COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE BOYLE ET RICE c. ROYAUME-UNI
(Requête no 9659/82; 9658/82)
ARRÊT
STRASBOURG
27 avril 1988
En l’affaire Boyle et Rice[*],
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 et 30 octobre 1987, puis les 24 novembre 1987 et 24 mars 1988,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 18 juillet 1986, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouvent deux requêtes (no 9659/82 et no 9658/82) dirigées contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et introduites devant la Commission en vertu de l’article 25 (art. 25), la première en 1981 par James et Sarah Boyle, la seconde en 1982 par Brian et John Rice, tous quatre ressortissants britanniques.
D’abord désignés par les initiales X et Y, Brian et John Rice ont consenti par la suite à la divulgation de leur identité.
2. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration britannique de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent, de la part de l’État défendeur, un manquement aux obligations qui découlent des articles 8 et 13 (art. 8, art. 13) de la Convention.
3. En réponse à l’invitation prescrite à l’article 33 § 3 d) du règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer à l’instance pendante devant la Cour et ont désigné leurs conseils (article 30).
4. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 26 septembre 1986, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, J. Pinheiro Farinha, A.M. Donner, J. De Meyer et N. Valticos, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, M. J. Gersing, suppléant, a remplacé M. Donner, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement du Royaume-Uni (« le Gouvernement »), le délégué de la Commission et les conseils des requérants au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément à ses ordonnances et directives, le greffe a reçu par la suite:
– le 15 décembre 1986, le mémoire des requérants;
– le 30 janvier 1987, celui du Gouvernement;
– le 4 mai 1987, un état de frais et dépens, présenté par les solicitors des requérants;
– le 25 juin 1987, des observations complémentaires du Gouvernement sur l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
Le 3 mars 1987, le délégué de la Commission a informé le greffier qu’il ne souhaitait pas s’exprimer par écrit.
6. Le 6 mars, le président a fixé au 18 mai 1987 la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement, délégué de la Commission et conseils des requérants par l’intermédiaire du greffier (article 38 du règlement). Peu après, M. Cremona, vice-président de la Cour, a remplacé à la présidence de la Chambre M. Ryssdal, empêché (article 21 § 5).
7. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
M. M. Wood, jurisconsulte,
ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,
agent,
M. M. Baker, avocat,
M. A. Grotrian, avocat, conseils,
Mme M. Macdonald, Scottish Office,
M. D. Dalgetty, Scottish Office, conseillers;
– pour la Commission
Sir Basil Hall, délégué;
– pour les requérants
M. A. Lester, Q.C.,
M. D. Pannick, avocat, conseils.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, M. Baker pour le Gouvernement, Sir Basil Hall pour la Commission et M. Lester pour les requérants.
Le même jour, le Gouvernement a déposé divers documents ainsi que le greffier l’y avait invité le 7 mai 1987 sur les instructions du président de la chambre.
8. Après avoir délibéré le 20 mai 1987, la Chambre s’est dessaisie à l’unanimité au profit de la Cour plénière (article 50 du règlement).
Ayant noté l’accord de l’agent du Gouvernement et l’avis, favorable, du délégué de la Commission comme des requérants, la Cour a décidé le 23 septembre 1987 que la procédure se poursuivrait sans réouverture des débats (article 26 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. James et Sarah Boyle
9. James et Sarah Boyle, citoyens britanniques, sont nés respectivement en 1944 et 1950. En 1967, le premier fut condamné en Écosse à la prison à vie pour meurtre. Il se vit infliger plusieurs autres peines privatives de liberté en 1968 et 1973 pour évasion, tentative de meurtre contre un gardien et voies de fait sur des membres du personnel pénitentiaire. La seconde, son épouse, exerce la profession de médecin.
10. En mars 1973, M. Boyle fut transféré de la prison de Peterhead à un quartier spécial de la prison de Barlinnie. Créé à titre expérimental pour traiter certains détenus purgeant de longues peines ou enclins à la violence (paragraphe 32 ci-dessous), ce dernier abritait au maximum huit détenus et se caractérisait par un régime plus libéral. M. Boyle contribua beaucoup à en faciliter la réussite. Il se découvrit notamment des dons particuliers pour le travail en groupe, la sculpture, l’écriture et d’autres domaines d’activité artistique.
Pendant son séjour dans le quartier spécial, M. Boyle avait entre autre le droit de recevoir et adresser du courrier non censuré, d’accueillir tous les jours des visiteurs et de se servir d’un téléphone. Il pouvait ainsi rencontrer sa femme, lui parler au téléphone et correspondre avec elle sans les restrictions habituelles. Il pouvait aussi sortir de prison sans escorte.
11. En septembre 1980, la commission compétente (Parole Board) lui annonça qu’il serait libéré sous conditions en novembre 1982 et envoyé à la prison de Saughton, à Édimbourg, pour y suivre un programme préparatoire à son élargissement. Elle précisa qu’il y accomplirait sa peine selon les mêmes modalités que les autres détenus. On estimait que ladite prison, malgré son régime de type classique, se révélerait plus avantageuse pour lui, jusqu’à la levée d’écrou, que d’autres établissements telle la prison ouverte de Penninghame (paragraphe 31 ci-dessous).Parmi les éléments motivant ce choix figuraient l’opportunité que l’intéressé occupât une cellule individuelle au lieu de se trouver dans un dortoir, la possibilité d’un travail de jour approprié, l’existence d’installations lui permettant de continuer ses études et ses activités artistiques ainsi que l’accès à des moyens d’éducation et de formation professionnelle adaptés à son cas. En décembre 1979, M. Boyle lui-même avait d’ailleurs déclaré par écrit que s’il ne pouvait rester à Barlinnie pour ce programme préparatoire, il préférerait Saughton à Penninghame.
En novembre 1981, il fut placé dans un foyer de préparation à la libération, à l’intérieur de la prison (paragraphe 33 ci-dessous). Il a recouvré sa liberté le 1er novembre 1982.
D’octobre 1980 à son élargissement, on le classa dans la catégorie des détenus les moins dangereux (catégorie D).
12. Dans la mesure où ils entrent en ligne de compte pour la présente procédure, les griefs formulés par les requérants devant la Commission portaient tous sur la période de septembre 1980 à novembre 1981, pendant laquelle M. Boyle subissait le régime pénitentiaire ordinaire à la prison de Saughton. Les faits dont ils tirent leur origine sont exposés brièvement ci-après.
13. Durant la période considérée, la réglementation normale en matière d’envoi et de frais de correspondance s’appliquait à M. Boyle (paragraphes 22-23 ci-dessous). Seul l’affranchissement d’une lettre hebdomadaire de trois pages incombait aux autorités pénitentiaires. Le requérant pouvait payer celui d’autres missives en prélevant sur son pécule, de 1 £ 60par semaine, mais non sur ses ressources financières générales. Dans une lettre du 31 juillet 1981 au ministre pour l’Écosse, ses solicitors alléguaient que comme il jugeait devoir dépenser 80 pence par semaine sur son salaire pour compléter son alimentation (principalement) végétarienne par l’achat de gâteaux de farine d’avoine, la prison fournissant uniquement du pain blanc, il ne pouvait expédier qu’un nombre restreint de lettres. La prison de Saughton offrait un régime végétarien intégral dont M. Boyle n’avait contesté la qualité ni auprès du directeur ni auprès du ministre.
14. Conformément à la pratique ordinaire de la prison, toute la correspondance de M. Boyle se trouvait soumise au contrôle des autorités pénitentiaires (paragraphe 24 ci-dessous). Les requérants ont aussi affirmé devant la Commission qu’il arrivait au gardien chargé de la censure de lire à haute voix en présence d’autres détenus des lettres de Mme Boyle, en riant ou en commentant leur contenu. Toutefois, M. Boyle n’a saisi le directeur ou le ministre d’aucune doléance relative à la manière dont on lisait son courrier, en particulier à haute voix, encore que dans leur lettre du 31 juillet 1981 ses solicitors en aient critiqué le filtrage.
15. En juillet 1981, le directeur de la prison intercepta une lettre de l’intéressé à un ami, M. Peter McDougall, au motif qu’il s’agissait d’une « personnalité des media ». M. Boyle s’en plaignit au ministre, mais sa demande fut rejetée en raison de l’existence d’une interdiction générale, pour les détenus, de communiquer des éléments destinés à une publication ou à une diffusion à la radio ou à la télévision (paragraphe 25 ci-dessous). Le Gouvernement a reconnu depuis lors que cette règle avait été appliquée par erreur: bien qu’adressée à une personne ayant des rapports avec les media, la lettre en question revêtait un caractère personnel et il aurait donc fallu laisser le requérant l’envoyer.
16. M. Boyle pouvait recevoir des visites selon les dispositions habituelles à la prison de Saughton (paragraphe 26 ci-dessous). Partant, comme ses solicitors le soulignaient dans leur lettre du 31 juillet 1981, il n’avait droit qu’à une heure de visite par mois, sous étroite surveillance et dans un parloir bondé. Il la consacrait à sa femme, de sorte qu’il ne pouvait rencontrer les autres membres de sa famille.
Il pouvait bénéficier d’une permission de sortie sous escorte spéciale et se rendit par deux fois chez lui, mais sous le contrôle constant d’un gardien comme de rigueur en pareil cas (paragraphe 28 ci-dessous).
A partir de novembre 1980, on lui accorda l’autorisation exceptionnelle d’accomplir sans escorte un travail d’intérêt public à l’extérieur de la prison, d’abord deux jours par semaine puis cinq.
17. Les solicitors de M. et Mme Boyle soulevèrent aussi auprès du ministre une objection générale: les conditions de détention de M. Boyle étaient nettement plus défavorables à la prison de Saughton qu’au quartier spécial de Barlinnie, de même que par rapport aux autres détenus de la catégorie D du système pénitentiaire.
