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CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga contre Espagne, n° 62543/00

Citer : Revue générale du droit, 'CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga contre Espagne, n° 62543/00, ' : Revue générale du droit on line, 2004, numéro 57207 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=57207)


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Décision citée par :
  • Christophe De Bernardinis, B. Le juge constitutionnel et les droits fondamentaux consacrés par la ConvEDH


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE GORRAIZ LIZARRAGA ET AUTRES c. ESPAGNE
(Requête no 62543/00)

ARRÊT
STRASBOURG
27 avril 2004

DÉFINITIF
10/11/2004


En l’affaire Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section),
siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas BRATZA, président,
MM. M. PELLONPÄÄ,
A. PASTOR RIDRUEJO,
J. CASADEVALL,
S. PAVLOVSCHI,
L. GARLICKI,
M me E. FURA-SANDSTRÖM, juges,
et de M. M. O’BOYLE, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 novembre 2003 et
23 mars 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 62543/00) dirigée
contre le Royaume d’Espagne et dont cinq ressortissants de cet Etat,
M. Mateo Cruz Gorraiz Lizarraga, Mme Catalina Echamendi Erro,
M. Francisco Javier Gorraiz Echamendi, M. Miguel Jesús Gorraiz
Echamendi et M. Fermín Luis Gorraiz Echamendi (« les requérants »),
ainsi que l’association Coordinadora de Itoiz (« l’association requérante »),
ont saisi la Cour le 12 septembre 2000 en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés
fondamentales (« la Convention »).


2. Les requérants étaient représentés par Me M.J. Beaumont-Aristu et
Me J.L. Beaumont-Aristu, avocats à Pampelune et à Madrid. Le
gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») était représenté par son
agent, M. J. Borrego Borrego, chef du service juridique des droits de
l’homme au ministère de la Justice jusqu’au 31 janvier 2003. Il est
représenté depuis cette date par M. I. Blasco Lozano, nouvel agent du
Gouvernement et chef du service juridique des droits de l’homme au
ministère de la Justice.


3. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants alléguaient
que, dans le cadre de la procédure judiciaire entamée par eux contre la
construction du barrage d’Itoiz, leur cause n’avait pas été entendue
équitablement, dans la mesure où ils s’étaient vu refuser le droit de prendre
part à la procédure relative au renvoi préjudiciel en inconstitutionnalité de
la loi autonome no 9/1996 du 17 juin 1996, alors que l’avocat de l’Etat et le
ministère public avaient pu présenter leurs observations devant le Tribunal
constitutionnel.
Ils se plaignaient également que l’adoption de la loi autonome en
question eût visé à empêcher l’exécution d’un arrêt du Tribunal suprême
devenu ferme et définitif. D’après eux, l’adoption de cette loi a porté
atteinte à leur droit à un procès équitable au regard de l’article 6 § 1 et,
pour les cinq premiers requérants (personnes physiques), à leur droit au
respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile protégé par
l’article 8 de la Convention, ainsi qu’à leur droit au respect de leurs biens
garanti par l’article 1 du Protocole no 1.


4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour
(article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée
d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée
conformément à l’article 26 § 1 du règlement.


5. Par une décision du 14 janvier 2003, la chambre a déclaré la requête
recevable tout en réservant les questions préliminaires du Gouvernement
concernant l’absence de qualité de « victime » des cinq premiers
requérants, le non-épuisement par ceux-ci des voies de recours internes, et
l’exception d’inapplicabilité de l’article 6 § 1 à la procédure engagée par
l’association requérante.


6. Le 1er avril 2003, la chambre a décidé, eu égard aux circonstances de
l’espèce, de rejeter une demande d’application de l’article 39 du règlement,
présentée par les requérants.
7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des
observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).


EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Les cinq premiers requérants sont des personnes physiques ;
ressortissants espagnols, ils résident à Itoiz (Navarre). Le troisième d’entre
eux est également le président et le représentant légal de la sixième
requérante, l’association Coordinadora de Itoiz. Les premier, deuxième,
quatrième et cinquième requérants sont membres de l’association.


A. Genèse de l’affaire
9. A l’origine de la présente affaire se trouve un projet technique de
février 1989 concernant la construction à Itoiz (province de Navarre) d’un
barrage impliquant l’inondation de trois réserves naturelles et de plusieurs
petits villages, dont Itoiz, où résident les requérants. Le nombre total de

propriétaires affectés par la construction du barrage est d’après le
Gouvernement de 159, dont 13 habitant à Itoiz même. 

10. Le 6 mai 1988 fut créée l’association Coordinadora de Itoiz, dont
l’objet, selon ses statuts, est notamment de « coordonner les efforts de ses
membres pour s’opposer à la construction du barrage d’Itoiz et de militer
pour un autre choix de vie sur le site, de représenter et défendre la zone
touchée par ce barrage ainsi que ses intérêts devant toute instance et à tous
les niveaux – local, provincial, national ou international –, ainsi que de
faire prendre conscience à l’opinion publique des impacts de cet ouvrage ».
Par un arrêté ministériel du 2 novembre 1990, le ministère des Travaux
publics adopta le projet de construction du barrage d’Itoiz.


B. Recours contentieux-administratif devant l’Audiencia Nacional
11. En 1991, les villages concernés par le barrage ainsi que
l’association requérante saisirent l’Audiencia Nacional d’un recours
contentieux-administratif contre l’arrêté ministériel du 2 novembre 1990.
Ce recours se fondait sur plusieurs motifs d’illégalité entachant d’après eux
la procédure d’information publique relative au projet de barrage, sur le
fait que ce dernier avait été adopté sans approbation préalable des plans
hydrologiques de chaque bassin fluvial et du plan national, et sur l’absence
d’intérêt public ou social du projet. Ils soutenaient également que le projet
portait atteinte à la législation sur la protection de l’environnement, en
l’absence d’étude sur ses répercussions au niveau écologique. Enfin,
l’attention du tribunal était attirée sur l’impact du projet sur les réserves
naturelles et sur l’habitat de la zone concernée, à la lumière des
recommandations du Conseil de l’Europe relatives à la construction
d’ouvrages sur la chaîne pyrénéenne et de la politique agricole commune
de l’Union européenne.

12. Par un arrêt du 29 septembre 1995, l’Audiencia Nacional fit
partiellement droit au recours en estimant notamment que le projet de
barrage aurait dû se fonder, juridiquement, sur le plan hydrologique
national, lequel était inexistant au moment de l’approbation de l’ouvrage.
Le tribunal accueillit également la demande concernant la détermination
précise des bandes de protection des réserves affectées par le barrage ainsi
que l’exploitation de carrières nécessaires à la construction de l’ouvrage.

13. L’association requérante sollicita l’exécution provisoire de l’arrêt, et
notamment la suspension des travaux de construction du barrage. Par une
décision du 24 janvier 1996, l’Audiencia Nacional fit droit à la demande de
suspension tout en prenant les mesures nécessaires pour assurer la fin des
travaux entamés ainsi que la conservation et la sécurité des travaux déjà
effectués, sous réserve du versement d’une caution par l’association
requérante.

14. Toutes les parties au procès présentèrent des recours de súplica
contre la décision du 24 janvier 1996. Dans le cadre de l’exécution
provisoire de son arrêt du 29 septembre 1995, et notamment en vue de
préserver les bandes de protection des trois réserves naturelles touchées
par le projet, l’Audiencia Nacional prohiba par une décision du 6 mars
1996 le remplissage du barrage ainsi que le déplacement de la population
concernée.


