COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE OPEN DOOR ET DUBLIN WELL WOMAN c. IRLANDE
(Requête no14234/88; 14235/88)
ARRÊT
STRASBOURG
29 octobre 1992
En l’affaire Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande[*],
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 51 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
S.K. Martens,
Mme E. Palm,
MM. I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
J.M. Morenilla,
F. Bigi,
Sir John Freeland,
MM. A.B. Baka,
M.A. Lopes Rocha,
J. Blayney, juge ad hoc,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 mars et 23 septembre 1992,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») puis par le gouvernement de l’Irlande (« le Gouvernement »), les 24 avril et 3 juillet 1991, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouvent deux requêtes dirigées contre l’Irlande et introduites devant la Commission, les 10 août et 15 septembre 1988, en vertu de l’article 25 (art. 25). La première (no 14234/88) émanait d’Open Door Counselling Ltd, société enregistrée en Irlande, la seconde (no 14235/88) d’une autre société irlandaise, Dublin Well Woman Centre Ltd, d’une citoyenne des États-Unis d’Amérique, Mme Bonnie Maher, et de trois Irlandaises, Mmes Ann Downes, X et Maeve Geraghty.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration irlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l’article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 8, 10 et 14 (art. 8, art. 10, art. 14) plus, pour la requête, un examen de ces questions sous l’angle des articles 2, 17 et 60 (art. 2, art. 17, art. 60).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, les requérantes ont manifesté le désir de participer à l’instance et désigné leurs conseils (article 30). Le 23 janvier 1992, le président a autorisé, en vertu de l’article 30 du règlement, la première société requérante à être représentée à l’audience par un avocat des États-Unis d’Amérique.
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. B. Walsh, juge élu de nationalité irlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Par une lettre du 8 mai 1991 à celui-ci, M. Walsh a déclaré se récuser en application de l’article 24 par. 2 du règlement, l’affaire résultant d’un arrêt de la Cour suprême irlandaise auquel il avait contribué. Le 19 juin, l’agent du Gouvernement a notifié au greffier la désignation de M. John Blayney, juge à la High Court d’Irlande, en qualité de juge ad hoc (articles 43 de la Convention[*] et 23 du règlement) (art. 43).
Le 26 avril, le président de la Cour avait tiré au sort le nom des sept autres membres de la chambre, à savoir M. J. Cremona, M. L.-E. Pettiti, M. J. De Meyer, Mme E. Palm, M. R. Pekkanen, M. A.N. Loizou et M. J.M. Morenilla (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et les conseils des requérantes au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38 du règlement). Conformément à ses ordonnances et directives, le greffier a reçu les mémoires des requérantes les 31 octobre et 4 novembre 1991, à cette dernière date celui du Gouvernement et, le 6 décembre, les observations du délégué.
5. Le 28 août 1991, le président avait autorisé « Article 19 » (le Centre international contre la censure), en vertu de l’article 37 par. 2 du règlement, à présenter des observations écrites sur des aspects particuliers de l’affaire. Le même jour, il y avait également admis la Society for the Protection of Unborn Children (Société pour la protection des enfants à naître, la « S.P.U.C. »). Leurs observations respectives sont arrivées le 28 novembre.
6. Le 27 janvier 1992, le président a consenti à la production d’un document par Dublin Well Woman Centre Ltd (article 37 par. 1, second alinéa).
7. Ainsi qu’il en avait décidé, les débats se sont déroulés en public le 24 mars 1992, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La chambre avait tenu auparavant une réunion préparatoire au cours de laquelle elle avait résolu, en vertu de l’article 51 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière. Elle avait en outre accepté le dépôt, par les requérantes, de diverses pièces et refusé aux avocats de la S.P.U.C. l’autorisation de prendre la parole devant la Cour.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
Mme E. Kilcullen, conseiller juridique adjoint,
ministère des Affaires étrangères, agent,
MM. D. Gleeson, Senior Counsel,
J. O’Reilly, Senior Counsel, conseils,
J.F. Gormley, Office of the Attorney General, conseiller;
– pour la Commission
M. J. Frowein, délégué;
– pour les requérantes
Open Door Counselling Ltd
MM. F. Clarke, Senior Counsel,
D. Cole, Centre for Constitutional Rights (New York), conseils,
J. Hickey, solicitor,
Mme R. Riddick, conseiller;
Dublin Well Woman Centre Ltd et autres
MM. A. Hardiman, Senior Counsel,
B. Murray, conseils,
Mmes B. Hussey, solicitor,
R. Burtenshaw, directeur général,
P. Ryder, directeur,
M. McNeaney, conseiller, conseillers.
La Cour a entendu des déclarations de MM. Gleeson et O’Reilly pour le Gouvernement, M. Frowein pour la Commission et MM. Clarke, Hardiman et Cole pour les requérantes, ainsi que des réponses à ses questions.
8. Le 10 avril 1992, le Gouvernement a présenté des observations complémentaires sur les prétentions des requérantes au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention. Les intéressées y ont répondu le 15 juin.
EN FAIT
I. INTRODUCTION
A. Les requérantes
9. Les requérantes sont d’un côté a) Open Door Counselling Ltd (« Open Door »), société enregistrée en Irlande et qui s’occupait, entre autres, de conseiller les femmes enceintes à Dublin et ailleurs en Irlande; de l’autre, b) Dublin Well Woman Centre Ltd (« Dublin Well Woman »), société elle aussi enregistrée en Irlande et qui assurait un service analogue dans deux cliniques de Dublin, c) Bonnie Maher et Ann Downes, qui travaillaient pour le Centre à titre de conseillères expérimentées et d) Mme X et Mme Maeve Geraghty, nées en 1950 et 1970, qui se joignent à la requête de Dublin Well Woman en tant que femmes en âge de procréer. Elles reprochent toutes aux juridictions irlandaises d’avoir interdit à Open Door et Dublin Well Woman de fournir aux femmes enceintes, dans le cadre de consultations non directives, des renseignements sur les possibilités d’avortement en dehors du territoire irlandais (paragraphes 13 et 20 ci-dessous).
Open Door et Dublin Well Woman sont des associations sans but lucratif. La première cessa ses activités en 1988 (paragraphe 21 ci-dessous). La seconde, créée en 1977, offre une large gamme de services: conseil conjugal, contrôle des naissances, consultation sur des questions liées à la procréation et à la santé. Ils concernent tous les aspects de la santé féminine: frottis, examens sénologiques, stérilité, insémination artificielle et conseil aux femmes enceintes.
10. En 1983, à l’époque du référendum qui déboucha sur le Huitième Amendement à la Constitution (paragraphe 28 ci- dessous), Dublin Well Woman publia une brochure où elle indiquait notamment avoir obtenu des avis juridiques sur les incidences de ce texte: il permettrait « à chacun de solliciter en justice une ordonnance interdisant [à la requérante] de dispenser » les services de conseil non directif. Elle y avertissait aussi les lecteurs qu’un individu pourrait, de même, réclamer une injonction judiciaire afin d’empêcher une femme de se rendre à l’étranger s’il pensait qu’elle voulait y subir une interruption de grossesse.
B. La procédure relative à l’injonction
1. Devant la High Court
11. Le 28 juin 1985, la S.P.U.C. engagea contre les sociétés requérantes des poursuites devant la High Court, à titre privé; le 24 septembre 1986, une ordonnance de celle-ci les convertit en une action exercée par l’Attorney General dans l’intérêt de l’ordre public (the Attorney General at the relation of the Society for the Protection of Unborn Children (Ireland) Ltd v. Open Door Counselling Ltd and Dublin Well Woman Centre Ltd, Irish Reports 1988, pp. 593-627).
12. La S.P.U.C. entendait voir déclarer contraires à l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution, qui protège le droit à la vie des enfants à naître (paragraphe 28 ci-dessous), les activités des sociétés requérantes consistant à signaler aux femmes enceintes relevant de la juridiction de la Cour, les possibilités de se rendre à l’étranger pour s’y faire avorter; elle demandait de plus qu’une ordonnance interdît aux défenderesses de prodiguer pareils conseils ou assistance.
13. Aucun élément de preuve ne fut produit à l’audience: le procès se déroulait sur la base de certains faits reconnus. Ceux admis alors par Dublin Well Woman peuvent se résumer ainsi:
a) elle conseillait, de manière non directive, des femmes enceintes résidant en Irlande;
b) l’avortement ou interruption de grossesse pouvait figurer parmi les solutions discutées à cette occasion;
c) si une femme enceinte envisageait d’y recourir, la requérante prenait des dispositions pour l’adresser à une clinique médicale de Grande-Bretagne;
d) dans certaines circonstances, elle pouvait organiser le voyage de l’intéressée;
e) elle inspectait la clinique médicale de Grande-Bretagne pour s’assurer du respect des normes les plus rigoureuses;
f) ces cliniques avaient procédé à des avortements sur des femmes enceintes conseillées au préalable par la requérante;
g) pendant de nombreuses années, dont 1984, des femmes enceintes résidant en Irlande avaient été envoyées dans des cliniques médicales de Grande-Bretagne pratiquant l’avortement.
Open Door reconnut les mêmes faits, sauf le point d).
14. Dans l’arrêt de la Cour suprême en l’espèce (16 mars 1988, Irish Reports 1988, p. 621), le Chief Justice Finlay définit ainsi la notion de conseil non directif:
« Au nom de chacune des défenderesses, on a plaidé que par conseil non directif, dans le cadre de cette série de faits reconnus, on doit entendre une consultation ne comportant ni incitation ni jugement, mais destinée par nature à conduire l’intéressée à se prononcer elle-même sur son problème et sur la manière de le résoudre après réflexion. L’intéressée n’a pas contesté cette interprétation des mots ‘conseil non directif’ dans le contexte des activités des défenderesses. Il s’ensuit, à l’évidence, qu’un conseil non directif à une femme enceinte ne consiste jamais à lui recommander l’avortement comme le meilleur parti à prendre, mais pas davantage à l’en dissuader pour une raison quelconque. »
15. Le 19 décembre 1986, le juge Hamilton, président de la High Court, conclut qu’Open Door et Dublin Well Woman, en renseignant les femmes enceintes relevant de la juridiction de la cour sur les possibilités d’aller à l’étranger y subir un avortement ou y obtenir de plus amples précisions sur pareille intervention hors d’Irlande, se livraient à des activités illégales au regard de l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution.
Il rappela que le droit pénal irlandais érige en infraction le fait ou la tentative de procurer un avortement, de pratiquer un avortement ou d’y contribuer en fournissant une substance ou un instrument nocifs (articles 58 et 59 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861), paragraphe 29 ci-dessous). En outre, le droit constitutionnel du pays protégeait également le droit à la vie de l’enfant à naître, dès la conception.
En conséquence, la High Court rendit une ordonnance « interdisant définitivement aux défenderesses [Open Door et Dublin Well Woman], conjointement et individuellement, ainsi qu’à leurs employés ou agents, de conseiller ou aider les femmes enceintes relevant de [sa] juridiction (…) en vue d’un avortement ou d’une consultation plus poussée en la matière ». Elle ne statua pas sur les frais, laissant chaque partie supporter les siens.
2. Devant la Cour suprême
16. Open Door et Dublin Well Woman attaquèrent cette décision devant la Cour suprême, laquelle les débouta par un arrêt unanime que le Chief Justice Finlay prononça le 16 mars 1988.
Elle releva que les requérantes n’estimaient pas indispensable, pour leurs services aux femmes enceintes d’Irlande, de prendre elles-mêmes la moindre part à l’organisation du voyage de celles qui voulaient aller à l’étranger pour y subir un avortement, ni de se charger de leur réserver une place dans des cliniques. En revanche, elles jugeaient essentiel d’indiquer à de telles femmes les nom, adresse et numéro de téléphone d’une clinique précise, inspectée par leurs soins et connue d’elles pour son respect de normes strictes, ainsi que les moyens de communiquer avec elle.
17. Sur la nécessité de prohiber l’activité susmentionnée comme inconstitutionnelle, le Chief Justice Finlay déclara:
« (…) L’issue du litige ne dépend en rien de la preuve, par le demandeur, de ce que les défenderesses préconisaient ou encourageaient des interruptions de grossesse. Eu égard à la nature des garanties offertes par l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution, il faut avant tout déterminer si les activités reconnues par les défenderesses aidaient des femmes enceintes, relevant de la juridiction de la Cour, à se rendre à l’étranger pour subir un avortement. En d’autres termes, la question de fait à trancher consiste à savoir si elles prêtaient ainsi assistance à la destruction de la vie d’enfants à naître.
