En l’affaire Diennet c. France (1),
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée,
conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde
des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »)
et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre
composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
C. Russo,
Mme E. Palm,
MM. J.M. Morenilla,
L. Wildhaber,
P. Kuris,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 mars et
31 août 1995,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________
Notes du greffier
1. L’affaire porte le n° 25/1994/472/553. Les deux premiers chiffres
en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la
place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur
celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2. Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour
avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci,
aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole
(P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983
et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
_______________
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne
des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 7 juillet 1994, dans le
délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1,
art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête
(n° 18160/91) dirigée contre la République française et dont un
ressortissant de cet Etat, M. Marcel Diennet, avait saisi la Commission
le 18 avril 1991 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration française reconnaissant
la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a
pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits
de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences
de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du
règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance
et a désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit
M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la
Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour
(article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 18 juillet 1994, celui-ci
a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir
M. R. Bernhardt, M. R. Macdonald, M. C. Russo, Mme E. Palm,
M. J.M. Morenilla, M. L. Wildhaber et M. P. Kuris, en présence du
greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du
règlement A) (art. 43).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du
règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier,
l’agent du gouvernement français (« le Gouvernement »), l’avocate du
requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de
la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance
rendue en conséquence et à la prorogation accordée par le président à
la demande du Gouvernement, le mémoire de ce dernier et celui du
requérant sont parvenus au greffe le 5 décembre 1994. Le
12 janvier 1995, le secrétaire de la Commission a indiqué que le
délégué n’entendait pas y répondre par écrit. Le 22 décembre 1994, il
avait fourni au greffe divers documents. La demande de satisfaction
équitable du requérant est parvenue le 20 février 1995.
5. Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont
déroulés en public le 20 mars 1995, au Palais des Droits de l’Homme à
Strasbourg. Au cours de la réunion préparatoire tenue auparavant, la
Cour avait été informée que l’avocate du requérant, Me C. Waquet, était
bloquée à Paris par une grève aérienne; la Cour avait convenu de tenir
néanmoins l’audience à l’heure prévue et d’envoyer à l’intéressée par
télécopie un compte rendu provisoire de l’audience afin qu’elle puisse
présenter par écrit ses éventuelles observations avant les
délibérations.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
Mme M. Merlin-Desmartis, conseillère de tribunal
administratif détachée à la direction
des affaires juridiques du ministère
des Affaires étrangères, agent,
M. T.-X. Girardot, chargé de mission
à la direction des affaires juridiques
du ministère des Affaires étrangères, conseil;
– pour la Commission
M. M.A. Nowicki, délégué.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Nowicki et
Mme Merlin-Desmartis.
6. Le texte de la plaidoirie de Me Waquet est parvenu au greffe
par télécopie le 21 mars 1995. Le délégué de la Commission et le
Gouvernement n’y ont pas répliqué.
EN FAIT
I. Les circonstances de l’espèce
7. Médecin généraliste résidant à Paris, le docteur Marcel Diennet
fit l’objet de poursuites pour manquements aux règles de déontologie
de la profession.
8. Le 11 mars 1984, le conseil régional de l’ordre des médecins
de l’Ile-de-France prononça sa radiation du tableau. Il retenait
notamment les motifs suivants:
« (…)
Considérant que les déclarations du médecin poursuivi
confirment amplement la ‘méthode épistolaire de consultation’
dont il est l’auteur, que par lettre imprimée, le docteur
Diennet adressait aux patients, qu’il ne pouvait ou ne voulait
recevoir, une proposition de consultation à l’aide d’un
questionnaire précis devant permettre d’établir pour chaque
cas une ordonnance appropriée en vue d’une cure
d’amaigrissement.
(…)
Considérant qu’en utilisant cette méthode le docteur Diennet
ne rencontrait jamais ses patients, ne procédait
personnellement à aucun examen, ne suivait pas le traitement
prescrit ni le modifiait; que pendant ses absences de France,
qu’il reconnaît nombreuses, le ‘suivi’ des patients était
assuré par le secrétariat de son cabinet, ce qu’il ne conteste
pas.
