DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE PARADISO ET CAMPANELLI c. ITALIE
(Requête no 25358/12)
ARRÊT
STRASBOURG
27 janvier 2015
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 24/01/2017
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 décembre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25358/12) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet État, Mme Donatina Paradiso et M. Giovanni Campanelli (« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 avril 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Les requérants ont introduit la requête également au nom de l’enfant qui, d’après le certificat de naissance délivré par les autorités russes le 1er mars 2011, serait leur fils, né le 27 février 2011, et s’appellerait Teodoro Campanelli.
2. Les requérants ont été représentés par Me K. Svitnev, avocat à Moscou, travaillant pour la société Rosjurconsulting. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora.
3. Les requérants allèguent en particulier que le refus de transcrire le certificat de naissance de l’enfant dans les registres de l’état civil italien et l’éloignement du mineur sont incompatibles avec l’article 8 de la Convention.
4. Le 9 mai 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le gouvernement défendeur et les requérants ont déposé leurs observations. Le 20 février 2014, une question complémentaire a été posée aux parties sur le point de savoir s’il existait un remède efficace pour contester la décision de la cour d’appel de Campobasso du 13 avril 2013 ayant confirmé le refus de transcrire le certificat de naissance, et pour contester la décision du tribunal pour mineurs de Campobasso du 5 juin 2013, ayant déclaré que les requérants n’avaient plus la qualité pour agir. Le Gouvernement a été invité à déposer la jurisprudence pertinente relative à l’efficacité des remèdes dont il pourrait alléguer l’existence.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1967 et 1955 et résident à Colletorto.
6. Les requérants sont un couple marié. Dans le formulaire de requête, ils ont exposé qu’après avoir vainement fait des tentatives de fécondation in vitro, ils décidèrent de recourir à la gestation pour autrui pour devenir parents. Ils contactèrent à cette fin une clinique basée à Moscou, spécialisée dans les techniques de reproduction assistée. Ils conclurent une convention de gestation pour autrui avec la société Rosjurconsulting. Après une fécondation in vitro réussie le 19 mai 2010, deux embryons « leur appartenant » furent implantés dans l’utérus d’une mère porteuse le 19 juin 2010. Il n’y avait pas de lien génétique entre cette dernière et les embryons.
7. Le bébé naquit le 27 février 2011. La mère porteuse donna son consentement écrit pour que l’enfant soit enregistré comme fils des requérants. Sa déclaration écrite datée du même jour, lue à haute voix à l’hôpital en présence de son médecin, du médecin chef et du chef de division (de l’hôpital) se lit ainsi (traduction française de la version originale russe) :
« Je soussignée (…) ai mis au monde un garçon à la clinique maternité (…) de Moscou. Les parents de l’enfant sont un couple marié d’italiens, Giovanni Campanelli, né le (…) et Donatina Paradiso née le (…), qui ont déclaré par écrit vouloir implanter leurs embryons dans mon utérus.
Sur la base de ce qui précède et conformément à l’alinéa 5 du paragraphe 16 de la loi fédérale sur l’état civil et à l’alinéa 4 du paragraphe 51 du code de la famille je donne mon consentement pour l’inscription dans l’acte et dans le certificat de naissance du couple ci-dessus comme parents de l’enfant que j’ai accouché. (…) »
Cette déclaration, dans sa traduction italienne annexée à l’original, se lit ainsi (version française) :
« Je soussignée (…) ai mis au monde un garçon à la clinique maternité (…) de Moscou. Les parents génétiques de l’enfant sont un couple marié d’italiens, Giovanni Campanelli, né le (…) et Donatina Paradiso née le (…), qui ont déclaré par écrit vouloir implanter leurs embryons dans mon utérus.
Sur la base de ce qui précède et conformément à l’alinéa 5 du paragraphe 16 de la loi fédérale sur l’état civil et à l’alinéa 4 du paragraphe 51 du code de la famille je donne mon consentement pour l’inscription dans l’acte et dans le certificat de naissance du couple ci-dessus comme parents de l’enfant que j’ai accouché. (…)»
8. Le 10 mars 2011, conformément au droit russe, les requérants furent enregistrés comme parents du nouveau-né. Le certificat de naissance russe, ne mentionnant pas la gestation pour autrui, fut apostillé selon les dispositions de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 (infra « la Convention de la Haye ») supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers.
9. Le 29 avril 2011, la requérante se rendit au Consulat d’Italie à Moscou pour obtenir les documents permettant au nouveau-né de partir en Italie avec elle. La requérante répondit à des questions et déposa le dossier relatif à la naissance de l’enfant. Le Consulat d’Italie délivra les documents permettant à ce dernier de partir en Italie avec la requérante.
10. Le 30 avril 2011, la requérante et l’enfant arrivèrent en Italie. Quelques jours plus tard, le requérant demanda à la municipalité de Colletorto l’enregistrement du certificat de naissance.
11. Par une note du 2 mai 2011 – qui n’est pas versée au dossier – le Consulat d’Italie à Moscou communiqua au tribunal des mineurs de Campobasso, au ministère des Affaires étrangères, à la préfecture et à la ville de Colletorto, que le dossier relatif à la naissance de l’enfant contenait des données fausses.