Je crois hors de doute, au vu des faits reconnus par les défenderesses, qu’elles contribuaient en définitive à la destruction de vies à naître, par le biais de l’avortement, en ce sens qu’elles aidaient les femmes enceintes ayant choisi cette solution à prendre contact avec une clinique en Grande-Bretagne qui pratiquerait l’intervention. Si une femme désireuse d’interrompre une grossesse pouvait, grâce aux services de conseil de l’une ou l’autre des défenderesses, obtenir l’adresse précise d’une clinique de Grande-Bretagne pratiquant cette intervention, son numéro de téléphone et le moyen de communiquer avec elle, force est d’en conclure, me semble-t-il, qu’on l’aidait en somme sciemment à parvenir à ses fins. La constatation de l’éminent juge de première instance, selon laquelle les défenderesses aidaient des femmes enceintes à se rendre à l’étranger pour obtenir des informations plus complètes sur l’avortement et y subir cette opération, me paraît donc solidement étayée par les éléments de preuve du dossier (…) »
La Cour suprême ajouta qu’il n’y avait pas lieu, en l’espèce, d’interpréter le membre de phrase « compte dûment tenu de l’égal droit à la vie reconnu à la mère », figurant à l’article 40 par. 3, alinéa 3: les requérantes ne plaidaient pas que le service fourni par elles aux femmes enceintes eût pour objectif unique ou principal le respect de ce droit.
18. Open Door et Dublin Well Woman avançaient que si elles n’assuraient pas ces consultations, les femmes enceintes n’en réussiraient pas moins, probablement, à subir une interruption de grossesse, dans des conditions plus hasardeuses pour leur santé. La Cour suprême écarta l’argument en ces termes:
« Même si on pouvait l’établir, il n’y aurait pas là une raison valable pour que la Cour n’interdise pas les activités auxquelles se livraient les défenderesses.
Lorsqu’on en appelle à leur compétence pour protéger et soutenir un droit garanti par la Constitution, la tâche des tribunaux, qui ne dépend pas de l’existence d’une législation, doit se limiter aux questions en jeu et aux parties au litige.
Si l’Oireachtas légifère pour protéger et soutenir pareil droit, il peut choisir des termes plus larges que ne l’exige la solution de tel ou tel cas particulier. Les tribunaux ne peuvent adopter cette perspective large. Ils doivent s’en tenir aux questions en jeu et aux parties au litige. Pour s’opposer à une prohibition frappant les activités des défenderesses en l’espèce, on ne saurait donc objecter, à mon sens, que d’autres personnes ou les activités d’autres groupes ou organismes peuvent fort bien aboutir elles aussi au résultat favorisé par [ces mêmes] activités (…). »
19. Au sujet de l’existence d’un droit constitutionnel à l’information sur les possibilités d’avortement à l’étranger, la Cour déclara:
« L’avortement met fin à la vie que porte la femme enceinte. Il s’agit, aux termes de l’article 40 par. 3, alinéa 3, d’une atteinte directe au droit à la vie que la Constitution garantit à cet enfant à naître.
Il s’ensuit nécessairement que la Constitution ne saurait impliquer un droit non formulé à l’information sur l’accès à un service d’avortement situé hors de l’État et qui, si l’on y recourait, aurait pour conséquence directe de réduire à néant le droit à la vie de l’enfant à naître, expressément garanti par la Constitution. Sur ce point, on a plaidé en outre que le droit de recevoir et donner des informations qui – a-t-on allégué – existe et importe en l’espèce, se trouve, bien que non expressément consacré, implicitement visé ou compris dans le droit des citoyens à exprimer librement leurs convictions et opinions, lequel, garanti par l’article 40 par. 6, 1er alinéa i), de la Constitution, peut dans certaines circonstances englober comme droit annexe celui d’obtenir un renseignement. Il me paraît pourtant hors de doute qu’on ne saurait puiser dans la Constitution le droit à obtenir un renseignement afin de bafouer le droit à la vie qu’elle reconnaît à l’enfant à naître. »
20. La Cour suprême confirma la décision de la High Court de prononcer une interdiction, mais modifia de la sorte les termes de l’injonction:
« Il est (…) définitivement interdit aux défenderesses, conjointement et individuellement, ainsi qu’à leurs employés ou agents, d’aider les femmes enceintes relevant de la juridiction [de la Cour] à se rendre à l’étranger pour y subir des avortements, en leur signalant une clinique, en prenant des dispositions en vue de leur déplacement ou en leur indiquant le nom d’une ou de cliniques données, leur adresse et le moyen de communiquer avec elles, ou de toute autre manière. »
Le 3 mai 1988, les sociétés requérantes se virent condamner aux frais et dépens de leur recours à la Cour suprême.
21. À la suite de l’arrêt de cette dernière, Open Door, sans disponibilités, cessa ses activités.
C. Rebondissements judiciaires ultérieurs
22. Le 25 septembre 1989, la S.P.U.C. invita la High Court à déclarer illégale la diffusion, dans certaines publications estudiantines, d’indications sur les nom et adresse de cliniques pratiquant l’avortement en dehors du territoire irlandais et à en prohiber la distribution. Dans une instance similaire, la Cour suprême lui avait reconnu qualité pour demander en justice des mesures destinées à protéger le droit à la vie des enfants à naître (S.P.U.C. c. Coogan et autres, Irish Reports 1989, pp. 734-751).
Le 11 octobre 1989, la High Court décida de déférer certaines questions préjudicielles à la Cour de Justice des Communautés européennes, en vertu de l’article 177 du Traité de la CEE, pour savoir si le droit communautaire protégeait la liberté d’information en matière de services d’interruption de grossesse au dehors de l’Irlande.
23. Le 19 décembre 1989, la Cour suprême, saisie d’un recours contre cette décision, rendit une ordonnance provisoire (interlocutory injunction) interdisant aux étudiants de « publier ou diffuser, ou d’aider à imprimer, publier ou diffuser toute publication produite sous leurs auspices et fournissant des renseignements à des personnes (y compris des femmes enceintes) sur les nom et adresse de cliniques données pratiquant l’avortement et sur les moyens de communiquer avec un tel établissement » (S.P.U.C. c. Stephen Grogan et autres, Irish Reports 1989, pp. 753-771).
Le Chief Justice Finlay (approuvé par les juges Walsh, Griffin et Hederman) estima que les motifs adoptés par la Cour dans l’affaire des sociétés requérantes valaient pour les activités des étudiants:
« Je rejette, comme spécieux, l’argument selon lequel on peut distinguer entre l’activité ici en cause – à savoir publier dans des manuels pour étudiants le nom, l’adresse et le numéro de téléphone, à partir de cet État, de cliniques d’avortement situées au Royaume-Uni et diffuser ces manuels en Irlande – et l’activité condamnée par notre Cour en l’affaire [Open Door Counselling], au motif que dans cette dernière les informations se transmettaient lors d’entretiens personnels non directifs. Bien évidemment, c’est la fourniture de tels renseignements à des femmes enceintes, et non leur mode de communication, qui crée l’illégalité sur le plan constitutionnel, et notre arrêt Open Door Counselling ne se prête à aucune autre interprétation. »
Le juge McCarthy se prononça lui aussi en faveur d’une interdiction et formula les observations suivantes:
« Comme l’on peut se procurer ces informations par diverses sources telles que des magazines importés, je ne suis nullement persuadé qu’une ordonnance interdisant aux défendeurs de les publier sauverait la vie d’un seul enfant à naître, mais je suis absolument sûr que si les tribunaux ne veillent pas dès aujourd’hui au respect de cette garantie telle que nous l’avons conçue dans l’affaire A.G. (S.P.U.C.) c. Open Door Counselling Ltd (Irish Reports 1988, p. 593), le principe de la prééminence du droit se videra de son sens. »
24. Par un arrêt du 4 octobre 1991 sur les questions à elle déférées en vertu de l’article 177 du Traité CEE (paragraphes 22-23 ci-dessus), la Cour de Justice des Communautés européennes a jugé que « l’interruption médicale de grossesse, réalisée conformément au droit de l’État où elle a lieu, » constitue « un service au sens de l’article 60″. Toutefois, « le lien entre l’activité des associations d’étudiants [concernées] et les interruptions médicales de grossesse pratiquées par les cliniques d’un autre État membre » lui a paru « trop ténu pour que l’interdiction de diffuser des informations puisse être considérée comme une restriction » à la liberté de prestation de services, « relevant de l’article 59 du traité ». Elle n’a pas recherché si l’interdiction se heurtait à l’article 10 (art. 10) de la Convention: eu égard à ses conclusions relatives à la restriction aux services, elle a estimé que la réglementation nationale en cause « ne se situ[ait] pas dans le cadre du droit communautaire ». En conséquence, elle n’a pas trouvé contraires à celui-ci les restrictions à la diffusion d’informations par des étudiants (affaire C 159, S.P.U.C. c. Stephen Grogan et autres, Recueil, pp. 4733-4742).
25. La question de l’interprétation à donner à l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution a surgi aussi devant la Cour suprême en l’affaire Attorney General c. X et autres. L’Attorney General avait invité les tribunaux à défendre à une jeune fille, âgée de quatorze ans et enceinte, de se rendre à l’étranger pour y subir une interruption de grossesse. Elle affirmait avoir été violée et envisager le suicide. Par un arrêt du 5 mars 1992, la Cour suprême a jugé qu’une telle opération se concilie avec l’article 40 par. 3, alinéa 3, s’il s’avère qu’en son absence la vie de la mère courrait probablement un risque réel et sérieux. Estimant qu’il en allait ainsi en l’espèce, elle a levé l’interdiction prononcée par la High Court en première instance.
Une majorité de trois membres (le Chief Justice Finlay, les juges Hederman et Egan) a exprimé l’opinion que l’article 40 par. 3, alinéa 3, habilite les tribunaux, pour protéger et soutenir le droit à la vie de l’enfant à naître, à enjoindre dans certains cas à une femme enceinte de ne pas quitter le territoire en vue d’une interruption de grossesse.
A l’audience devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, le Gouvernement a formulé la déclaration suivante à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême dans cette affaire:
» (…) les personnes qui, au regard du droit irlandais, peuvent prétendre à une interruption de grossesse dans ces circonstances, doivent être considérées comme ayant droit à un accès approprié à des informations sur les possibilités de pareille intervention, en Irlande ou à l’étranger. »
D. Éléments de preuve fournis par les requérantes
26. Les requérantes ont présenté à la Cour des pièces attestant que le nombre – bien supérieur à 3 500 par an – des Irlandaises allant se faire avorter en Grande-Bretagne, n’a pas sensiblement baissé. Elles ont aussi produit l’avis d’un expert en santé publique, le Dr J.R. Ashton, d’après qui l’interdiction décidée en l’espèce peut entraîner cinq conséquences préjudiciables à la santé des Irlandaises:
1. augmentation des naissances d’enfants non désirés et rejetés;
2. augmentation des interruptions de grossesse illégales et hasardeuses;
3. insuffisance de la préparation des Irlandaises à semblable intervention;
4. augmentation des délais d’attente, d’où taux de complications accru;
5. insuffisance des soins postopératoires quant au traitement des complications médicales et aux conseils en matière de contraception.
Dans ses observations écrites à la Cour, la S.P.U.C. affirme que la progression du nombre des avortements subis en Angleterre par des Irlandaises, rapide avant la promulgation de l’article 40 par. 3, alinéa 3, s’est beaucoup ralentie depuis lors. En outre, le nombre des naissances chez les femmes mariées s’élèverait « très nettement ».
27. D’après les requérantes, les renseignements incriminés paraissent dans des journaux et revues britanniques importés en Irlande tout comme dans les pages jaunes de l’annuaire de Londres, que l’on peut se procurer auprès des services téléphoniques irlandais. Ils figureraient aussi dans des publications telles que le British Medical Journal, disponible en Irlande.
Sans contester l’exactitude de ces indications, le Gouvernement souligne que nul journal ou magazine n’a été fourni à la Cour à titre de preuve.
II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES CONCERNANT LA PROTECTION DES ENFANTS À NAÎTRE
A. Protection par la Constitution
28. L’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution irlandaise (Huitième Amendement), entré en vigueur en 1983 après référendum, précise:
« L’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, compte dûment tenu du droit égal de la mère à la vie, s’engage à le respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à le protéger et soutenir par ses lois. »
La Cour suprême l’a interprété en l’espèce, dans l’affaire S.P.U.C. c. Grogan et autres (Irish Reports 1989, p. 753) et dans l’affaire Attorney General c. X et autres (paragraphes 22-25 ci-dessus).