C. Adoption par la communauté autonome de Navarre de la loi
autonome no 9/1996
15. Le 17 juin 1996, l’assemblée législative de la communauté
autonome de Navarre (parlamento foral de Navarra) adopta la loi
autonome (foral) no 9/1996 (« la loi autonome de 1996 ») relative aux
espaces naturels de Navarre. Cette loi modifia la loi autonome no 6/1987
du 10 avril 1987, en particulier quant à la possibilité de reclasser les
bandes de protection ou de réaliser sur celles-ci des activités dans le cadre
d’infrastructures déclarées d’intérêt général ou d’utilité publique. D’après
les requérants, cette loi permettait la poursuite des travaux de construction
du barrage, avec pour conséquence la dégradation de l’espace naturel
protégé.
En application de la loi autonome de 1996, le gouvernement autonome
adopta le décret no 307/1996 du 2 septembre 1996, qui définit les zones
périphériques de protection de certaines réserves intégrales et naturelles de
Navarre.


D. Pourvoi en cassation de l’Etat et du gouvernement autonome de
Navarre contre l’arrêt de l’Audiencia Nacional
16. Entre-temps, l’avocat de l’Etat et le gouvernement autonome de
Navarre s’étaient pourvus en cassation contre l’arrêt de l’Audiencia
Nacional du 29 septembre 1995. Par un arrêt du 14 juillet 1997, le
Tribunal suprême annula partiellement, mais de façon définitive, le projet
de construction du barrage s’agissant des cinq cents mètres de la zone de
protection des réserves naturelles RN 9, 10 et 11. Cet arrêt impliquait la
réduction des dimensions du projet de barrage. De ce fait, il diminuait
également l’étendue des terrains inondables, de sorte que le village d’Itoiz,
où se trouvaient les biens immeubles des requérants, se voyait préservé de
l’inondation.


E. Procédure d’exécution de l’arrêt du Tribunal suprême
17. En exécution de l’arrêt du Tribunal suprême, par une décision du
4 septembre 1997, l’Audiencia Nacional déclara définitives les mesures

d’exécution provisoire décidées le 6 mars 1996 concernant l’interdiction de
remplissage du barrage et des autres travaux en résultant. S’agissant de
l’éventuelle suspension des travaux de construction d’une digue,
l’Audiencia Nacional, avant de se prononcer sur la question, invita les
parties au procès à comparaître devant elle pour qu’elles soumettent leurs
observations sur les répercussions de la nouvelle loi autonome de 1996, en
particulier sur les bandes de protection de toutes les réserves naturelles
prévues par cette loi, ainsi que sur les effets des limites maximales de
remplissage sur les bandes de protection des réserves auxquelles se référait
le projet annulé.

18. L’administration centrale de l’Etat et le gouvernement autonome de
Navarre firent valoir devant l’Audiencia Nacional qu’il était devenu
juridiquement impossible de procéder à l’exécution de l’arrêt du Tribunal
suprême du 14 juillet 1997, dans la mesure où la loi autonome de 1996
avait supprimé de la zone à inonder toute bande de protection de réserves
naturelles. Dès lors, compte tenu de cette modification législative, il était
devenu possible d’effectuer les travaux d’intérêt général prévus sur ces
bandes de protection.

19. Pour sa part, l’association requérante contesta la thèse des autorités
en excipant de l’inapplicabilité à cette affaire de la loi autonome de 1996,
celle-ci ayant été adoptée postérieurement aux décisions administratives
rendues dans la procédure litigieuse ainsi qu’à l’arrêt de l’Audiencia
Nacional et aux deux décisions d’exécution provisoire. A titre subsidiaire,
l’association sollicita également le renvoi préjudiciel en
inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel de certaines
dispositions de la loi autonome, en particulier celles qui autorisaient la
suppression des bandes de protection des trois réserves naturelles dans la
zone à inonder, ce qui d’après elle permettait l’exécution de travaux et le
remplissage du barrage dans ses dimensions d’origine.


F. Renvoi préjudiciel devant le Tribunal constitutionnel
20. Par une décision du 1er décembre 1997, l’Audiencia Nacional pria
le Tribunal constitutionnel de se prononcer sur le renvoi préjudiciel
demandé par l’association requérante.
Par une décision du 21 mai 1998, le Tribunal constitutionnel déclara le
renvoi irrecevable, en raison de certaines erreurs commises lors de sa
présentation mais susceptibles d’être corrigées.

21. Le 28 mai 1998, afin de rectifier les erreurs indiquées, l’Audiencia
Nacional cita les parties à comparaître devant elle pour les entendre sur
certains aspects de la loi autonome, dont la constitutionnalité avait été
attaquée devant le Tribunal constitutionnel, et sur la conformité avec la
Constitution de l’article 18 § 3 A), A.1. et B) de la loi. L’association
requérante soumit ses observations le 10 juin 1998.

Par une décision du 17 juin 1998, l’Audiencia Nacional demanda à
nouveau au Tribunal constitutionnel de se prononcer sur le renvoi en
inconstitutionnalité et étendit la question à un nouveau point soulevé par
l’association requérante, à savoir à l’article 18 § 3 B) B.1. de la loi
autonome.

22. Par une décision du 21 juillet 1998, le Tribunal constitutionnel
retint les questions posées par le renvoi préjudiciel. Conformément à
l’article 37 § 2 de la loi organique du pouvoir judiciaire (LOPJ), la haute
juridiction porta ces questions à la connaissance de la Chambre des
députés, du Sénat, du gouvernement et du Parlement de Navarre, ainsi que
du gouvernement espagnol, et les invita à présenter leurs observations dans
un délai de quinze jours. Le tribunal reçut les commentaires de l’avocat de
l’Etat le 4 septembre 1998. Le gouvernement et le Parlement de Navarre
soumirent leurs observations les 11 et 15 septembre 1998, respectivement.
Le procureur général de l’Etat présenta les siennes le 29 septembre 1998.
Le président de la Chambre des députés indiqua que celle-ci n’en
déposerait pas. Le président du Sénat demanda que le Sénat fût considéré
comme partie à la procédure et en offrit la collaboration. Le 1er mars 2000,
l’Audiencia Nacional communiqua au Tribunal constitutionnel les écritures
présentées par l’association requérante au cours de la procédure qui s’était
déroulée devant elle. Datées des 29 septembre 1997, 10 juin 1998 et 28
février 2000, elles furent formellement jointes au dossier du Tribunal
constitutionnel.


G. Arrêt du Tribunal constitutionnel
23. Par un arrêt du 14 mars 2000, le Tribunal constitutionnel, réuni en
séance plénière, jugea conformes à la Constitution les dispositions
attaquées de la loi autonome de 1996. D’emblée, la haute juridiction
observa que, depuis l’entrée en vigueur de la loi autonome de 1996,
l’exécution de l’arrêt du Tribunal suprême du 14 juillet 1997, prononcé en
vertu de la loi autonome de Navarre no 6/1987, était devenue impossible
dans la mesure où le projet annulé était conforme à la nouvelle loi.