12. Le 5 mai 2011, les requérants furent mis en examen pour « altération d’état civil » au sens de l’article 567 du code pénal, pour faux au sens des articles 489 et 479 du code pénal ; en outre, pour infraction à l’article 72 de la loi sur l’adoption (loi no 183/1984), car ils avaient amené l’enfant sans respecter la loi et avaient contourné les limites posées dans l’agrément à l’adoption obtenu le 7 décembre 2006, qui excluait qu’ils puissent adopter un enfant en si bas âge.
13. Le 5 mai 2011, le ministère public près le tribunal pour mineurs de Campobasso demanda l’ouverture d’une procédure d’adoptabilité, car l’enfant devait être considéré comme étant dans un état d’abandon au sens de la loi. Le même jour, le tribunal pour mineurs nomma un curateur spécial au sens de l’article 8 de la loi no 184/1983 et ouvrit une procédure d’adoptabilité. Le 16 mai 2011, le procureur de la République sollicita la mise sous curatelle de l’enfant au sens des articles 8 et 10 de la loi no 184/83. Le tribunal nomma un curateur. Il ressort du dossier que les requérants s’opposaient aux mesures concernant l’enfant et avaient demandé à pouvoir adopter le mineur.
14. Le 25 mai 2011, la requérante, assistée par son avocat de confiance, fut interrogée par les carabiniers de Larino. L’intéressée déclara qu’elle s’était rendue en Russie seule, en septembre 2008, avec le liquide séminal de son mari précédemment recueilli. Elle avait souscrit un contrat avec la société Rosjurconsulting, qui s’était engagée à trouver une mère porteuse disposée à accueillir dans son utérus le matériel génétique de la requérante et de son époux, par le biais de la clinique Vitanova de Moscou. Cette pratique était parfaitement légale en Russie et permettait d’obtenir un certificat de naissance indiquant les identités des requérants comme parents. En juin/juillet 2010, la requérante avait été contactée par la société russe au motif qu’une mère porteuse avait été trouvée, et avait donné son accord pour l’intervention. Le 10 mars 2011, la requérante s’était rendue à Moscou. En avril 2011, munie d’un certificat de naissance délivré le 10 mars 2011 par les autorités russes, elle s’était rendue au Consulat d’Italie à Moscou pour obtenir les documents permettant à l’enfant de sortir de Russie et de se rendre en Italie. Le certificat de naissance indiquait les noms des requérants et leur qualité de parents.
15. Le 27 juin 2011, les requérants furent entendus par le tribunal pour mineurs. La requérante déclara qu’après huit tentatives infructueuses de fécondation in vitro, et qui avaient mis en danger sa santé, elle avait recouru à la clinique russe car, dans ce pays-là, il était possible d’utiliser les ovules d’une donatrice, qui étaient ensuite implantés dans le ventre de la mère porteuse.
16. Par ailleurs, le curateur de l’enfant demanda au tribunal de suspendre l’autorité parentale des requérants, au sens de l’article 10 § 3 de la loi no 184/1983.
17. Le 7 juillet 2011, le tribunal ordonna de procéder à un test ADN pour établir si le requérant était le père biologique de l’enfant.
18. Le 11 juillet 2011, le ministre de l’intérieur demanda au bureau de l’état civil de refuser l’enregistrement de l’acte de naissance.
19. Le 1er août 2011, le requérant et l’enfant se soumirent au test ADN. Le résultat de ce test montra qu’il n’y avait pas de lien génétique entre eux.
20. Le 4 août 2011, le bureau de l’état civil refusa l’enregistrement du certificat de naissance. Les requérants introduisirent un recours contre ce refus devant le tribunal de Larino. Le ministère public demanda à ce tribunal de donner une nouvelle identité à l’enfant et de délivrer un nouveau certificat de naissance.
21. Le tribunal de Larino s’étant déclaré incompétent le 29 septembre 2011, la procédure reprit devant la cour d’appel de Campobasso. Les requérants insistaient pour la transcription du certificat de naissance russe.