B. Protection par la loi
29. L’interdiction légale de l’avortement figure aux articles 58 et 59 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes. Aux termes de l’article 58,
« Toute femme enceinte qui, afin de se provoquer une fausse couche, s’administre illicitement un poison ou une autre substance nocive, ou utilise illicitement un instrument ou tout autre moyen dans cette même intention, et quiconque, de manière illicite et afin de provoquer la fausse couche d’une femme, enceinte ou non, lui administre ou l’amène à prendre un poison ou une autre substance nocive, ou utilise illicitement un instrument ou tout autre moyen dans cette même intention, se rendent coupables d’un crime et, en cas de verdict de culpabilité, sont passibles [de l’emprisonnement à perpétuité] (…) »
L’article 59 est ainsi libellé:
« Quiconque fournit ou procure illicitement un poison, une autre substance nocive, un instrument ou tout autre moyen, en les sachant destinés à servir illicitement à provoquer la fausse couche d’une femme, enceinte ou non, se rend coupable d’un délit et, en cas de verdict de culpabilité, (…) »
30. D’après l’article 16 de la loi de 1929 sur la censure des publications (Censorship of Publications Act 1929), modifié par l’article 12 de la loi de 1979 sur la santé et le contrôle des naissances (Health (Family Planning) Act 1979),
« Commet un acte illégal quiconque, sans y avoir été habilité par une autorisation écrite à lui délivrée en vertu du présent article:
a) imprime ou publie, ou fait ou permet d’imprimer ou de publier,
b) vend ou expose, offre ou conserve pour la vente,
ou c) distribue, offre ou conserve pour la distribution,
tout ouvrage ou périodique, qu’il figure ou non sur la liste des publications prohibées, préconisant ou pouvant raisonnablement passer pour préconiser des manoeuvres destinées à provoquer un avortement ou une fausse couche ou toute méthode, traitement ou instrument à utiliser à cette fin. »
31. L’article 58 de la loi de 1961 sur la responsabilité civile (Civil Liability Act 1961) précise que « le droit [applicable en la matière] vaut pour un enfant à naître, aux fins de sa protection, au même titre que s’il était né, à condition qu’il soit né vivant par la suite ».
32. L’article 10 de la loi de 1979 sur la santé et le contrôle des naissances réaffirme l’interdiction légale de l’avortement:
« Aucune clause de la présente loi ne peut passer pour autoriser
a) les manoeuvres abortives,
b) l’accomplissement de tout autre acte prohibé par les articles 58 et 59 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (articles interdisant l’administration de drogues ou l’emploi d’instruments destinés à des manoeuvres abortives),
ou c) la vente, l’importation dans l’État, la fabrication, la publicité ou l’étalage de produits abortifs. »
C. Jurisprudence
33. En dehors du présent litige et de ses prolongements (paragraphes 11-25 ci-dessus), la Cour suprême a traité du droit à la vie de l’enfant à naître dans plusieurs arrêts (voir, par exemple, McGee c. Attorney General (Irish Reports 1974, p. 264), G. c. An Bord Uchtala (Irish Reports 1980, p. 32) et Norris c. Attorney General (Irish Reports 1984, p. 36).
34. En l’affaire G. c. An Bord Uchtala (loc. cit.), le juge Walsh a dit:
« [Un enfant] a le droit à la vie elle-même et le droit à être protégé contre toute menace dirigée contre son existence, avant ou après la naissance (…). Le droit à la vie implique nécessairement le droit de naître, le droit de protéger et défendre cette vie et de la faire protéger et défendre (…) »
35. La Cour suprême a jugé aussi que les cours et tribunaux, en leur qualité de gardiens des droits fondamentaux énoncés dans la Constitution, jouissent de pouvoirs aussi étendus que l’exige la défense de celle-ci (The State (Quinn) c. Ryan, Irish Reports 1965, p. 70). En outre, la violation d’un droit constitutionnel par un particulier peut donner lieu à une action en dommages-intérêts (Meskell c. C.I.E., Irish Reports 1973, p. 121).
En statuant sur l’affaire The People c. Shaw, le juge Kenny a déclaré:
« Quand le peuple a adopté la Constitution de 1937, il a prévu (article 40 par. 3) que l’État s’engage à respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à protéger et soutenir par ses lois les droits individuels du citoyen. Spécialement, par ses lois il protège de son mieux contre les attaques injustes, la vie, la personne, l’honneur et les droits de propriété de tout citoyen et, en cas d’injustice, il les défend. J’appelle l’attention sur le mot ‘État’. L’obligation de mettre cette garantie en oeuvre pèse non sur le seul Oireachtas, mais sur chaque branche de l’État qui exerce les pouvoirs législatif, exécutif ou judiciaire: à preuve l’article 6. Le mot ‘lois’, à l’article 40 par. 3, englobe, en sus des lois votées par l’Oireachtas, les décisions de justice et les actes administratifs et réglementaires émanant des ministres. » (Irish Reports 1982, p. 1)
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
36. Les requérantes ont saisi la Commission les 19 août et 22 septembre 1988 (requêtes no 14234 et 14235/88). Elles alléguaient que l’injonction incriminée s’analysait en une atteinte injustifiée à leur droit de recevoir ou communiquer des informations et enfreignait l’article 10 (art. 10) de la Convention. Open Door, Mme X et Mme Geraghty prétendaient en outre que les restrictions constituaient une ingérence, incompatible avec l’article 8 (art. 8), dans leur droit au respect de leur vie privée; Open Door y voyait de surcroît une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec les articles 8 et 10 (art. 14+8, art. 14+10).
37. Après avoir ordonné la jonction des requêtes le 14 mars 1989, la Commission les a retenues le 15 mai 1990. Dans son rapport du 7 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut:
a) par huit voix contre cinq, que l’injonction de la Cour suprême a violé l’article 10 (art. 10) dans le chef des sociétés et conseillères requérantes;
b) par sept voix contre six, qu’elle l’a aussi violé dans le chef de Mmes X et Geraghty;
c) par sept voix contre deux, avec quatre abstentions, qu’il ne s’imposait pas d’examiner plus avant les griefs de Mmes X et Geraghty sous l’angle de l’article 8 (art. 8);
d) à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8), ni de l’article 14 (art. 14), dans le chef d’Open Door.
Le texte intégral de son avis, ainsi que des sept opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt[*].
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
38. À l’audience publique du 24 mars 1992, le Gouvernement a maintenu en substance les arguments et conclusions de son mémoire, par lequel il invitait la Cour à constater l’absence de violation de la Convention.
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DE L’AFFAIRE EN CE QUI CONCERNE DUBLIN WELL WOMAN
39. Dans leur requête initiale à la Commission, Dublin Well Woman et deux conseillères, Mmes Maher et Downes, affirmaient que l’injonction de la Cour suprême constituait une atteinte injustifiée à leur droit de communiquer des informations et enfreignait l’article 10 (art. 10) de la Convention.
Devant la Cour, elles ont allégué de plus un manquement aux exigences de l’article 8 (art. 8). Elles ne l’avaient pas fait devant la Commission.
40. La Cour rappelle que l’étendue de sa compétence se trouve déterminée par la décision de la Commission retenant la requête (voir notamment l’arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni du 29 novembre 1988, série A no 145-B, p. 27, par. 46). Elle estime que les requérantes cherchent aujourd’hui à la saisir d’un grief nouveau et distinct. Elle n’a donc pas compétence pour l’examiner.
II. SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
A. Sur la qualité de « victimes » de Mmes Maher, Downes, X et Geraghty
41. Comme déjà devant la Commission, le Gouvernement plaide que seules les sociétés requérantes peuvent se prétendre « victimes » d’une violation de droits garantis par la Convention. Ni Mme Maher, ni Mme Downes, ni Mme X ni Mme Geraghty n’auraient pris part aux procédures devant les juridictions irlandaises. Elles n’auraient d’ailleurs signalé aucune femme enceinte pouvant se poser en « victime » de ce dont elles se plaignent. Le litige s’analyserait à leur égard en une actio popularis, surtout dans le cas de Mmes X et Geraghty.
1. Mmes Maher et Downes
42. D’après le délégué de la Commission, le moyen relatif aux conseillères requérantes, Mmes Maher et Downes, contredit ce que le Gouvernement avait concédé devant la Commission, à savoir que les deux intéressées tombaient sous le coup de la restriction ordonnée par la Cour suprême et, partant, pouvaient affirmer avoir subi une ingérence dans l’exercice des droits protégés par l’article 10 (art. 10).
43. La Cour considère, avec la Commission, que Mmes Maher et Downes peuvent valablement se prétendre « victimes » d’une atteinte à leurs droits car l’injonction de la Cour suprême les touche directement. Elle estime en outre que le Gouvernement ne saurait invoquer devant elle, en matière d’exceptions préliminaires, des arguments inconciliables avec sa thèse devant la Commission (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande du 29 novembre 1991, série A no 222, pp. 21-22, par. 47, et l’arrêt Kolompar c. Belgique du 24 septembre 1992, série A no 235-C, p. 54, par. 32).
2. Mmes X et Geraghty
44. La Cour rappelle que l’article 25 (art. 25) habilite les particuliers à soutenir qu’une loi viole leurs droits par elle-même, en l’absence d’acte individuel d’exécution, s’ils risquent d’en supporter directement les effets (voir, notamment, l’arrêt Johnston et autres c. Irlande du 18 décembre 1986, série A no 112, p. 21, par. 42).
En l’occurrence, la décision de la Cour suprême empêche les sociétés requérantes, ainsi que leurs employés et agents, de fournir certains renseignements à des femmes enceintes. On n’a pas avancé que Mmes X et Geraghty le soient, mais elles figurent sans conteste parmi les femmes en âge de procréer pouvant pâtir des restrictions incriminées. Puisque la mesure dénoncée risque de les léser directement, elles n’essaient pas de discuter dans l’abstrait la compatibilité du droit irlandais avec la Convention. Elles peuvent donc se prétendre « victimes » au sens de l’article 25 par. 1 (art. 25-1).
B. Sur le respect du délai de six mois
45. Pendant les débats, le Gouvernement a plaidé qu’il fallait rejeter la requête en vertu de l’article 26 (art. 26), pour inobservation du délai de six mois, car les requérantes s’appuyaient sur une jurisprudence et des arguments non invoqués devant les tribunaux internes.
46. Le Gouvernement avait présenté ce moyen devant la Commission (annexe II du rapport), mais il ne l’a pas repris dans son mémoire à la Cour et ne l’a soulevé qu’à l’audience. Or l’article 48 par. 1 du règlement l’obligeait à en formuler le texte avant la date limite fixée pour le dépôt dudit mémoire. Dès lors, il échet d’écarter l’exception pour tardiveté (voir, entre autres, l’arrêt Olsson c. Suède du 24 mars 1988, série A no 130, p. 28, par. 56).
C. Sur l’épuisement des voies de recours internes
47. Dans son mémoire, le Gouvernement a soutenu – comme déjà devant la Commission – que les exigences de l’article 26 (art. 26) en matière d’épuisement des voies de recours internes n’ont pas été remplies
1. par Open Door, pour les griefs tirés des articles 8 et 14 (art. 8, art. 14);
2. par Open Door et Dublin Well Woman, dans la mesure où elles chercheraient à compléter leur plainte, sur le terrain de l’article 10 (art. 10), par des éléments de preuve et arguments, relatifs à l’avortement et aux répercussions de l’arrêt de la Cour suprême sur la santé des femmes, dont elles n’auraient pas saisi les juridictions irlandaises;
3. par Mmes Maher, Downes, X et Geraghty, car elles n’auraient nullement tenté d’épuiser les voies de recours internes offertes par le droit irlandais et n’auraient participé à aucun titre aux instances suivies en l’espèce devant lesdites juridictions.
48. Au sujet du point 1, la Cour relève que les doléances d’Open Door n’auraient eu aucune chance d’aboutir, vu le raisonnement de la Cour suprême concernant le haut niveau de protection que le droit irlandais assure au droit à la vie de l’enfant à naître (paragraphes 16-25 ci-dessus).
49. Quant au point 2, Open Door et Dublin Well Woman ne formulent pas un grief nouveau pour lequel elles n’auraient pas épuisé les voies de recours internes; elles se bornent à développer leur thèse à l’appui de plaintes déjà examinées par les tribunaux irlandais. L’article 26 (art. 26) n’y met nullement obstacle. De la décision de la Cour suprême, il ressort nettement qu’elles avaient bel et bien plaidé, en vain, qu’une injonction aurait des répercussions préjudiciables à la santé des femmes (paragraphe 18 ci-dessus).
50. Pour ce qui est du point 3, enfin, les arrêts de la Cour suprême en l’espèce et en des causes ultérieures (paragraphes 16-25 ci-dessus) montrent qu’une action des quatre personnes physiques requérantes n’aurait eu aucune perspective de succès.
51. Il y a donc lieu de rejeter l’exception de non- épuisement des voies de recours internes.
Conclusion
52. En résumé, la Cour a compétence pour connaître du fond de l’affaire pour chacune des requérantes.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 10 (art. 10)
53. Selon les requérantes, la Cour suprême, en interdisant d’aider des femmes enceintes à se rendre à l’étranger pour y subir une interruption de grossesse, porte atteinte au droit des associations requérantes et des deux conseillères à communiquer des informations, et à celui de Mmes X et Geraghty à en recevoir. Elles limitent leur grief à la partie de l’injonction qui concerne la fourniture de renseignements aux femmes enceintes, et non la prise de dispositions pour le voyage de celles-ci ou afin de leur signaler des cliniques (paragraphe 20 ci-dessus). Elles invoquent l’article 10 (art. 10), ainsi libellé:
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (…)
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
54. Le Gouvernement combat cette thèse. Devant la Cour, il affirme aussi que l’article 10 (art. 10) doit s’interpréter à la lumière des articles 2, 17 et 60 (art. 2, art. 17, art. 60), aux termes desquels:
Article 2 (art. 2)
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
(…) »
Article 17 (art. 17)
« Aucune des dispositions de la (…) Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la (…) Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues [par la] Convention. »
Article 60 (art. 60)
« Aucune des dispositions de la (…) Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie Contractante ou à toute autre convention à laquelle cette Partie Contractante est partie. »
A. Sur l’existence d’une ingérence dans les droits des requérantes
55. L’injonction, le Gouvernement le reconnaît, porte atteinte à la liberté des sociétés requérantes de communiquer des informations. Comme elle interdit aussi à leurs « employés ou agents » d’aider les « femmes enceintes » (paragraphe 20 ci-dessus), on ne saurait douter qu’il y a également ingérence dans le droit des conseillères requérantes à communiquer des informations et dans celui de Mmes X et Geraghty à en recevoir au cas où elles seraient enceintes.