Par sa réponse du 28 août 1981, le ministre repoussa cette doléance comme les autres griefs formulés par les solicitors dans leur lettre du 31 juillet 1981.
M. Boyle se plaignit en outre au médiateur parlementaire pour les questions administratives (Parliamentary Commissioner for Administration, « le médiateur », paragraphe 39 ci-dessous), par l’intermédiaire de son député, de divers aspects de son traitement à la prison de Saughton. Dans une lettre du 17 septembre 1981, le médiateur déclara ne pouvoir accepter ses critiques. Il écrivait notamment:
« Des détails fournis par M. Boyle, il ressort que sa correspondance, ses permissions sous escorte spéciale et ses visites ont été correctement assujetties aux règles en vigueur, quelque déplaisir que celles-ci puissent lui inspirer.Je crois juste de dire que la plainte de M. Boyle reflète pour une grande part son désaccord avec elles et avec leur application à son cas à ce stade de l’exécution de sa peine. Or elles relèvent bien entendu du Parlement et en l’absence de preuve d’une mauvaise administration, la loi sur le médiateur (Parliamentary Commissioner Act) m’empêche de contester le pouvoir d’appréciation dont le ministère jouit en les appliquant. »
B. Brian et John Rice
18. Brian et John Rice, citoyens britanniques, sont nés respectivement en 1947 et 1920.
Condamné en 1967 à la réclusion à vie pour meurtre, le premier subit sa peine dans les prisons de Peterhead et de Perth jusqu’en août 1979. A partir de là, il séjourna en qualité de détenu de la catégorie D (la moins dangereuse) à la prison de Saughton. Transféré le 11 septembre 1981 au foyer de préparation à la libération, à l’intérieur de l’établissement (paragraphe 33 ci-dessous), il recouvra sa liberté sous condition le 1er juin 1982. Il avait demandé à purger le reste de sa peine à Édimbourg plutôt qu’à la prison ouverte de Penninghame, par exemple (paragraphe 31 ci-dessous), car il souhaitait, avant son élargissement, recevoir un enseignement postscolaire que Penninghame ne dispensait pas.
John Rice, père du premier requérant, réside à Dundee, à quelque 80 km d’Édimbourg. A l’époque des faits, il souffrait d’une grave maladie – sa santé laissait à désirer depuis quelques années – et ne pouvait ni marcher ni voyager.
19. À la prison de Saughton, Brian Rice avait droit à des visites dans les conditions habituelles.
Le 8 mai 1981, il sollicita auprès du ministre pour l’Écosse l’autorisation de se rendre chez son père. Il indiquait que celui-ci était « malade depuis fort longtemps », mais non que sa vie se trouvait menacée, auquel cas il aurait pu prétendre à une permission pour raisons humanitaires (paragraphe 27 ci-dessous). Sa demande fut donc repoussée le 27 mai 1981. La décision lui conseillait d’essayer d’obtenir qu’un membre du personnel l’accompagnât hors de la prison, dans le cadre du système des permissions sous escorte spéciale (paragraphe 28 ci-dessous). Il semble toutefois avoir éprouvé des difficultés à trouver un gardien qui y consentît. Si Brian Rice ne put aller voir son père pendant la période en cause, il eut en revanche la faculté de fréquenter, sans escorte, un collège pour y suivre un cycle d’enseignement à raison de deux jours par semaine, ainsi qu’un centre où il accomplissait un travail d’intérêt public. En août 1980, on lui avait accordé une visite chez lui et en septembre 1981 il put passer cinq jours à son domicile avant d’entamer le programme préparatoire à sa libération.
Dans sa réponse du 23 juillet 1981 à une lettre que le député de M. Rice lui avait adressée le 18 juin, le sous-secrétaire d’État au Scottish Office expliquait le refus d’une permission pour raisons humanitaires:
« (…) Chaque demande est examinée quant à son bien-fondé sur la base de rapports de médecins et de travailleurs sociaux. Celle de M. Rice tendant à l’octroi d’une visite spéciale l’a été de la manière ordinaire, mais on a estimé qu’elle ne remplissait pas les conditions nécessaires. M. Rice a été informé qu’il devrait en présenter une nouvelle si l’état de son père empirait. Pour éviter les abus, il faut observer une attitude stricte et absolument cohérente face aux demandes de permissions pour raisons humanitaires émanant de tous les détenus; que l’un d’eux soit libéré à des fins éducatives ou autres n’influe pas sur l’examen du bien-fondé de sa demande et ne supprime pas l’obligation de respecter les critères habituels. (…) M. Rice devrait être transféré en septembre en ‘apprentissage de la liberté’ (TFF). Auparavant, il bénéficiera d’un congé au foyer de cinq jours et une fois en TFF il pourra passer des week-ends à la maison. D’ici là, on aurait selon moi grand tort de faire en sa faveur une exception et de s’écarter des règles en matière de visites pour raisons humanitaires ou de permissions sous escorte spéciale. »
20. Le 28 juillet 1981, les solicitors agissant pour le compte de Brian Rice écrivirent au ministre pour se plaindre
– de l’interception alléguée, par les autorités pénitentiaires, de plusieurs lettres de l’intéressé auxdites autorités, à son député, à son précédent avocat et à sa famille;
– des limites à son droit à recevoir des visites, car elles entraînaient selon eux, quant au maintien des contacts familiaux, une discrimination à son encontre par comparaison aux autres détenus classés dans la catégorie D mais se trouvant en milieu ouvert;
– du refus d’une permission pour raisons humanitaires.
La réponse envoyée le 2 septembre 1981 au nom du ministre rejetait les différents griefs. Elle relevait en particulier que tout le courrier de M. Rice avait été posté.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
A. Le cadre juridique général
21. Le système pénitentiaire écossais obéit à la loi de 1952 sur les prisons d’Écosse (Prisons (Scotland) Act 1952, « la loi de 1952 »). D’après les articles 1 et 3, la surveillance et la direction générale des prisons écossaises incombent au ministre pour l’Écosse.
L’article 35 § 1 de la loi de 1952 habilite le ministre « à réglementer l’organisation et la gestion des prisons (…) ainsi que la classification, le traitement, l’emploi, la discipline et le contrôle des détenus ». Ce pouvoir s’exerce par voie de texte législatif (statutory instrument). Un projet ainsi établi sur la base de l’article 35 doit être déposé devant le Parlement (article 40). Le droit interne qualifie pareil texte de législation déléguée (article 1 de la loi de 1946 sur les textes législatifs, Statutory Instruments Act 1946). La common law reconnaît à la législation déléguée la valeur et les effets d’une loi votée au Parlement (Halsbury’s Laws of England, 4e éd., vol. 44, § 981). Les textes législatifs tels que le règlement pénitentiaire sont rendus publics.
En vertu de l’article 35 de la loi de 1952, le ministre a édicté le règlement pénitentiaire de 1952 pour l’Écosse (Prison (Scotland) Rules 1952 (Statutory Instrument 1952/565, « le règlement pénitentiaire »), modifié périodiquement.
Outre le règlement pénitentiaire, le ministre, au titre de son autorité générale sur les prisons et de divers pouvoirs que ledit règlement pénitentiaire lui attribue lui-même, donne aux directeurs de prison des consignes administratives dénommées « instructions permanentes » (Standing Orders, « instructions »). A l’époque des faits, le texte n’en avait pas été rendu public. Toutefois, on communiquait aux détenus condamnés un résumé des règles et règlements les concernant (Abstract of Rules and Regulations for Convicted Prisoners, « The Abstract », « le résumé »); il fournissait des indications sur le règlement pénitentiaire et les instructions.
B. Correspondance
22. L’article 74 du règlement pénitentiaire prévoit notamment:
« 2. Tout détenu est autorisé à écrire et à recevoir une lettre lors de son admission puis à écrire et à recevoir des lettres, ainsi qu’à accueillir des visiteurs, à des intervalles fixés par le ministre. Les intervalles ainsi prescrits peuvent être prolongés à titre de sanction pour mauvaise conduite, mais pas au point d’empêcher un détenu d’écrire et de recevoir une lettre, ainsi que d’accueillir un visiteur, toutes les huit semaines.
(…)
4. Sous réserve de l’article 50 § 4, chaque lettre à un détenu, ou d’un détenu, doit être lue par le directeur ou par un membre du personnel par lui délégué à cet effet; le directeur a toute latitude pour en intercepter une s’il en juge le contenu répréhensible. »
A l’époque des faits, ces dispositions se trouvaient complétées par les instructions Ic. 1 à 4.
1. Paiement des frais d’affranchissement
23. Ainsi, l’instruction Ic. 2(3) précisait:
« Les détenus ont le droit d’écrire des lettres dans les limites suivantes:
a) Tous les détenus condamnés (…) sont autorisés (…) à écrire chaque semaine à leurs parents et amis une lettre dont l’affranchissement incombe à l’État (…)
(…)
d) L’affranchissement de lettres supplémentaires peut se prélever sur le pécule; l’emploi de fonds privés provenant d’autres sources ne doit pas être autorisé à cette fin. Avant de pouvoir écrire des lettres supplémentaires, le détenu doit soumettre à l’approbation du directeur une liste de personnes avec lesquelles il a l’intention de correspondre. Le directeur a toute latitude pour y ajouter ou en retrancher des noms.
(…) »
Il n’y avait pas de limite au nombre des lettres supplémentaires pouvant être expédiées. Le paragraphe 23 du résumé signalait aux détenus la substance des dispositions pertinentes des instructions.