22. Le 20 octobre 2011, sur la base de l’expertise génétique et des conclusions des parties, y compris celles du curateur de l’enfant, le tribunal pour mineurs décida d’éloigner l’enfant des requérants. Cette décision était immédiatement exécutoire. À la base de sa décision, le tribunal prit en compte les éléments suivants : la requérante avait déclaré ne pas être la mère génétique ; les ovules provenaient d’une femme inconnue ; le test ADN effectué sur le requérant et sur l’enfant avait démontré qu’il n’y avait aucun lien génétique entre eux ; les requérants avaient payé une importante somme d’argent (49 000 euros (EUR)) ; contrairement à ses dires, rien ne prouvait que le matériel génétique du requérant ait été réellement transporté en Russie. La seule chose qui était sûre dans cette histoire était l’identité de la mère porteuse, qui n’était pas la mère biologique et qui avait renoncé à l’enfant mis au monde. Les parents biologiques demeuraient inconnus. Ceci étant, on n’était pas dans un cas de maternité subrogée, car l’enfant n’avait aucun lien génétique avec les requérants. Ces derniers versaient dans l’illégalité : ils avaient amené un enfant en Italie en faisant croire qu’il s’agissait de leur fils. Ce faisant, ils avaient en premier lieu violé les dispositions sur l’adoption internationale (loi no 184 du 4 mai 1983), qui en son article 72 prévoyait une infraction pénale, dont l’évaluation n’incombait toutefois pas au tribunal pour mineurs. En deuxième lieu, l’accord conclu par les requérants avec la société Rosjurconsulting était contraire à la loi sur la procréation médicalement assistée (loi no 40 du 19 février 2004) qui interdisait en son article 4 la fécondation assistée hétérologue. Un terme devait être mis à cette situation illégale et la seule façon était d’éloigner l’enfant des requérants. Certes, l’enfant subirait un préjudice du fait de la séparation, mais, vu la courte période passée avec les requérants et son bas âge, l’enfant surmonterait tout ça. Les recherches pour trouver un couple d’adoptants seraient entamées immédiatement. En outre, vu que les requérants avaient préféré court-circuiter la loi sur l’adoption malgré l’agrément qu’ils avaient obtenu, on pouvait penser que l’enfant résultait d’un désir narcissique du couple ou bien qu’il était destiné à résoudre des problèmes de couple. En conséquence le tribunal doutait de leur réelle capacité affective et éducative. L’enfant n’ayant ni une famille biologique ni sa mère porteuse, car elle avait renoncé à lui, le tribunal estima que la loi italienne sur l’adoption s’appliquait au cas d’espèce (au sens de l’article 37bis de la loi no 184/1983), confia l’enfant aux services sociaux et nomma un tuteur pour sa défense.
23. L’enfant fut placé dans une maison d’accueil (casa famiglia) dans un endroit inconnu des requérants. Les contacts entre les requérants et l’enfant furent interdits.
24. Les requérants déposèrent un recours (reclamo) devant la cour d’appel de Campobasso. Ils arguaient, entre autres, que les juridictions italiennes ne pouvaient pas remettre en cause le certificat de naissance. Ils demandaient, par ailleurs, de ne pas adopter des mesures concernant l’enfant tant que la procédure pénale ouverte contre eux et la procédure engagée pour contester le refus de transcrire le certificat de naissance étaient pendantes.
25. Par une décision du 28 février 2012, la cour d’appel de Campobasso rejeta le recours. Il ressort en particulier de cette décision que l’article 33 de la loi no 218/95 (loi sur le droit privé international) n’empêchait pas l’autorité judiciaire italienne de ne pas donner suite aux indications certifiées provenant d’un État étranger. Il n’y avait aucune incompétence, car l’article 37bis de la loi sur l’adoption internationale (loi no 184/1983) prévoyait l’application de la loi italienne si le mineur étranger était en état d’abandon et tel était le cas en l’espèce. Il était par ailleurs inutile d’attendre l’issue de la procédure pénale car la responsabilité pénale des requérants ne jouait aucun rôle. Il était au contraire nécessaire d’adopter une mesure urgente à l’égard de l’enfant pour mettre fin à la situation d’illégalité dans laquelle les intéressés versaient. Contre cette décision il n’était pas possible de former un recours en cassation.
26. Il ressort d’une note datée du 22 mai 2012, adressée par le tribunal pour mineurs au ministère de la Justice, que l’enfant n’avait pas encore été déclaré comme étant adoptable car la procédure portant sur la transcription du certificat de naissance de l’enfant était pendante devant la cour d’appel de Campobasso.
27. Entre-temps, le 30 octobre 2011, le procureur de la République près le tribunal de Larino avait ordonné la saisie conservatoire du certificat de naissance russe, au motif qu’il s’agissait d’une preuve essentielle. Il ressortait en effet du dossier que les requérants non seulement avaient vraisemblablement commis les faits reprochés, mais avaient tenté de les dissimuler. Ils avaient, entre autres, déclaré être les parents biologiques, et avaient corrigé leurs versions des faits au fur et à mesure qu’ils étaient démentis.
28. Les requérants attaquèrent la décision de saisie conservatoire.
29. Par une décision du 20 novembre 2012, le tribunal de Campobasso rejeta le recours des requérants. Il ressort de cette décision qu’il y avait de graves soupçons quant à la commission des infractions reprochées. En particulier, la requérante avait fait circuler la rumeur de sa grossesse ; elle s’était présentée au Consulat en laissant sous-entendre qu’elle était la mère naturelle ; ensuite, elle avait admis que l’enfant avait été mis au monde par une mère subrogée ; aux carabiniers, elle avait déclaré le 25 mai 2011 que le requérant était le père biologique alors que les tests ADN l’avaient démenti et donc elle avait fait de fausses déclarations ; elle avait été très vague quant à l’identité de la mère génétique ; les documents relatifs à la maternité subrogée disaient que les deux requérants avaient été vus par les médecins russes ce qui ne concordait pas avec le fait que le requérant n’avait pas été en Russie ; les documents concernant l’accouchement n’avaient pas une date avérée. La seule chose certaine était que l’enfant était né et qu’il avait été remis à la requérante contre le paiement de presque 50 000 EUR. L’hypothèse selon laquelle les requérants avaient eu une conduite illégale afin d’obtenir la transcription de la naissance et de contourner les lois italiennes paraissait donc fondée.