Pareille ingérence enfreint l’article 10 (art. 10) sauf si elle se justifie, au regard du paragraphe 2 (art. 10-2), en tant que restriction « prévue par la loi » et nécessaire, dans une société démocratique, à la poursuite de l’un ou l’autre des buts énumérés dans ce texte.
B. Sur le point de savoir si la restriction était « prévue par la loi »
1. Thèses des comparants
56. Selon Open Door et Dublin Well Woman, la loi ne s’exprimait pas avec assez de précision pour leur permettre de prévoir que la justice interdirait les consultations non directives qu’elles assuraient. Le libellé de l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution (le Huitième Amendement) soulèverait de nombreuses difficultés d’interprétation et d’application; il n’en ressortirait pas clairement que les personnes renseignant des femmes enceintes violeraient cette disposition. Il n’indiquerait pas non plus nettement s’il peut servir à prohiber l’accès à des périodiques étrangers signalant les possibilités d’avortement en dehors de l’Irlande ou à restreindre d’autres activités représentant une « menace » pour la vie des enfants à naître, tel un voyage à l’étranger pour y subir un avortement.
Les requérantes soulignent à cet égard qu’à l’époque de son adoption, ledit article suscita les critiques de l’Attorney General et du Director of Public Prosecutions, qui lui reprochaient son ambiguïté et son flou. En outre, la législation sur laquelle on comptait pour en élucider le sens n’existe pas encore.
Toujours d’après Open Door et Dublin Well Woman, l’article 40 par. 3, alinéa 3, semble de prime abord s’adresser à l’État seul et non aux particuliers. Elles n’auraient donc eu aucun moyen de savoir qu’il s’appliquerait à des conseils non directifs dispensés par des organismes privés. Comme aucune autre loi irlandaise relative à l’avortement n’interdisait de telles consultations ou les voyages à l’étranger aux fins d’interruption de grossesse, elles auraient même eu de bonnes raisons de croire à la licéité de cette activité.
Enfin, l’imprécision du Huitième Amendement se refléterait dans le récent arrêt de la Cour suprême, du 5 mars 1992, en l’affaire Attorney General c. X et autres: ainsi que le concéderait le Gouvernement, il en résulterait que fournir des renseignements sur les interruptions de grossesse pratiquées à l’étranger est désormais autorisé dans certaines circonstances (paragraphe 25 ci-dessus).
Bref, l’illégalité de pareilles consultations non directives ne pouvait qu’échapper aux requérantes, à cause de la portée incertaine de cet article et des doutes sérieux régnant, même parmi les personnes les plus compétentes, sur sa signification et ses incidences.
57. Pour le Gouvernement, l’état du droit en vigueur était raisonnablement prévisible si l’on s’entourait de conseils juridiques éclairés, au sens de la jurisprudence de la Cour. Les requérantes auraient dû savoir qu’elles s’exposaient à une ordonnance destinée à protéger ou défendre les droits garantis par la Constitution, ou reconnus par la common law ou en vertu de principes d’équité. D’ailleurs, depuis la publication du rapport de la Commission il serait apparu que Dublin Well Woman avait bien reçu, au sujet des implications du libellé de l’Amendement, des avis juridiques l’avertissant du risque d’une prohibition judiciaire des services en question (paragraphe 10 in fine ci-dessus). Dès lors, il ne serait pas loisible aux intéressées d’exciper de l’imprévisibilité de l’injonction.
58. D’après la Commission, le Huitième Amendement ne donnait pas une indication assez nette pour amener les requérantes à prévoir qu’il serait illicite de fournir des informations sur des services légaux à l’étranger. Une loi qui limite la liberté d’expression à travers les frontières en un domaine aussi vital devrait user de termes d’une précision toute particulière, de manière à permettre aux individus d’arrêter leur conduite en conséquence. Comme le droit pénal n’interdisait pas à une femme de se rendre dans un autre pays pour y subir une interruption de grossesse, les hommes de loi pouvaient raisonnablement penser que la communication de renseignements ne s’analysait pas en une infraction. Au demeurant, le Gouvernement n’aurait pas réussi à montrer, jurisprudence à l’appui, que les sociétés requérantes pouvaient prévoir le caractère inconstitutionnel de leurs services consultatifs (paragraphe 35 ci-dessus). En outre, le texte de l’Amendement laisserait présager que le Parlement allait réglementer la protection des droits de l’enfant à naître.
2. Examen de la question par la Cour
59. Il échet d’examiner la question sur la base non du seul libellé de l’article 40 par. 3, alinéa 3, mais aussi des garanties que le droit irlandais – législation et jurisprudence – assure aux droits de l’enfant à naître (paragraphes 28-35 ci-dessus).
Certes, ni les interruptions de grossesse en dehors de l’Irlande ni la pratique de conseils non directifs aux femmes enceintes ne méconnaissent le droit pénal. De plus, l’article 40 par. 3, alinéa 3, n’enjoint de prime abord qu’à l’État de protéger le droit à la vie de l’enfant à naître et paraît annoncer l’édiction ultérieure d’une législation de mise en oeuvre.
Il ressort pourtant de la jurisprudence irlandaise, même antérieure à 1983, que les violations de droits constitutionnels par des particuliers peuvent faire l’objet d’actions en justice à l’égal des manquements imputables à l’État (paragraphe 35 ci-dessus). En outre, les tribunaux irlandais interprètent l’obligation constitutionnelle, incombant à celui-ci, de protéger et soutenir les droits individuels « par ses lois » comme englobant, à côté des « lois » adoptées par le Parlement (Oireachtas), le « droit » élaboré par les juges. En leur qualité de gardiens des droits fondamentaux, ils soulignent qu’ils jouissent des pouvoirs nécessaires pour assurer cette protection (ibidem).
60. Eu égard au niveau élevé de la protection assurée à l’enfant à naître par le droit irlandais en général, ainsi qu’à la manière dont les juridictions conçoivent leur rôle de garants des droits constitutionnels, les sociétés requérantes pouvaient prévoir à un degré raisonnable, en s’entourant de conseils éclairés, qu’elles s’exposaient à des poursuites (arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 avril 1979, série A no 30, p. 31, par. 49). Les avis juridiques effectivement donnés à Dublin Well Woman à la lumière de l’article 40 par. 3, alinéa 3, le confirment: d’après eux, ses activités consultatives pouvaient être interdites (paragraphe 10 ci-dessus).
La restriction était donc « prévue par la loi ».
C. Sur le point de savoir si la restriction poursuivait des buts légitimes au regard de l’article 10 par. 2 (art. 10-2)
61. Selon le Gouvernement, la législation irlandaise applicable a pour objectif la protection des droits d’autrui – en l’occurrence l’enfant à naître -, celle de la morale et, le cas échéant, la prévention du crime.
62. Les requérantes le contestent; elles estiment notamment illogique de considérer que le mot « autrui », utilisé à l’article 10 par. 2 (art. 10-2), comprend l’enfant à naître, dès lors que les termes « toute personne » figurent à l’article 10 par. 1 (art. 10-1) et partout dans la Convention.
63. La Cour ne saurait admettre que les restrictions incriminées tendaient à la prévention du crime: elle a déjà noté que ni la communication des renseignements en cause, ni une interruption de grossesse subie à l’étranger ne constituaient une infraction pénale (paragraphe 59 ci-dessus). En revanche, la protection garantie par le droit irlandais au droit à la vie des enfants à naître repose, à l’évidence, sur de profondes valeurs morales concernant la nature de la vie; elles se sont traduites dans l’attitude de la majorité du peuple irlandais qui, au référendum de 1983, a voté contre l’avortement (paragraphe 28 ci-dessus). La restriction poursuivait donc le but légitime de protéger la morale, dont la défense en Irlande du droit à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect. Vu cette conclusion, il n’y a pas lieu de rechercher si le pronom « autrui », tel que l’emploie l’article 10 par. 2 (art. 10-2), englobe l’enfant à naître.
D. Sur la « nécessité » de la restriction « dans une société démocratique »
64. Le Gouvernement soutient que pour apprécier la « nécessité » de la restriction, la Cour doit partir de l’idée que la protection assurée, en Irlande, aux droits de l’enfant à naître peut se déduire des articles 2, 17 et 60 (art. 2, art. 17, art. 60) de la Convention. Il affirme en outre que le critère de la « proportionnalité » ne joue pas quand il y va de ces mêmes droits. La Cour traitera ces questions à tour de rôle.
1. Article 2 (art. 2)
65. D’après le Gouvernement, la sauvegarde du droit à la vie des enfants à naître rendait l’injonction nécessaire dans une société démocratique et l’article 10 (art. 10) doit s’interpréter en fonction, notamment, de l’article 2 (art. 2) qui protégerait aussi la vie de ces enfants. La plupart des Irlandais réprouveraient avec vigueur l’avortement et il n’appartiendrait pas à la Cour d’essayer d’imposer une autre opinion.
66. La Cour relève d’emblée qu’elle ne se trouve pas appelée, en l’espèce, à déterminer si la Convention garantit un droit à l’avortement ou si le droit à la vie, reconnu par l’article 2 (art. 2), vaut également pour le foetus. Les requérantes ne prétendent pas que la Convention consacre un droit à l’avortement, en tant que tel; elles se bornent à se plaindre de l’injonction dans la mesure où elle restreint leur liberté de communiquer ou de recevoir des informations sur les interruptions de grossesse à l’étranger (paragraphe 20 ci- dessus).
Il s’agit donc uniquement de savoir si les restrictions à ladite liberté, prononcées par la partie pertinente de l’ordonnance, sont nécessaires dans une société démocratique à la protection de la morale, but légitime (paragraphe 63 ci-dessus). Partant, il n’y a pas lieu d’examiner en l’occurrence l’argument que le Gouvernement tire de l’article 2 (art. 2). En revanche, il faudra étudier ceux qui s’appuient sur les articles 17 et 60 (art. 17, art. 60) (paragraphes 78-79 ci-dessous).
2. Proportionnalité
67. Le Gouvernement insiste sur le caractère limité de l’injonction de la Cour suprême: elle ne restreindrait que la communication de certains renseignements (paragraphe 20 ci- dessus). En Irlande, rien ne limiterait le débat sur l’avortement en général, ni le droit des femmes à se rendre à l’étranger pour y subir une interruption de grossesse. Le principe de proportionnalité, consacré par la Convention, ne jouerait pas quand le problème à trancher concerne la destruction de la vie. Le droit à la vie ne saurait se mesurer, comme d’autres, au moyen d’une échelle graduée: ou bien il est respecté, ou bien il ne l’est pas. En conséquence, la démarche traditionnelle consistant à peser des droits et intérêts concurrents se révélerait hors de saison lorsqu’il y va de la destruction d’un enfant à naître. La vie représentant une valeur primordiale, antérieure et préalable à la jouissance des autres droits, sa protection pourrait impliquer des atteintes à tel d’entre eux – la liberté d’expression, par exemple – que la défense de droits de nature plus secondaire ne pourrait justifier.
Par son ordonnance, la Cour suprême aurait simplement tiré les conséquences logiques de l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution. La décision des juridictions irlandaises, estimant que la communication d’informations par les sociétés requérantes contribuait à détruire la vie d’enfants à naître, échapperait au contrôle des organes de la Convention.
68. La Cour ne saurait admettre que l’État possède, dans le domaine de la protection de la morale, un pouvoir discrétionnaire absolu et insusceptible de contrôle (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Norris c. Irlande du 26 octobre 1988, série A no 142, p. 20, par. 45).
Certes, elle reconnaît que les autorités nationales jouissent en la matière d’une large marge d’appréciation, en particulier dans une sphère comme celle-ci qui touche à des questions de croyance sur la nature de la vie humaine. Comme elle l’a déjà relevé, on chercherait en vain dans l’ordre juridique et social des États contractants une notion européenne uniforme de la morale et les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu précis des exigences de cette dernière comme sur la « nécessité » d’une « restriction » ou « sanction » destinée à y répondre (voir, entre autres, les arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 22, par. 48, et Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1988, série A no 133, p. 22, par. 35).
Il ne s’agit pourtant pas d’un pouvoir d’appréciation illimité; là aussi, la Cour doit vérifier si une restriction cadre avec la Convention.