24. Examinant l’objet de la loi autonome de 1996, le Tribunal
constitutionnel se prononça ainsi :
« (…) Son objet est d’établir un régime général de protection de l’environnement
des espaces naturels de la communauté autonome de Navarre. Ainsi, ce régime de
protection [était] applicable (…) aux réserves naturelles déjà déclarées par la loi
autonome antérieure, même si la différence substantielle entre le régime juridique de
l’une et de l’autre tient à ce qui a été établi pour les zones périphériques de
protection. »

25. La haute juridiction considéra, d’une part, qu’il ne pouvait
aucunement être estimé qu’il s’agissait d’une solution ad causam pour les
trois zones périphériques des trois réserves naturelles affectées par la

construction du barrage d’Itoiz et, d’autre part, que les déclarations et
initiatives parlementaires de certains hommes politiques – lesquelles
montraient selon l’Audiencia Nacional que le but principal de la loi
autonome de 1996 était d’empêcher l’exécution de l’arrêt du Tribunal
suprême – n’étaient pas pertinentes pour apprécier l’existence d’une
éventuelle violation du principe de légalité. Le Tribunal constitutionnel
considéra également justifié le fait que l’exposé des motifs de la loi
autonome de 1996 contînt des indications spécifiques sur l’objet et les
moyens de sauvegarde de l’environnement dans les zones périphériques de
protection des trois réserves naturelles mentionnées, vu l’importance de la
question soulevée par la construction du barrage d’Itoiz, qui ne pouvait pas
être passée sous silence.

26. Concernant l’atteinte alléguée au droit à une procédure équitable,
en ce que la loi autonome de 1996 faisait dorénavant obstacle à l’exécution
de l’arrêt du Tribunal suprême, qui avait annulé une partie du projet de
construction du barrage d’Itoiz, la haute juridiction estima que le fait
d’avoir entre-temps approuvé une nouvelle loi modifiant le régime
juridique applicable aux zones périphériques de protection et remplaçant
une loi antérieure sur la base de laquelle le projet avait été déclaré
partiellement nul, n’était pas contraire en soi au droit à l’exécution des
décisions judiciaires consacré par l’article 24 de la Constitution.

27. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de
l’Homme, en particulier aux arrêts rendus dans les affaires Raffineries
grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce (arrêt du 9 décembre 1994,
série A no 301-B), et Papageorgiou c. Grèce (arrêt du 22 octobre 1997,
Recueil des arrêts et décisions 1997-VI), le Tribunal constitutionnel se
demanda si l’impossibilité – résultant de la loi autonome de 1996 –
d’exécuter l’arrêt du Tribunal suprême était ou non justifiée en raison des
valeurs et des biens protégés par la Constitution. Après avoir conclu que la
sauvegarde de l’environnement était constitutionnellement protégée, le
Tribunal constitutionnel rechercha si le sacrifice découlant de l’inexécution
de l’arrêt en cause était proportionné aux intérêts protégés ou en litige, ou
bien si ce sacrifice était inutile, excessif ou à l’origine d’un déséquilibre
manifeste des intérêts en jeu. Le tribunal considéra que tant l’arrêt du
Tribunal suprême du 14 juillet 1997 que la nouvelle loi autonome de 1996
avaient pour objectif de garantir l’existence d’une zone périphérique de
protection des trois réserves naturelles affectées par la construction du
barrage. Le Tribunal constitutionnel nota en outre que le régime des zones
périphériques de protection instauré par cette nouvelle loi n’avait pas été
considéré comme arbitraire en soi dans la décision de l’Audiencia
Nacional, et que la nouvelle délimitation des zones n’avait pas non plus été
jugée responsable de la grave dégradation de l’environnement. Il conclut
donc au respect de l’équilibre des intérêts généraux et à l’inexistence d’une
disproportion manifeste entre les intérêts concurrents. En conséquence, les

dispositions attaquées ne pouvaient être déclarées inconstitutionnelles
comme étant contraires à l’article 24 § 1 de la Constitution.

28. Concernant le motif tiré du fait que le nouveau régime juridique
des zones périphériques de protection des réserves naturelles figurait dans
une loi, et non dans un règlement comme c’était le cas auparavant, et du
fait que cela privait les intéressés de la possibilité de contrôler les actes de
l’administration par voie contentieuse-administrative ou dans le cadre
d’une procédure d’exécution, le Tribunal constitutionnel nota qu’il n’existait
aucune disposition légale obligeant à organiser certaines matières par voie
de règlement ; il ajouta que la nouvelle loi ne constituait pas une loi ad
causam, mais une loi formellement et matériellement générale, et rappela
que les lois pouvaient être attaquées devant le Tribunal constitutionnel par
la voie prévue à l’article 163 de la Constitution.
En conséquence, le Tribunal constitutionnel rejeta le renvoi préjudiciel
en inconstitutionnalité. L’arrêt fut publié au Journal officiel le 14 avril
2000.


II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Constitution
29. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont les suivantes :

Article 161 § 1
« Le Tribunal constitutionnel exerce sa juridiction sur tout le territoire espagnol et
il est compétent pour connaître :
a) du recours en inconstitutionnalité contre des lois et des dispositions ayant force
de loi (…)
b) du recours individuel de protection [recurso de amparo] pour violation des
droits et des libertés visés à l’article 53 § 2 de la Constitution, dans les cas et sous les
formes prévus par la loi ;
c) des conflits de compétence entre l’Etat et les Communautés autonomes et des
conflits de compétence entre les diverses communautés.
(…) »

Article 163
« Lorsqu’un organe judiciaire considère au cours d’un procès qu’une disposition
ayant rang de loi, s’appliquant en la matière et de la validité de laquelle dépend la
décision judiciaire, pourrait être contraire à la Constitution, il saisit le Tribunal

constitutionnel dans les conditions, sous la forme et avec les effets à établir par la
loi, les effets ne pouvant être en aucun cas suspensifs. »

Article 164
« 1. Les arrêts du Tribunal constitutionnel sont publiés au Journal officiel, en
même temps que les opinions dissidentes exprimées. Ils ont force de chose jugée à
partir du jour qui suit leur publication, et aucun recours ne peut être formé contre
eux. Les arrêts qui déclarent inconstitutionnelle une loi ou une règle ayant rang de
loi et tous ceux qui ne se limitent pas à reconnaître un droit subjectif, déploient leurs
effets à l’égard de tous.
2. Sauf dans les cas où l’arrêt en décide autrement, la partie de la loi qui n’est pas
déclarée inconstitutionnelle reste en vigueur. »


B. Loi organique no 2/1979 relative au Tribunal constitutionnel –
Chapitre III intitulé « Sur les questions relatives à la
constitutionnalité déférées par les juges et tribunaux »
30. Les dispositions pertinentes de cette loi sont les suivantes :

Article 35
« 1. Lorsqu’un juge ou tribunal, d’office ou à la demande d’une partie, considère
qu’une disposition ayant rang de loi, applicable en la matière et de la validité de
laquelle dépend la décision à rendre, peut être contraire à la Constitution, il défère la
question au Tribunal constitutionnel conformément aux prescriptions de la présente
loi.
2. Un tel organe judiciaire ne soulève la question qu’une fois l’affaire en état et
dans le délai fixé pour statuer. Il doit préciser la loi, ou disposition ayant rang de loi,
dont la constitutionnalité est mise en cause, indiquer l’article de la Constitution que
l’on estime violé et spécifier et justifier en quoi l’issue de la procédure dépend de la
validité de ladite disposition. Avant d’adopter sa décision définitive sur la saisine du
Tribunal constitutionnel, il doit entendre les parties et le ministère public afin qu’ils
puissent formuler, dans un délai commun et non prorogeable de dix jours, les
observations qu’ils souhaitent sur la pertinence de la question. Le juge se prononce
ensuite sans autre démarche, dans les trois jours. Aucun recours ne s’ouvre contre
cette décision. Toutefois, la question relative à la constitutionnalité peut être
soulevée à nouveau devant les instances ultérieures jusqu’à l’arrêt définitif. »