30. En novembre 2012, la décision concernant la saisie conservatoire fut transmise par le ministère public au tribunal pour mineurs, car elle avait les implications suivantes. Le chef d’accusation tiré de l’article 72 de la loi no 184/1983 privait les requérants de la possibilité d’accueillir l’enfant en placement (affido) et d’adopter celui-ci ou d’autres mineurs. Il n’y avait donc pas d’autres solutions que de continuer la procédure d’adoption pour l’enfant. Le placement provisoire auprès d’une famille avait été demandé en vertu des articles 8 et 10 de la loi no 184/83. Le ministère public réitéra sa demande et souligna que l’enfant avait été éloigné plus d’un an auparavant et qu’il vivait depuis en maison d’accueil (casa famiglia), où il avait établi des relations significatives avec des personnes appelées à s’occuper de lui. L’enfant n’avait donc pas encore trouvé un environnement familial pouvant remplacer celui qui avait été illégalement offert par ceux qui l’avaient emmené en Italie. Cet enfant semblait destiné à une nouvelle séparation beaucoup plus douloureuse de celle de la mère qui l’avait mis au monde et puis de celle qui prétendait être sa mère.
31. Il ressort du dossier que le 26 janvier 2013, l’enfant fut placé auprès d’une famille d’accueil.
32. En mars 2013, à la demande du tuteur, une expertise visant à déterminer l’âge du mineur fut effectuée. Celle-ci établit que l’enfant était vraisemblablement âgé de 30 mois, et que trois mois d’écart en plus ou en moins étaient possibles.
33. Par ailleurs, début avril 2013, le tuteur demanda au tribunal pour mineurs d’attribuer une identité conventionnelle à l’enfant, afin que celui-ci puisse être inscrit sans difficulté à l’école. Il communiquait que l’enfant avait été placé dans une famille le 26 janvier 2013, mais qu’il était sans identité. Cette « inexistence » avait un fort impact sur les questions administratives : sous quelle identité inscrire l’enfant à l’école, dans son carnet de vaccinations, à son domicile. Il est vrai que cette situation répondait au but de ne pas permettre à la famille d’origine, c’est-à-dire aux requérants, de comprendre où était l’enfant afin de mieux le protéger. Toutefois, une identité temporaire conventionnelle aurait permis de maintenir le secret sur l’identité réelle de l’enfant et, en même temps, aurait permis à ce dernier d’accéder aux services publics alors qu’il lui était loisible seulement d’utiliser les services médicaux d’urgence.
34. Par une décision immédiatement exécutoire du 3 avril 2013, la cour d’appel de Campobasso se prononça au sujet du certificat de naissance, duquel il était question d’ordonner ou pas la transcription (au sens de l’article 95 du décret du Président de la République (« DPR ») no 396/00). Elle rejeta l’exception soulevée par le tuteur selon laquelle les requérants n’avaient pas la qualité pour agir devant la cour ; elle reconnut en effet aux requérants la capacité d’ester en justice dans la mesure où ils résultaient être les « parents » dans l’acte de naissance qu’ils souhaitaient transcrire. Toutefois, il était évident que les requérants n’étaient pas les parents biologiques. Il n’y avait donc pas eu de gestation pour autrui, alors que les requérants dans leur mémoire avaient parlé de fécondation assistée hétérologue ; les parties s’accordaient pour dire que la loi russe présupposait un lien biologique entre l’enfant et au moins un des parents potentiels pour pouvoir parler de maternité de substitution. L’acte de naissance était donc faux (ideologicamente falso). Ensuite, étant donné que rien ne montrait que l’enfant avait la citoyenneté russe, l’argument des requérants tiré de l’inapplicabilité de la loi italienne se heurtait à l’article 33 de la loi no 218/95, selon lequel la filiation était déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance. Il était en outre contraire à l’ordre public de transcrire le certificat litigieux car il était faux. Les requérants plaidaient leur bonne foi et alléguaient qu’ils n’arrivaient pas à s’expliquer pourquoi, à la clinique russe, le liquide séminal du requérant n’avait pas été utilisé ; toutefois ceci ne changeait rien à la situation et ne remédiait pas au fait que le requérant n’était pas le père biologique. En conclusion, il était légitime de refuser la transcription du certificat de naissance russe ainsi que d’accueillir la demande du ministère public d’établir un nouvel acte de naissance. Par conséquent la cour ordonna la délivrance d’un nouvel acte de naissance dans lequel il serait indiqué que l’enfant était fils de parents inconnus, né à Moscou le 27 février 2011, et un nouveau nom (déterminé au sens du DPR no 396/00).