69. Quant à l’application du critère de la « proportionnalité », la thèse du Gouvernement amènerait à conclure que les dispositions prises par les autorités nationales pour protéger le droit à la vie des enfants à naître, ou pour défendre la garantie constitutionnelle la concernant, se justifient automatiquement au regard de la Convention en cas d’allégation d’une atteinte à un droit de moindre envergure. Or si lesdites autorités ont en principe la faculté de choisir les mesures qu’elles jugent nécessaires au respect de la prééminence du droit ou pour donner effet à des droits constitutionnels, elles doivent en user d’une manière conciliable avec leurs obligations au titre de la Convention et sous réserve du contrôle des organes de celle-ci. A suivre ici le Gouvernement, la Cour abdiquerait la responsabilité dont l’investit l’article 19 (art. 19): « assurer le respect des engagements [des] Hautes Parties Contractantes (…) ».
70. En conséquence, elle doit examiner la question de la « nécessité » à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence (voir, entre autres, l’arrêt Observer et Guardian c. Royaume-Uni du 26 novembre 1991, série A no 216, pp. 29-30, par. 59). Il lui faut déterminer si la mesure litigieuse répond à un besoin social impérieux et en particulier si elle demeure « proportionnée au but légitime poursuivi » (ibidem).
71. Dans ce contexte, il convient de rappeler que la liberté d’expression vaut aussi pour les « informations » ou « idées » qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » (voir, entre autres, l’arrêt Handyside précité, série A no 24, p. 23, par. 49).
72. Si la restriction incriminée – le Gouvernement le relève à juste titre – ne concerne que la communication de renseignements, il échet néanmoins de répéter que le droit pénal irlandais n’érige pas en infraction le fait, pour une femme enceinte, de se rendre à l’étranger pour y subir un avortement. En outre, l’injonction réduit la liberté de recevoir ou communiquer des informations sur des services licites dans d’autres États contractants et dont peuvent dépendre la santé et le bien-être d’une femme. Quand des limitations visent des renseignements relatifs à des activités que, nonobstant leurs implications morales, des autorités nationales ont tolérées et continuent à tolérer, les organes de la Convention doivent en contrôler de près la compatibilité avec les principes d’une société démocratique.
73. Ce qui frappe d’abord la Cour est le caractère absolu de la décision de la Cour suprême: elle interdit de manière « définitive » de communiquer à des femmes enceintes des informations sur les possibilités d’avortement provoqué à l’étranger, sans tenir compte de l’âge et de l’état de santé des intéressées, ni de leurs raisons de solliciter des conseils sur l’interruption de grossesse. La portée radicale de cette restriction a été illustrée depuis lors par l’affaire Attorney General c. X et autres et par la concession du Gouvernement à l’audience: ne tombent plus sous le coup de l’injonction les femmes désormais libres, dans les circonstances que définit l’arrêt de la Cour suprême en cette même affaire, de subir une interruption de grossesse en Irlande ou au dehors (paragraphe 25 ci-dessus).
74. À cet égard déjà, l’ingérence se révèle trop large et disproportionnée. D’autres facteurs viennent le confirmer.
75. En premier lieu, il faut noter que les sociétés requérantes dispensaient aux femmes enceintes des conseils dans le cadre desquels les conseillères ne préconisaient ni n’encourageaient l’avortement, mais se bornaient à expliquer les solutions qui s’offraient (paragraphes 13-14 ci-dessus). La suite à réserver aux renseignements ainsi livrés relevait de la femme concernée. On ne saurait guère douter qu’après pareille consultation, certaines femmes aient préféré ne pas interrompre leur grossesse. Le lien entre la fourniture des informations et la destruction d’une vie à naître n’est donc pas aussi clair que le Gouvernement le prétend. Les autorités nationales avaient du reste toléré ces consultations même après le vote du Huitième Amendement en 1983, jusqu’à l’arrêt de la Cour suprême en l’espèce. Au demeurant, les requérantes ne diffusaient pas dans le public en général les renseignements communiqués par elles au sujet des possibilités d’avortement à l’étranger.
76. Le Gouvernement ne conteste pas vraiment que l’on peut s’en procurer auprès d’autres sources en Irlande, par exemple dans des revues, des annuaires téléphoniques (paragraphes 23 et 27 ci-dessus) ou par des personnes ayant des contacts en Grande-Bretagne. Partant, les informations que l’injonction cherchait à interdire figuraient déjà ailleurs, encore que selon des modalités non contrôlées par un personnel qualifié et protégeant donc moins bien la santé de la femme. L’ordonnance semble de plus s’être révélée fort peu efficace pour la sauvegarde du droit à la vie des enfants à naître: elle n’a pas empêché nombre d’Irlandaises d’aller encore se faire avorter en Grande-Bretagne (paragraphe 26 ci-dessus).
77. De surcroît, les éléments recueillis – le Gouvernement ne les discute pas – donnent à penser que l’injonction a créé un risque pour la santé de ces femmes: désormais, c’est à un stade plus avancé qu’elles essaient d’obtenir une interruption de grossesse, faute de conseils appropriés, et elles ne recourent pas aux soins médicaux postopératoires habituels (paragraphe 26 ci-dessus). D’autre part, l’injonction a pu entraîner des conséquences plus néfastes pour les femmes n’ayant pas une fortune suffisante, ou le niveau d’éducation voulu, pour accéder à d’autres moyens d’information (paragraphe 76 ci-dessus). Il s’agit assurément de facteurs à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité de la restriction.
3. Articles 17 et 60 (art. 17, art. 60)
78. Invoquant les articles 17 et 60 (art. 17, art. 60) de la Convention, le Gouvernement plaide qu’il ne faut pas interpréter l’article 10 (art. 10) de manière à limiter ou détruire le droit à la vie des enfants à naître, auquel le droit irlandais accorde une protection spéciale, ni à y porter atteinte.
79. Sans mettre en cause ce régime de protection sur le terrain de la Convention, la Cour rappelle que l’ordonnance litigieuse n’interdit pas aux Irlandaises de faire interrompre leur grossesse à l’étranger et que les renseignements dont elle cherche à les priver peuvent se puiser à d’autres sources (paragraphe 76 ci-dessus). Ce n’est donc pas l’interprétation de l’article 10 (art. 10), mais le mode d’application du droit interne en vigueur qui rend possible le maintien, à son niveau actuel, du nombre des avortements subis par des Irlandaises hors de leur pays.
4. Conclusion
80. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’interdiction imposée aux requérantes est disproportionnée aux objectifs poursuivis. Dès lors, il y a eu violation de l’article 10 (art. 10).
IV. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DES ARTICLES 8 ET 14 (art. 8, art. 14)
81. Open Door dénonce aussi une infraction à l’article 8 (art. 8): elle revendique la faculté de se plaindre d’une atteinte au droit de ses clientes au respect de leur vie privée. Mmes X et Geraghty s’appuient de leur côté sur ce texte: d’après elles, leur fermer l’accès à des informations concernant l’avortement à l’étranger s’analyse en une ingérence injustifiée dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée.
Open Door allègue en outre un manquement aux exigences de l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8): elle juge l’injonction discriminatoire envers les femmes car les hommes, eux, ne se voient pas refuser des informations « décisives pour leurs choix dans les domaines de la reproduction et de la santé ». Elle s’appuie de surcroît sur l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10), dénonçant une discrimination fondée sur les opinions politiques ou autres puisque les personnes cherchant à déconseiller l’avortement peuvent s’exprimer sans entraves.
82. Dans leur mémoire à la Cour, les signataires de la requête de Dublin Well Woman s’en prennent également à une discrimination contraire à l’article 14 combiné en premier lieu avec l’article 8 (art. 14+8), sur la même base qu’Open Door, en second lieu avec l’article 10 (art. 14+10), car il ressortirait de la décision de la Cour de Justice des Communautés européennes en l’affaire Grogan (paragraphe 24 ci-dessus) que si Dublin Well Woman avait été un « opérateur économique », elles auraient pu diffuser et recevoir de tels renseignements.
83. La Cour note que lesdites requérantes ont formulé leurs griefs de discrimination pour la première fois devant elle et que sa compétence pour en connaître pourrait donc se discuter (paragraphe 40 ci-dessus). Eu égard à son constat de violation de l’article 10 (art. 10) (paragraphe 80 ci-dessus), elle estime toutefois qu’il n’y a lieu d’examiner aucune de ces doléances ni celles d’Open Door, de Mme X et de Mme Geraghty.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
84. Aux termes de l’article 50 (art. 50),
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
A. Préjudice
85. Open Door n’élève aucune prétention pour préjudice. En revanche, Dublin Well Woman réclame une indemnité de 62 172 livres irlandaises (£IR) pour manque à gagner pendant la période de janvier 1987 à juin 1988, à raison de la suspension des services de conseil en matière de grossesse.
86. Le Gouvernement conclut au rejet de cette revendication. Il l’estime en particulier tardive, excessive et incompatible avec le statut de Dublin Well Woman, association sans but lucratif.
87. La Cour note que la demande remonte au 24 février 1992, date bien antérieure à l’audience du 24 mars. En outre, elle considère que même une association sans but lucratif, telle la requérante, peut subir un dommage matériel appelant une compensation.
Le Gouvernement souligne que la base et le mode de calcul du montant de 62 172 £IR n’apparaissent pas nettement; Dublin Well Woman ne précise pas comment elle a chiffré son préjudice et ne cherche pas à en fournir la preuve. Néanmoins, l’arrêt des services consultatifs a dû lui causer des pertes de recettes pour lesquelles la Cour, statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), lui alloue 25 000 £IR.
B. Frais et dépens
1. Open Door
88. Open Door sollicite 68 985 £IR 75 pour les procédures suivies en Irlande et devant les organes de la Convention; elle ne tient pas compte de ce que le Conseil de l’Europe lui a versé, pour honoraires, par la voie de l’assistance judiciaire. Le 1er mai 1992 M. Cole, l’un des avocats de la requérante, a réclamé 24 300 dollars américains de plus pour le Centre for Constitutional Rights.
89. Le Gouvernement juge raisonnable la demande d’Open Door.
90. La Cour constate que celle-ci comprend une somme destinée à rétribuer M. Cole, du Centre for Constitutional Rights. Elle rejette la prétention supplémentaire élevée par lui au nom du Centre, lequel n’a pas lui-même participé à l’instance. Elle accorde en revanche à Open Door le montant non contesté qu’elle revendique, moins les 6 900 francs français perçus au titre de l’assistance judiciaire.
2. Dublin Well Woman
91. Dublin Well Woman sollicite au total 63 302 £IR 84 pour frais et dépens exposés dans l’ordre juridique interne. Elle y ajoute 21 084 £IR 95 et 27 116 £IR 30 pour les procédures menées devant la Commission et la Cour, chiffres qui ne tiennent pas compte des paiements opérés, par la voie de l’assistance judiciaire, pour dépens et honoraires.
92. Le Gouvernement trouve raisonnable le premier des trois montants, mais il convient selon lui, à la lumière de la demande d’Open Door, de ramener le deuxième à 16 000 £IR et le troisième à 19 000.
93. La Cour estime elle aussi excessive la somme exigée pour les procédures suivies devant elle et la Commission, eu égard aux honoraires réclamés par Open Door et aux différences entre les deux requêtes. Elle considère que Dublin Well Woman a droit de ce chef à 100 000 £IR, moins les 52 577 francs français déjà touchés dans le cadre de l’assistance judiciaire.
94. Les montants accordés par le présent arrêt sont à majorer de ceux qui pourraient être dus au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette, par quinze voix contre huit, le moyen du Gouvernement selon lequel Mmes X et Geraghty ne peuvent se prétendre victimes d’une violation de la Convention;
2. Rejette, à l’unanimité, les autres exceptions préliminaires du Gouvernement;
3. Dit, par quinze voix contre huit, qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10);
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs;
5. Dit, par dix-sept voix contre six, que l’Irlande doit verser à Dublin Well Woman, dans les trois mois, 25 000 (vingt-cinq mille) livres irlandaises pour dommage;
6. Dit, à l’unanimité, qu’elle doit verser dans les trois mois à Open Door et Dublin Well Woman, pour frais et dépens, les sommes résultant des calculs à opérer conformément aux paragraphes 90, 93 et 94 des motifs;
7. Rejette, à l’unanimité, les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 29 octobre 1992.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
– opinion dissidente de M. Cremona;
– opinion en partie dissidente de M. Matscher;
– opinion dissidente de MM. Pettiti, Russo et Lopes Rocha, approuvée par M. Bigi;
– opinion séparée de M. De Meyer;
– opinion concordante de M. Morenilla;
– opinion partiellement dissidente de M. Baka;
– opinion dissidente de M. Blayney.
R. R.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CREMONA
(Traduction)
Certains aspects de l’affaire méritent une attention spéciale dans le contexte de l’exigence de la « nécessité dans une société démocratique » aux fins de l’article 10 par. 2 (art. 10-2) de la Convention.
