigées contre le requérant ou aurait pu fournir à ce dernier une réparation adéquate pour les retards déjà accusés. De plus, il n’a pu produire aucun exemple de la pratique interne attestant qu’il aurait été possible au requérant d’obtenir pareil redressement en utilisant les recours en question.
Cela suffit à démontrer que les recours mentionnés ne remplissent pas le critère d’« effectivité » aux fins de l’article 13 car, la Cour l’a déjà dit (paragraphe 157 ci-dessus), le recours exigé doit être effectif en droit comme en pratique.
160. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause « entendue dans un délai raisonnable », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
161. L’article 41 de la Convention est ainsi libellé :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommages
162. Le requérant réclame pour dommage matériel une somme de 480 000 zlotys (PLN) correspondant au manque à gagner engendré par l’impossibilité d’exercer son activité commerciale que lui a valu sa longue détention.
Il demande par ailleurs à la Cour de lui allouer 800 000 dollars américains (USD), ou leur équivalent en zlotys, pour la souffrance et la détresse morales étant résultées de la violation de ses droits garantis par la Convention.
163. Le Gouvernement juge ces sommes exorbitantes. Il prie la Cour de dire que le constat d’une violation représenterait en soi une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, il l’invite à accorder une indemnité sur la base des décisions rendues par elle dans des affaires analogues et compte tenu de la situation économique de la Pologne.
164. Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour conclut que le requérant n’a pas démontré que le dommage matériel allégué par lui soit effectivement résulté de sa détention pendant la période pertinente. En conséquence, rien ne justifie qu’elle lui accorde une indemnité de ce chef.
165. En revanche, la Cour admet que le requérant doit avoir subi un préjudice moral – du fait notamment de la détresse et de la frustration provoquées par la longue durée de sa détention et de la procédure – que ne compensent pas suffisamment les constats de violation. Statuant en équité, elle alloue à l’intéressé 30 000 PLN à ce titre.
B. Frais et dépens
166. Le requérant, auquel le Conseil de l’Europe a accordé le bénéfice de l’assistance judiciaire pour la présentation de sa cause, sollicite le remboursement de 30 400 USD pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour.
167. Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à ne rembourser que les frais et dépens qui ont réellement été exposés, qui correspondaient à une nécessité et qui sont raisonnables quant à leur taux. A l’audience, il a qualifié d’exorbitante la demande pour frais et dépens.
168. La Cour a apprécié la demande à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence (arrêts Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II, Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 83, CEDH 1999-VI, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 88, CEDH 2000-III).
Appliquant ces critères à la présente espèce et statuant en équité, elle juge raisonnable d’allouer à l’intéressé 20 000 PLN pour ses frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, moins les 10 589 francs français déjà perçus au titre de l’assistance judiciaire accordée par le Conseil de l’Europe.
C. Intérêts moratoires
169. Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable en Pologne à la date d’adoption du présent arrêt est de 21 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;
2.Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
3.Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4.Dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5.Dit, à l’unanimité,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 30 000 PLN (trente mille zlotys) pour dommage moral ;
ii. 20 000 PLN (vingt mille zlotys) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, moins 10 589 FRF (dix mille cinq cent quatre-vingt-neuf francs français) à convertir en zlotys au taux de change applicable à la date de prononcé du présent arrêt ;
b) que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 21 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au règlement ;
6.Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 26 octobre 2000.
Luzius Wildhaber – Président
Paul Mahoney – Greffier adjoint
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion en partie dissidente de M. Casadevall.
L.W.
P.J.M.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DE M. LE JUGE CASADEVALL
1. Je ne partage pas le point de vue de la majorité en ce qui concerne la nécessité d’opérer un revirement de la jurisprudence de la Cour, qui a jugé, dans la présente affaire, qu’il convenait de se prononcer aussi sur le grief tiré de la violation alléguée de l’article 13, faute d’un recours effectif, alors qu’elle avait préalablement déjà constaté une violation de l’article 6 § 1 à cause du dépassement du délai raisonnable dans la même procédure.
2. Il est certain, surtout en raison de sa formulation aussi concise que générale, que rien n’empêche d’appliquer l’article 13 aux différents aspects du « droit à un tribunal » consacré par l’article 6 § 1[1]. Je n’ai pas de problème à ce sujet. Par contre, les complications, de tous ordres, que cette nouvelle jurisprudence est susceptible d’impliquer, pour la Cour, pour les Etatsmembres, mais surtout pour les seuls destinataires de la protection offerte par la Convention : les requérants, me font craindre que le remède ne soit pire que le mal et ce pour les raisons suivantes.
3. La première relève de la motivation du revirement. Je peux accepter, en théorie, l’argument du paragraphe 147 de l’arrêt, selon lequel il n’y aurait pas superposition ni absorption lorsque, comme en l’espèce, le grief que l’individu souhaite porter devant une instance nationale est celui tiré d’une violation de son droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable. Toutefois, le restant de l’argumentation, qui s’appuie sur le nombre toujours plus important d’affaires de durée de procédure introduites devant la Cour, ne présente pas d’intérêt juridique[2].
En effet, en juillet 1999, la Cour, dans les affaires de durée italiennes citées au paragraphe 148 de l’arrêt, avait considéré que l’accumulation de manquements de nature identique reflétait une situation qui perdure, à laquelle il n’avait pas encore été porté remède et pour laquelle les justiciables ne disposaient d’aucune voie de recours interne. Cette accumulation de manquements l’avait amenée à conclure à l’existence d’une pratique incompatible avec la Convention.