35. La procédure portant sur l’adoption de l’enfant reprit devant le tribunal pour mineurs. Les requérants confirmèrent leur opposition au placement de l’enfant auprès de tierces personnes. Le tuteur demanda de déclarer que les requérants n’avaient plus de locus standi. Le ministère public demanda au tribunal de ne pas se prononcer sur sa demande de déclarer l’enfant adoptable en utilisant le nom qu’il avait à l’origine, au motif qu’il avait entre-temps ouvert une deuxième procédure pour demander la déclaration d’adoptabilité pour l’enfant sous sa nouvelle identité d’enfant de parents inconnus. Le 5 juin 2013, compte tenu des éléments du dossier, le tribunal pour mineurs déclara que les requérants n’avaient plus la qualité pour agir dans la procédure d’adoption qu’ils avaient entamée, étant donné qu’ils n’étaient ni les parents ni les membres de la famille de l’enfant, au sens de l’article 10 de la loi no 184/1983. Le tribunal déclara qu’il réglerait la question de l’adoption de l’enfant dans le cadre de l’autre procédure d’adoption, à laquelle le ministère public s’était référé.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi sur le droit international privé
36. Aux termes de l’article 33 de la loi no 218 de 1995 sur le droit international privé, la filiation est déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance.
B. La loi de simplification de l’état civil
37. Le décret du Président de la République du 3 novembre 2000, no 396 (loi de simplification de l’état civil) prévoit que les déclarations de naissance relatives à des ressortissants italiens qui ont été faites à l’étranger doivent être transmises aux autorités consulaires (article 15). Les autorités consulaires transmettent copie des actes aux fins de la transcription à l’état civil de la commune où l’intéressé entend établir sa résidence (article 17). Les actes formés à l’étranger ne peuvent être transcrits s’ils sont contraires à l’ordre public (article 18). Pour qu’elles déploient leurs effets en Italie, les décisions (provvedimenti) étrangères prononcées en matière de capacité des personnes ou d’existence de relations familiales (…) ne doivent pas être contraires à l’ordre public (article 65).
C. La loi sur la procréation médicalement assistée
38. La loi no 40 du 19 février 2004 prévoyait en son article 4 l’interdiction de recourir à la procréation hétérologue. Le non-respect de cette disposition entraînait une sanction pécuniaire allant de 300 000 EUR à 600 000 EUR.
Par un arrêt du 9 avril 2014, la Cour constitutionnelle a déclaré ces dispositions inconstitutionnelles.
D. Les dispositions pertinentes en matière d’adoption
39. Les dispositions relatives à la procédure d’adoption sont consignées dans la loi no 184/1983.
Selon l’article 2, le mineur qui est resté temporairement sans un environnement familial adéquat peut être confié à une autre famille, si possible comprenant des enfants mineurs, ou à une personne seule, ou à une communauté de type familial, afin de lui assurer la subsistance, l’éducation et l’instruction. Au cas où un placement familial adéquat ne serait pas possible, il est permis de placer le mineur dans un institut d’assistance public ou privé, de préférence dans la région de résidence du mineur.
L’article 5 prévoit que la famille ou la personne à laquelle le mineur est confié doivent lui assurer la subsistance, l’éducation et l’instruction (…) compte tenu des indications du tuteur et en observant les prescriptions de l’autorité judiciaire. Dans tous les cas, la famille d’accueil exerce la responsabilité parentale en ce qui concerne les rapports avec l’école et le service sanitaire national. La famille d’accueil doit être entendue dans la procédure de placement et celle concernant la déclaration d’adoptabilité.
Par ailleurs, l’article 7 prévoit que l’adoption est possible au bénéfice des mineurs déclarés adoptables.
L’article 8 prévoit que « peuvent être déclarés en état d’adoptabilité par le tribunal pour enfants, même d’office, (…) les mineurs en situation d’abandon car dépourvus de toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille tenus d’y pourvoir, sauf si le manque d’assistance est dû à une cause de force majeure de caractère transitoire ». « La situation d’abandon subsiste », poursuit l’article 8, « (…) même si les mineurs se trouvent dans un institut d’assistance ou s’ils ont été placés auprès d’une famille ». Enfin, cette disposition prévoit que la cause de force majeure cesse si les parents ou d’autres membres de la famille du mineur tenus de s’en occuper refusent les mesures d’assistance publique et si ce refus est considéré par le juge comme injustifié. La situation d’abandon peut être signalée à l’autorité publique par tout particulier et peut être relevée d’office par le juge. D’autre part, tout fonctionnaire public, ainsi que la famille du mineur, qui ont connaissance de l’état d’abandon de ce dernier, sont obligés d’en faire la dénonciation. Par ailleurs, les instituts d’assistance doivent informer régulièrement l’autorité judiciaire de la situation des mineurs qu’ils accueillent (article 9).
L’article 10 prévoit ensuite que le tribunal peut ordonner, jusqu’au placement pré-adoptif du mineur dans la famille d’accueil, toute mesure temporaire dans l’intérêt du mineur, y compris, le cas échéant, la suspension de l’autorité parentale.