2. Filtrage de la correspondance
24. L’instruction Ic. 1(1)(a) traitait de l’examen de la correspondance en vertu de l’article 74 § 4 du règlement pénitentiaire (paragraphe 22 ci-dessus):
« Un examen détaillé ne s’impose pas pour la grande majorité des lettres, lorsque ni le détenu ni son infraction ne sont connus du grand public et que le correspondant est son épouse ou un proche parent. Il suffira en général d’y jeter un coup d’oeil et de s’assurer qu’elles revêtent le caractère familial et personnel habituel. Cependant, il y aura toujours certains détenus dont la correspondance appelle un examen attentif; il appartiendra au directeur de la prison de les désigner et de donner au fonctionnaire compétent les consignes appropriées. »
L’instruction Ic. 4(9) spécifiait de son côté, quant au courrier arrivant à la prison:
« En aucun cas le contenu d’une lettre à un prisonnier ne doit être mentionné à portée de voix d’un autre prisonnier. »
3. Interception des lettres
25. L’instruction Ic. 1(3) concernait l’exercice du pouvoir, accordé par l’article 74 § 4 au directeur de la prison, d’intercepter les lettres au contenu répréhensible. Elle disposait:
« Doivent être autorisés tous les sujets ordinaires, y compris des informations sur des événements publics. Les observations d’un détenu sur sa propre condamnation ne sont pas répréhensibles s’il s’exprime en termes corrects. Il existe peu de sujets inacceptables, à savoir:
(…)
c) les sujets destinés à paraître dans la presse, à être publiés ou à être diffusés à la radio ou à la télévision (à l’exception du magazine ‘Linkup’).
(…) »
Depuis la période considérée, de nouvelles instructions sur la correspondance des détenus ont été adoptées en Écosse à la lumière de l’arrêt rendu le 25 mars 1983 par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Silver et autres (série A no 61). Elles ont beaucoup assoupli les restrictions à la correspondance précédemment applicables, y compris l’interdiction des lettres destinées à être publiées. Les détenus peuvent s’en procurer le texte (instruction permanente M, qui traite aussi des visites).
C. Visites aux détenus
26. L’article 74 § 2 du règlement pénitentiaire (paragraphe 22 ci-dessus) autorise tout détenu à recevoir des visites à des intervalles fixés par le ministre. A l’époque des faits, l’instruction Ic. 7 indiquait notamment:
« 1. Tout détenu a le droit de recevoir une visite au moins une fois toutes les huit semaines et aucun ne peut s’en voir priver par mesure disciplinaire.
2. Les détenus auront le droit de recevoir des visites dans les conditions suivantes:
(…)
b) Pendant les deux premiers mois suivant son admission après condamnation, chaque détenu a le droit de recevoir deux visites de parents ou amis. Au cours de chaque période ultérieure de deux mois, il a le droit de recevoir trois visites. »
Le paragraphe 23 du résumé informait les détenus de ces dispositions sur la fréquence des visites.
Selon les instructions, les visites duraient normalement trente minutes, ou vingt pendant les dix premiers mois d’incarcération (instruction Ic. 8(3)).
Les directeurs de prison jouissaient d’une certaine latitude pour en modifier la durée et la fréquence telles que les fixaient les instructions, mais le nombre total d’heures de visite ne devait pas tomber en dessous de celui qu’elles prescrivaient. Le système en vigueur à la prison de Saughton présentait une particularité: il autorisait une seule visite d’une heure par mois au lieu des trois visites tous les deux mois, d’une demi-heure chacune, permises par les instructions.
Dans des circonstances exceptionnelles, le comité des visiteurs pouvait accorder une visite supplémentaire ou plus longue (article 199 du règlement pénitentiaire, paragraphe 37 ci-dessous).
D. Visites à domicile et libération temporaire
27. Aux termes de l’article 28 § 1 du règlement pénitentiaire, « le ministre peut autoriser la libération temporaire d’un détenu (…) pour une durée déterminée selon des modalités et pour des motifs ayant reçu son approbation ».
L’instruction Jc. 3 définit les conditions d’octroi d’une libération temporaire pour raisons humanitaires. Une telle mesure ne se prend que s’il s’agit de rendre visite à un proche parent gravement malade ou d’assister à ses obsèques. Un accompagnateur n’est en principe pas nécessaire en pareil cas pour les détenus de la catégorie D, mais il en faut un pour ceux des catégories à plus haut risque.
28. Un système de permissions sous escorte spéciale fonctionne depuis de nombreuses années à la prison de Saughton. Il ne se trouve pas régi par les instructions, mais par une directive (notice) du directeur de la prison, du 20 novembre 1978, qui en explique les objectifs et les conditions d’application.
Il a pour buts d’atténuer la tension provoquée par les peines de longue durée, faciliter le maintien des liens avec le foyer, encourager de bonnes relations entre le personnel et les prisonniers et préparer peu à peu ces derniers à leur élargissement. Ne peuvent en profiter que les détenus frappés d’une peine de plus de trois ans, dont ils ont déjà subi le tiers (ou quatre années s’il s’agit d’une condamnation à perpétuité), et ayant eu une conduite satisfaisante pendant une période raisonnable. L’intéressé ne peut se prévaloir d’une permission ainsi accordée que s’il bénéficie de l’assistance volontaire d’un membre du personnel, ou d’un visiteur de prison (aide bénévole), qui lui servira de surveillant accompagnateur. Pour les deux premières permissions, l’accompagnateur doit être un membre du personnel. Il est bien précisé que le permissionnaire « se place lui-même sous surveillance directe tout au long de son absence de prison ». Avant de partir, il signe un document par lequel il se reconnaît pleinement conscient des conditions applicables à sa période de permission.
29. En vertu du régime d’ »apprentissage de la liberté » instauré à la prison de Saughton, les détenus peuvent avant leur élargissement solliciter les permissions décrites au paragraphe 33 ci-dessous.
E. Prison ouverte de Penninghame, quartier spécial de Barlinnie et foyer de préparation à la libération de Saughton
30. Aux termes de l’article 6 du règlement pénitentiaire,
« 1. Le ministre peut affecter des établissements pénitentiaires, en tout ou partie, à certaines catégories de détenus ou à certains objectifs, notamment:
i) l’observation, selon un régime particulier, de détenus condamnés ou non aux fins de leur classification, de l’envoi de rapports aux tribunaux, etc.;
ii) la formation des catégories de détenus condamnés à l’emprisonnement (…) choisies périodiquement par le ministre.
2. Le ministre peut créer ou affecter des établissements pénitentiaires pour le traitement en milieu ouvert de certains détenus, ou certaines catégories de détenus, condamnés à l’emprisonnement ou à une formation surveillée. »
31. Une prison ouverte existe à Penninghame. Elle abrite environ 47 détenus, tous sélectionnés comme aptes à purger leur peine en milieu ouvert. Seuls peuvent s’y voir transférer les détenus de la catégorie D, mais tels MM. Boyle et Rice ils séjournent pour la plupart en milieu fermé. La prison ouverte de Penninghame connaît un régime plus libéral que le régime habituel des établissements fermés. En particulier:
i) en règle générale le courrier des détenus n’est pas lu, encore que le directeur en conserve la faculté;
ii) les visites des amis et parents, bien qu’autorisées une seule fois par mois, peuvent durer de 13 h à 15 h 45 et se dérouler dans l’enceinte de la prison, à la discrétion du directeur;
iii) les détenus peuvent bénéficier d’une permission exceptionnelle pour se rendre chez des habitants de la localité.
Pour le reste, les visites et la correspondance obéissent aux mêmes règles que dans les autres établissements.
32. Un « quartier spécial » a été créé en mars 1973 dans la prison de Barlinnie pour traiter les détenus réputés violents ou potentiellement violents et certains prisonniers de longue durée. On cherchait à modifier la relation classique gardien/détenu en partageant les responsabilités entre les uns et les autres et en les incitant à se considérer comme une collectivité unique. Le régime du quartier spécial diffère beaucoup de celui des autres établissements pénitentiaires. Spécialement, on ne contrôle en principe pas le courrier, mais la population carcérale est censée respecter la réglementation usuelle pour le contenu de la correspondance et le directeur de la prison demeure habilité à lire celle-ci. Les visites échappent aux restrictions habituelles quant à leur horaire, leur nombre ou leur durée. Les détenus ont la possibilité de sortir de prison, sans escorte s’ils relèvent de la catégorie D. Le quartier spécial compte huit détenus au maximum et quatre surveillants par prisonnier, contre une moyenne d’un pour quatre ailleurs.
33. M. Boyle et M. Brian Rice subirent à la prison de Saughton un régime d’ »apprentissage de la liberté » pendant la dernière phase de leur programme préparatoire à l’élargissement. Les détenus qui reçoivent une telle formation vivent dans un foyer spécial à l’intérieur de la prison et jouissent de congés temporaires réguliers pour travailler, effectuer un service d’intérêt général ou suivre des cours dans la région d’Édimbourg. Ils ont aussi droit chaque semaine à une sortie de douze heures, sans accompagnateur, dans la localité et toutes les trois semaines à une permission pour le week-end, sans escorte, pendant laquelle ils peuvent se rendre à leur domicile.
F. Recours
34. Pour se plaindre de leurs conditions d’incarcération, les détenus disposent en Écosse des principaux recours suivants:
– une requête au directeur de la prison;
– une requête au comité des visiteurs de la prison;
– une requête au ministre;
– une requête au médiateur;
– un recours en contrôle judiciaire.
1. Requête au directeur de la prison
35. D’après l’article 50 § 1 du règlement pénitentiaire, toute requête d’un détenu désireux de rencontrer, notamment, le directeur de la prison ou un membre du comité des visiteurs doit être enregistrée par le gardien à qui elle s’adresse et communiquée sans retard au directeur. L’article 50 § 2 oblige celui-ci à recevoir, à une heure déterminée tous les jours autres que le dimanche et les jours fériés, chaque détenu ayant demandé à le voir.
