CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 8615/08
présentée par Philippe ESCOFFIER
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 8 mars 2011 en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Elisabet Fura,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupančič,
Mark Villiger,
Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 janvier 2008,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Philippe Escoffier, est un ressortissant français, né en 1944 et résidant à Hyères. Il est représenté devant la Cour par Me J. Lefort, avocat à La Valette-du-Var. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est propriétaire d’un terrain entièrement forestier, situé à l’extrémité de la presqu’île de Giens dans le département du Var.
L’Etat français engagea un projet de classement d’une partie de la presqu’île de Giens. Une enquête préalable à ce classement fut menée du 3 au 28 juillet 2000. Face à de nombreuses protestations, dont celle du requérant, le préfet du Var décida, le 3 octobre 2000, de mettre en place « un comité de sites » réunissant les diverses parties concernées par ce projet.
La commission départementale des sites et la commission supérieure des sites émirent des avis favorables à ce projet de classement à des dates non précisées.
Le projet de décret fut ensuite soumis au Conseil d’Etat qui rendit un avis consultatif le 4 octobre 2005.
Le 27 décembre 2005, le ministre de l’Ecologie prit un décret de classement du site. Le 3 janvier 2006 le Journal officiel en publia l’extrait suivant :
« Par décret en date du 27 décembre 2005, est classé parmi les sites du département du Var l’ensemble formé par la presqu’île de Giens, les îles et îlots avoisinants, l’étang et les salins des Pesquiers et les Vieux Salins, sur le territoire des communes d’Hyères-les-Palmiers et de La Londe-les-Maures. »
Le Journal officiel précisa également que le texte intégral de ce décret et les plans annexés pourraient être consultés à la préfecture du Var et aux mairies d’Hyères-les-Palmiers et de La Londe-les-Maures.
A la demande d’un autre administré que le requérant, un huissier se rendit dans les trois lieux précités et constata, par procès-verbal en date du 8 février 2006, que le texte intégral du décret n’y était pas disponible.
Une copie de l’intégralité du décret du 27 décembre 2005 fut adressée au préfet du Var par le ministre de l’Ecologie et du Développement durable le 6 février 2006. Le préfet transmit ensuite ce décret aux maires des communes d’Hyères-les-Palmiers et de La Londe-les-Maures par courrier du 14 février 2006, reçu le 16 février suivant.
Le requérant affirme ne pas avoir pu prendre connaissance du contenu de ce décret avant de le contester.
Le Gouvernement précise que ce texte fut disponible pour consultation à la préfecture de Toulon à compter du 6 février 2006 et dans les mairies des deux communes concernées à partir du 16 février 2006.
Plusieurs intéressés contestèrent la légalité de ce décret devant le Conseil d’Etat. Le requérant déposa une requête introductive d’instance le 3 mars 2006. Le 20 juin 2007, le commissaire du Gouvernement l’informa du sens de ses conclusions. L’audience se tint le 20 juin 2007. L’avocat du requérant y participa, mais ne put y prendre la parole car, étant avocat au barreau de Toulon et non avocat aux conseils, il n’était pas habilité à le faire. Il déposa cependant une note en délibéré le 25 juin 2007, dans laquelle il fit notamment valoir que la procédure administrative avait méconnu plusieurs exigences de l’article 6 de la Convention.
Par un arrêt du 13 juillet 2007, le Conseil d’Etat confirma la légalité du décret attaqué et rejeta les arguments présentés par le requérant. Il considéra notamment que le décret portait les signatures requises et que l’enquête préalable au classement s’était déroulée conformément à la loi. Sur demande d’un autre habitant de la presqu’île de Giens, il annula cependant le décret litigieux, mais seulement dans la mesure où celui-ci excluait un parc de stationnement appartenant au domaine public départemental, de la liste des parcelles classées.
Cet arrêt fut notifié au requérant le 25 septembre 2007.