Il y a d’abord la place primordiale que l’État irlandais accorde, dans l’ensemble de sa politique, à la protection de la vie de l’enfant à naître; à preuve les déclarations réitérées des autorités nationales, judiciaires et autres, au plus haut niveau.
En deuxième lieu, il s’agit là d’un principe fondamental de la politique de l’État irlandais, intégré dans la Constitution à la suite d’un référendum national assez récent où la volonté du peuple s’est exprimée directement en sa faveur par ce procédé éminemment démocratique, sans équivoque et à une forte majorité.
Troisièmement, dans un domaine comme celui-ci, qui touche à des valeurs morales profondes que l’ordre juridique interne considère comme fondamentales, la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales (que l’arrêt qualifie lui- même de large), bien qu’elle n’échappe certes pas au contrôle des organes de Strasbourg, revêt une importance particulière. Comme la Cour l’a dit à d’autres occasions:
a) « on chercherait en vain dans l’ordre juridique et social des divers États contractants une notion uniforme de [la morale] », de sorte que « l’idée qu’ils se font de ses exigences varie dans le temps et l’espace, spécialement à notre époque caractérisée par une évolution profonde des opinions en la matière » (arrêt Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1988, série A no 133, p. 22, par. 35; voir aussi l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 22, par. 48);
b) « grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu précis de ces exigences comme sur la nécessité d’une restriction ou sanction destinée à y répondre » (ibidem).
Ces déclarations prennent un relief spécial en l’occurrence, le peuple s’étant exprimé dans un référendum national. L’ingérence en cause représente en réalité un corollaire de la protection constitutionnelle accordée à des êtres sans défense (les enfants à naître) pour éviter de réduire à néant une disposition constitutionnelle tenue pour fondamentale dans l’ordre juridique national et d’ailleurs, selon les termes du Gouvernement, pour défendre la logique de cette disposition.
Quatrièmement, il existe aussi une certaine proportionnalité: l’interdiction dénoncée n’entrave en rien l’expression d’une opinion sur le point de savoir s’il faut autoriser l’avortement en général et elle ne va pas jusqu’à des mesures restreignant la liberté de mouvement des femmes enceintes ou les soumettant à des examens non demandés par elles-mêmes. Certes, dans son cadre limité elle usait de termes plutôt absolus, mais somme toute elle tendait à refléter le principe général de droit en jeu et la situation juridique telle qu’on l’entendait généralement à l’époque.
J’ai la conviction que tout inconvénient ou risque pouvant dériver de l’injonction litigieuse, présentée ici comme touchant indirectement des femmes peut-être désireuses de subir un avortement, ou toute limitation pratique à l’efficacité de pareille injonction en général, ne sauraient, dans le contexte de l’affaire prise globalement, prévaloir, par eux-mêmes ou combinés avec d’autres arguments, sur les considérations ci-dessus dans une appréciation d’ensemble.
En conclusion, eu égard à l’ensemble des circonstances et notamment à la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales, je ne puis conclure que l’injonction attaquée était incompatible avec l’article 10 (art. 10) de la Convention, du paragraphe 2 duquel elle remplissait à mon sens toutes les exigences. Il n’y a donc pas eu violation de cette disposition.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE MATSCHER
1. a) En dépit de la référence (paragraphe 44 du présent arrêt) que la Cour fait au paragraphe 42 de l’arrêt Johnston et autres c. Irlande (et qui d’ailleurs ne me paraît pas pertinente car celui-ci vise une situation fort différente), j’ai des doutes sur la qualité de « victimes » des requérantes Mme X et Mme Geraghty, qui ne prétendent nullement avoir voulu chercher des informations du type dont l’injonction incriminée a restreint la divulgation.
En attribuant, dans ces conditions, le caractère de victimes aux deux requérantes, la Cour adopte une notion d’après moi trop large de cette exigence qui est essentielle à toute requête individuelle, une notion qui tend à effacer toute frontière avec l’actio popularis que la Convention ne reconnaît pas.
Cela revient à dire que n’importe qui pourrait se prétendre victime d’une violation du droit à recevoir des informations, dès lors que dans un État contractant quelconque il y a eu restriction à la divulgation de certaines informations. D’après moi, pour être victime d’une atteinte à ce droit, on doit affirmer d’une manière au moins plausible avoir voulu accéder à des informations dont la divulgation avait été restreinte au mépris de l’article 10 (art. 10).
b) Pour les raisons expliquées à l’alinéa a), il n’y a pas eu non plus, à mon sens, ingérence dans le droit protégé par l’article 10 (art. 10) dans le chef de ces deux requérantes.
2. Je souscris entièrement à l’opinion de la majorité quand elle considère que l’ingérence en question était « prévue par la loi ».
3. Je ne puis en revanche me rallier à l’opinion de la majorité lorsqu’elle constate en l’espèce une violation de la Convention au motif que l’ingérence en question ne serait pas « nécessaire dans une société démocratique ». Je tâcherai d’expliquer mon point de vue:
a) La présente affaire met en évidence l’état de tension qui existe entre deux des conditions prévues au deuxième paragraphe des articles 8 à 11 (art. 8-2, art. 9-2, art. 10-2, art. 11-2) de la Convention et dont la présence peut rendre admissibles des ingérences dans les droits garantis par celle-ci, en l’espèce le « but légitime » et la « nécessité dans une société démocratique ».
Pour moi, le critère de « nécessité » se réfère uniquement aux mesures que l’État déploie pour assurer la sauvegarde du « but » (légitime) qu’il envisage; il a donc trait au caractère adéquat et proportionné des mesures y relatives, mais il ne permet nullement de « peser » ou de mettre en question la légitimité du but en tant que tel, c’est-à-dire de discuter du point de savoir s’il est « nécessaire » de vouloir atteindre un tel but (voir mon opinion – par d’autres motifs dissidente – relative à l’arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, série A no 45, p. 33).
C’est pour cette raison que je ne peux pas approuver la définition du terme « nécessaire » comme « répondant à un besoin social impérieux », ce qui met en évidence l’intention du juge international d’évaluer lui-même s’il est « nécessaire » qu’un législateur ou une juridiction nationaux se proposent d’atteindre un but dont la Convention reconnaît la légitimité. (D’ailleurs, cette définition est entièrement inappropriée pour l’évaluation de la « nécessité » d’une mesure qui ne sert qu’à la protection de la position juridique ou des intérêts d’un particulier; mais cela n’est pas le cas dans la présente affaire).
b) Le but que les juridictions irlandaises s’étaient proposé d’atteindre, en interdisant par une injonction toute activité d’information « institutionnalisée » relative aux possibilités de subir un avortement au Royaume-Uni (ainsi que d’organiser de tels voyages et des séjours dans des cliniques britanniques pratiquant l’avortement; à noter que ce dernier aspect ne forme pas l’objet de la présente requête, voir paragraphe 53, même si cela était, d’après moi, un élément inhérent aux activités déployées au moins par Dublin Well Woman et qui – pour l’appréciation de la légitimité du but poursuivi ainsi que de la « nécessité » de l’ingérence alléguée – ne peut pas être dissocié du premier élément, l’un et l’autre faisant conjointement l’objet de la décision incriminée des juridictions irlandaises), entre sans aucun doute dans la catégorie de « la défense de l’ordre » et de « la protection (de la conception irlandaise) de la morale »; j’y ajouterais également « la protection des droits d’autrui » (de l’enfant à naître ainsi que de son père); en effet, il me paraît être l’expression d’une vue trop étroite de vouloir réduire le problème du « but légitime » au seul aspect de la protection de la morale (voir, à cet égard, les arguments très pertinents avancés par le gouvernement irlandais, paragraphes 64 et suivants du présent arrêt).
Je laisse à l’écart l’argument de « la prévention du crime », encore qu’il ne serait pas correct d’affirmer qu’un avortement pratiqué à l’étranger est légal du point de vue du droit irlandais (ce que l’arrêt laisse entendre); il n’est pas poursuivi simplement à cause du caractère strictement territorial de la loi pénale irlandaise, sans que, pour cette raison, on puisse le qualifier de « légal » au sens du droit irlandais.
c) Je m’abstiens de prendre position sur la question de savoir si, du point de vue d’une politique législative, l’interdiction et la sanction pénale de l’avortement en Irlande peuvent encore être considérées comme raisonnables et recommandables ou si elles ne peuvent pas même conduire à des conséquences néfastes.
Le choix avait été fait par le législateur à la suite du référendum de 1983. L’introduction de l’article 40 par. 3, alinéa 3, dans la Constitution, protégeant la vie des enfants à naître et interdisant l’avortement, n’est que la réponse du législateur aux voeux exprimés d’une façon démocratique par le peuple irlandais. Je reconnais également que cette interdiction absolue a connu certaines atténuations ces derniers temps. Ce choix est à respecter et il n’est nullement contraire aux exigences de la Convention, sans même qu’il soit nécessaire, à cette fin, de faire appel à la marge d’appréciation dont le législateur national jouit dans des domaines comme celui-là.
d) Si la Convention reconnaît la légitimité du ou des buts visés par le droit irlandais, il n’appartient pas au juge international de le[s] remettre en question parce qu’il pourrait avoir, à cet égard, des idées différentes.
Il ne reste qu’à examiner la « nécessité », au sens de l’article 10 par. 2 (art. 10-2), des mesures adoptées par les autorités irlandaises, nécessité à évaluer à la lumière des critères expliqués à l’alinéa a) ci-dessus.
D’après moi, ces mesures peuvent être qualifiées d’adéquates au but poursuivi et de conformes au critère de la proportionnalité.
Il échet de réfuter encore un argument qui avait été avancé dans la présente discussion: on a dit que les femmes intéressées à subir un avortement à l’étranger pouvant obtenir librement les informations voulues dans des publications dont la distribution n’était pas interdite en République d’Irlande, l’interdiction des services d’information du genre de ceux qu’offraient les deux associations requérantes constituait par la force des choses une mesure inefficace, donc n’était plus « nécessaire ».
Or, entre les informations offertes par des annonces publicitaires dans les médias, dont il est pratiquement impossible d’empêcher la circulation dans un pays ouvert, et l’établissement de services de consultation et d’information spécifiques (combinés avec l’organisation de voyages et de séjours dans des cliniques appropriées pratiquant l’avortement au Royaume-Uni), il existe, d’après moi, une différence considérable, de sorte que l’on ne pourrait pas tenir l’ingérence incriminée pour dépourvue d’efficacité. En effet, elle constitue un moyen tout à fait approprié – bien qu’assurément non efficace à cent pour cent – pour atteindre le but (légitime) poursuivi; en tout cas, si on ne l’adopte pas, on risque de manquer ce but.
Dans ces conditions, je ne vois pas comment on pourrait nier la « nécessité » de la mesure litigieuse.
4. Je m’associe à l’opinion unanime de la Cour selon laquelle il ne s’impose pas de rechercher s’il y a eu violation d’autres articles de la Convention.
5. Même si j’avais suivi la majorité de la Cour quant au fond de l’affaire, je ne pourrais souscrire à l’octroi d’une somme quelconque à Dublin Well Woman pour dommage matériel (à la rigueur, on aurait pu songer à l’octroi d’une compensation pour dommage moral, si cela avait été réclamé): si cette requérante est une association idéaliste, sans but lucratif, comme elle a voulu le laisser entendre à la Cour, elle n’est pas en droit de réclamer une indemnité pour manque à gagner; si au contraire elle agit également en tant qu’entreprise commerciale – agence de voyages spécialisée – toute l’affaire devrait se présenter aussi à la majorité sous un éclairage bien différent.
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES PETTITI, RUSSO ET LOPES ROCHA, APPROUVEE PAR M. LE JUGE BIGI
Nous n’avons pas voté avec la majorité de la Cour sur, premièrement, l’acceptation de la qualité de victime pour les deux requérantes individuelles et partageons l’opinion du juge Matscher. Deuxièmement, nous avons considéré que la majorité avait fait une approche inexacte du problème qui lui était soumis, peut-être parce que la question de l’avortement était sous-jacente à l’analyse de la requête sous l’angle de l’article 10 (art. 10) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Il eût fallu raisonner, en ce qui concerne l’effet de la loi pénale, comme s’il s’agissait d’un problème de droit pénal classique. Au plan général, il eût fallu tenir davantage compte du fondement et du but de la législation irlandaise sur la protection de la vie.
Supposons que des États voisins de l’Irlande adoptent une loi pénale permissive pour les drogues, et que l’Irlande maintienne une législation répressive: si des associations ou agences organisant des prestations de services pour favoriser les voyages des Irlandais hors frontières, et leur initiation aux drogues sur place, étaient poursuivies pénalement, l’analyse sur le terrain de la Convention européenne des Droits de l’Homme conduirait sans doute à dire que, compte tenu de la souveraineté des États dans le domaine pénal et de leur marge d’appréciation, l’Irlande ne violerait pas l’article 10 (art. 10) en interdisant ce type de prestations de services. Semblable raisonnement devrait être accepté concernant les interventions du type Open Door. La Cour de Justice de la CEE dans son arrêt CJC 1992 Grogan (voir paragraphe 24 de l’arrêt) a en effet qualifié de prestations de services les interventions médicales. La portée des opérations proposées par Open Door dépassait le conseil social ou médical et servait les intérêts d’agences et de praticiens.