Considérant que les agissements qui lui sont reprochés sont
amplement établis et contreviennent gravement aux dispositions
des articles 15, 18, 23, 33 et 36 du code de déontologie;
qu’un tel comportement est inadmissible de la part d’un
médecin et n’a pas de rapport avec la profession médicale.
Considérant qu’il échet de sanctionner sévèrement ces
infractions.
(…) »
9. Le Dr Diennet fit appel devant la section disciplinaire du
conseil national de l’ordre des médecins qui, le 30 janvier 1985,
substitua la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant
trois ans à celle de la radiation.
10. Saisi par le requérant, le Conseil d’Etat annula cette décision
le 15 janvier 1988 au motif qu’elle avait été rendue à l’issue d’une
procédure irrégulière, la section disciplinaire du conseil national
ayant déclaré irrecevable un mémoire produit par le Dr Diennet après
l’expiration du délai imparti mais néanmoins avant l’audience. Il
renvoya l’affaire devant cette dernière juridiction.
11. Le 26 avril 1989, à l’issue d’une audience à huis clos, la
section disciplinaire du conseil national infligea de nouveau à
l’intéressé l’interdiction d’exercer la médecine durant trois ans.
12. Le Dr Diennet se pourvut en cassation devant le Conseil d’Etat.
Il soutenait notamment que la décision le frappant n’avait pas été
rendue en conformité avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention: trois des sept membres de la section disciplinaire du
conseil national – dont le rapporteur – avaient déjà connu de l’affaire
lors de la première décision, ce qui ne satisfaisait pas à la condition
d’impartialité exigée par cette disposition, et les débats du
26 avril 1989 n’avaient pas été publics.
13. Le 29 octobre 1990, le Conseil d’Etat rejeta la requête dans
les termes suivants:
« (…)
Sur la régularité de la décision attaquée:
Considérant, en premier lieu, que les dispositions de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne de
sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
ne sont pas applicables aux juridictions disciplinaires, qui
ne statuent pas en matière pénale et ne tranchent pas des
contestations sur des droits et obligations de caractère
civil; que M. Diennet n’est dès lors pas fondé à invoquer à
l’encontre de la décision attaquée une violation des
dispositions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
susvisée relatives à la publicité des séances et à
l’impartialité du tribunal;
Considérant, en deuxième lieu, que, si l’article 11 de la
loi du 31 décembre 1987 fait obligation à la juridiction à
laquelle une affaire est renvoyée par le Conseil d’Etat de
statuer, sauf impossibilité tenant à la nature de la
juridiction, dans une autre formation que celle dans laquelle
a été prononcée la décision annulée, la section disciplinaire
de l’ordre des médecins, eu égard à la nature de cette
juridiction, pouvait être saisie à nouveau dans la formation
qui était la sienne le 30 janvier 1985, date à laquelle elle
avait statué une première fois, de l’affaire qui lui était
renvoyée par une décision du Conseil d’Etat, statuant au
contentieux du 15 janvier 1988; que, par suite, les moyens
tirés de la violation du principe de l’impartialité des
juridictions et des dispositions législatives précitées ne
sauraient être accueillis;
(…) »
II. Le régime disciplinaire des médecins
14. L’ordre national des médecins groupe obligatoirement tous les
médecins habilités à exercer leur art en France. Il veille notamment
au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement
indispensables à l’exercice de la médecine et à l’observation par tous
ses membres des devoirs professionnels ainsi que des règles édictées
par le code de déontologie. Il accomplit sa mission par
l’intermédiaire des conseils départementaux, des conseils régionaux et
du conseil national de l’ordre (articles 381 et 382 du code de la santé
publique).
A. La procédure
1. Devant les institutions ordinales
a) Les conseils régionaux
15. Les conseils régionaux exercent, au sein de l’ordre des
médecins, la compétence disciplinaire en première instance. Ils
peuvent être saisis notamment par les conseils départementaux de leur
ressort ou un médecin inscrit au tableau de l’ordre (article L. 417 du
code de la santé publique).
b) La section disciplinaire du conseil national
16. Après chaque renouvellement partiel, tous les deux ans, le
conseil national de l’ordre des médecins élit huit de ses trente-huit
membres qui constituent sous la présidence d’un conseiller d’Etat une
section disciplinaire, compétente pour connaître des appels en la
matière (articles L. 404 à 408 et L. 411 du code de la santé publique).