2. Requête au comité des visiteurs de la prison
36. Selon l’article 7 de la loi de 1952, le règlement pénitentiaire doit prescrire la création de comités des visiteurs des prisons. Le texte pertinent figure à l’article 187 dudit règlement. Les membres du comité des visiteurs pour chaque établissement sont nommés par les assemblées de région, de district et d’île – composées de représentants élus – de la circonscription desservie par la prison (articles 7 § 1 de la loi et 187 § 1 du règlement). Les comités et leurs membres sont indépendants de l’administration pénitentiaire. L’article 7 § 3 de la loi précise que le règlement définit les fonctions des comités et qu’en outre
« [il] charge notamment les membres de visiter fréquemment la prison, écouter les doléances éventuelles des détenus et rendre compte au ministre de toute question qu’ils jugent opportun de signaler; chacun d’eux peut pénétrer à tout moment dans la prison et a librement accès à toute partie de celle-ci ainsi qu’à chaque détenu ».
37. Les articles 187 à 205 du règlement pénitentiaire traitent des fonctions et méthodes de travail des comités. Aux termes de l’article 194, en particulier,
« 1. Le comité des visiteurs entend et examine la demande ou le grief dont un détenu désire le saisir; au besoin, il en rend compte au ministre en y joignant son avis. Ses membres ont libre accès à toutes les parties de la prison et à tous les détenus; ils peuvent à leur guise rencontrer tout détenu, soit dans sa cellule soit dans une salle hors de la vue et de portée de voix des gardiens.
2. Le comité des visiteurs consigne dans un registre ses constatations relatives à toutes les demandes et tous les griefs instruits par lui, ainsi que les résultats de toutes les visites et inspections effectuées dans la prison. »
L’article 50 § 4 (paragraphe 38 ci-dessous) autorise les détenus à écrire confidentiellement au comité des visiteurs. L’article 192 pose le principe que ce dernier « porte aussitôt à la connaissance du ministre toute circonstance relevant de l’administration de la prison qui lui semble exiger son examen ».
L’article 199 habilite le comité, « dans toute affaire d’une importance ou urgence particulières », à « consentir à un détenu une visite ou lettre supplémentaires ou à prolonger la durée d’une visite ». D’après l’article 203, avant d’accorder une autorisation (telle une visite supplémentaire) le comité consulte le directeur pour s’assurer qu’il peut le faire sans nuire à la sécurité, au bon ordre ou à la gestion de l’établissement.
3. Requête au ministre
38. Les détenus ont le droit de saisir le ministre de requêtes sur n’importe quel sujet, par exemple pour solliciter une permission que le directeur de la prison ne peut ou ne veut leur octroyer, ou pour s’en prendre aux conditions de détention. Aucune restriction ne frappe le nombre, ni la fréquence, des requêtes qu’ils peuvent lui envoyer sur une même question ou des questions différentes. Dans l’hypothèse où un détenu se plaint à lui d’une décision des autorités pénitentiaires, le ministre, s’il estime qu’elles ont mal interprété ou appliqué l’article du règlement ou l’instruction pertinents, leur donne des ordres afin d’en garantir le respect. Il peut s’écarter des instructions dans des cas particuliers, mais cela n’arrive sans doute que rarement, voire jamais, car elles ont pour but même d’assurer l’uniformité de pratique.
Aux termes de l’article 50 § 4 du règlement pénitentiaire,
« Tout détenu ayant manifesté à un gardien le désir d’écrire au ministre ou au comité des visiteurs une lettre de requête ou de doléance reçoit du papier à cet effet; le directeur veille à ce que pareille lettre soit postée sans retard. Si le détenu a choisi de clore l’enveloppe, le directeur ne doit pas l’ouvrir. »
L’instruction Jb. 1 précise qu’un détenu souhaitant adresser une requête au ministre doit en demander la permission au directeur qui ne peut la lui refuser.
4. Le médiateur
39. La loi de 1967 sur le médiateur habilite celui-ci à examiner les allégations de « mauvaise administration » dans les ministères. Il peut s’en trouver saisi par un député; depuis 1979, il accepte de déférer à un député, puis d’étudier, les plaintes que des particuliers, y compris des détenus, lui envoient directement. Il doit rendre compte de ses enquêtes tant au député concerné qu’au chef du ministère mis en cause et peut formuler les recommandations appropriées. Il rend aussi compte périodiquement de ses activités au Parlement. Toute entorse aux dispositions légales ou administratives régissant les établissements pénitentiaires peut constituer une mauvaise administration. Toutefois, la compétence du médiateur ne s’étend pas aux restrictions opérées dans l’exercice correct d’un pouvoir d’appréciation conféré par le règlement pénitentiaire ou les consignes du ministre. Il peut, si son enquête lui semble révéler une injustice résultant d’une mauvaise administration et qui n’a pas été ni ne sera redressée, déposer devant chaque chambre du Parlement un rapport spécial sur l’affaire. En pratique, le ministère incriminé s’efforce d’ordinaire de remédier à toute injustice constatée.
5. Recours en contrôle judiciaire
40. La manière dont les pouvoirs publics se prévalent des droits et s’acquittent des obligations prévus par la loi est susceptible de contrôle judiciaire. Les motifs y donnant ouverture sont en substance les mêmes en Écosse qu’en Angleterre et au pays de Galles (Brown v. Hamilton District Council, Scottish Law Times 1983, per Lord Fraser, p. 414). En particulier, l’usage d’un pouvoir discrétionnaire peut être contesté pour la raison que l’autorité concernée a témoigné d’arbitraire, d’irrationalité ou de mauvaise foi, poursuivi des buts illégitimes ou de quelque autre façon outrepassé ses prérogatives légales (voir par exemple la déclaration de Lord Diplock dans l’affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, Appeal Cases 1985, p. 410, et All England Law Reports 1984, vol. 3, pp. 950-951, citée dans l’arrêt Weeks du 2 mars 1987, série A no 114, p. 18, § 30).
Le Gouvernement a cité deux précédents, postérieurs aux circonstances du présent litige, comme exemples de décisions judiciaires sur la régularité du traitement de détenus eu égard aux pouvoirs et devoirs légaux des autorités pénitentiaires. Dans l’affaire Raymond v. Honey (Appeal Cases 1983, p. 1, et All England Law Reports 1982, vol. 1, p. 759), la Chambre des Lords a estimé que le règlement pénitentiaire anglais et les instructions pertinentes constitueraient un excès de pouvoir les rendant invalides s’ils entendaient restreindre le droit d’un détenu à saisir sans entraves les tribunaux, seul un texte législatif explicite pouvant le retirer. Dans l’affaire R. v. Deputy Governor of Camphill Prison, ex parte King (All England Law Reports 1984, vol. 3, p. 897), la Court of Appeal a jugé que la décision d’un directeur de prison en matière disciplinaire échappe au contrôle judiciaire. Si un détenu reproche à juste titre à un directeur d’avoir mal interprété un article du règlement pénitentiaire, le recours adéquat consiste pour lui à en référer au ministre; en cas de rejet de sa requête, l’intéressé peut attaquer la décision du ministre en sollicitant un contrôle judiciaire qui débouchera sur l’énoncé de la bonne interprétation (ibidem, pp. 902, 904 et 905).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
41. James et Sarah Boyle ont saisi la Commission le 4 mars 1981 (requête no 9659/82), Brian et John Rice le 15 janvier 1982 (requête no 9658/82).
42. Dans leur requête, M. et Mme Boyle prétendaient que pendant la période pertinente (paragraphe 12 ci-dessus), les faits suivants avaient entraîné des violations distinctes et cumulatives de leur droit, garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention, au respect de leur vie privée et familiale, de leur domicile et de leur correspondance:
1) le refus de l’administration d’autoriser M. Boyle à recevoir des visites à la prison de Saughton pendant plus d’une heure par mois;
2) son refus de lui permettre d’envoyer gratuitement plus d’une lettre par semaine;
3) la censure du courrier des requérants et la lecture de certaines de leurs lettres en public par des gardiens d’une manière extrêmement gênante et embarrassante pour les deux intéressés;
4) l’interdiction d’utiliser un téléphone à la prison de Saughton;
5) le refus de l’administration pénitentiaire, en juillet 1981, de poster une lettre de M. Boyle à un ami, M. McDougall;
6) le refus de le laisser se rendre chez lui autrement que dans le cadre d’une permission sous escorte spéciale empêchant toute intimité.
M. Boyle alléguait en outre que les faits énumérés ci-dessus, ainsi que l’impossibilité de téléphoner, de taper à la machine et de sculpter, enfreignaient aussi sa liberté d’expression protégée par l’article 10 (art. 10). Les deux requérants soulignaient également que les détenus du quartier spécial de Barlinnie ou de la prison ouverte de Penninghame jouissaient, en matière de visites et de correspondance, de conditions plus favorables que M. Boyle à la prison de Saughton; ils y voyaient une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) et de surcroît, dans le chef de M. Boyle, avec l’article 10 (art. 14+10). Ils affirmaient enfin ne disposer, nonobstant l’article 13 (art. 13), d’aucun recours effectif devant une « instance » nationale pour leurs autres griefs tirés de la Convention.
Par une lettre du 6 août 1982, M. Boyle a formulé plusieurs plaintes supplémentaires en invoquant les articles 8, 10 et 14 (art. 8, art. 10, art. 14).
43. De leur côté, les troisième et quatrième requérants se prétendaient victimes d’une violation de l’article 8 (art. 8) pendant la détention de Brian Rice à la prison de Saughton,
1) dans le chef de chacun d’eux car Brian Rice s’était vu refuser une permission pour raisons humanitaires afin de rendre visite à John Rice, son père, alors malade;
2) dans le chef de Brian Rice parce qu’il avait droit à douze visites seulement par an à la prison et que l’administration pénitentiaire avait soit retardé soit intercepté plusieurs lettres.