B. Le droit interne pertinent
Le code de l’environnement dispose :
Article L341-1
« Il est établi dans chaque département une liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général (…) »
Article L341-3
« Lorsqu’un monument naturel ou un site appartenant en tout ou partie à des personnes [privées] fait l’objet d’un projet de classement, les intéressés sont invités à présenter leurs observations selon une procédure fixée par décret en Conseil d’Etat. »
Article L341-6
« Le monument naturel ou le site appartenant à [une personne privée] est classé par arrêté du ministre chargé des sites s’il y a consentement du propriétaire. L’arrêté détermine les conditions du classement.
A défaut du consentement du propriétaire, le classement est prononcé, après avis de la commission supérieure, par décret en Conseil d’Etat. Le classement peut donner droit à indemnité au profit du propriétaire s’il entraîne une modification à l’état ou à l’utilisation des lieux déterminant un préjudice direct, matériel et certain.
La demande d’indemnité doit être produite dans le délai de six mois à dater de la mise en demeure faite au propriétaire de modifier l’état ou l’utilisation des lieux en application des prescriptions particulières de la décision de classement. A défaut d’accord amiable, l’indemnité est fixée par le juge de l’expropriation (…) »
Article L341-7
« A compter du jour où l’administration chargée des sites notifie au propriétaire d’un monument naturel ou d’un site son intention d’en poursuivre le classement, aucune modification ne peut être apportée à l’état des lieux ou à leur aspect pendant un délai de douze mois, sauf autorisation spéciale (…) »
Article L341-8
« Tout arrêté ou décret prononçant un classement est publié, par les soins de l’administration chargée des sites, au bureau des hypothèques de la situation de l’immeuble classé. »
Article L341-9
« Les effets du classement suivent le monument naturel ou le site classé, en quelques mains qu’il passe.
Quiconque aliène un monument naturel ou un site classé est tenu de faire connaître à l’acquéreur l’existence de ce classement.
Toute aliénation d’un monument naturel ou d’un site classé doit, dans les quinze jours de sa date, être notifiée au ministre chargé des sites par celui qui l’a consentie. »
Article L341-10
« Les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale. »
Article L341-19
« I. – Est puni d’une amende de 9 000 euros :
1o Le fait de procéder à des travaux sur un monument naturel ou un site inscrit sans en aviser l’administration (…) ;
2o Le fait d’aliéner un monument naturel ou un site classé sans faire connaître à l’acquéreur l’existence du classement ou sans notifier cette aliénation à l’administration (…) ;
3o Le fait d’établir une servitude sur un monument naturel ou un site classé sans l’agrément de l’administration (…).
II. – Est puni des peines prévues à l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme :
1o Le fait d’apporter des modifications sur un monument naturel ou un site en instance de classement en violation des dispositions de l’article L. 341-7 ;
2o Le fait de détruire ou de modifier dans son état ou son aspect un monument naturel ou un site classé sans l’autorisation prévue à l’article L. 341-10 ;
(…) »
Article R311-1
« Le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort :
1o Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ;
(…) »
Article R733-3
« Sauf demande contraire d’une partie, le commissaire du Gouvernement assiste au délibéré. Il n’y prend pas part.
La demande prévue à l’alinéa précédent est présentée par écrit. Elle peut l’être à tout moment de la procédure avant le délibéré. »
Le code de justice administrative, tel que modifié par le décret no 2008‑255 du 6 mars 2008 relatif à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat, se lit ainsi :
Article R122-21-1
« (…) les membres du Conseil d’Etat ne peuvent participer au jugement des recours dirigés contre les actes pris après avis du Conseil d’Etat, s’ils ont pris part à la délibération de cet avis.»
GRIEFS
1. Le requérant invoque l’article 6 § 1 de la Convention à l’appui de plusieurs griefs.
Il considère notamment que la double intervention du Conseil d’Etat en l’espèce, d’abord comme autorité consultative du gouvernement, puis comme juge de la légalité du décret, est contraire à l’exigence d’impartialité.