Article 36
« L’organe judiciaire défère la question relative à la constitutionnalité au Tribunal
constitutionnel en joignant une copie certifiée conforme du dossier principal et, s’il y
en a, des observations prévues à l’article précédent. »

Article 37
« 1. Après réception du dossier, le Tribunal constitutionnel suit la procédure
prévue au paragraphe 2 du présent article. Toutefois, il peut déclarer la question
irrecevable par décision motivée après avoir entendu seulement le Procureur général
de l’Etat, lorsque les conditions de procédure ne se trouvent pas remplies ou que la
question est manifestement mal fondée.
2. Le Tribunal constitutionnel donne connaissance de la question à la Chambre
des députés et au Sénat par l’intermédiaire de leurs présidents respectifs, au
Procureur général de l’Etat ainsi qu’au Gouvernement, par l’intermédiaire du
ministère de la Justice ; si la question met en cause une loi, ou une autre disposition
ayant rang de loi, adoptée par une communauté autonome, le Tribunal
constitutionnel en donne aussi connaissance aux organes législatif et exécutif de
celle-ci. Tous ces organes peuvent comparaître et formuler des observations sur la
question déférée, dans un délai commun et non prorogeable de quinze jours. Ce délai
expiré, le Tribunal statue dans les quinze jours sauf si, par une décision motivée, il
estime nécessaire un délai plus long, lequel ne peut dépasser trente jours. »


C. Loi autonome no 9/1996 du 17 juin 1996 relative aux espaces
naturels de Navarre (« la loi autonome de 1996 »)
31. Dans l’exposé des motifs de la loi autonome de 1996, il est déclaré
que cet instrument vise deux objectifs : d’une part, il établit un cadre
juridique propre à la Navarre afin de protéger, préserver et améliorer les
parties de son territoire dotées de valeurs naturelles dignes d’être
sauvegardées conformément à la législation de l’Etat et aux directives
communautaires en matière de protection de l’environnement ; d’autre part,
la loi a pour but d’harmoniser la législation sur les espaces naturels adoptée
par la communauté autonome de Navarre.
La loi énumère notamment les réserves et espaces naturels de Navarre
protégés et en détermine les limites. En outre, elle fixe pour chaque type
d’espace protégé le genre d’activités et d’usages autorisés ou interdits.

L’article 18 prévoit :
Bandes périphériques de protection
« 1. Moyennant une loi autonome, le Parlement de Navarre peut délimiter autour
des réserves intégrales et des réserves naturelles (…) une bande périphérique de
protection pouvant être discontinue ; celle-ci est destinée à éviter l’impact d’éléments
extérieurs sur l’environnement ou le paysage.
(…)
3. Le régime des activités et usages à l’intérieur des bandes périphériques de
protection des réserves intégrales, réserves naturelles et enclaves naturelles est le
suivant :

A) Activités ne relevant pas de la construction
A.1. Pourront être autorisées :
(…)
– Les activités liées à l’exécution des infrastructures d’intérêt général ou d’utilité
publique.
(…)
B) Activités de construction
B.1. Pourront être autorisées :
(…)
– Les infrastructures déclarées d’intérêt général ou d’utilité publique.
(…) »


EN DROIT
32. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants allèguent
que, dans le cadre de l’action judiciaire entamée par eux contre la
construction du barrage d’Itoiz, leur cause n’a pas été entendue
équitablement dans la mesure où ils se sont vu refuser le droit de prendre
part à la procédure relative au renvoi préjudiciel en inconstitutionnalité de
la loi autonome de 1996, alors que l’avocat de l’Etat et le ministère public
ont pu présenter leurs observations devant le Tribunal constitutionnel.
Ils se plaignent également que l’adoption de la loi autonome en question
ait visé à empêcher l’exécution d’un arrêt du Tribunal suprême devenu
ferme et définitif. D’après eux, l’adoption de cette loi a porté atteinte à leur
droit à un procès équitable au regard de l’article 6 § 1 de la Convention et,
pour les cinq premiers requérants, à leur droit au respect de leur vie privée
et familiale et de leur domicile protégé par l’article 8 de la Convention,
ainsi qu’à leur droit au respect de leurs biens garanti par l’article 1 du
Protocole no 1.


I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
A. Sur l’absence de qualité de « victime » des requérants et sur le
non-épuisement des voies de recours internes
33. Le Gouvernement fait observer que les cinq premiers requérants,
qui se sont adressés à la Cour, n’ont pas participé à la procédure interne
objet de la présente requête. En outre, dans le cadre de la procédure
litigieuse, les tribunaux n’ont à aucun moment eu connaissance de leur
existence ni de leurs propriétés. A cet égard, le Gouvernement souligne
que le motif allégué par les requérants pour justifier le fait qu’ils n’ont pas
participé à la procédure interne – à savoir que cela aurait entraîné un litige
long et coûteux – n’est pas sérieux. Quant aux propriétés des intéressés, il
fait remarquer que les procédures d’expropriation les concernant sont en
cours, et que dans le cadre de celles-ci ils sont à même de défendre leurs
« droits et obligations de caractère civil » sans que cela ne pose de
problème.

34. Les requérants mettent l’accent sur les conséquences évidentes de la
procédure litigieuse sur leurs droits de caractère civil. En premier lieu, ils
font observer qu’ils résident tous à Itoiz, lieu où se trouvent leurs biens
immobiliers. Or le barrage entraînera l’inondation de cette zone et, partant,
de leurs maisons et autres biens. Par ailleurs, ils estiment qu’en tant que
membres de l’association Coordinadora de Itoiz depuis sa création en
1988, ils ont participé à la procédure par le truchement de celle-ci. Ils
insistent sur le lien direct qui existe indiscutablement entre eux et les
préjudices résultant de la construction du barrage. Ils font valoir que la
voie de recours utilisée était la seule qui, en cas de succès, leur aurait
permis la sauvegarde définitive de leurs droits et intérêts de caractère civil.
A cet égard, ils soulignent qu’ils auraient péché contre le bon sens si
chacun d’entre eux avait formé, individuellement et séparément, un recours
contre le projet de barrage et s’était ainsi lancé dans un procès long et
coûteux, débouchant au bout du compte sur le même résultat que celui
atteint par l’intermédiaire de l’association. Au demeurant, il est clair que,
dès le début, ils ont confié la défense de leurs droits et intérêts civils à
l’association. Cela découle d’ailleurs de l’un des buts mis en avant par
celle-ci, à savoir la « défense d’un autre choix de vie sur le site ». En
conclusion, ils considèrent qu’ils peuvent se prétendre victimes d’une
violation au sens de l’article 34 de la Convention.

35. La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la
Convention, un requérant doit remplir deux conditions : il doit entrer dans
l’une des catégories de demandeurs mentionnés dans cette disposition de la
Convention, et doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention.

Quant à la notion de « victime », selon la jurisprudence
constante de la Cour, elle doit être interprétée de façon autonome et
indépendante de notions internes telles que celles concernant l’intérêt ou la
qualité pour agir. Par ailleurs, pour qu’un requérant puisse se prétendre
victime d’une violation de la Convention, il doit exister un lien
suffisamment direct entre le requérant et le préjudice qu’il estime avoir
subi du fait de la violation alléguée (voir, notamment, Tauira et autres
c. France, no 28204/95, décision de la Commission du 4 décembre 1995,
Décisions et rapports (DR) 83-A, p. 112 ; Association des amis de Saint-
Raphaël et de Fréjus et autres c. France, no 38192/97, décision de la
Commission du 1er juillet 1998, DR 94-A, p. 124 ; affaire Comité des
médecins à diplômes étrangers et autres c. France (déc.), nos 39527/98 et
39531/98, 30 mars 1999).