Des membres suppléants sont élus dans les mêmes formes que les membres
titulaires (article 21 du décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 modifié,
relatif notamment au fonctionnement de la section disciplinaire).
La section disciplinaire ne peut valablement délibérer que si
sont présents, en plus du président, au moins quatre de ses membres.
Lorsque les membres présents sont en nombre pair, le plus jeune des
praticiens doit s’abstenir (article 24, premier alinéa, du décret du
26 octobre 1948 modifié).
Les appels ont un effet suspensif (article L. 411 du code de
la santé publique).
2. Devant le Conseil d’Etat
17. Les décisions de la section disciplinaire peuvent faire l’objet
d’un recours devant le Conseil d’Etat (articles 22 du décret du
26 octobre 1948 modifié et L. 411 du code de la santé publique) « dans
les conditions du droit commun » (article L. 411 in fine du code de la
santé publique).
Aux termes de l’article 11 – entré en vigueur le
1er janvier 1989 – de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant
réforme du contentieux administratif:
« (…)
S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction
administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’Etat
peut, soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction
statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la
juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire
devant une autre juridiction de même nature, soit régler
l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de
la justice le justifie.
Lorsque l’affaire fait l’objet d’un deuxième pourvoi en
cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette
affaire. »
B. Les peines
18. Les peines disciplinaires suivantes peuvent frapper les
médecins poursuivis: l’avertissement; le blâme; l’interdiction
temporaire ou permanente d’exercer une, plusieurs ou la totalité des
fonctions médicales, conférées ou rétribuées par l’Etat, les
départements, les communes, les établissements publics, les
établissements reconnus d’utilité publique, ou les fonctions médicales
accomplies en application des lois sociales; l’interdiction temporaire
(ne pouvant excéder trois années) d’exercer la médecine; la radiation
du tableau de l’ordre.
Les deux premières de ces peines comportent, en outre, la
privation du droit de faire partie du conseil départemental, du conseil
régional ou du conseil national de l’ordre pendant une durée de
trois ans; les suivantes, la privation de ce droit à titre définitif.
Le médecin radié ne peut se faire inscrire à un autre tableau
(article L. 423 du code de la santé publique).
C. La récusation
19. Le médecin mis en cause peut exercer devant le conseil
régional, de même que devant le conseil national, le droit de
récusation dans les conditions des articles 341 à 355 du nouveau code
de procédure civile (article L. 421 du code de la santé publique).
Aux termes de l’article 341 du nouveau code de procédure
civile, la récusation d’un juge peut être demandée:
« (…)
1° Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la
contestation;
2° Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur,
héritier présomptif ou donataire de l’une des parties;
3° Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l’une
des parties ou de son conjoint jusqu’au quatrième degré
inclusivement;
4° S’il y a eu ou s’il y a procès entre lui ou son conjoint
et l’une des parties ou son conjoint;
5° S’il a précédemment connu de l’affaire comme juge ou
comme arbitre ou s’il a conseillé l’une des parties;
6° Si le juge ou son conjoint est chargé d’administrer les
biens de l’une des parties;
7° S’il existe un lien de subordination entre le juge ou son
conjoint et l’une des parties ou son conjoint;
8° S’il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et
l’une des parties;
(…) »
D. La publicité
1. Le régime applicable en l’espèce
20. Les articles 15, deuxième alinéa, et 26, septième alinéa, du
décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 modifié, disposaient:
« L’audience n’est pas publique et la délibération demeure
secrète. »
Quant aux décisions des organes de l’ordre en matière
disciplinaire, elles étaient transcrites sur un registre spécial auquel
les tiers n’avaient pas accès et n’étaient pas rendues publiques.