Il estime que l’impossibilité de prendre connaissance de l’intégralité du décret litigieux a rompu l’égalité des armes.
Il se plaint également de ne pas avoir eu droit à un recours effectif dans la mesure où il n’a pas bénéficié d’un double degré de juridiction et où il n’a pas pu faire entendre sa cause par un tribunal doté de la pleine juridiction.
Il conteste l’insuffisante motivation de l’arrêt du Conseil d’Etat et estime que la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat, le fait que son avocat n’ait pas pu prendre la parole lors de l’audience devant cette juridiction et la communication tardive par l’administration de ses observations en défense ont rompu l’égalité des armes.
2. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint de l’absence de proportionnalité entre l’ingérence dans son droit de propriété et les buts recherchés par le classement du site. Il fait notamment valoir que le classement de son bien lui ôte toute constructibilité éventuelle.
Il conteste également l’absence d’indemnisation et de phase réelle de concertation préalable.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de plusieurs griefs tirés du défaut allégué d’équité de la procédure. Il invoque l’article 6 de la Convention dont les passages pertinents se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
A. Sur le grief tiré de la dualité de fonctions du Conseil d’Etat
Le requérant considère que la double intervention du Conseil d’Etat en l’espèce, d’abord comme autorité consultative du gouvernement lors de la préparation du décret, puis comme juge de la légalité de ce texte, est contraire à l’exigence d’impartialité.
1. Arguments des parties
Le requérant estime que le cumul de fonctions consultatives et contentieuses par le Conseil d’Etat est de nature à jeter un doute sur son impartialité. Il souligne que le décret du 6 mars 2008, instaurant officiellement l’impossibilité pour un conseiller de participer au jugement des recours dirigés contre des actes pris après avis du Conseil d’Etat s’ils ont pris part à la délibération de cet avis, est entré en vigueur postérieurement au 13 juillet 2007, date de l’arrêt du Conseil d’Etat en l’espèce.
Il constate également que la liste des membres de la section des travaux publics du Conseil d’Etat produite par le Gouvernement, telle qu’elle ressort du registre des séances, est fort peu lisible, ce qui ne permet pas de dissiper ses doutes quant à la partialité objective du Conseil d’Etat. Il regrette également que le Gouvernement n’ait pas produit l’avis consultatif rendu par le Conseil d’Etat au motif que le nom des conseillers ayant participé au délibéré n’y figure pas.
Faute d’avoir pu connaître les noms des conseillers ayant pris part à l’avis consultatif, le requérant conclut à la violation de l’article 6 de la Convention.
Le Gouvernement rappelle que le cumul de fonctions consultatives et contentieuses n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Procola c. Luxembourg, 28 septembre 1995, série A no 326 ;Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 71, CEDH 2006‑XIII ; Union fédérale des consommateurs de Côte d’Or Que Choisir c. France (déc.), no 39699/03, 30 juin 2009). Il précise que le Conseil d’Etat veille scrupuleusement à ce que le dualisme de fonctions ne mette pas en cause son impartialité objective. En particulier, la règle des déports systématiques lorsqu’un conseiller est appelé à siéger dans les deux formations est soigneusement respectée. Ainsi, aucune confusion des rôles n’est possible au sein du Conseil d’Etat. Cette pratique a d’ailleurs été officiellement consacrée par le décret du 6 mars 2008.
En l’espèce, le Gouvernement s’appuie sur le registre de la séance du 4 octobre 2005 dans lequel les noms des conseillers ayant participé à l’avis consultatif sont consignés de manière manuscrite. En comparant ces noms à ceux mentionnés sur l’arrêt du 13 juillet 2007, le Gouvernement observe qu’aucun magistrat n’a participé aux deux formations et conclut à l’absence de violation de l’article 6.