Il est vrai que, depuis lors, les constats de violation fondés, exclusivement ou principalement, sur les durées excessives des procédures dans bon nombre d’Etats membres se sont multipliés. Mais la Cour, aux termes de la Convention, a l’obligation d’examiner et de juger les requêtes telles qu’elles lui sont soumises par les justiciables. Affirmer, comme la Cour le fait au paragraphe 149, que le temps est venu, à cause du nombre de requêtes portant sur la durée de la procédure, de procéder maintenant à un examen séparé du grief tiré de la violation alléguée de l’article 13, relève, pour moi, plus de l’opportunité que du droit.
4. En outre, il n’est pas sûr que le niveau de protection juridictionnelle offert à l’échelle européenne par la Convention se trouvera renforcé du fait que la Cour pourra désormais constater une double violation, en raison de la durée excessive de la procédure, d’une part, et en raison de l’absence d’un recours effectif pour s’en plaindre, d’autre part. Le constat d’une violation supplémentaire de l’article 13 n’est pas en soi de nature à pallier les problèmes endémiques et structurels dont souffrent les systèmes juridictionnels de certains Etats membres, pas plus que ne l’a été le constat de l’existence d’une pratique incompatible avec la Convention. Il ne permettra pas davantage de décharger le rôle de la Cour, au moins à moyen terme.
5. Le but de ce constat de violation de l’article 13 est de mettre les Etats face à leurs responsabilités, en vertu du principe de subsidiarité, et de les inciter à créer, dans leurs systèmes juridiques internes, un recours effectif permettant aux justiciables de se plaindre de la durée excessive des procédures. A supposer qu’un tel recours soit instauré, je vois mal comment il pourrait être remédié au problème structurel du délai déraisonnable des procédures par l’obligation d’épuisement préalable, conformément à l’article 35 de la Convention, d’un recours supplémentaire visant à se plaindre de la durée.
Rien ne permet de présumer que celui-ci sera examiné dans un délai plus raisonnable que celui de la procédure au principal. Rien ne permet non plus de présumer que le déroulement de la procédure au principal sera accéléré du fait de l’introduction de ce recours. Au bout du compte, seul le justiciable subira les conséquences de cette situation.
6. Par ailleurs, il me semble qu’après ce revirement d’autres questions sur lesquelles la Cour aura à se prononcer vont nécessairement surgir. Ainsi, aux termes de la jurisprudence constante de la Cour, le recours préconisé par l’article 13 doit être « effectif en pratique comme en droit » et de nature à offrir à l’intéressé un « redressement approprié »[3]. Or le simple constat dans l’ordre interne d’un manquement à l’obligation de statuer dans un délai raisonnable – à la suite de l’épuisement d’un tel recours – voire, le cas échéant, l’octroi d’une indemnisation pour dommage moral, ne permettra pas de le qualifier d’effectif si la procédure au principal est toujours pendante.
Dans ce cas, plusieurs années après, le requérant se trouvera contraint de présenter sa requête devant la Cour en invoquant la violation de l’article 6 § 1 et aussi, alors à juste titre, de l’article 13. L’efficacité de la protection des droits de l’homme ne s’en trouvera pas renforcée, tout au contraire.
7. Bien que la Cour rappelle[4] que les Etats jouissent « d’une certaine marge d’appréciation quant à la façon d’offrir le recours exigé par l’article 13 », et bien qu’il s’agisse d’un « recours aussi effectif qu’il peut l’être eu égard à sa portée limitée, inhérente [au contexte] »[5], l’exigence d’effectivité impose qu’un tel recours soit porté devant une instance distincte – et indépendante – de celle qui statue sur l’affaire au principal, puisque c’est à celle-ci qu’incombe la responsabilité du dépassement du délai raisonnable et donc de la violation alléguée par le requérant. En outre, il conviendrait que les décisions d’une telle instance soient juridiquement contraignantes car, sans cela, il ne serait pas répondu à ladite exigence d’effectivité[6].
8. Enfin, je voudrais souligner que dans un nombre non négligeable de cas, la Cour a constaté une violation du droit à un procès dans un délai raisonnable lorsque la procédure avait connu une durée excessive devant les juridictions suprêmes des Etats membres[7]. A qui les justiciables devront-ils s’adresser pour obtenir soit l’accélération de la procédure soit une réparation pour le préjudice résultant de la violation de l’article 6 § 1, lorsque la violation a été commise par la plus haute juridiction du pays ?
9. C’est pour l’ensemble des raisons ci-dessus que je ne suis pas en mesure de suivre la majorité lorsqu’elle estime nécessaire de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention. Pour moi, il aurait suffi en l’espèce de constater une violation de l’article 6 § 1.
[1]. Paragraphe 151 de l’arrêt.
[2]. « (…) eu égard à l’introduction devant [la Cour] d’un nombre toujours plus important de requêtes (…) » (paragraphe 148 de l’arrêt).
[3]. Voir, notamment, l’arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI.
[4]. Paragraphe 154 de l’arrêt.
[5]. Paragraphe 151 de l’arrêt.
[6]. Un recours présenté devant un médiateur parlementaire qui n’a pas le pouvoir d’octroyer une réparation n’est pas un recours effectif (arrêt Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 43, § 115).
[7]. Voir, par exemple, l’arrêt Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993, série A no 262, p. 23, § 51, et, plus récemment, l’arrêt Gast et Popp c. Allemagne, no 29357/95, CEDH 2000-II, l’arrêt Savvidou c. Grèce, no 38704/97, 1er août 2000, non publié, ou l’arrêt Guisset c. France, no 33933/96, CEDH 2000-IX.