1. Sur la qualité de « victime » de l’association requérante
36. Pour autant que l’association requérante allègue une atteinte à
l’article 6 § 1 de la Convention, le Cour note qu’elle a été partie à la
procédure qu’elle avait engagée devant les juridictions internes pour
défendre les intérêts de ses membres. Dès lors, la Cour estime que
l’association peut être considérée comme victime, au sens de l’article 34,
des manquements allégués sur le terrain de la disposition invoquée
(Association pour la protection des acheteurs d’automobiles et autres
c. Roumanie (déc.), no 34746/97, 10 juillet 2001).


2. Sur la qualité de « victime » des cinq premiers requérants,
personnes physiques, et sur l’épuisement des voies de recours
internes
37. D’emblée, la Cour constate que la question de la qualité de victime,
au sens de l’article 34 de la Convention, est en l’occurrence intimement liée
à l’exigence relative à l’épuisement des voies de recours internes posée par
l’article 35 § 1. Sur ce dernier point, elle rappelle que l’article 35 § 1 doit
s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (voir,
parmi d’autres, Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p.
18, § 34). La Cour a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies
de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et
ne revêt pas un caractère absolu ; en contrôlant le respect, il faut avoir
égard aux circonstances de la cause (Van Oosterwijck c. Belgique, arrêt du
6 novembre 1980, série A no 40, p. 18, § 35). Cela signifie notamment qu’il
doit être tenu compte de manière réaliste non seulement des recours prévus
en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée,
mais également du contexte juridique dans lequel ils se situent ainsi que de
la situation personnelle du requérant ; il faut rechercher ensuite si, vu
l’ensemble des circonstances de l’espèce, l’intéressé peut passer pour avoir

fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser
les voies de recours internes (voir, mutatis mutandis, les arrêts Akdivar et
autres c. Turquie, 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1211, § 69 ;
Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2276, §§ 53-54 ;
Baumann c. France, no 33592/96, § 40, 22 mai 2001).

38. En l’espèce, la Cour observe que l’association requérante s’est
constituée essentiellement pour défendre les intérêts de ses membres
contre les répercussions de la construction du barrage sur leur
environnement et leur cadre de vie. En outre, l’objet de la procédure
diligentée devant les juridictions internes par l’entremise de l’association
avait trait non seulement à la contestation, au regard de la législation
applicable en matière de construction de barrages, de la légalité de l’arrêté
ministériel autorisant les travaux y afférents, mais mettait également
l’accent sur les effets de l’ouvrage sur le droit de propriété des membres de
l’association et sur leur mode de vie en raison du transfert de leur domicile.
Dans les recours qu’elle a formés, l’association requérante, au nom de ses
membres, a souligné à diverses reprises que la construction du barrage
entraînait l’inondation de plusieurs petits villages, dont le hameau d’Itoiz
où les requérants avaient leurs habitations familiales. De ce point de vue, il
est indéniable que la construction de l’ouvrage public, avec tout ce que cela
suppose (expropriation de biens, déplacement de populations), avait des
conséquences directes et importantes tant sur les droits patrimoniaux des
intéressés que sur leur mode de vie familiale (voir, mutatis mutandis,
Association des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus et autres précitée, p.
131). Certes, les intéressés n’ont pas été parties à la procédure litigieuse en
leur nom propre, mais par l’intermédiaire de l’association qu’ils avaient
constituée en vue de défendre leurs intérêts. Cela étant, la notion de
victime évoquée à l’article 34 doit comme les autres dispositions de la
Convention faire l’objet d’une interprétation évolutive à la lumière des
conditions de vie d’aujourd’hui. Or, dans les sociétés actuelles, lorsque le
citoyen est confronté à des actes administratifs spécialement complexes, le
recours à des entités collectives telles que les associations constitue l’un
des moyens accessibles, parfois le seul, dont il dispose pour assurer une
défense efficace de ses intérêts particuliers. La qualité pour agir en justice
des associations, dans la défense des intérêts de leurs membres, leur est
d’ailleurs reconnue par la plupart des législations européennes. Tel était
précisément le cas en l’espèce. La Cour ne peut faire abstraction de cet
élément dans l’interprétation de la notion de « victime ». Une autre
approche, par trop formaliste de la notion de victime, rendrait inefficace et
illusoire la protection des droits garantis par la Convention.

39. Eu égard aux circonstances particulières de l’affaire, notamment au
fait que l’association requérante a été créée dans le but spécifique de
défendre devant les tribunaux les intérêts de ses membres et que ces
derniers étaient directement concernés par le projet de barrage, la Cour

estime que les cinq premiers requérants peuvent se prétendre victimes, au
sens de l’article 34, des violations alléguées de la Convention, et qu’ils ont
épuisé les voies de recours internes pour ce qui est des griefs tirés de
l’article 6 § 1 de la Convention.


B. Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention
1. Thèses défendues devant la Cour
40. D’après le Gouvernement, aucune des procédures suivies par
l’association requérante, que ce soit devant l’Audiencia Nacional, le
Tribunal suprême ou le Tribunal constitutionnel, ne porte sur des « droits
et obligations de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1. En effet,
l’action intentée par l’association requérante visait la défense de la légalité
et des intérêts collectifs tels que la protection de l’environnement. A aucun
moment, l’enjeu du litige n’a concerné la défense de droits patrimoniaux
privés. Cela ressort sans ambiguïté des mémoires présentés par
l’association à l’appui de ses divers recours, et se trouve clairement
exprimé dans les différentes décisions rendues par les juridictions internes.
En définitive, le problème de l’inexécution de l’arrêt du Tribunal suprême
du 14 juillet 1997 n’affecte aucun droit de caractère subjectif.

41. Par ailleurs, le Gouvernement estime que l’on ne saurait comparer
la présente espèce à l’affaire Ruiz-Mateos c. Espagne (arrêt du 23 juin
1993, série A no 262), . En effet, alors que la loi d’expropriation de
Rumasa était une loi spécifique qui concernait principalement la famille
Ruiz-Mateos, la loi autonome de 1996 est une loi générale affectant de
nombreuses personnes : non seulement l’association requérante et ses
membres, mais aussi des dizaines de milliers de personnes qui
bénéficieront de la construction du barrage d’Itoiz. D’ailleurs, le caractère
général de cette loi a été expressément reconnu tant par l’Audiencia
Nacional que par le Tribunal constitutionnel. Si dans l’affaire Ruiz-Mateos
la question relative à la constitutionnalité portait sans conteste sur les
droits patrimoniaux des requérants, dans la présente affaire cette question
ne touche pas aux droits ou obligations de caractère civil, mais à la légalité
du projet de barrage. En conséquence, l’article 6 § 1 ne trouve pas à
s’appliquer.

42. Les requérants réfutent la thèse du Gouvernement. D’une part, il est
incontestable que l’association requérante a agi en défense des droits et
intérêts individuels et privés de ses membres ; d’autre part, il est évident
que l’arrêt du Tribunal suprême du 14 juillet 1997 concernait la protection
et la sauvegarde définitive de leurs droits et intérêts personnels en tant que
membres de l’association. A leur avis, dès le début de la procédure, les
droits civils des membres de l’association étaient en jeu dans la mesure où
leurs biens et leur mode de vie risquaient d’être définitivement affectés par

le projet de barrage. Ainsi, dans le mémoire déposé par l’association à
l’encontre de l’arrêté ministériel du 2 novembre 1990, il était précisé que la
réalisation du barrage allait entraîner l’expropriation de toute une série de
propriétés agricoles et autres, ainsi que le déplacement de la population
concernée. Ces conséquences sur les biens et les personnes touchés par la
construction du barrage furent rappelées par l’association requérante à
diverses reprises dans le cadre des procédures suivies. En conclusion,
contrairement à ce qui est affirmé par le Gouvernement, des droits de
caractère « civil », au sens de l’article 6 § 1, étaient bien en jeu devant les
juridictions internes.