2. Appréciation de la Cour
La Cour observe d’emblée que le requérant ne met pas en cause l’indépendance du Conseil d’Etat vis-à-vis du pouvoir exécutif (voir, a contrario, Union fédérale des consommateurs de Côte d’Or Que Choisir, précité), mais se plaint en l’espèce d’un manque d’impartialité structurelle de la Haute juridiction administrative.
Il s’agit donc de déterminer si, dans les circonstances de la cause, le Conseil d’Etat possédait « l’apparence » d’indépendance requise ou l’impartialité « objective » voulue, étant entendu qu’il convient d’examiner ces questions ensemble, les notions d’indépendance et d’impartialité objective étant étroitement liées (voir, notamment, Sacilor-Lormines, précité, § 62).
La Cour rappelle, d’une part, qu’il ne lui appartient pas de statuer dans l’abstrait sur la question de savoir si les attributions consultatives du Conseil d’Etat sont compatibles avec ses fonctions juridictionnelles et les exigences d’indépendance et d’impartialité qu’elles impliquent et, d’autre part, que le principe de la séparation des pouvoirs n’est « pas déterminant dans l’abstrait ». Il lui revient seulement de déterminer dans chaque espèce si l’avis rendu par la haute juridiction a constitué « une sorte de pré‑jugement » de l’arrêt critiqué, « entraînant un doute sur l’impartialité « objective » de la formation de jugement du fait de l’exercice successif des fonctions consultatives et juridictionnelles » (Sacilor-Lormines, précité, §§ 70-74).
En l’espèce, sur ce dernier point et au vu des observations des parties, la Cour tient pour avéré qu’aucun membre de la formation de jugement saisie de la demande d’annulation du décret du 27 décembre 2005 n’avait précédemment participé à la formation qui avait rendu l’avis sur ce texte (voir, mutatis mutandis, Union fédérale des consommateurs de Côte d’Or Que Choisir,précité).
La Cour en déduit que les craintes du requérant quant à l’indépendance et à l’impartialité de la formation qui a jugé sa cause ne sauraient passer pour objectivement justifiées.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant ne saurait davantage soutenir qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 du seul fait que, faute d’avoir pu obtenir une copie de l’avis litigieux, il n’a pas été mis en mesure de vérifier si certains membres de la formation de jugement ayant examiné sa demande avaient précédemment siégé dans la formation consultative.
La Cour observe également que le décret du 6 mars 2008, intervenu postérieurement aux faits de la présente espèce, a modifié le code de justice administrative. L’article R122-21-1 prévoit désormais que les membres du Conseil d’Etat ne peuvent participer au jugement des recours dirigés contre les actes pris après avis du Conseil d’Etat, s’ils ont préalablement pris part à la délibération de cet avis.
Il résulte de ce qui précède que cette partie de la requête, manifestement mal fondée, doit être déclarée irrecevable et rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B. Sur le grief tiré de l’impossibilité de prendre connaissance de l’intégralité du décret de classement litigieux
Le requérant se plaint de ne pas avoir pu prendre connaissance du texte intégral du décret du 27 décembre 2005 avant d’introduire son recours devant le Conseil d’Etat. Il estime que cette situation a rompu l’égalité des armes garantie par l’article 6 de la Convention.
Le requérant soutient avoir accompli toutes les diligences nécessaires pour prendre connaissance du décret qu’il entendait déférer à la censure du Conseil d’Etat. S’il ne conteste pas les allégations du Gouvernement selon lesquelles une copie de ce document était consultable en préfecture et dans les mairies concernées à compter du 16 février 2006, il fait cependant valoir que le Gouvernement aurait pu lui communiquer une version intégrale du texte en cours d’instruction devant le Conseil d’Etat afin de préserver l’égalité des armes. Il souligne qu’à l’heure actuelle, il n’est toujours pas en mesure de savoir si l’auteur de ce décret était compétent pour l’adopter, ni même si ce décret est signé.