Elles étaient notifiées uniquement à certaines personnes et
institutions.
2. Le régime actuel
21. Le décret n° 93-181 du 5 février 1993 a modifié ces règles.
Les audiences devant un organe de l’ordre, lorsqu’il se
prononce en matière disciplinaire, sont désormais publiques.
Toutefois, le président dudit organe peut, d’office ou à la demande
d’une des parties ou de la personne dont la plainte a provoqué la
saisine du conseil régional, interdire au public l’accès de la salle
pendant tout ou partie de l’audience dans l’intérêt de l’ordre public
ou lorsque le respect de la vie privée ou du secret médical le justifie
(articles 13, 15 et 26 du décret du 26 octobre 1948, tels que modifiés
par le décret du 5 février 1993).
Les décisions sont dorénavant rendues publiques, mais les
organes en question peuvent décider de ne pas faire figurer dans
l’ampliation les mentions – notamment patronymiques – qui pourraient
porter atteinte au respect de la vie privée ou du secret médical
(articles 13 et 28 du décret du 26 octobre 1948, tels que modifiés par
le décret du 5 février 1993).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
22. Le Dr Diennet a saisi la Commission le 18 avril 1991. Il
alléguait une violation du droit à la publicité des débats et du droit
à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, garantis par
l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
23. La deuxième chambre de la Commission a déclaré la requête
(n° 18160/91) recevable le 2 décembre 1992 et, en vertu de
l’article 20 par. 4 (art. 20-4) de la Convention, s’est ensuite
dessaisie en faveur de la Commission plénière.
Dans son rapport du 5 avril 1994 (article 31) (art. 31), elle
conclut à la violation du droit à la publicité des débats (unanimité)
mais non à celle du droit à un tribunal impartial (quatorze voix contre
neuf). Le texte intégral de son avis et de l’opinion partiellement
dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt (1).
_______________
1. Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y
figurera que dans l’édition imprimée (volume 325-A de la série A des
publications de la Cour), mais il peut s’obtenir auprès de greffe.
_______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
24. Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour « de bien
vouloir rejeter la requête de M. Diennet ».
25. De son côté, le requérant invite la Cour à
« constater, à l’encontre de la France, dans l’instance ayant
abouti à l’arrêt du Conseil d’Etat du 9 octobre 1990, une
violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne
des Droits de l’Homme, en ce que, d’une part, aucune publicité
des débats ne lui a été assurée devant la juridiction
disciplinaire, en ce que, d’autre part, la juridiction
disciplinaire n’était pas constituée de façon impartiale au
sens de l’article 6 (art. 6) précité ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE
LA CONVENTION
26. Le Dr Diennet se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue
publiquement par un tribunal impartial. Il invoque l’article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention, ainsi libellé:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par
un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations
de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être
rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut
être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou
une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre
public ou de la sécurité nationale dans une société
démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la
protection de la vie privée des parties au procès l’exigent,
ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le
tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la
publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de
la justice. »
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
27. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour qu’un
contentieux disciplinaire dont l’enjeu, comme en l’espèce, est le droit
de continuer à pratiquer la médecine à titre libéral, donne lieu à des
« contestations sur des droits (…) de caractère civil » au sens de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir notamment les arrêts König
c. Allemagne du 28 juin 1978, série A n° 27, pp. 29-32, para. 87-95,
Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A
n° 43, pp. 19-23, para. 41-51, et Albert et Le Compte c. Belgique du
10 février 1983, série A n° 58, pp. 14-16, para. 25-29).
L’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) aux circonstances de
la cause, débattue devant la Commission mais non contestée devant la
Cour, ne fait donc pas de doute.
28. La Cour estime superflu de trancher la question de savoir si
le requérant se trouve, ainsi qu’il le prétend, sous le coup d’une
« accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
de la Convention: comme dans les affaires König, Le Compte, Van Leuven
et De Meyere, et Albert et Le Compte (arrêts précités, respectivement
p. 33, par. 96, pp. 23-24, par. 53, et p. 17, par. 30), celles des
règles de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) dont le requérant allègue la
violation valent en matière civile aussi bien que dans le domaine
pénal.