2. Appréciation de la Cour
43. La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer
en son volet « civil », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » de
« nature civile » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable,
reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une « contestation » réelle et
sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que
son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être
directement déterminante pour le droit en question : un lien ténu ou des
répercussions lointaines ne suffisent pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1
(voir, par exemple, les arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere
c. Belgique, 23 juin 1981, série A no 43, pp. 21-22, § 47, Fayed
c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 45-46, § 56,
Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, série A no 327-A,
p. 17, § 44, Balmer-Schafroth c. Suisse, 26 août 1997, Recueil 1997-IV,
p. 1357, § 32, et Athanassoglou et autres c. Suisse [GC], no 27644/95,
§ 43, CEDH 2000-IV ; voir aussi Syndicat des médecins exerçant en
établissement hospitalier privé d’Alsace et autres c. France (déc.),
no 44051/98, 31 août 2000).


44. En l’espèce, si l’existence d’une contestation portant sur un droit
reconnu en droit interne ne prête pas à controverse, il n’en va pas de même
quant à son objet. D’après le Gouvernement, le litige n’a aucunement porté
sur des droits patrimoniaux ou subjectifs de l’association, mais sur une
question de défense de la légalité et de droits collectifs, de sorte que nul
droit « de caractère civil » ne se trouvait en jeu. L’association requérante
affirme au contraire avoir agi pour la défense de droits et intérêts
individuels et privés de ses membres.


45. La Cour relève qu’au-delà de la défense de l’intérêt général la
procédure devant l’Audiencia Nacional puis devant le Tribunal suprême
visait également certains intérêts particuliers des membres de l’association,
à savoir la défense de leur mode de vie et de leurs propriétés dans la vallée
qui allait être inondée. Quant à la procédure relative au renvoi préjudiciel
en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel, les requérants
soulignent que c’était là le seul moyen de contester la loi autonome de

1996, dans la mesure où une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité
pouvait avoir pour effet de protéger à la fois l’environnement, leurs
maisons d’habitation et leurs autres biens immobiliers.


46. Assurément, l’aspect de la contestation se rapportant à la défense de
l’intérêt général ne portait pas sur un droit de caractère civil dont les cinq
premiers requérants seraient susceptibles de se prétendre titulaires en leurs
noms propres. Il en va différemment du second aspect, à savoir les
répercussions de la construction du barrage sur leur mode de vie et leurs
propriétés. En effet, dans ses recours, l’association requérante se plaignait
d’une menace précise et directe pesant sur les biens personnels et le mode
de vie de ses membres. Cet aspect des recours revêtait indubitablement
une dimension d’ordre « patrimonial » et civil, et se fondait sur une atteinte
alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux (Procola c. Luxembourg, arrêt
du 28 septembre 1995, série A no 326, pp. 14-15, § 38).


47. Si la procédure devant le Tribunal constitutionnel était
ostensiblement placée sous le sceau du droit public, il n’en reste pas moins
qu’elle était déterminante pour l’issue finale de l’action en annulation du
projet de barrage engagée par les intéressés devant les juridictions
ordinaires. En l’espèce, les instances administratives et constitutionnelles
apparaissaient même tellement imbriquées qu’à les dissocier on verserait
dans l’artifice et on affaiblirait à un degré considérable la protection des
droits des requérants. En soulevant la question relative à la
constitutionnalité de la loi autonome, les intéressés ont utilisé l’unique
moyen – indirect – dont ils disposaient pour se plaindre d’une atteinte à
leurs propriétés et mode de vie (Ruiz-Mateos précité, p. 24, § 59). A cet
égard, la Cour est d’avis que la procédure, dans son ensemble, peut être
considérée comme portant également sur des droits de caractère civil des
requérants, membres de l’association.


48. Partant, l’article 6 § 1 de la Convention s’appliquait aux procédures
litigieuses.


II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA
CONVENTION
49. D’après les requérants, la procédure suivie devant le Tribunal
constitutionnel dans le cadre de l’examen de la question relative à la
constitutionnalité déférée par l’Audiencia Nacional n’a pas respecté le
principe de l’égalité des armes, inhérent au droit à un procès équitable que
garantit l’article 6 § 1 de la Convention.


50. Les intéressés font valoir à cet égard qu’ils se sont vu refuser le
droit de prendre part à la procédure de renvoi préjudiciel en
inconstitutionnalité, alors que l’avocat de l’Etat et le ministère public ont
pu présenter leurs observations devant le Tribunal constitutionnel. De ce

fait, ils ont été dans l’impossibilité de faire valoir leurs intérêts devant la
haute juridiction au regard de la pondération des intérêts en conflit.
51. Les requérants estiment également que l’adoption de la loi
autonome de 1996 avait pour but d’empêcher l’exécution de l’arrêt du
Tribunal suprême devenu définitif et exécutoire, ce qui, à leur avis,
implique une interférence du pouvoir législatif dans l’issue du litige
contraire à l’article 6 § 1 dont la partie pertinente se lit comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un
tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) des contestations
sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »


52. La Cour examinera successivement le grief tiré de la violation du
principe de l’égalité des armes, puis celui présenté au titre de la prétendue
interférence du pouvoir législatif dans l’issue du litige.


A. Sur la violation du principe de l’égalité des armes
1. Thèses des parties
a) Les requérants
53. Les requérants font remarquer en premier lieu que nombre des
dispositions de la loi autonome de 1996 sont conçues dans le but unique et
exclusif de contourner le motif d’annulation du projet de barrage et,
partant, de rendre inexécutable l’arrêt du Tribunal suprême qui, sur ce
point, était devenu ferme et définitif. Il ne s’agissait pas d’une loi générale
mais, bien au contraire, d’une réglementation ex novo. A leur avis, le seul
moyen de contester la loi autonome de 1996 était de demander le renvoi
préjudiciel en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel. La
conséquence d’une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité aurait eu
pour effet de protéger tant l’environnement que leur droit civil au respect
de leurs domiciles, de leurs maisons d’habitation et autres biens
immobiliers. Or, ni devant l’Audiencia Nacional ni devant le Tribunal
constitutionnel, ils n’ont été en mesure de défendre leur thèse et de
combattre les arguments avancés par les parties adverses, alors que c’est
l’association requérante qui avait sollicité le renvoi préjudiciel en
inconstitutionnalité. En outre, l’arrêt du Tribunal constitutionnel ne prend
en compte aucun des arguments présentés par eux. A cet égard, les
intéressés soulignent que s’ils avaient eu la possibilité de participer à la
procédure devant le Tribunal constitutionnel, ils auraient pu réitérer et
développer les arguments et moyens utiles à la défense de leur cause. Les
requérants considèrent que l’ensemble de ces éléments a porté atteinte à
l’article 6 § 1 de la Convention.

b) Le Gouvernement
54. Le Gouvernement rappelle que, s’il y avait au cœur de l’affaire
Ruiz-Mateos une loi d’expropriation concernant principalement la famille
Ruiz-Mateos, en l’espèce la loi autonome de 1996 est une norme générale
affectant non seulement l’association requérante et ses membres, mais
aussi beaucoup d’autres personnes qui bénéficieront de la construction du
barrage d’Itoiz, comme l’ont expressément déclaré l’Audiencia Nacional et
le Tribunal constitutionnel.