Le Gouvernement rappelle que le texte intégral du décret était disponible en préfecture et en mairie à compter du 16 février 2006 et que le requérant, s’il avait fait les démarches nécessaires, aurait pu prendre connaissance de ce texte avant d’introduire son recours. Il précise également que des avis informant le public de la publication de ce décret ont été insérés dans des journaux locaux les 22 février et 9 mars 2006 ainsi que sur un panneau d’affichage prévu à cet effet à la préfecture de Toulon à compter du 21 mars 2006. Le Gouvernement tient à préciser que le délai de recours contentieux contre ce décret de classement ne commençait à courir qu’à compter de la date à laquelle il est établi que le texte complet a pu être effectivement consulté par le public.
Il en conclut que le requérant a été mis en mesure de consulter l’intégralité du décret avant d’introduire son recours contentieux devant le Conseil d’Etat.
La Cour observe que les parties s’opposent sur la possibilité pour le requérant de consulter le texte intégral du décret litigieux avant d’introduire son recours en annulation. Elle relève, avec le Gouvernement, que le texte intégral du décret a été envoyé à la préfecture de Toulon le 6 février 2006 et que les deux mairies concernées en ont chacune reçu une copie le 16 février suivant. A partir de cette dernière date, le décret était donc consultable dans les locaux mentionnés par le Journal officiel.
La Cour constate que le requérant a introduit son recours devant le Conseil d’Etat le 3 mars 2006, soit postérieurement à la date à laquelle le décret était consultable. En se rendant en préfecture ou dans les mairies concernées après le 16 février 2006, le requérant aurait ainsi pu prendre connaissance de l’intégralité du texte et des signatures qui l’accompagnent.
La Cour note par ailleurs, comme le Gouvernement le fait valoir, que le délai de deux mois au cours duquel le recours contentieux contre ce texte est recevable, n’a commencé à courir qu’à compter du 16 février 2006.
Compte tenu de ce qui précède, elle considère que le requérant a été mis en mesure de prendre connaissance de l’intégralité du décret contesté et qu’il n’y a pas eu l’espèce de rupture de l’égalité des armes de ce chef.
Il s’ensuit que ce grief est irrecevable comme étant manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
C. Sur les autres griefs tirés de l’article 6 de la Convention
a) Le requérant se plaint notamment de ne pas avoir eu droit à un recours effectif dans la mesure où, d’une part, il n’a pas bénéficié d’un double degré de juridiction et où, d’autre part, il n’a pas pu faire entendre sa cause par un tribunal doté de la pleine juridiction.
Concernant la première partie du grief, la Cour relève que la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’Etat s’explique par la nécessité d’assurer un juge unique à des recours contre des actes administratifs dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif. Elle rappelle également que la Convention ne garantit pas le droit à un double degré de juridiction en matière civile (voir Sacilor‑Lormines c. France (déc.), no 65411/01, 13 novembre 2003).
Partant, cette première partie du grief doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae par application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Concernant la seconde partie du grief, la Cour a précisé que par « organe judiciaire de pleine juridiction », il fallait entendre un organe juridictionnel compétent pour donner « une solution juridictionnelle du litige (…), tant pour des points de fait que pour des questions de droit » (Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 29, série A no 58). Or, lorsqu’il statue sur un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’Etat procède à un contrôle aussi bien de la légalité que de la matérialité des faits (Reynaud Escarrat c. France, no 22108/93, décision de la Commission du 28 février 1996). Ce fut d’ailleurs le cas en l’espèce puisque le Conseil d’Etat a estimé que le décret litigieux devait être partiellement annulé dans la mesure où il avait exclu de son périmètre un parking appartenant au domaine public départemental.