B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
29. Selon le Dr Diennet, il y a eu infraction à l’article 6 par. 1
(art. 6-1), en raison tant du défaut de publicité de la procédure
suivie devant les juridictions ordinales que du manque d’impartialité
de l’une d’elles.
1. Publicité
30. Le requérant dénonce l’absence de publicité des débats devant
le conseil régional d’Ile-de-France et la section disciplinaire du
conseil national de l’ordre des médecins.
31. Le Gouvernement ne conteste pas ce fait. Il reconnaît en outre
que le requérant ne peut passer pour avoir tacitement renoncé à la
publicité en ne la réclamant pas, dans la mesure où la réglementation
française l’excluait expressément (paragraphe 20 ci-dessus – voir
notamment, mutatis mutandis, l’arrêt H. c. Belgique du
30 novembre 1987, série A n° 127-B, p. 36, par. 54). Il estime
néanmoins que le Conseil d’Etat a pallié ce manque en siégeant
publiquement les 15 janvier 1988 et 15 octobre 1990. La haute
juridiction disposerait, lorsqu’elle statue en matière disciplinaire,
d’un pouvoir de contrôle dépassant les seules questions de droit
puisqu’elle vérifierait l’exactitude matérielle des faits, leur
qualification juridique ainsi que, le cas échéant, par le biais du
contrôle de la dénaturation des pièces du dossier, l’appréciation des
juges du fond; elle aurait procédé de la sorte en l’espèce.
Subsidiairement, le Gouvernement plaide qu’en tout état de
cause, les fautes imputées au requérant concernaient directement
l’exercice de la profession médicale et tombaient donc sous le coup des
exceptions prévues à l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Les organes
disciplinaires de l’ordre se devaient en effet de vérifier l’exactitude
matérielle des faits imputés au requérant, poursuivi pour avoir procédé
à des prescriptions médicales destinées à combattre l’obésité sans
examiner ses clients ni assurer le suivi de leur traitement. Des
exemples précis devaient donc être évoqués au cours des débats, si bien
que leur publicité aurait nécessairement mis en cause le secret
professionnel et la vie privée des patients.
32. Pour sa part, la Commission conclut, en se référant à la
jurisprudence de la Cour en la matière, à la violation du droit à la
publicité.
33. La Cour rappelle que la publicité des débats judiciaires
constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 par. 1
(art. 6-1) (voir, en dernier lieu, l’arrêt Schuler-Zgraggen c. Suisse
du 24 juin 1993, série A n° 263, p. 19, par. 58). Ladite publicité
protège les justiciables contre une justice secrète échappant au
contrôle du public; elle constitue aussi l’un des moyens de contribuer
à préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la
transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide
à atteindre le but de l’article 6 par. 1 (art. 6-1): le procès
équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société
démocratique au sens de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt
Sutter c. Suisse du 22 février 1984, série A n° 74, p. 12, par. 26).
Il est vrai que la Convention ne confère pas un caractère
absolu à ce principe: aux termes mêmes de l’article 6 par. 1
(art. 6-1), « (…) l’accès de la salle d’audience peut être interdit
à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès
dans l’intérêt de la moralité (…), lorsque (…) la protection de la
vie privée des parties au procès l’exig[e], ou dans la mesure jugée
strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances
spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts
de la justice ».
34. La Cour prend en compte plusieurs éléments.
D’abord, le Gouvernement n’a pas contesté l’absence de
publicité de l’audience devant les organes disciplinaires de l’ordre
des médecins.
Ensuite, lorsque le Conseil d’Etat statue en cassation sur les
décisions de la section disciplinaire du conseil national de l’ordre
des médecins, il ne peut passer pour un « organe judiciaire de pleine
juridiction », notamment parce qu’il n’a pas le pouvoir d’apprécier la
proportionnalité entre la faute et la sanction: le caractère public des
audiences devant lui ne suffit donc pas à combler la lacune constatée
au stade de la procédure disciplinaire (voir notamment, mutatis
mutandis, l’arrêt Albert et Le Compte précité, p. 16, par. 29, et
p. 19, par. 36).