2. Appréciation de la Cour
55. La Cour admet la thèse du Gouvernement selon laquelle la loi
autonome de 1996 présente des différences avec la loi d’expropriation de
Rumasa quant au nombre de personnes touchées. Cela étant, les requérants
faisaient partie du cercle restreint des personnes les plus directement
concernées par la loi autonome de 1996 entérinant le projet de barrage
qu’ils ont combattu devant les juridictions ordinaires et au sujet duquel ils
ont obtenu des jugements en leur faveur. Cet intérêt particulier au regard
de la loi autonome de 1996 est confirmé par la décision de recevabilité
rendue par le Tribunal constitutionnel quant à leur demande de renvoi
préjudiciel en inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi
autonome en cause.


56. La Cour rappelle que le principe de l’égalité des armes est l’un des
éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l’article 6 §
1 de la Convention. Il exige un « juste équilibre » entre les parties :
chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause
dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net
désavantage par rapport à son ou ses adversaires (voir, parmi d’autres, les
arrêts Ankerl c. Suisse, 23 octobre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1567-1568,
§ 38, Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, Recueil 1997-I,
pp. 107-108, § 23, et Kress c. France [GC], no 39594/98, § 72, CEDH
2001-VI).


57. Dans l’affaire Ruiz-Mateos, la Cour a déjà examiné le problème du
respect de certaines garanties découlant du procès équitable dans le cadre
de l’examen par le Tribunal constitutionnel espagnol d’une question
relative à la constitutionnalité. Dans cette affaire, la Cour a conclu à la
violation de l’article 6 § 1 quant à l’équité des procédures suivies devant le
Tribunal constitutionnel. L’élément déterminant ayant amené la Cour à
conclure à la violation tenait au fait que l’avocat de l’Etat avait eu
connaissance par avance des arguments de la famille Ruiz-Mateos et avait
ainsi pu les discuter en dernier lieu devant le Tribunal constitutionnel,
alors que les requérants n’avaient quant à eux pas eu l’occasion de répondre
(p. 26, §§ 65 et 67).


58. En l’espèce, la situation est quelque peu différente. En premier lieu,
si dans l’affaire Ruiz-Mateos la loi d’expropriation pouvait être considérée
comme une loi ad personam, en l’occurrence la loi autonome de 1996 a
une portée générale et n’affecte pas de manière exclusive les requérants.


59. En outre, après avoir retenu, le 21 juillet 1998, la question relative
à la constitutionnalité, le Tribunal constitutionnel porta les problèmes
soulevés par le renvoi préjudiciel à la connaissance de la Chambre des
députés, du Sénat, du gouvernement et du Parlement de la communauté
autonome de Navarre ainsi que du gouvernement de l’Etat afin qu’ils
déposent leurs observations dans un délai commun de quinze jours (article
37 § 2 de la loi organique du Tribunal constitutionnel). Le Tribunal reçut
les observations de l’avocat de l’Etat le 4 septembre 1998. Le
gouvernement et le Parlement autonomes présentèrent leurs observations
les 11 et 15 septembre 1998. Le procureur général de l’Etat soumit les
siennes le 29 septembre 1998.
Le 1er mars 2000, le greffe de la première section de l’Audiencia
Nacional communiqua au Tribunal constitutionnel les documents
présentés par l’association Coordinadora de Itoiz au cours de la procédure
devant elle. Ces pièces, datées du 29 septembre 1997, du 10 juin 1998 et
du 28 février 2000, furent formellement jointes au dossier du Tribunal
constitutionnel.


60. La Cour note que la procédure portant sur la constitutionnalité
d’une loi ne prévoit ni un échange des mémoires produits ni une audience
publique. Ainsi, à supposer même que les requérants eussent été
formellement parties à la procédure, ils n’auraient pas reçu les mémoires
soumis par les autres intervenants. Certes, on ne peut pas exclure qu’une
forme de concertation ait eu lieu entre les autorités de l’Etat ayant présenté
leurs observations devant le Tribunal constitutionnel. Cela étant, une
différence importante par rapport à l’affaire Ruiz-Mateos tient au fait que
tous les mémoires soumis par les requérants par l’intermédiaire de
l’association requérante à l’appui de leur thèse sur l’inconstitutionnalité de
la loi autonome de 1996 (mémoires allant de septembre 1997 à janvier
2000) furent transmis par l’Audiencia Nacional au Tribunal
constitutionnel, qui les joignit formellement au dossier avant de statuer sur
la question relative à la constitutionnalité. Une autre différence entre
l’espèce et l’affaire Ruiz-Mateos réside dans le fait que, dans cette dernière,
la famille Ruiz-Mateos demanda au Tribunal constitutionnel l’autorisation
de participer à la procédure, ce que refusa la juridiction en question (p. 13,
§§ 17-18). Or, en l’espèce, il ne ressort pas du dossier que les requérants
aient à un moment quelconque demandé au Tribunal constitutionnel s’ils
pouvaient participer à la procédure, alors même qu’ils pouvaient invoquer
le précédent Ruiz-Mateos à l’appui de leur requête. Enfin, la Cour observe
que, dans son arrêt, le Tribunal constitutionnel a amplement répondu aux
arguments présentés par les requérants tout au long de la procédure.

61. En définitive, eu égard aux spécificités de la question préjudicielle
relative à la constitutionnalité, il n’y a pas eu atteinte à la substance même
du principe de l’égalité des armes tel que garanti par l’article 6 § 1 de la
Convention.


B. Sur l’interférence alléguée du pouvoir législatif dans l’issue du
litige
62. D’après les requérants, l’adoption de la loi autonome de 1996 avait
pour but d’empêcher l’exécution de l’arrêt du Tribunal suprême, devenu
définitif et exécutoire, ce qui à leurs yeux constitue une immixtion du
pouvoir législatif dans l’issue du litige contraire au procès équitable garanti
par l’article 6 § 1 de la Convention.


63. Selon le Gouvernement, la loi critiquée a été adoptée dans l’intérêt
général et nullement dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire de
l’affaire.


64. La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des griefs tirés
d’éventuelles interventions de l’Etat, par la voie législative, pour peser sur
l’issue de l’instance, déjà fixée au fond en sa défaveur, à laquelle il était
partie. Tel fut le cas notamment dans les affaires Raffineries grecques
Stran et Stratis Andreadis, précitée, Papageorgiou, précitée, National &
Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et
Yorkshire Building Society (« Building Societies ») c. Royaume-Uni, arrêt
du 23 octobre 1997, Recueil 1997-VII, et Zielinski et Pradal et Gonzalez et
autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, CEDH
1999-VII. Sur cette question, la Cour réaffirme que si, en théorie, rien
n’empêche le pouvoir législatif de réglementer, par de nouvelles
dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le
principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable
consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt
général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la
justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige (arrêts
précités, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis, p. 82, § 49 ;
Papageorgiou, p. 2288, § 37 ; Building Societies, p. 2363, § 112, et
Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, § 57).


65. Dans les affaires Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis,
Papageorgiou et Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, la Cour a
conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.


66. Dans l’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis, deux
aspects essentiels de l’affaire ont amené la Cour à conclure à la violation
du droit à un procès équitable : d’une part, l’intervention du législateur grec
à un moment où une instance judiciaire à laquelle l’Etat était partie se
trouvait pendante ; d’autre part, le fait que la Cour de cassation avait
décidé le report des débats au motif qu’un projet de loi concernant l’affaire

litigieuse se trouvait en cours d’examen devant le Parlement (ibidem,
pp. 81-82, § 47).