Brian Rice ajoutait que la restriction aux visites en prison portait atteinte à sa liberté de recevoir et communiquer des idées, au sens de l’article 10 (art. 10). Selon les deux requérants, la circonstance que le régime applicable dans les établissements de type ouvert se caractérisait, en matière de visites et de correspondance, par un libéralisme supérieur à celui de la prison de Saughton créait une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) et de surcroît, dans le chef de Brian Rice, avec l’article 10 (art. 14+10). D’après eux, enfin, en dépit de l’article 13 (art. 13) il n’existait aucun recours effectif devant une « instance » nationale quant aux griefs formulés dans leur requête.
44. Par une décision partielle du 5 mai 1983, la Commission avait ajourné l’examen des doléances de M. et Mme Boyle quant à leur correspondance et à l’article 13 (art. 13), mais rejeté le surplus de la requête pour défaut manifeste de fondement (article 27 § 2) (art. 27-2). Le 6 mars 1985, elle a retenu les plaintes concernant a) l’interception de la lettre à M. McDougall (sur le terrain de l’article 8) (art. 8) et b) l’absence alléguée de recours effectifs sur ce point et pour les autres griefs relatifs aux restrictions à la correspondance, à la limitation des visites à douze par an, à la surveillance imposée en vertu du système de « permission sous escorte spéciale » et aux différences entre les régimes pénitentiaires (sous l’angle de l’article 13) (art. 13); elle a déclaré le reliquat de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
45. Par une décision partielle du 5 mai 1983, la Commission a rejeté pour défaut manifeste de fondement la requête de Brian et John Rice, à l’exception du grief tiré de l’article 13 (art. 13), qu’elle a réservé pour plus ample examen puis retenu le 6 mars 1985.
46. Le 10 juillet 1985, elle a ordonné la jonction des deux requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur.
47. Dans son rapport du 7 mai 1986 (article 31) (art. 31), elle arrive aux conclusions suivantes:
– l’interception de la lettre de M. Boyle à une « personnalité des media » a méconnu l’article 8 (art. 8) (unanimité);
– il y a eu infraction à l’article 13 (art. 13) dans la mesure où tous les requérants se plaignent des limites aux visites à la prison (treize voix contre une) et quant au refus d’autoriser Brian Rice, pour des raisons humanitaires, à rendre visite à son père malade (unanimité);
– il n’y a eu violation de l’article 13 (art. 13) pour aucune des autres plaintes des requérants (unanimité pour quatre d’entre elles et treize voix contre une pour les deux restantes).
Le texte intégral de l’avis de la Commission et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
48. À l’audience du 18 mai 1987, le Gouvernement a invité la Cour
« à dire
1) que l’interception de la lettre de M. Boyle à M. McDougall a enfreint l’article 8 (art. 8) de la Convention;
2) qu’il n’y a violation de l’article 13 (art. 13) pour aucun des griefs des requérants;
3) qu’en raison de ces autres constatations, il échet de rejeter toute demande de satisfaction au titre de l’article 50 (art. 50). »
49. Dans leurs plaidoiries, les requérants ont maintenu en substance les conclusions de leur mémoire; elles priaient la Cour de souscrire aux alinéas 5, 7 et 9 du paragraphe 117 du rapport de la Commission mais d’en infirmer les alinéas 1 à 4, 6 et 8.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 8 (art. 8)
50. Selon M. Boyle, l’interception par le directeur de la prison, en juillet 1981, d’une lettre qu’il avait écrite à un ami auteur dramatique (paragraphes 15 et 42 ci-dessus) a violé l’article 8 (art. 8) de la Convention, aux termes duquel:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A l’époque, M. Boyle en avait référé au ministre pour l’Écosse, mais celui-ci avait écarté la requête au motif que la lettre, destinée à la publication ou à une diffusion à la radio ou la télévision, était « répréhensible » au regard des textes en vigueur (article 74 § 4 du règlement pénitentiaire et instruction Ic. 1(3) – paragraphes 22 et 25 ci-dessus). Le Gouvernement a concédé par la suite, devant la Commission puis la Cour, qu’on les avait appliqués à tort car la missive revêtait un caractère purement personnel et il aurait fallu l’acheminer. Dans ses conclusions, il reconnaît que l’interception a enfreint l’article 8 (art. 8) (paragraphe 48 ci-dessus).
La Cour s’accorde avec la Commission pour constater un manquement aux exigences de l’article 8 (art. 8).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
51. Les requérants se plaignent tous quatre de n’avoir disposé en droit écossais d’aucun recours effectif pour les divers griefs formulés par eux, sur le terrain de la Convention, au sujet des conditions de détention de James Boyle et Brian Rice à la prison de Saughton, à Édimbourg. Ils invoquent l’article 13 (art. 13) de la Convention, ainsi conçu:
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Introduction
52. La Cour a relevé que l’interception de l’une des lettres de M. Boyle a enfreint l’article 8 (art. 8) (paragraphe 50 ci-dessus). La Commission a déclaré irrecevables, pour défaut manifeste de fondement, toutes les autres plaintes dont les griefs des requérants au titre de l’article 13 (art. 13) tirent leur origine (article 27 § 2 de la Convention, paragraphes 44-45 ci-dessus) (art. 27-2).
Nonobstant son libellé, l’article 13 (art. 13) peut entrer en jeu même sans violation d’une autre clause – dite « normative » – de la Convention (arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 29, § 64). Il garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir – et donc de dénoncer le non-respect – des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés (voir l’arrêt Lithgow et autres du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 74, § 205, avec les références).
L’article 13 (art. 13) ne saurait cependant s’interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance, si injustifiée soit-elle, qu’un individu peut présenter sur le terrain de la Convention: il doit s’agir d’un grief défendable au regard de celle-ci (voir, en dernier lieu, l’arrêt Leander du 26 mars 1987, série A no 116, p. 29, § 77 a)).
53. Selon le Gouvernement, l’allégation d’un manquement aux exigences d’une clause normative de la Convention ne saurait passer pour plausible aux fins de l’article 13 (art. 13) si la Commission l’a déclarée « manifestement mal fondée ».
La Commission ne souscrit pas à cette thèse. D’après son délégué, pour décider du défaut manifeste de fondement, en vertu de l’article 27 § 2 (art. 27-2), elle utilise une série de critères qui englobent mais dépassent l’absence de plausibilité: un grief serait plausible pour peu qu’il « soulève sur le terrain de la Convention une question appelant un plus ample examen », alors qu’on peut conclure au défaut manifeste de fondement après de longues discussions écrites et orales.
54. Ainsi que l’a souligné l’arrêt Airey du 9 octobre 1979, un rejet pour « défaut manifeste de fondement » implique en somme « qu’il n’y a pas même l’apparence d’un grief justifié contre l’Étatdéfendeur » (série A no 32, p. 10, § 18). Or d’après le sens ordinaire des mots, on a peine à discerner comment une plainte « manifestement mal fondée » peut néanmoins se défendre et vice versa.
Un grief n’échappe pourtant pas à l’empire de l’article 13 (art. 13) par cela seul que la Commission l’a déclaré manifestement mal fondé sous l’angle de la clause normative invoquée. La décision de recevabilité rendue par la Commission fixe l’objet du litige porté devant la Cour (arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 63, § 157). La Cour ne saurait examiner au fond, au regard de l’article en cause, les plaintes écartées pour défaut manifeste de fondement, mais elle a compétence pour se prononcer sur celles que la Commission a retenues et qui lui ont été régulièrement déférées. Elle peut, de la sorte, connaître de toute question de fait ou de droit relative aux griefs dont elle se trouve saisie au titre de l’article 13 (art. 13) (ibidem), y compris le caractère défendable ou non des allégations d’infraction à des clauses normatives. Bien que non déterminante, la décision de la Commission sur la recevabilité des griefs de base fournit, par son dispositif et ses motifs, d’utiles indications sur leur défendabilité aux fins de l’article 13 (art. 13).
55. La Cour ne croit pas devoir donner une définition abstraite de la notion de défendabilité. Il y a lieu en revanche de rechercher, à la lumière des faits comme de la nature du ou des problèmes juridiques en jeu, si chaque allégation de violation à l’origine d’un grief présenté sur le terrain de l’article 13 (art. 13) pouvait se défendre et, dans l’affirmative, si les exigences de ce texte se trouvaient remplies pour elle.
B. Les différents griefs
1. Le grief de M. et Mme Boyle relatif à l’affranchissement des lettres
56. M. et Mme Boyle estimaient incompatibles avec leur droit au respect de leur correspondance, garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention, les restrictions que le premier d’entre eux avait subies à cause des règles sur le paiement des frais d’expédition des lettres de détenus (paragraphe 42 ci-dessus). D’après ces règles, l’affranchissement d’une lettre par semaine incombait aux autorités pénitentiaires et celui de missives supplémentaires pouvait se prélever sur le pécule, mais non sur les ressources financières générales de l’intéressé (paragraphe 23 ci-dessus). M. Boyle combattait cette dernière limitation: selon lui, son salaire en prison ne suffisait pas pour couvrir l’envoi d’autres lettres car il l’utilisait pour améliorer son régime végétarien (paragraphe 13 ci-dessus).
57. Dans sa décision finale du 6 mars 1987 sur la recevabilité, la Commission a rejeté pour défaut manifeste de fondement le grief tiré de l’article 8 (art. 8) sur ce point, les requérants n’ayant pas démontré que la correspondance de M. Boyle eût été gravement restreinte pour des raisons financières. Dans son rapport (paragraphes 89-90), elle estime non plausible, pour les besoins de l’article 13 (art. 13), l’allégation de violation de l’article 8 (art. 8).