Enfin, si la nécessité de préserver le secret professionnel ou
la vie privée des patients peut motiver le huis clos, celui-ci doit
être strictement commandé par les circonstances. Or en l’espèce, le
requérant et la Commission le soulignent à juste titre, les débats ne
devaient porter que sur la « méthode épistolaire de consultation »
adoptée par le Dr Diennet (paragraphe 8 ci-dessus): ni les résultats
concrets de ladite méthode sur tel ou tel patient ni les confidences
éventuelles que le Dr Diennet aurait pu recueillir à l’occasion de
l’exercice de sa profession ne devaient raisonnablement être évoqués.
Si en cours d’audience s’était révélé le risque d’une atteinte au
secret professionnel ou à la vie privée, le huis clos aurait pu être
ordonné. De toute manière, le huis clos régnait en raison de
l’application automatique et préalable des dispositions du décret du
26 octobre 1948 (paragraphe 20 ci-dessus). Ledit décret a été modifié
postérieurement aux faits de la cause: sauf certaines dérogations
strictement définies, les audiences devant un organe de l’ordre,
lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, sont désormais
publiques (paragraphe 21 ci-dessus).
35. En résumé, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
en ce que la cause de l’intéressé n’a pas été entendue « publiquement »
devant le conseil régional de l’Ile-de-France et la section
disciplinaire du conseil national de l’ordre des médecins.
2. Impartialité
36. Le requérant ne conteste pas l’impartialité personnelle des
membres de la section disciplinaire du conseil national de l’ordre des
médecins dans sa formation de renvoi.
En revanche, il affirme que la conjonction de plusieurs
éléments fait objectivement peser un très fort doute sur l’impartialité
de ladite section en tant que telle: non seulement trois de ses sept
membres – dont le rapporteur – avaient déjà connu de l’affaire en
appel, mais en plus la seconde décision est identique à la première,
à l’exception de l’ajout d’un paragraphe prenant en considération la
loi d’amnistie intervenue entre temps.
Il soutient que des suppléants auraient dû remplacer les trois
titulaires en cause. A cet égard, on ne saurait lui reprocher de ne
pas avoir récusé ces derniers: d’une part, une telle procédure
– exceptionnelle en droit français – eût été vouée à l’échec et,
d’autre part, le vice relatif à la motivation de la seconde décision
de la section disciplinaire ne lui fut révélé que le jour de la
notification de ladite décision, lorsqu’il put constater qu’elle était
identique à la première.
37. Le Gouvernement et la Commission rappellent l’arrêt Ringeisen
c. Autriche du 16 juillet 1971, d’après lequel « (…) on ne saurait
poser en principe général découlant du devoir d’impartialité qu’une
juridiction de recours annulant une décision administrative ou
judiciaire a l’obligation de renvoyer l’affaire à une autre autorité
juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité »
(série A n° 13, p. 40, par. 97). Le premier précise à cet égard que
l’article 11 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme
du contentieux administratif prévoit expressément que si le
Conseil d’Etat renvoie une affaire devant la même juridiction, celle-ci
doit statuer dans une autre formation, sauf impossibilité tenant à la
nature de celle-ci (paragraphe 17 ci-dessus); or en raison de l’unicité
de la section disciplinaire du conseil national de l’ordre des
médecins, il y aurait en l’espèce une telle impossibilité.
Au sujet du grief tenant à la motivation, le Gouvernement
souligne que la première décision n’a été annulée que pour vice de
forme, et qu’aucun fait nouveau n’a été invoqué après le renvoi, si
bien que la similitude des textes des deux décisions, même rapprochée
de la composition de la section disciplinaire dans sa formation de
renvoi, ne permet pas plus de douter objectivement de l’impartialité
de cette dernière.
38. Selon la Cour, on ne peut voir un motif de suspicion légitime
dans la circonstance que trois des sept membres de la section
disciplinaire ont pris part à la première décision (voir l’arrêt
Ringeisen précité, loc. cit.; paragraphe 12 ci-dessus). En outre, même
avec une rédaction différente, la seconde décision aurait eu
nécessairement le même fondement puisqu’il n’y avait pas d’éléments
nouveaux. Les appréhensions de l’intéressé ne peuvent donc passer pour
objectivement justifiées.
39. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1
(art. 6-1) de ce chef.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
40. Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou
une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre
autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou
partiellement en opposition avec des obligations découlant de
la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie
ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de
cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour
accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction
équitable. »
A. Dommage
41. Le requérant sollicite d’abord 500 000 francs français (FRF)
pour dommage moral ainsi que 500 000 FRF en réparation des
« tracasseries » qu’il aurait subies en conséquence de la sanction
disciplinaire prononcée à son encontre.
42. Le délégué de la Commission s’en remet à la sagesse de la Cour
sur ce point. Il précise toutefois que la demande de l’intéressé se
fonde sur l’hypothèse d’une double violation de l’article 6 par. 1
(art. 6-1) de sorte qu’il conviendrait de ne pas accorder la totalité
du montant réclamé si la Cour en venait à suivre l’avis de la
Commission.
43. Avec le Gouvernement, la Cour estime que le constat d’une
infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) fournit en soi une
satisfaction équitable suffisante.
B. Frais et dépens
44. Le Dr Diennet réclame en outre 47 000 FRF pour les frais et
dépens supportés devant les juridictions françaises et 30 000 FRF, plus
3 720 FRF de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour ceux relatifs à la
procédure devant les organes de la Convention.
45. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour. Quant au
délégué de la Commission, il ne se prononce pas.
46. Considérant qu’elle n’a accueilli qu’un seul des griefs et
statuant en équité, la Cour alloue au requérant 20 000 FRF, TVA
comprise.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l’unanimité, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention s’applique en l’espèce;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention en tant que la cause du
requérant n’a pas été entendue publiquement;
3. Dit, par huit voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation du
même article (art. 6-1) quant à l’autre grief du requérant;
4. Dit, à l’unanimité, que le présent arrêt constitue par
lui-même une satisfaction équitable suffisante quant au
préjudice allégué;
5. Dit, à l’unanimité, que l’Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois, 20 000 (vingt mille) francs
français pour frais et dépens;
6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable
pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le
26 septembre 1995.
Signé: Rolv RYSSDAL
Président
Signé: Herbert PETZOLD
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux
articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du
règlement A, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de
M. Morenilla.
Paraphé: R. R.
Paraphé: H. P.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MORENILLA
1. Je regrette de montrer mon désaccord avec la majorité en ce qui
concerne le grief du requérant tiré de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
de la Convention et portant sur la violation de son droit à un tribunal
impartial. A mes yeux, les faits de la cause révèlent une violation
de cet article (art. 6-1).
2. La majorité (paragraphe 38 de l’arrêt) ne voit pas un motif de
suspicion légitime dans la circonstance que trois des sept membres de
la section disciplinaire du conseil national de l’ordre des médecins,
qui a finalement statué sur la conduite professionnelle de M. Diennet
et lui a imposé la sanction d’interdiction d’exercer la médecine
pendant trois ans, avaient pris part, dans la même affaire, à la
décision antérieure de ladite section.
3. Pareille conclusion est, à mon avis, contraire à la notion
d’impartialité dite objective, combinée avec la « théorie des
apparences » développée par la Cour notamment dans les arrêts Piersack
c. Belgique du 1er octobre 1982 (série A n° 53, pp. 13-16,
para. 28-32), De Cubber c. Belgique du 26 octobre 1984 (série A n° 86,
pp. 14-16, para. 25-30) et Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989
(série A n° 154, pp. 21-22, para. 46-52) (voir Marc-André Eissen,
Jurisprudence relative à l’article 6 (art. 6) de la Convention, Cour
européenne des Droits de l’Homme, 1985, pp. 28-30).