Les articles 11 à 14 prévoient une instruction visant à éclaircir la situation du mineur et à établir si ce dernier se trouve dans un état d’abandon. En particulier, l’article 11 dispose que lorsque, au cours de l’enquête, il ressort que l’enfant n’a de rapports avec aucun membre de sa famille jusqu’au quatrième degré, il peut déclarer l’état d’adoptabilité sauf s’il existe une demande d’adoption au sens de l’article 44.
À l’issue de la procédure prévue par ces derniers articles, si l’état d’abandon au sens de l’article 8 persiste, le tribunal des mineurs déclare le mineur adoptable si : a) les parents ou les autres membres de la famille ne se sont pas présentés au cours de la procédure ; b) leur audition a démontré la persistance du manque d’assistance morale et matérielle ainsi que l’incapacité des intéressés à y remédier ; c) les prescriptions imposées en application de l’article 12 n’ont pas été exécutées par la faute des parents (article 15). L’article 15 prévoit également que la déclaration d’état d’adoptabilité est prononcée par le tribunal des mineurs siégeant en chambre du conseil par décision motivée, après avoir entendu le ministère public, le représentant de l’institut auprès duquel le mineur a été placé ou de son éventuelle famille d’accueil, le tuteur et le mineur lui-même s’il est âgé de plus de douze ans ou, s’il est plus jeune, si son audition est nécessaire.
L’article 17 prévoit que l’opposition à la décision déclarant un mineur adoptable doit être déposée dans un délai de trente jours à partir de la date de la communication à la partie requérante.
L’article 19 prévoit que pendant l’état d’adoptabilité, l’exercice de l’autorité parentale est suspendu.
L’article 20 prévoit enfin que l’état d’adoptabilité cesse au moment où le mineur est adopté ou si ce dernier devient majeur. Par ailleurs, l’état d’adoptabilité peut être révoqué, d’office ou sur demande des parents ou du ministère public, si les conditions prévues par l’article 8 ont entre-temps disparu. Cependant, si le mineur a été placé dans une famille en vue de l’adoption (affidamento preadottivo) au sens des articles 22 à 24, l’état d’adoptabilité ne peut pas être révoqué.
L’article 44 prévoit certains cas d’adoption spéciale : l’adoption est possible au bénéfice des mineurs qui n’ont pas encore été déclarés adoptables. En particulier, l’article 44 d) prévoit l’adoption quand il est impossible de procéder à un placement en vue de l’adoption.
40. L’article 37bis de cette loi prévoit que la loi italienne s’applique aux mineurs étrangers qui sont en Italie pour ce qui est de l’adoption, du placement et des mesures urgentes.
Au sens de l’article 72 de la loi sur l’adoption internationale, celui qui introduit sur le territoire de l’État un mineur étranger en violation des dispositions prévues par ladite loi, afin de se procurer de l’argent ou d’autres bénéfices, et afin que le mineur soit confié définitivement à des citoyens italiens, commet une infraction pénale punie d’une peine d’emprisonnement de un à trois ans. Cette peine s’applique également à ceux qui, en échange d’argent ou d’autres bénéfices, accueillent des mineurs étrangers en « placement » de manière définitive. La condamnation pour cette infraction entraîne l’incapacité d’accueillir des enfants en placement (affidi) et l’incapacité de devenir tuteur.
E. Le recours en cassation aux termes de l’article 111 de la Constitution
41. Aux termes de l’article 111 alinéa 7 de la Constitution, il est toujours possible de se pourvoir en cassation pour alléguer la violation de la loi s’agissant de décisions judiciaires portant sur les restrictions à la liberté personnelle. La Cour de cassation a élargi le domaine d’application de ce remède aux procédures civiles lorsque la décision à contester a un impact substantiel sur des situations (decisoria) et elle ne peut pas être modifiée ou révoquée par le même juge qui l’a prononcée (definitiva).
Les décisions concernant des mesures urgentes à l’égard d’un mineur en état d’abandon prises par décision du tribunal pour mineurs sur la base de l’article 10 de la loi sur l’adoption (articles 330 et suivants du code civil, 742 du code de procédure civile) sont modifiables et révocables. Elles peuvent faire l’objet d’une réclamation devant la cour d’appel. S’agissant de décisions pouvant être modifiées et révoquées en tout temps, elles ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en cassation (Cassation civile, Sec. I, arrêt du 18.10.2012, no 17916)
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Convention de la Haye supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers
42. La Convention de la Haye supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers a été conclue le 5 octobre 1961. Elle s’applique aux actes publics – tels que définis à l’article 1 – qui ont été établis sur le territoire d’un État contractant et qui doivent être produits sur le territoire d’un autre État contractant.
Article 2
« Chacun des États contractants dispense de légalisation les actes auxquels s’applique la présente Convention et qui doivent être produits sur son territoire. La légalisation au sens de la présente Convention ne recouvre que la formalité par laquelle les agents diplomatiques ou consulaires du pays sur lequel le territoire duquel l’acte doit être produit atteste la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. »
Article 3
« La seule formalité qui puisse être exigée pour attester la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu, est l’apposition de l’apostille définie à l’article 4, délivrée par l’autorité compétente de l’État d’où émane le document. »
Article 5
« L’apostille est délivrée à la requête du signataire ou de tout porteur de l’acte. Dûment remplie, elle atteste la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. La signature, le sceau ou timbre qui figurent sur l’apostille sont dispensés de toute attestation ».