Il faut rappeler ici la substance des dispositions applicables en Irlande.
La disposition constitutionnelle en cause (article 40.3 3o), qui ne se trouvait pas dans le texte original en 1937, fut préconisée par la majorité de la population et adoptée dans un référendum national en 1983; il y eut une forte majorité de 67 % des voix opposée à l’avortement.
La nouvelle disposition ainsi insérée concerne uniquement la protection et la préservation de la vie humaine, et ne se réfère pas à la moralité sexuelle, ni à la moralité publique ou privée. Les questions de la liberté d’expression se trouvent traitées en général dans l’article 40.6 1o i de la Constitution.
Les arrêts des juridictions irlandaises traitaient seulement de la protection de la vie telle qu’envisagée par la Constitution.
La Constitution s’applique également à tout enfant dans le ventre de sa mère, que la conception soit le fruit d’une union légitime ou naturelle.
Il est inadéquat de considérer que la prise de position sur l’avortement serait simplement une expression de la morale ou de la sexualité.
La Cour n’a pas, selon nous, suffisamment pris en compte la mention « des droits d’autrui » à l’article 10 (art. 10) de la Convention et la référence à l’article 60 (art. 60) visant les dispositions pour la protection de droits qui sont plus larges dans la loi nationale irlandaise que dans la Convention.
La Cour s’en tient à l’appréciation de la moralité sans répondre véritablement aux motivations invoquées par le Gouvernement pour justifier la nécessité pour lui de se conformer à la Constitution.
Les ordonnances des juridictions irlandaises concernaient des questions relatives à la protection d’enfants à naître, mères et embryons se trouvant sur le territoire de l’Irlande, afin de s’opposer à des mécanismes ou services qui en Irlande tendaient au but contraire, en favorisant des interventions à l’étranger, préparées en Irlande. Pour le Gouvernement, ces activités étaient la préparation en Irlande d’un avortement exécuté à l’étranger. L’obligation constitutionnelle, au sens du droit irlandais, est de protéger cette vie pendant que la future mère se trouve en Irlande; elle implique la prise de mesures réalisables sur le territoire et ne concerne point la défense de la moralité.
Il est bien connu en Irlande que l’avortement est possible sous des conditions variées dans les autres pays, et l’État n’a pas essayé d’occulter cette information. Il est important de rappeler qu’en principe l’avortement reste punissable pénalement dans plusieurs États membres, qu’il est toutefois sujet à de nombreuses exceptions, dérogations. Ce qui se trouve en cause pour l’État irlandais, c’est la création en Irlande de liens entre les clientes particulières et les cliniques pratiquant l’avortement et leurs médecins en Angleterre. Ces liens sont établis avec comme objectif un acte contraire à la Constitution et aux décisions des juridictions irlandaises qui doivent respecter celle-ci.
S’il s’agissait de dispenser aux consultantes des conseils concernant des impératifs de santé, le corps médical et hospitalier irlandais répondait aux besoins et aux interrogations des patientes.
La majorité accepte que la restriction était « prévue par la loi » et qu’elle poursuivait le « but légitime » de protéger la morale, dont la défense en Irlande du droit à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect. Elle accepte aussi que la protection, reconnue en droit irlandais, du droit à la vie des enfants à naître repose sur des valeurs morales concernant la nature de la vie et qui se sont traduites dans l’attitude adoptée par la majorité du peuple irlandais.
Ce sont simplement des considérations sur la nécessité et la proportionnalité des injonctions relatives à l’activité des agences requérantes qui ont conduit la majorité à conclure à la violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention; pour aboutir, en d’autres termes, à la conclusion que les restrictions imposées sont par trop larges et disproportionnées.
A notre avis, les restrictions sont justifiées, et en tout cas, ne dépassent pas le seuil admissible. Il s’agit, nettement, d’une compression minimale du droit à la liberté d’expression – dans son aspect relatif à la communication et à la réception des informations – de nature à assurer la primauté de valeurs telles que le droit à la vie de l’enfant à naître selon les conceptions de l’ordre juridique irlandais qu’on ne saurait critiquer à la lumière de conceptions différentes partagées par d’autres systèmes juridiques.
Le fait que l’Irlande ne peut s’opposer efficacement à la diffusion des revues, des annuaires téléphoniques anglais contenant des renseignements sur les cliniques en Grande-Bretagne, de manière que quiconque puisse s’informer sur les cliniques d’avortement dans ce pays et les possibilités de s’y faire avorter, ne peut, à notre avis, que confirmer la nécessité d’une mesure particulière telle que celle adoptée par les juridictions irlandaises. En effet, les revues, les listes téléphoniques et les personnes disposant d’informations sur les cliniques d’avortement en Grande-Bretagne sont des éléments « passifs », qui exigent une attitude personnelle et volontaire de consultation. Toute différente est l’activité des agences qui organisent des déplacements et prêtent des services spéciaux à leurs clients, en influant sur leurs décisions.
L’inefficacité partielle d’une loi ou d’une jurisprudence ne peut être retenue comme un critère qui conduirait à renoncer à des mesures spéciales destinées à empêcher les agissements d’organisations préposées à la recherche de moyens pour obtenir des résultats non conformes aux intérêts et valeurs de l’ordre juridique.
On connaît bien, d’ailleurs, le caractère fragmentaire des législations, notamment dans le domaine pénal, qui a pour mission d’assurer le respect intégral des valeurs juridiquement garanties.
Le fait que l’ordre juridique irlandais renonce à punir certains comportements de nature pénale lorsqu’ils ont lieu à l’étranger, n’efface pas le caractère illicite. Il s’agit d’une limitation à la compétence extra-territoriale en raison de difficultés concernant l’obtention de preuves.
En d’autres termes, le défaut d’une condition objective de punissabilité ne supprime pas le caractère illégal de l’acte pratiqué hors du territoire d’application de la loi pénale.
Enfin, on pourrait invoquer la doctrine de la fraude à la loi, qui apporte à un ordre juridique une justification raisonnable pour prendre des mesures légitimes qui puissent empêcher la production de résultats indésirables selon ses conceptions et principes juridiques fondamentaux (c’est la doctrine de la fraus legis commentée entre autres par M. Santoro Passarelli dans sa théorie générale du droit civil).
On ne saurait donc contester le droit des autorités d’un pays d’adopter les mesures adéquates pour faire obstacle à la pratique de l’acte frauduleux et à ses effets.
En conclusion, nous estimons que les décisions des juridictions irlandaises n’ont pas violé l’article 10 (art. 10) de la Convention.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER
I. Sur le fond
1. L’objet essentiel de l’injonction litigieuse était d’interdire aux associations requérantes d’aider les femmes enceintes relevant de la juridiction de l’État irlandais à se rendre hors d’Irlande pour s’y faire avorter: c’est ce qu’indiquaient clairement les termes mêmes de l’injonction[1].
Celle-ci précisait l’interdiction en citant explicitement trois manières de fournir l’assistance interdite: le fait d’adresser les femmes à une clinique, le fait de prendre des dispositions pour leur voyage et le fait de les informer du nom et de l’adresse d’une ou de plusieurs cliniques et des moyens de communiquer avec celles-ci. Ce n’étaient là que des exemples, puisque l’interdiction visait aussi toute assistance fournie « de toute autre manière ».
2. Comme le relève la Cour, les requérantes ne semblent se plaindre de l’injonction qu’en tant que celle-ci concerne la communication d’informations[2].
A cet égard, j’estime, avec la majorité de mes collègues mais pour d’autres motifs, qu’il y a eu violation de la liberté d’expression: je le pense pour les raisons déjà indiquées dans l’opinion séparée que j’ai émise, avec plusieurs autres juges, dans l’affaire Observer et Guardian au sujet des restrictions préalables que celle-ci concernait[3].
Il est vrai que la présente affaire n’est pas une affaire de presse, comme l’était cette affaire-là. Mais la liberté d’expression existe aussi pour ceux qui l’exercent autrement que par la voie de la presse.
4. De même, il est vrai que la communication d’informations n’était interdite aux associations requérantes qu’en tant que manière d’aider des femmes enceintes à aller subir des avortements hors d’Irlande, à échapper ainsi aux contraintes résultant de l’interdiction et de la répression de l’avortement en Irlande même et, surtout, à porter atteinte au droit à la vie d’enfants à naître.
En effet, il s’agit essentiellement, en cette matière, de la protection de ce droit, bien plus que de la protection de la morale, et cela pose donc aussi de graves problèmes sous l’angle des articles 2, 17 et 60 (art. 2, art. 17, art. 60) de la Convention.
Il pouvait donc y avoir de très bonnes raisons pour justifier l’adoption de dispositions pénales réprimant la communication d’informations de ce genre, mais il ne me semble pas qu’elles pouvaient justifier une dérogation au principe, essentiel à mes yeux, selon lequel l’imposition de restrictions préalables, même sous la forme d’injonctions judiciaires, ne peut être admise à l’égard de l’exercice de la liberté d’expression[4].
5. Bien entendu, rien ne s’opposait à l’imposition de restrictions de ce genre à l’égard des activités par lesquelles les associations requérantes aidaient, autrement que par la communication d’informations ou d’idées, des femmes enceintes à aller se faire avorter.
II. Sur l’application de l’article 50 (art. 50)
Quant aux dommages que prétend avoir subis Dublin Well Woman, j’estime, en raison des circonstances de l’espèce et notamment du fait que la communication d’informations ne constituait qu’un des aspects de l’activité de cette association, qu’il n’y avait pas lieu à indemnisation.
En ce qui concerne les frais et dépens des deux associations, je souscris aux conclusions de l’arrêt.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE MORENILLA
(Traduction)
1. Je souscris aux conclusions de la majorité en l’espèce, mais non au raisonnement l’amenant à constater une violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention. Selon moi, l’ingérence qui résultait de l’ordonnance de la Cour suprême irlandaise, interdisant de communiquer aux femmes enceintes des renseignements sur les services d’interruption de grossesse au Royaume-Uni, n’était pas « prévue par la loi » comme le prescrit le paragraphe 2 de cet article (art. 10-2), compte tenu de la manière dont notre Cour interprète les articles 8 à 11 (art. 8, art. 9, art. 10, art. 11) de la Convention et l’article 2 paras. 3 et 4 du Protocole no 4 (P4-2-3, P4-2-4) , où figure la même condition. Je ne puis donc me rallier aux paragraphes 59 et 60 de l’arrêt.
Puisque l’ingérence ne me paraît pas répondre à cette exigence, je ne crois pas nécessaire de rechercher plus avant, avec la majorité, si la mesure se justifiait au regard du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2); par conséquent, je ne me rallie pas non plus aux conclusions des paragraphes 61 à 77 de l’arrêt.
2. A mon avis, la notion de mesure « prévue par la loi » vise la condition de légalité voulue par la prééminence du droit et que doivent remplir les restrictions aux droits ou libertés fondamentaux. D’après la jurisprudence de la Cour, cette condition implique que le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires aux droits garantis par le paragraphe 1 (voir, notamment, l’arrêt Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 33, par. 88; l’arrêt Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984, série A no 82, pp. 32-33, paras. 67-68; et les arrêts Kruslin et Huvig c. France du 24 avril 1990, série A no 176-A, pp. 22-23, par. 30, et no 176-B, pp. 54-55, par. 29); elle « ne se borne pas à renvoyer au droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi; [elle] la veut compatible avec la prééminence du droit, mentionnée dans le préambule de la Convention » (arrêt Malone précité, ibidem). La Cour avait aussi déclaré que non seulement « l’ingérence en cause doit avoir une base en droit interne », mais encore « il faut d’abord que la ‘loi’ soit suffisamment accessible: le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une ‘loi’ qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé » (arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 avril 1979, série A no 30, p. 31, par. 49). Dans l’arrêt Groppera Radio AG et autres c. Suisse du 28 mars 1990 (série A no 173, p. 26, par. 68), la Cour souligne que « la portée des notions de prévisibilité et d’accessibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte en cause, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires ».
3. Depuis l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976 (série A no 24, p. 23, paras. 48-49), la Cour ne cesse de dire que l’article 10 par. 2 (art. 10-2) n’attribue pas aux États contractants un pouvoir d’appréciation illimité quand ils interprètent et appliquent les lois en vigueur: chargée d’assurer le respect de leurs engagements, elle a compétence pour statuer par un arrêt définitif sur le point de savoir si une restriction se concilie avec la liberté d’expression telle que la protège l’article 10 (art. 10) et le contrôle européen « porte tant sur la loi de base que sur la décision l’appliquant, même quand elle émane d’une juridiction indépendante » (ibidem, p. 23, par. 49; voir aussi l’arrêt Sunday Times, ibidem, p. 36, par. 59). Le pouvoir d’interpréter et d’appliquer le droit interne, dont les autorités nationales jouissent lorsqu’elles imposent une restriction à la liberté de recevoir ou communiquer des informations et des idées, « va donc de pair avec un contrôle européen » (arrêt Handyside précité, p. 23, par. 59); partant, le contrôle au niveau européen peut aboutir à une protection plus étendue de l’individu qu’au niveau de l’État, car le droit interne appelle une interprétation restrictive propre à assurer le respect des engagements internationaux souscrits par les États en vertu des articles 1 et 19 (art. 1, art. 19) de la Convention.