67. Dans l’affaire Papageorgiou, la Cour avait critiqué l’interférence en
se fondant sur les trois considérations suivantes : en premier lieu, la
disposition législative litigieuse, en l’occurrence l’article 26 de la loi
no 2020/1992, déclarait prescrite toute prétention relative à des cotisations
déjà versées par les requérants à l’Organisme pour l’emploi de la main-
d’œuvre et annulait toute procédure y afférente éventuellement pendante
devant quelque juridiction que ce soit. En deuxième lieu, l’article 26 en
question était inclus dans une loi dont l’intitulé n’avait aucun rapport avec
celui-ci, ce qu’interdisait l’article 74 § 5 de la Constitution grecque. Enfin,
la disposition litigieuse avait été adoptée après l’introduction du pourvoi
formé par l’Entreprise publique d’électricité, dont les requérants étaient
salariés, contre l’arrêt du tribunal de grande instance d’Athènes, statuant en
appel, et avant la tenue de l’audience devant la Cour de cassation.
Dans ces circonstances, la Cour a conclu que l’adoption de l’article 26 à
un moment si crucial de la procédure devant la Cour de cassation réglait en
réalité le fond du litige et rendait vaine la continuation de celle-ci
(Papageorgiou précité, p. 2289, § 38).


68. Dans l’affaire Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, la Cour a
considéré que l’intervention législative, avec effet rétroactif, avait eu pour
conséquence d’entériner la position de l’Etat dans le cadre de procédures
diligentées contre lui et toujours pendantes devant les juridictions
judiciaires (§ 58).


69. L’espèce présente toutefois des différences notoires avec ces
affaires.


70. Un trait commun aux affaires précédemment examinées par la Cour
réside dans le fait que l’intervention de l’Etat par le biais d’actes législatifs
visait soit à influer sur le dénouement de procédures judiciaires en cours,
soit à entraver le déclenchement de procédures, ou à laisser sans effet des
décisions judiciaires fermes et exécutoires reconnaissant des droits de
créance personnels.
En l’espèce, le litige opposant les requérants à la communauté
autonome de Navarre portait sur un projet d’aménagement du territoire,
domaine dans lequel la modification ou le changement de la
réglementation à la suite d’une décision judiciaire est communément admis
et pratiqué. En effet, si les titulaires de droits de créance pécuniaires
peuvent en général se prévaloir de droits fermes et intangibles, il en va
autrement en matière d’urbanisme ou d’aménagement du territoire,
domaines portant sur des droits de nature différente et qui sont
essentiellement évolutifs. Les politiques d’urbanisme et d’aménagement du
territoire relèvent par excellence des domaines d’intervention de l’Etat, par
le biais notamment de la réglementation des biens dans un but d’intérêt
général ou d’utilité publique. Dans de tels cas, où l’intérêt général de la

communauté occupe une place prééminente, la Cour est d’avis que la
marge d’appréciation de l’Etat est plus grande que lorsque sont en jeu des
droits exclusivement civils (voir, mutatis mutandis, les arrêts James et
autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, série A no 98, p. 32, § 46,
Mellacher et autres c. Autriche, 19 décembre 1989, série A no 169, p. 29, §
55, Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 104, CEDH 2001-I).


71. Cela étant, la protection effective du justiciable et le rétablissement
de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier à un
jugement ou arrêt prononcé par les juridictions nationales. La Cour
rappelle à cet égard que l’administration constitue un élément de l’Etat de
droit et que son intérêt se confond donc avec celui d’une bonne
administration de la justice. Si l’administration refuse ou omet de
s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 dont a
bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure
perdraient toute raison d’être (Antonetto c. Italie, no 15918/89, § 28,
20 juillet 2000). En l’espèce la Cour tient à souligner que les décisions
rendues par l’Audiencia Nacional en faveur des thèses défendues par les
requérants ne sont pas restées inopérantes ; bien au contraire, elles ont
toujours été respectées par l’administration. Tel fut le cas quant à la
suspension des travaux de construction ordonnée par l’Audiencia Nacional
dans ses décisions des 24 janvier et 6 mars 1996 (paragraphes 13 et 14 ci-
dessus). A tout moment, l’administration s’est conformée aux décisions
judiciaires rendues en sa défaveur.


72. La Cour note que la situation dénoncée par les requérants ne saurait
être considérée comme similaire à celle constatée dans l’arrêt Raffineries
grecques Stran et Stratis Andreadis, où l’Etat était intervenu d’une manière
décisive pour orienter en sa faveur l’issue d’une instance à laquelle il était
partie. En l’espèce, l’adoption de la loi autonome de 1996 ne visait
assurément pas à écarter la compétence des tribunaux espagnols appelés à
connaître de la légalité du projet de barrage. Certes, l’exposé des motifs
faisait expressément mention des bandes périphériques de protection des
réserves naturelles touchées par le projet de barrage et de l’objectif
poursuivi par la loi. Néanmoins, la loi autonome litigieuse concernait
toutes les réserves et tous les espaces naturels protégés de Navarre, et pas
uniquement la zone visée par la construction du barrage. Sa vocation
générale ne fait aucun doute. De surcroît, le Parlement de Navarre n’a pas
légiféré avec effet rétroactif, comme le prouve le fait que, nonobstant
l’adoption de la loi autonome le 17 juin 1996, le Tribunal suprême,
quelques semaines après l’adoption de ladite loi, rendit un arrêt annulant
partiellement, mais définitivement, le projet d’ouvrage tel qu’il avait été
conçu. S’il est indéniable que l’adoption par le Parlement de Navarre de la
loi en question s’avéra en dernier lieu défavorable aux thèses soutenues par
les requérants, on ne saurait dire que ce texte a été approuvé dans le but de
contourner le principe de la prééminence du droit. Au demeurant, une fois 

la loi autonome adoptée, les requérants ont obtenu le renvoi préjudiciel en
inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi autonome devant le
Tribunal constitutionnel, qui s’est prononcé au fond sur leurs prétentions.
Devant la haute juridiction, la thèse des intéressés a été examinée au même
titre que celles soumises par le gouvernement et le Parlement de Navarre.
En définitive, le litige qui les opposait à l’Etat a été traité par les tribunaux
espagnols dans le respect du procès équitable tel que garanti par l’article 6
§ 1.


73. Pour les raisons qui précèdent, la Cour conclut que l’interférence du
pouvoir législatif dans l’issue du litige, alléguée par les requérants, n’a pas
porté atteinte au caractère équitable de la procédure. Il n’y a donc pas eu
violation de l’article 6 § 1 de la Convention.


III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 DE LA
CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1
74. Les requérants allèguent que l’adoption de la loi autonome de 1996
constitue une violation de leur droit au respect à la vie privée et familiale
et au domicile, garanti par l’article 8 de la Convention, ainsi que du droit
au respect de leurs biens, protégé par l’article 1 du Protocole no 1.


75. La Cour constate que les griefs soumis par les requérants sont, en
substance, les mêmes que ceux formulés sous l’angle de l’article 6 § 1,
étudiés ci-dessus. Dès lors, elle estime qu’il ne s’impose pas de les
examiner séparément sous l’angle des dispositions invoquées.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette les exceptions préliminaires du Gouvernement ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce
qui concerne le grief tiré de la prétendue atteinte au principe de l’égalité
des armes ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce
qui concerne le grief tiré de la prétendue interférence du pouvoir
législatif dans l’issue du litige ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants
tirés des articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1.


Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 avril 2004, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O’BOYLE Nicolas BRATZA
Greffier Président

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