Il ressort du rapport explicatif de ladite Convention que l’apostille n’atteste pas la véracité du contenu de l’acte sous-jacent. Cette limitation des effets juridiques découlant de la Convention de la Haye a pour but de préserver le droit des États signataires d’appliquer leurs propres règles en matière de conflits de lois lorsqu’ils doivent décider du poids à attribuer au contenu du document apostillé.
B. Les dispositions pertinentes de droit russe
43. La loi fondamentale sur la protection de la santé des citoyens prévoit à son article 55 la maternité subrogée parmi les techniques de reproduction assistée. Peuvent accéder à ce type de techniques les couples mariés et non mariés, ainsi que les célibataires. La maternité subrogée est le fait de porter et remettre un enfant sur la base d’un contrat conclu par la mère porteuse et les parents « potentiels ». La mère porteuse doit être âgée d’au moins 20 ans et au maximum de 35 ans, avoir déjà eu un enfant en bonne santé et avoir donné son consentement écrit à l’intervention. Cette dernière ne peut se faire que dans les cliniques autorisées. Le décret du ministère de la Santé no 67 de 2003 règle les modalités et les conditions.
Si les dispositions pertinentes ont été respectées, le résultat de la maternité subrogée est qu’un couple marié est reconnu comme couple de parents d’un enfant né d’une mère porteuse. Cette dernière doit donner son consentement écrit pour que le couple soit reconnu comme parents (article 51 § 4 du code de la famille du 29 décembre 1995).
C. Les principes adoptés par le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales du Conseil de l’Europe
44. Le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales constitué au sein du Conseil de l’Europe (CAHBI), prédécesseur du comité directeur de bioéthique, a publié en 1989 une série de principes dont le quinzième, relatif aux « mères de substitution », est ainsi libellé :
« 1. Aucun médecin ou établissement ne doit utiliser les techniques de procréation artificielle pour la conception d’un enfant qui sera porté par une mère de substitution.
2. Aucun contrat ou accord entre une mère de substitution et la personne ou le couple pour le compte de laquelle ou duquel un enfant est porté ne pourra être invoqué en droit.
3. Toute activité d’intermédiaire à l’intention des personnes concernées par une maternité de substitution doit être interdite, de même que toute forme de publicité qui y est relative.
4. Toutefois, les États peuvent, dans des cas exceptionnels fixés par leur droit national, prévoir, sans faire exception au paragraphe 2 du présent Principe, qu’un médecin ou un établissement pourra procéder à la fécondation d’une mère de substitution en utilisant des techniques de procréation artificielle, à condition :
a. que la mère de substitution ne retire aucun avantage matériel de l’opération; et
b. que la mère de substitution puisse à la naissance choisir de garder l’enfant. »
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES AU NOM DE L’ENFANT
45. Les requérants se plaignent au nom de l’enfant de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance de la filiation établie à l’étranger et des mesures d’éloignement et placement adoptées par les juridictions italiennes. Ils allèguent la violation des articles 6, 8 et 14 de la Convention, de la Convention de la Haye ainsi que de la Convention sur la protection des droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
46. Selon le Gouvernement, les requérants ne peuvent pas représenter l’enfant devant la Cour, au motif que celui-ci est déjà représenté au niveau national par un tuteur qui est intervenu dans la procédure devant les juridictions nationales. Nommé le 20 octobre 2011 par le tribunal pour mineurs de Campobasso et confirmé par la cour d’appel de Campobasso le 21 février 2012, le tuteur représente l’enfant et gère ses biens. En conclusion, la requête présentée au nom de l’enfant par les requérants, qui défendent leur propre intérêt et non celui de l’enfant, serait, pour cette partie, incompatible ratione personae.
47. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement.
48. La Cour rappelle qu’il convient d’éviter une approche restrictive ou purement technique en ce qui concerne la représentation des enfants devant les organes de la Convention ; en particulier, il faut tenir compte des liens entre l’enfant concerné et ses « représentants », de l’objet et du but de la requête ainsi que de l’existence éventuelle d’un conflit d’intérêts (Moretti et Benedetti c. Italie, no 16318/07, § 32, 27 avril 2010 ; voir aussi S.D., D.P., et T. c. Royaume-Uni, no 23714/94, décision de la Commission du 20 mai 1996, non publiée).
49. En l’espèce, la Cour observe tout d’abord que les requérants n’ont aucun lien biologique avec l’enfant. Indépendamment de la question de savoir si le certificat de naissance établi en Russie a déployé des effets en Italie et lesquels, l’enfant a été placé sous tutelle depuis le 20 octobre 2011 et a été représenté par le tuteur dans les procédures internes. La procédure visant la reconnaissance du lien de filiation en Italie n’a pas abouti et l’enfant a une nouvelle identité et un nouveau certificat de naissance. Les requérants ont été déboutés de la procédure visant l’adoption de l’enfant. La procédure visant à donner en adoption l’enfant à une autre famille est en cours, et l’enfant est déjà placé dans une famille d’accueil. Aucune procuration n’a été signée en faveur des requérants pour que les intérêts de l’enfant soient représentés par eux devant la Cour. Ceci implique que les requérants ne possèdent pas, d’un point de vue juridique, la qualité nécessaire pour représenter les intérêts du mineur dans le cadre d’une procédure judiciaire.