Il s’ensuit que cette seconde partie du grief est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
b) Le requérant estime que l’arrêt du Conseil d’Etat n’est pas suffisamment motivé pour prouver que ses moyens ont été dûment examinés et constituer un rempart contre l’arbitraire. Il se plaint en particulier de l’absence de réponse aux moyens développés dans sa note en délibéré.
La Cour rappelle que si l’article 6 § 1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, il ne peut toutefois pas se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999‑I). Une partie n’a pas le droit absolu d’exiger du tribunal qu’il expose les motifs qu’il a de rejeter chacun de ses arguments (Gunduz c. Turquie (déc.), no 50253/99, 18 octobre 2007).
En l’espèce, la Cour observe que la note en délibéré présentée par le requérant en réponse aux conclusions du commissaire du Gouvernement a été dûment visée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 13 juillet 2007, ce qui démontre qu’il en a effectivement pris connaissance.
L’absence de réponse précise aux arguments contenus dans cette note n’est pas de nature à créer une atteinte à l’équité de la procédure en violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
c) Le requérant se plaint de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat.
La Cour rappelle que la procédure mise en place devant le Conseil d’Etat à compter du 1er septembre 2006, qui prévoit expressément la faculté pour les parties de demander à ce que le commissaire du gouvernement n’assiste pas au délibéré, a été jugée conforme à l’article 6 de la Convention (Etienne c. France (déc.), no 11396/08, 15 septembre 2009).
En l’espèce, le délibéré du Conseil d’Etat s’est tenu le 20 juin 2007, soit après l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif. La Cour n’ayant en outre relevé aucun obstacle ayant empêché le requérant de faire usage de cette faculté, elle considère que celui-ci ne saurait se plaindre de la participation du Commissaire du gouvernement au délibéré de la formation du Conseil d’Etat.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
d) Le requérant considère que l’impossibilité pour son avocat de prendre la parole à l’audience devant le Conseil d’Etat a méconnu le principe d’égalité des armes.
La Cour rappelle que la spécificité de la procédure devant le Conseil d’Etat, considérée dans sa globalité, peut justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole (G.L. et S.L. c. France (déc.), no 58811/00, CEDH 2003‑III). Or, en l’espèce, le requérant était représenté par un avocat inscrit au barreau de Toulon et non par un avocat aux conseils.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
e) Le requérant estime que la communication tardive par l’administration de ses observations en défense a nui à l’équité de la procédure.
La Cour observe toutefois que le requérant n’allègue pas, et ne démontre pas non plus, que le temps dont il disposait pour répondre à ces conclusions était insuffisant. Au demeurant, la Cour relève que le requérant avait la possibilité d’y répliquer dans sa note en délibéré.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
2. Sur les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1
a) Le requérant considère que l’absence de phase de concertation avant l’adoption du décret litigieux a porté atteinte à ses intérêts patrimoniaux. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 qui se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
La Cour remarque qu’une consultation a bien été organisée du 3 au 28 juillet 2000, conformément aux prescriptions du code de l’environnement. Le requérant a d’ailleurs profité de cette occasion pour marquer son opposition au projet.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
b) Quant aux griefs tirés de l’absence d’indemnisation du requérant et de l’absence de proportionnalité entre l’ingérence dans le droit au respect de ses biens et les buts poursuivis par le décret litigieux, la Cour décide de les examiner conjointement dans la mesure où l’absence d’indemnisation est un critère à prendre en compte lorsqu’il s’agit d’examiner la proportionnalité de l’ingérence.
Elle note que l’article L. 341-6 du code de l’environnement prévoit expressément que le classement du site peut donner droit à indemnité au profit du propriétaire s’il entraîne une modification à l’état ou à l’utilisation des lieux déterminant un préjudice direct, matériel et certain.
Or, la Cour observe qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait introduit une telle demande devant les juridictions internes.
Il s’ensuit que les voies de recours internes ne sont pas épuisées et que ces deux griefs doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Dean Spielmann
Président
Claudia Westerdiek
Greffière