4. En effet, les circonstances décrites justifiaient les craintes
du requérant quant à l’impartialité du tribunal qui devait juger
finalement sa conduite professionnelle. J’arrive à cette conclusion
que lesdites circonstances soient analysées du point de vue subjectif
de l’attitude des juges devant une affaire qu’ils ont déjà examinée et
décidée auparavant, ou qu’elles soient considérées sous un angle
objectif, celui de la justification des craintes du requérant devant
« les apparences » de partialité d’un organe dont trois membres sur sept
l’avaient déjà jugé et condamné (voir, entre autres, les arrêts
susmentionnés De Cubber, pp. 13-14, par. 24, et Hauschildt, p. 21,
par. 46).
5. La circonstance que la deuxième décision est presque une
reproduction littérale de la première – explicable d’ailleurs par le
fait que le rapporteur de la section disciplinaire dans sa formation
de renvoi avait été membre de la première formation de ladite section –
rend cette carence encore plus évidente. Il ne s’agit donc pas d’une
éventuelle malveillance personnelle de ces trois membres à l’égard de
M. Diennet – qui d’ailleurs ne soutient rien de tel -, mais de leur
attitude à l’égard de l’affaire et de leur conviction personnelle quant
aux manquements aux règles de déontologie imputés au requérant.
6. Sous l’angle de l’appréciation objective, les circonstances
décrites autorisaient à douter de l’impartialité de ces trois membres
pour juger de nouveau M. Diennet pour les mêmes faits. Ils auraient
dû se récuser: le requérant pouvait légitimement craindre un manque
d’impartialité en raison de leur connaissance approfondie de l’affaire
et de la décision qu’ils avaient rendue à un stade antérieur.
L’impartialité de la juridiction pouvait paraître sujette à caution et
« les appréhensions de l’intéressé pouvaient passer pour objectivement
justifiées » (arrêts Hauschildt susmentionné, p. 21, para. 48-49, et
Thorgeir Thorgeirson c. Islande du 25 juin 1992, série A n° 239, p. 23,
par. 51).
7. La majorité considère que les appréhensions de l’intéressé ne
peuvent passer pour « objectivement justifiées » et conclut à l’absence
de violation. Elle se réfère à l’arrêt dans l’affaire Ringeisen
c. Autriche (arrêt du 16 juillet 1971, série A n° 13) dont le contexte
était pourtant fort différent de celui de la présente espèce: les
procédures conduites par M. Ringeisen visaient en effet à l’obtention
de l’approbation d’une mutation de propriété de terrains agricoles et
présentaient donc un caractère purement civil, alors que M. Diennet
faisait l’objet de poursuites pour manquements aux règles de
déontologie de la profession médicale. La Cour étend ainsi, sans
explication, aux organes disciplinaires une tendance plutôt récente de
sa jurisprudence (voir Fey c. Autriche du 24 février 1993, série A
n° 255-A, p. 12, par. 30, Padovani c. Italie du 26 février 1993,
série A n° 257-B, p. 20, par. 27, Nortier c. Pays-Bas du 24 août 1993,
série A n° 267, pp. 15-16, para. 31-37, avec mon opinion concordante,
pp. 18-19, et Saraiva de Carvalho c. Portugal du 22 avril 1994, série A
n° 286-B) déjà difficilement conciliable avec la doctrine antérieure
telle que développée dans les arrêts Piersack, De Cubber, Hauschildt
et Thorgeir Thorgeirson susmentionnés. Cette jurisprudence concernait
pourtant seulement les juges pénaux qui, ayant adopté, au stade de
l’instruction de la cause, des mesures de détention provisoire contre
un suspect, étaient appelés ensuite – dans la plupart de ces affaires,
par le hasard de la formation des cours et des changements du personnel
judiciaire – à statuer sur la culpabilité de l’accusé concerné.
8. Dans la présente affaire, il ne s’agit pas de la prise de
mesures d’instruction à un stade antérieur de la procédure mais des
décisions déjà prises sur la culpabilité, à titre disciplinaire, par
des juges appelés de nouveau à juger l’affaire. Cette interprétation
de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention sur le droit à un
tribunal impartial rend, selon moi, plus incertaine notre jurisprudence
sur la détermination de cet élément essentiel du procès équitable.