58. La Cour aboutit à la même conclusion. En particulier, les dispositions relatives à l’affranchissement ne lui paraissent pas déraisonnables en soi. Rien ne donne non plus à penser que le régime végétarien fourni en prison à M. Boyle fût inadéquat, l’obligeant à consacrer son salaire à l’achat de nourriture et non à sa correspondance. Partant, on ne saurait constater aucune infraction à l’article 13 (art. 13) de ce chef.
2. Le grief de M. Brian Rice concernant l’expédition tardive ou l’interception de certaines de ses lettres
59. M. Brian Rice prétendait qu’au mépris de l’article 8 (art. 8), les autorités pénitentiaires avaient retardé ou intercepté diverses lettres (paragraphe 43 ci-dessus). Ses solicitors en avaient saisi le ministre pour l’Écosse en juillet 1981, mais il leur répondit que tout le courrier de leur client avait été posté (paragraphe 20 ci-dessus).
Dès lors et en l’absence de plus amples renseignements, la Commission, par sa décision partielle du 5 mai 1983 sur la recevabilité, a rejeté pour défaut manifeste de fondement le grief tiré de l’article 8 (art. 8), au motif qu’il ne s’appuyait sur aucune preuve. Elle estime de même, dans son rapport (paragraphe 88), que nul grief plausible ne se trouve établi pour les besoins de l’article 13 (art. 13).
60. Au vu des éléments du dossier, la Cour constate elle aussi l’absence de toute allégation défendable de violation de l’article 8 (art. 8). En conséquence, il n’y a pas eu infraction à l’article 13 (art. 13) quant au grief dont il s’agit.
3. Le grief de M. et Mme Boyle relatif au filtrage de la correspondance
61. M. et Mme Boyle se plaignent que pendant le séjour du premier à la prison de Saughton, sa correspondance était lue ou filtrée par le censeur de l’établissement en vertu des règles en vigueur tandis qu’auparavant, au quartier spécial de Barlinnie, il pouvait écrire et recevoir du courrier sans contrôle (paragraphes 10, 14, 22, 24, 31 et 42 ci-dessus).
En rejetant ce grief pour défaut manifeste de fondement (décision finale du 6 mars 1985 sur la recevabilité), la Commission a réaffirmé sa jurisprudence selon laquelle la simple surveillance de la correspondance des détenus se justifie en principe au regard du paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2). Rappelant le même principe dans son rapport (paragraphes 91-92), elle n’estime pas qu’il y eût là un grief plausible sous l’angle de la Convention.
62. De son côté, la Cour a reconnu dans de précédents arrêts qu’un certain contrôle de la correspondance des détenus se recommande et ne se heurte pas en soi à la Convention (voir par exemple l’arrêt Silver et autres du 25 mars 1983, série A no 61, p. 38, § 98). M. Boyle avait assurément bénéficié, durant plus de sept ans avant son transfert à la prison de Saughton, du régime plus libéral du quartier spécial de Barlinnie; toutefois, celui-ci devait servir un objectif propre à une catégorie particulièrement difficile mais restreinte de détenus (paragraphe 32 ci-dessus). M. Boyle le quitta pour suivre un programme préparatoire à l’élargissement et les facteurs qui dictèrent le choix de Saughton étaient raisonnables en soi (paragraphe 11 ci-dessus). La circonstance qu’il lui fallut subir sa peine à Saughton selon les mêmes modalités que ses codétenus ne prête pas à critique.
Avec la Commission, la Cour conclut donc que nulle allégation défendable de violation de l’article 8 (art. 8) ne se trouve établie de ce chef. Partant, elle ne constate aucune infraction à l’article 13 (art. 13) quant au grief dont il s’agit.
4. Le grief de M. et Mme Boyle concernant la lecture à haute voix du courrier du premier
63. Le gardien chargé de la censure aurait parfois lu à haute voix le courrier de M. Boyle en présence d’autres détenus, d’une manière gênante et embarrassante pour l’intéressé et sa femme (paragraphes 14 et 42 ci-dessus). Le Gouvernement dément cette assertion et souligne qu’à l’époque M. Boyle ne se plaignit pas du comportement du censeur auprès du directeur de la prison (paragraphe 14 ci-dessus).
64. Par sa décision finale du 6 mars 1985 sur la recevabilité, la Commission a relevé l’absence d’éléments prouvant que le contrôle de la correspondance des requérants n’eût pas respecté leurs droits au titre de l’article 8 (art. 8). Elle a rejeté le grief pour défaut manifeste de fondement.
Dans son rapport (paragraphes 93-95), elle n’estime pas nécessaire de rechercher si l’allégation était ou non plausible pour les besoins de l’article 13 (art. 13). Notant que celle-ci visait l’application des normes pertinentes, elle conclut à la non-violation de l’article 13 (art. 13) car une requête au ministre pour l’Écosse aurait constitué en la matière un recours effectif.
65. Quand bien même la plainte relative à l’article 8 (art. 8) se défendrait aux fins de l’article 13 (art. 13), ce que le Gouvernement conteste, la Cour souscrit à l’opinion de la Commission. La conduite dénoncée par les requérants aurait sans doute représenté un abus du pouvoir de « lire » la correspondance, conféré par le règlement pénitentiaire (article 74 § 4, paragraphe 22 ci-dessus). Elle aurait certainement contrevenu aux instructions aux termes desquelles « en aucun cas le contenu d’une lettre à un prisonnier ne doit être mentionné à portée de voix d’un autre prisonnier » (instruction Ic. 4(9), paragraphe 24 ci-dessus). Quoique les instructions ne fussent pas publiques à l’époque, une plainte au directeur de la prison et, au besoin, une requête au ministre (paragraphes 21, 35 et 38 ci-dessus) eussent assuré un recours interne effectif (voir aussi l’arrêt Silver et autres précité, série A no 61, p. 43, § 116, et l’arrêt Leander précité, série A no116, pp. 31-32, §§ 83-84).
Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13) de ce chef.
5. Le grief de M. Boyle relatif à l’interception d’une lettre
66. Les faits à l’origine de ce grief sont ceux que la Cour a jugés contraires à l’article 8 (art. 8) (paragraphe 50 ci-dessus).
67. La question litigieuse concernait l’application des règles en vigueur; elle pouvait donc donner lieu – et donna lieu (paragraphe 15 ci-dessus) – à une requête au ministre. Le fait que celui-ci rejeta le recours – à tort, le Gouvernement le concède aujourd’hui – ne saurait à lui seul en établir l’inefficacité (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives du 6 février 1976, série A no 20, p. 18, § 50). La Cour approuve sur ce point le rapport de la Commission.
En outre M. Boyle aurait pu, comme l’indique le Gouvernement, réitérer sa requête (paragraphe 38 ci-dessus) en précisant qu’en réalité sa lettre ne tombait pas sous le coup de la prohibition générale édictée par le règlement. De surcroît ou à défaut, il aurait pu introduire une demande de contrôle judiciaire au motif que la décision du ministre était déraisonnable parce que reposant sur une erreur manifeste (paragraphe 40 ci-dessus).
En conséquence, les recours qui s’ouvraient à lui quant à ce grief suffisaient pour remplir les conditions de l’article 13 (art. 13), lequel n’a donc pas été enfreint.
6. Le grief des requérants relatif à leurs droits limités en matière de visites
68. James et Sarah Boyle, de même que Brian Rice, allèguent une violation de l’article 8 (art. 8) en raison du nombre limité des visites auxquelles ils avaient droit et qu’ils ont reçues en vertu des dispositions pertinentes, notamment l’article 74 § 2 du règlement pénitentiaire et l’instruction Ic. 7 et 8 (paragraphes 16, 19, 22, 26, 42 et 43 ci-dessus).
Ainsi que leur conseil l’a précisé à l’audience devant la Cour, ils n’affirmaient pas que leur cas revêtît une « importance ou urgence particulières » justifiant une visite supplémentaire à tel ou tel moment. Comme l’admet le Gouvernement, le pouvoir du comité des visiteurs d’autoriser une visite supplémentaire ou plus longue dans des circonstances exceptionnelles (article 199 du règlement pénitentiaire, paragraphe 37 ci-dessus) n’entre donc pas ici en ligne de compte.
Les requérants ne se prétendaient pas non plus privés de ce à quoi ils avaient droit: ils avançaient que la norme en vigueur était inadéquate parce qu’elle accordait seulement douze visites annuelles d’une heure chacune.
69. Dans ses décisions partielles du 5 mai 1983 sur la recevabilité des deux requêtes, la Commission a rappelé sa jurisprudence: l’article 8 (art. 8) de la Convention ne va pas jusqu’à exiger que les prisons octroient aux détenus des possibilités illimitées de visites.
70. Quant aux faits de la première cause, la Commission a estimé que Brian Rice ayant bénéficié de permissions sans escorte pour fréquenter un collège et accomplir un travail d’intérêt général (paragraphe 19 in fine ci-dessus), on ne pouvait dire qu’il eût été lésé dans ses contacts avec le monde extérieur. Rien n’établissait non plus que la restriction générale des visites eût entravé ses relations effectives avec ses proches parents à l’exception de son père malade. Enfin, il avait lui-même déclaré préférer, parce qu’il voulait y suivre des cours, la prison de Saughton à la prison ouverte de Penninghame, au régime pourtant plus favorable en matière de visites (paragraphe 18 ci-dessus). Dès lors, la Commission a déclaré manifestement mal fondé le grief tiré de l’article 8 (art. 8).