4. L’injonction prononcée par la High Court le 19 décembre 1986, et confirmée par la Cour suprême irlandaise le 16 mars 1988, reposait sur l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution irlandaise (reproduit au paragraphe 28 de l’arrêt).
5. Ce texte semble imposer des obligations d’abord à l’État, notamment celle de promulguer une loi définissant l’étendue de la protection du droit à la vie des enfants à naître – reconnu, aux termes de cet article, « compte dûment tenu du droit égal de la mère à la vie », l’État devant protéger et soutenir l’un et l’autre « dans la mesure du possible ». Dans un arrêt rendu par la Cour suprême irlandaise le 5 mars 1992 en l’affaire Attorney General c. X et autres, le juge Niall McCarthy a déclaré:
« J’estime pourtant raisonnable de dire que le peuple, au moment de l’adoption de l’Amendement, était en droit de croire qu’une législation viendrait réglementer la manière de concilier le droit à la vie de la mère [avec celui de l’enfant à naître] (…). Que le Parlement n’ait pas édicté la législation appropriée n’est plus seulement regrettable: c’est inexcusable. »
6. A mon sens, en l’absence de pareille législation la nouvelle disposition constitutionnelle ne fournissait pas une base claire permettant à l’individu de prévoir qu’il serait illicite de communiquer des informations sérieuses sur des cliniques de Grande-Bretagne pratiquant l’avortement: ni la législation pénale, administrative ou civile alors en vigueur en matière d’avortement (paragraphes 29-32 du présent arrêt), ni la jurisprudence irlandaise, produite en l’espèce, relative à la protection du droit à la vie des enfants à naître et antérieure au Huitième Amendement (paragraphes 33-35 de l’arrêt), n’offraient une base suffisante à une telle affirmation; d’ailleurs, avant la présente affaire la Cour suprême irlandaise n’avait pas eu l’occasion d’interpréter le Huitième Amendement.
7. Cette situation peut expliquer pourquoi les deux sociétés requérantes ont fourni sans encombre ces renseignements pendant plusieurs années, avant et après l’introduction du Huitième Amendement, jusqu’aux poursuites en cause lancées d’abord, le 28 juin 1985, à titre privé, puis converties quatorze mois plus tard en une action exercée dans l’intérêt de l’ordre public par l’Attorney General. Elle explique pourquoi des revues étrangères, britanniques et autres, renfermant ce genre d’informations circulaient librement en Irlande (paragraphe 23 du présent arrêt) et pourquoi des poursuites ou une action civile n’y étaient jamais engagées contre les Irlandaises qui se faisaient avorter à l’étranger; elle explique encore la déclaration du Gouvernement (paragraphe 25 de l’arrêt) selon laquelle, dans certaines circonstances, le droit irlandais permet d’avoir un accès approprié à de telles informations.
8. Ces considérations, juridiques et factuelles, m’amènent à conclure que le droit interne applicable, restreignant la liberté d’expression dans un domaine de l’information si important pour un grand nombre d’Irlandaises, n’offrait pas la précision et la certitude voulues. L’injonction frappant les deux associations requérantes et leurs conseillères ne se justifiait donc pas au regard de l’article 10 par. 2 (art. 10-2) de la Convention.
9. Compte tenu du caractère vague et incertain du lien entre les renseignements fournis par les associations requérantes et leurs conseillères et la protection des enfants à naître (paragraphe 75 de l’arrêt), je pense aussi qu’aucune des requérantes ne pouvait raisonnablement prévoir que ces activités étaient illégales et que sa liberté de communiquer et de recevoir des informations sérieuses sur les services d’avortement en Grande-Bretagne pouvait être limitée en vertu du droit interne en vigueur avant l’arrêt de la Cour suprême en l’espèce.
Partant, des « conseils juridiques éclairés » ne pouvaient dissiper les incertitudes juridiques susmentionnées, pas plus que l’exercice du droit à recevoir des renseignements si importants et confidentiels ne pouvait être précisé par une consultation préalable relative à leur légalité. Le flou du texte constitutionnel, comme de la jurisprudence irlandaise antérieure à la présente affaire, ne cadrait pas en soi avec la légalité de la mesure, exigée par la prééminence du droit pour qu’une ingérence dans la liberté d’expression se justifie sur le terrain du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2) de la Convention.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE BAKA
(Traduction)
Je m’accorde pleinement avec la Cour pour considérer la restriction comme prévue par la loi, mais regrette de ne pouvoir suivre la majorité quant à la nécessité dans une société démocratique. Je ne saurais non plus reconnaître à Mmes X et Geraghty la qualité de « victimes » en l’espèce.
A mon sens, l’injonction délivrée par les juridictions internes allait au-delà d’une entrave à l’information; elle restreignait diverses sortes d’activités tenues pour illégales. L’injonction de la High Court interdisait « définitivement aux défenderesses (…), conjointement et individuellement, ainsi qu’à leurs employés ou agents, de conseiller ou aider les femmes enceintes relevant de la juridiction de la [High Court] en vue d’un avortement ou d’une consultation plus poussée en la matière ». De même, la Cour suprême ordonna « qu’il [fût] définitivement interdit aux défenderesses, conjointement et individuellement, ainsi qu’à leurs employés ou agents, d’aider les femmes enceintes relevant de la juridiction [de la Cour] à se rendre à l’étranger pour y subir des avortements, en leur signalant une clinique, en prenant des dispositions en vue de leur déplacement ou en leur indiquant le nom d’une ou de cliniques données, leur adresse et le moyen de communiquer avec elles, ou de toute autre manière ».
Si nous ne nous préoccupons ici que de la liberté d’information, nous devons considérer que la communication (et la réception) d’informations représentaient un seul des aspects – encore que d’une importance capitale – des services assurés par les requérantes. Les juridictions internes avaient pour principal souci non pas tellement d’interrompre la diffusion de renseignements que de mettre un terme à une activité illégale, ce qui ne pouvait manquer d’entraîner aussi certaines restrictions à la liberté d’information. Contrairement à la majorité, je ne perçois pas cette restriction comme « absolue »: en réalité, on pouvait aisément se procurer ces renseignements « auprès d’autres sources en Irlande, par exemple dans des revues, des annuaires téléphoniques (…) ou par des personnes ayant des contacts en Grande-Bretagne » (paragraphe 76 de l’arrêt).
Examinant la proportionnalité de la restriction dans ce contexte, j’estime qu’il s’agissait d’une mesure inévitable, subsidiaire et limitée par nature; elle s’imposait non seulement pour protéger le droit à la vie des enfants à naître, consacré par la Constitution, mais encore pour préserver et sauvegarder l’intégrité du système juridique irlandais. Elle était donc, à mon sens, proportionnée et nécessaire dans une société démocratique. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention.
Je ne puis non plus souscrire à l’opinion de la majorité, qui admet la qualité de « victimes » de Mmes X et Geraghty. Les décisions judiciaires internes susmentionnées ne visent que les sociétés requérantes, leurs employés et leurs agents. A l’évidence, leurs clientes auraient été touchées elles aussi. D’une part, il va de soi que la société dans son ensemble est la victime potentielle d’une atteinte à la liberté d’information. D’autre part, un requérant doit démontrer une ingérence directe et immédiate dans ses droits individuels, ou au moins un risque possible de pareille ingérence, pour pouvoir être considéré comme « victime » devant la Cour.
A mes yeux, les restrictions imposées aux activités d’Open Door et de Dublin Well Woman, qui ne conseillaient que les femmes enceintes, ne pouvaient menacer les droits de Mmes X et Geraghty (arrêt, paragraphe 13). On n’a pas prétendu que celles-ci fussent enceintes ou clientes des sociétés requérantes. Leurs droits ne se trouvant pas directement touchés par l’injonction, elles ne pouvaient donc se prétendre « victimes » au sens de l’article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention. Leur requête se range dans la catégorie de l’actio popularis.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE BLAYNEY
(Traduction)
Je ne puis souscrire à deux des décisions de la majorité de la Cour:
Premièrement, qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10) et, deuxièmement, que Mmes X et Geraghty étaient victimes. Dans la présente opinion, je me propose de me limiter à l’article 10 (art. 10). Quant à Mmes X et Geraghty, je me rallie au raisonnement de l’opinion dissidente de M. le juge Baka.
A mes yeux, l’injonction de la Cour suprême n’était pas disproportionnée aux buts qu’elle recherchait. Une fois constatée et proclamée l’illégalité des activités des requérantes au regard de l’article 40 par. 3, alinéa 3, de la Constitution, l’injonction s’ensuivait comme une conséquence logique. Elle trouvait sa source dans la Constitution elle-même. En la prononçant, la Cour suprême se bornait à remplir l’obligation d’assurer le respect de la Constitution et de défendre les droits de l’enfant à naître, garantis par l’article en question. Elle ne statuait pas là dans l’exercice d’un pouvoir d’appréciation. Dès lors qu’elle avait relevé l’illégalité des activités des requérantes au regard de l’article 40 par. 3, alinéa 3, l’injonction représentait une conséquence nécessaire. La Cour n’avait pas le loisir d’adopter une moindre mesure.
Dans ces conditions, on ne saurait selon moi tenir l’injonction pour disproportionnée. Il s’agissait du seul moyen possible d’imposer le respect de l’article 40 par. 3, alinéa 3. La Cour n’avait pas d’autre choix. On ne pouvait concevoir qu’elle refusât de rendre une injonction, car elle aurait par là même failli à son devoir de protéger les droits de l’enfant à naître et aurait sapé à la base les valeurs morales que consacre l’article 40 par. 3, alinéa 3.
J’ai aussi le sentiment que l’article 60 (art. 60) de la Convention empêche notre Cour de conclure à la violation de l’article 10 (art. 10).
Il est ainsi libellé:
« Aucune des dispositions de la (…) Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie Contractante ou à toute autre convention à laquelle cette Partie Contractante est partie. »
Le droit de l’enfant à naître à venir au monde est manifestement un droit de l’homme et la Constitution irlandaise le garantit par son article 40 par. 3, alinéa 3. Aux termes de l’article 60 (art. 60) de la Convention, aucune disposition de celle-ci ne doit s’interpréter comme limitant ce droit ou y portant atteinte. Or si l’on comprend l’article 10 (art. 10) comme autorisant les requérantes à fournir des renseignements à des femmes enceintes afin de les aider à subir un avortement en Angleterre, on l’interprète à mon sens de telle sorte qu’il porte atteinte aux droits de l’homme de l’enfant à naître. Dans l’arrêt de la Cour suprême en l’affaire The Attorney General at the relation of the Society for the Protection of Unborn Children (Ireland) Limited v. Open Door Counselling Limited and Dublin Well Woman Centre Limited, le juge Finlay a déclaré (Irish Reports 1988, p. 624):
« Je crois hors de doute, au vu des faits reconnus par les défenderesses, qu’elles contribuaient en définitive à la destruction de vies à naître, par le biais de l’avortement, en ce sens qu’elles aidaient les femmes enceintes ayant choisi cette solution à prendre contact avec une clinique en Grande-Bretagne qui pratiquerait l’intervention. »
Décider que l’injonction a enfreint l’article 10 (art. 10) équivaut à interpréter cet article comme permettant de communiquer des informations qui portent manifestement atteinte aux droits des enfants à naître puisqu’elles aident à leur destruction. L’article 60 (art. 60) me paraît exclure pareille lecture.
Dans leur argumentation, les requérantes ont souligné que l’on pouvait se procurer ailleurs les renseignements fournis par elles et que l’injonction n’empêchait pas les Irlandaises de continuer à subir des avortements à l’étranger. A mon avis, aucun de ces éléments n’entre en ligne de compte pour déterminer si l’article 60 (art. 60) trouve ou non à s’appliquer. Il s’agit seulement de rechercher si, en constatant que l’injonction enfreint l’article 10 (art. 10), on n’en arrive pas à interpréter cet article (art. 10) comme portant atteinte aux droits de l’homme de l’enfant à naître, tels que les garantit la Constitution. Or il en va bien ainsi d’après moi. Pour cette raison également, j’estime impossible de conclure à la violation de l’article 10 (art. 10).
[*] Note du greffier: L’affaire porte le n° 64/1991/316/387-388. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
[*] Tel que l’a modifié l’article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
[*] Note du greffier: pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (volume 246-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
[1] Voir le paragraphe 20 du présent arrêt.
[2] Voir les paragraphes 53 et 66 de l’arrêt.
[3] Arrêt du 26 novembre 1991, série A n° 216, p. 46.
[4] À moins que de telles restrictions ne soient rendues strictement nécessaires par des situations telles que celles envisagées à l’article 15 (art. 15) de la Convention, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.