71. Quant à la seconde affaire, la Commission a noté dans sa décision partielle du 5 mai 1983 sur la recevabilité que M. Boyle avait pleinement conscience des avantages de la prison de Saughton pour le programme préparatoire à sa libération, au point de solliciter son placement dans un établissement d’Édimbourg plutôt que dans une prison plus « ouverte » comme Penninghame (paragraphe 11 ci-dessus). Il n’avait d’ailleurs subi ces restrictions que durant son séjour de treize mois environ à la prison de Saughton et pendant cette période il avait bénéficié de visites chez lui, sous la forme de permissions sous escorte spéciale (paragraphes 12 et 16 ci-dessus). La Commission a néanmoins reconnu que la répugnance des autorités à user de leur pouvoir discrétionnaire, en vertu du règlement pénitentiaire, pour consentir à M. Boyle de plus fréquentes rencontres avec sa femme n’avait pas manqué de susciter en lui un ressentiment considérable. Tout bien considéré, elle a néanmoins estimé que la manière dont l’administration avait pesé, d’un côté, les intérêts de M. Boyle et la vie familiale des deux requérants, de l’autre les impératifs d’une bonne gestion et de la sécurité, n’était pas assez déraisonnable pour entraîner une ingérence contraire à l’article 8 (art. 8). Elle a donc rejeté pour défaut manifeste de fondement le grief tiré de cet article (art. 8).
72. Dans son rapport (paragraphe 100), elle l’analyse comme dirigé pour l’essentiel contre les possibilités restreintes de visites résultant des règles en vigueur, et non contre l’application de celles-ci. Selon elle, il s’agit d’une allégation plausible et pour laquelle n’existait aucun recours effectif. Elle conclut donc à la violation de l’article 13 (art. 13).
73. A l’époque, les dispositions édictées par le ministre laissaient en pratique aux directeurs d’établissement la latitude de modifier la fréquence et la durée des visites en prison, à condition que le nombre total d’heures ne tombât pas au-dessous du minimum – trois visites d’une demi-heure tous les deux mois – prescrit par les instructions (article 74 § 2 du règlement pénitentiaire et instruction Ic. 7 et 8, paragraphes 22 et 26 ci-dessus). C’est l’arrangement adopté pour la prison de Saughton qui prévoyait une visite d’une heure par mois (paragraphe 26 ci-dessus).
74. Pour préciser les obligations que les États contractants assument en vertu de l’article 8 (art. 8) en matière de visites en prison, il faut avoir égard aux exigences normales et raisonnables de l’emprisonnement et à l’étendue de la marge d’appréciation à réserver en conséquence aux autorités nationales lorsqu’elles réglementent les contacts d’un détenu avec sa famille (arrêt Silver et autres précité, série A no 61, p. 38, § 98). Cela étant, les requérants ne présentent pas un grief défendable pour autant qu’ils jugent contraire à l’article 8 (art. 8) d’accorder aux condamnés détenus en général ou même à ceux, comme eux, de la catégorie à plus faible risque, douze visites d’une heure par an seulement. On ne saurait donc constater une infraction à l’article 13 (art. 13) de ce chef.
75. En revanche et nonobstant les termes des normes en vigueur, la situation spéciale d’un détenu peut soulever sur le terrain de l’article 8 (art. 8) une question sérieuse quant aux visites.
Certes, les requérants n’ont allégué ni l’existence d’une circonstance assez importante ou urgente pour légitimer l’intervention du comité des visiteurs, ni une fausse application du règlement pénitentiaire ou des instructions par les autorités. Dans ses décisions sur la recevabilité, la Commission semble pourtant avoir interprété leur thèse comme consistant, au moins en partie, à reprocher à la direction de ne pas avoir usé en leur faveur de son pouvoir discrétionnaire pour élever leurs droits à des visites à un niveau qui leur assurât des contacts adéquats avec leur famille (paragraphes 70-71 ci-dessus). La défendabilité de pareille plainte pour violation de l’article 8 (art. 8) inspire à la Cour de grandes hésitations, notamment pour les raisons indiquées dans lesdites décisions et aussi parce qu’il se justifie d’ordinaire, on doit le reconnaître, d’imposer aux détenus un régime uniforme évitant toute apparence d’arbitraire ou de discrimination.
Quoi qu’il en soit, dans la mesure où l’insuffisance prétendue des possibilités de visites découlait d’une décision du directeur de la prison de Saughton, un recours s’ouvrait sous la forme d’une requête au ministre, renforcée au besoin par une demande de contrôle judiciaire (paragraphes 38 et 40 ci-dessus). Les solicitors des intéressés saisirent du reste le ministre (paragraphes 16, 17 et 20 ci-dessus); l’échec de leurs démarches ne saurait en soi établir l’inefficacité du mode de redressement que représentait en la matière une requête à ce dernier (paragraphe 67 ci-dessus).
76. De quelque manière que l’on comprenne le grief des requérants, il n’y a donc pas eu violation de l’article 13 (art. 13) de ce chef.
7. Le grief de M. et Mme Boyle relatif aux permissions sous escorte spéciale
77. M. et Mme Boyle dénoncent aussi le refus de laisser le premier d’entre eux se rendre chez lui autrement qu’au titre des permissions sous escorte spéciale, qui impliquaient la surveillance constante d’un gardien (paragraphes 16, 28 et 42 ci-dessus).
Par sa décision partielle du 5 mai 1983 sur la recevabilité, la Commission a rejeté le grief pour défaut manifeste de fondement au motif que de telles visites surveillées ne constituaient pas une ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale, au sens de l’article 8 (art. 8). Dans son rapport, elle exprime des doutes sur la plausibilité de la doléance car la Convention ne garantit pas à un détenu le droit à recouvrer sa liberté pour des congés au foyer de ce genre (paragraphe 103). En tout cas, conclut-elle, une requête au ministre aurait fourni un recours effectif puisque le système et les conditions restrictives dont il s’accompagnait résultaient d’un texte émanant du directeur de la prison de Saughton.
78. A supposer même qu’il s’agisse d’un grief défendable, la Cour considère elle aussi comme un recours effectif une requête au ministre, compétent pour examiner tant les modalités du système que les décisions individuelles d’application arrêtées par le directeur (paragraphe 38 ci-dessus). Là encore, l’échec des démarches des solicitors des requérants auprès du ministre (paragraphe 17 ci-dessus) n’y change rien.
Il n’y a donc pas eu infraction à l’article 13 (art. 13) de ce chef.
8. Le grief de Brian et John Rice relatif aux permissions pour raisons humanitaires
79. Invoquant l’article 8 (art. 8), Brian et John Rice reprochent au ministre d’avoir refusé en mai 1981 d’autoriser le premier d’entre eux, pour des raisons humanitaires, à rendre visite au second, son père, chroniquement malade et incapable de se déplacer pour aller le voir en prison (paragraphes 18, 19 et 43 ci-dessus). La demande de Brian Rice s’adressait au ministre (paragraphe 38 ci-dessus); celui-ci la repoussa parce qu’au vu du dossier elle ne remplissait pas l’une des conditions fixées par les instructions, à savoir l’existence d’une maladie grave du parent concerné (instruction Jc. 3, paragraphe 27 ci-dessus). Par la bouche de leur conseil, les intéressés ont précisé qu’ils ne se plaignent pas d’une mauvaise application de l’instruction en cause par le ministre, mais du contenu restrictif de la norme elle-même.
80. Dans sa décision partielle du 5 mai 1983 sur la recevabilité, la Commission a relevé que Brian Rice avait bénéficié d’une visite à domicile en août 1980 et qu’avant le début de son « apprentissage de la liberté », en septembre 1981, il avait passé cinq jours chez lui (paragraphe 19 in fine ci-dessus). Eu égard au travail administratif entraîné par l’organisation de telles permissions au foyer, elle n’a estimé ni déraisonnable, ni incompatible avec les principes inhérents à l’article 8 (art. 8), l’exigence d’une maladie grave d’un proche parent. Dans les circonstances de la cause, elle n’a pu constater aucune atteinte au droit des requérants au respect de leur vie familiale, de sorte qu’elle a rejeté pour défaut manifeste de fondement le grief tiré de l’article 8 (art. 8).
Dans son rapport (paragraphes 105-108), en revanche, la Commission considère que l’allégation de violation de l’article 8 (art. 8) était plausible et que, dirigée à la fois contre la décision du ministre et contre les termes de l’instruction, elle ne se prêtait à aucun recours effectif. Elle conclut donc à la violation de l’article 13 (art. 13) sur ce point.
81. Comme pour les visites en prison, il y a lieu d’avoir égard à la marge d’appréciation dont les autorités nationales jouissent pour réglementer les contacts d’un détenu avec sa famille (paragraphe 74 ci-dessus). Cela posé, la condition litigieuse à laquelle les instructions subordonnaient l’octroi d’une permission pour motifs humanitaires ne saurait, aux yeux de la Cour, servir de base à une allégation défendable de violation de l’article 8 (art. 8).
82. On ne saurait non plus raisonnablement affirmer qu’à la lumière de la situation personnelle des deux intéressés, le refus de leur accorder une « exception » (voir la lettre citée au paragraphe 19 ci-dessus) était de nature à soulever une question sérieuse sur le terrain de l’article 8 (art. 8). Ainsi, nul n’a jamais prétendu que la demande de Brian Rice n’ait pas été correctement examinée. Parmi les autres facteurs pertinents figurent la proximité de son transfert en « apprentissage de la liberté », les possibilités de congés au foyer que ménageait ce régime, celles dont le requérant avait bénéficié auparavant au titre du système de permissions sous escorte spéciale et le conseil, à lui donné par les autorités pénitentiaires, d’introduire une nouvelle demande si l’état de son père empirait dans l’intervalle (paragraphes 19, 20, 28 et 33 ci-dessus).
83. Dès lors, la Cour ne constate aucune infraction à l’article 13 (art. 13) de ce chef.
9. Le grief des requérants relatif aux différences entre les régimes pénitentiaires
84. Les requérants se plaignaient tous les quatre de ce que le régime des visites et de la correspondance était moins favorable à la prison de Saughton qu’au quartier spécial de Barlinnie ou dans un établissement ouvert (pour les faits, voir les paragraphes 9-33 ci-dessus et en particulier les paragraphes 31-32). Ils y voyaient une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec l’article 8 et avec l’article 10 (art. 14+8, art. 14+10), lequel protège le droit à la liberté d’expression (paragraphes 42-43 ci-dessus). Aux termes de l’article 14 (art. 14),
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
85. La Commission a rejeté pour défaut manifeste de fondement le grief tiré de l’article 14 (art. 14): la différence de traitement litigieuse lui a semblé puiser une justification objective et raisonnable dans la diversité des impératifs de sécurité valables pour chaque type de prison (décisions partielles du 5 mai 1983 sur la recevabilité).
Dans son rapport (paragraphes 109-112), elle estime que le grief ne pose pas même l’apparence d’un problème sur le terrain de l’article 14 (art. 14) et ne peut donc passer pour plausible aux fins de l’article 13 (art. 13).
86. La Cour juge elle aussi évident qu’en principe, on ne saurait sérieusement attribuer à ladite différence de traitement un caractère discriminatoire au regard de l’article 14 (art. 14).
Elle ne peut pourtant examiner la question sans prendre en compte la situation personnelle des requérants. M. et Mme Boyle, en particulier, ont dû trouver déplaisant le retour aux contraintes d’un régime pénitentiaire classique après avoir profité pendant plusieurs années du régime plus libéral du quartier spécial de Barlinnie (paragraphe 10 ci-dessus). Toutefois, le seul établissement « ouvert » existant, Penninghame, n’offrait qu’un nombre de places limité (paragraphe 31 ci-dessus). En outre, James Boyle comme Brian Rice avaient déclaré préférer suivre à la prison de Saughton leur formation préparatoire à leur élargissement (paragraphes 11 et 18 ci-dessus). Tous les détenus y subissaient le même traitement, y compris ceux qui, tels les deux intéressés, relevaient de la catégorie D comme présentant le moins de risques (ibidem). Aux yeux de la Cour, ni les critères régissant le choix de la prison de Saughton pour la dernière phase de la peine des deux requérants (ibidem) ni les conditions dans lesquelles y ont vécu ceux-ci ne pouvaient fonder l’allégation d’une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14).
En conséquence, aucun grief défendable sous l’angle de ce texte ne se trouve établi, de sorte que là encore la Cour conclut à l’absence d’infraction à l’article 13 (art. 13).
C. Conclusion
87. Devant la Cour, on a beaucoup discuté des obligations découlant de l’article 13 (art. 13) dans les cas où la plainte vise le contenu des normes nationales en vigueur – telles que les édictent les lois adoptées au Parlement (primary legislation), la législation déléguée ou les directives administratives internes – et non leur application. On a notamment débattu du point de savoir si l’article 13 (art. 13) astreint un État contractant à ménager un recours permettant à quelqu’un de contester une législation déléguée (voir l’arrêt Lithgow et autres précité, série A no102, p. 74, § 206, qui parle de « lois » (laws) et concerne une législation votée au Parlement); on a aussi plaidé sur la nature du recours exigé par l’article 13 (art. 13) quand les normes nationales pertinentes cadrent elles-mêmes pleinement avec les clauses normatives de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Silver et autres précité, série A no 61, p. 44, § 118, et l’arrêt James et autres du 21 février 1986, série A no 98, p. 48, § 86).
Vu ses constatations relatives aux diverses doléances des requérants, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner en l’espèce ces questions d’interprétation.
88. En conclusion, les faits de la cause ne révèlent d’infraction à l’article 13 (art. 13) pour aucun des griefs des intéressés.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
89. À titre de satisfaction équitable, les requérants sollicitent le remboursement des frais et dépens assumés par eux pour revendiquer les droits que leur garantit la Convention. Aux termes de l’article 50 (art. 50),
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable ».
Les intéressés ne réclament rien pour préjudice subi, matériel ou moral. Leurs prétentions pour frais et dépens, dont ils ont fourni le détail, atteignent 35.194 £ 83 au total (17.838 £ 90 pour James et Sarah Boyle, 17.355 £ 93 pour Brian et John Rice). Elles concernent l’ensemble de leurs griefs, tirés des clauses normatives de la Convention ou de l’article 13 (art. 13), et tant les démarches accomplies en Écosse que la procédure devant les organes de Strasbourg.
90. Le Gouvernement ne combat pas la demande dans son principe, mais d’après lui les sommes à octroyer devraient correspondre aux seuls griefs qui auraient débouché sur un constat de violation.
91. La Cour n’a relevé d’infraction à la Convention que sur un point non controversé: l’interception, contraire à l’article 8 (art. 8), de la lettre de M. Boyle à M. McDougall en juillet 1981, soit quelques mois après la saisine de la Commission par M. et et Mme Boyle (paragraphes 15, 41 et 50 ci-dessus). Les autres doléances des requérants ont toutes été déclarées irrecevables par la Commission (paragraphes 42-45 ci-dessus) ou rejetées au fond par le présent arrêt.
Dès lors, la Cour estime que Brian et John Rice n’ont droit à aucun remboursement; quant à James et Sarah Boyle, le recouvrement ne saurait porter que sur une fraction des frais et dépens entraînés par leur défense (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Johnston et autres du 18 décembre 1986, série A no 112, p. 33, § 86, et l’arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 18 octobre 1982, série A no 54, p. 10, § 21). Statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), la Cour alloue à M. Boyle 3.000 £, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef de M. James Boyle;
2. Dit qu’il n’y a eu aucune infraction à l’article 13 (art. 13);
3. Dit que le Royaume-Uni doit payer à M. James Boyle, pour frais et dépens, la somme de 3.000 £ (trois mille livres) plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée;
4. Rejette les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 27 avril 1988.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de M. De Meyer.
R.R.
M.-A. E.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER
Tout en souscrivant au résultat pratique de cet arrêt, je dois exprimer certaines réserves.
I. Selon moi, on ne saurait exiger qu’un grief soit « défendable » pour mériter un recours comme celui visé à l’article 13 (art. 13) de la Convention[1].
En principe, pareil recours doit être ouvert à toute personne qui croit, pour quelque raison que ce soit, que l’un de ses droits fondamentaux a été violé[2]. La question de savoir si le grief est ou n’est pas défendable doit alors être examinée par l’ »instance » dont il s’agit et ultérieurement, le cas échéant, par la Commission et par nous-mêmes.
En pratique, toutefois, la question de savoir si « un recours effectif devant une instance nationale » existe ou n’existe pas ne doit être prise en considération par nous que si nous constatons que le droit prétendument violé a été vraiment « violé »[3].
L’absence d’un tel recours constitue dans ce cas une circonstance aggravante de la violation.
On peut penser que le libellé de l’article 13 (art. 13) exprime en quelque sorte cette idée puisqu’il se réfère à des droits qui « ont été violés » et non, comme l’article 24 (art. 24), à « tout manquement » aux dispositions de la Convention qu’une Partie contractante « croira pouvoir être imputé » à une autre Partie ni, comme l’article 25 (art. 25), à une personne physique, une organisation ou un groupe « qui se prétend victime d’une violation » de ses droits.
Si nous décidons que le droit en cause n’a pas été violé, l’absence d’un recours comme celui visé à l’article 13 (art. 13) n’a plus de signification pratique[4].
II. Comme je l’ai déjà dit dans une opinion séparée concernant l’affaire W. contre le Royaume-Uni[5], je ne suis pas convaincu que « la décision de la Commission sur la recevabilité [délimite] le cadre du litige dont [la Cour] se trouve saisie »[6].
A mes yeux, nous devons prendre chaque affaire dont nous sommes saisis dans son ensemble, avec toutes les questions de fait et de droit qu’elle pose.
En l’espèce, toutefois, il me semble que, à l’exception du grief relatif à l’interception de la lettre écrite par M. Boyle à M. McDougall en juillet 1981[7], les recours des requérants étaient, pour ce qui est des droits définis à l’article 8 (art. 8) de la Convention, mal fondés, peut-être pas « manifestement », comme l’a décidé la Commission[8], mais mal fondés de toute manière.
Conformément au raisonnement exposé ci-dessus, dans la partie I de la présente opinion, il ne s’imposait donc pas, dans cette même mesure, de les examiner aussi sous l’angle de l’article 13 (art. 13).
Quant au grief relatif à l’interception de la lettre que je viens de mentionner, j’admets que des recours suffisants existaient[9]. Mais comme ce grief n’a pas été porté devant les tribunaux écossais[10], on peut penser qu’il eût dû être déclaré irrecevable en application de l’article 26 (art. 26) de la Convention.
[*] Note du greffier: L’affaire porte le numéro 19/1986/117/165-166. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l’année d’introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
[1] Paragraphe 52 de l’arrêt.
[2] Arrêt du 6 septembre 1978 dans l’affaire Klass et autres, série A n° 28, p. 29, § 64.
[3] Dans cette mesure, je suis en désaccord avec ce qui est dit dans l’arrêt Klass et autres, au paragraphe 65.
[4] Certes, à une phase antérieure de la procédure, elle revêt quelque importance pour l’application de l’article 26 (art. 26) car on voit mal comment un recours non existant devrait être « épuisé ».
[5] Série A n° 121, p. 42.
[6] Paragraphe 54 de l’arrêt en l’espèce.
[7] Paragraphe 15 de l’arrêt.
[8] Paragraphes 44 et 45 de l’arrêt.
[9] Paragraphes 66 et 67 du présent arrêt.
[10] Paragraphe 40 de l’arrêt.