50. Dans ces circonstances, la Cour estime que les requérants n’ont pas qualité pour agir devant la Cour pour le compte de l’enfant (Moretti et Benedetti, précité, § 35). Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme étant incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION PAR LES REQUÉRANTS EN LEUR NOM
51. Les requérants allèguent que le refus par les autorités italiennes d’enregistrer le certificat de naissance délivré en Russie et les décisions d’éloignement de l’enfant adoptées par les juridictions nationales ont méconnu la Convention de la Haye conclue le 5 octobre 1961 et ont porté atteinte à leur vie privée et familiale telle que garantie par l’article 8 de la Convention. Ils allèguent en outre la violation de l’article 6, au motif que la procédure portant sur l’éloignement du mineur n’a pas été équitable.
52. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
53. Selon une jurisprudence constante, les Parties contractantes sont responsables en vertu de l’article 1 de la Convention de toutes les actions et omissions de leurs organes, que celles-ci découlent du droit interne ou d’obligations juridiques internationales. L’article 1 ne fait aucune distinction à cet égard entre les différents types de normes ou de mesures et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l’empire de la Convention. La Cour rappelle que la Convention ne doit pas être interprétée isolément mais de manière à se concilier avec les principes généraux du droit international. En vertu de l’article 33 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l’interprétation d’un traité doit se faire en tenant compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations avec les parties, en particulier de celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme (voir, entre autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, §§ 168-169, CEDH 2012). Ainsi, même si le droit d’obtenir la transcription d’un certificat de naissance étranger ne figure pas en tant que tel parmi les droits garantis par la Convention, la Cour va examiner la requête sous l’angle de la Convention dans le contexte des autres traités internationaux pertinents.
54. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner cette partie de la requête uniquement sous l’angle de l’article 8 de la Convention, lequel exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition (Moretti et Benedetti, précité, § 49 ; Havelka et autres c. République tchèque, no 23499/06, §§ 34-35, 21 juin 2007 ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 56, CEDH 2002-I ; Wallová et Walla c. République tchèque, no 23848/04, § 47, 26 octobre 2006). L’article 8 de la Convention dispose ainsi dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (…) familiale (…).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (…) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception tirée de l’article 34 de la Convention
55. Le Gouvernement excipe que les requérants ne peuvent pas agir devant la Cour au sens de l’article 34 de la Convention, car l’enfant a été mis sous tutelle.
56. Les requérants s’opposent à cette thèse.
57. La Cour doit examiner la question de savoir si les requérants peuvent ester en justice et s’ils peuvent se prétendre victimes des violations alléguées au sens de l’article 34 de la Convention. Elle note à cet égard que les juridictions italiennes ont reconnu la qualité pour agir en justice des requérants, étant donné que ceux-ci étaient les parents de l’enfant d’après le certificat de naissance russe, et qu’au moins initialement, les intéressés avaient l’autorité parentale sur l’enfant. Il s’ensuit que les requérants peuvent soulever leurs griefs devant la Cour au sens de l’article 34 de la Convention. L’exception du Gouvernement doit dès lors être rejetée.
2. Sur l’exception de non épuisement des voies de recours internes
58. Le Gouvernement a observé que les procédures nationales étaient pendantes. Il s’est référé en particulier à la procédure pénale ouverte à l’encontre des requérants et à la procédure se déroulant devant le tribunal pour mineurs de Campobasso. Invité par la suite (paragraphe 4 ci-dessus) à préciser s’il existait un remède efficace pour contester la décision de la cour d’appel de Campobasso ayant confirmé le refus de transcrire le certificat de naissance, et s’il existait un remède efficace pour contester la décision d’exclusion de la procédure du tribunal pour mineurs, le Gouvernement a répondu par l’affirmative. Toutefois, il n’a pas déposé de jurisprudence pertinente.
59. Les requérants s’opposent à la thèse du Gouvernement.
60. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes tels qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV). Elle se doit de décider si les requérants ont satisfait à cette condition.
61. La Cour relève en premier lieu que la procédure pénale ouverte à l’encontre des requérants était pendante au moment de l’introduction de la requête. Toutefois, elle note, d’une part, que les juridictions civiles ont adopté leurs décisions sans attendre l’issue de cette procédure, d’autre part, que les griefs des requérants ne visent pas la procédure pénale en tant que telle. Par conséquent, un problème de non-épuisement des voies de recours internes ne se pose pas sur ce point et la Cour considère que l’exception du Gouvernement n’est pas pertinente et doit être rejetée.
62. S’agissant de la procédure intentée par les requérants dans le but d’obtenir la transcription de l’acte de naissance de l’enfant, la Cour note que les requérants n’ont pas formé un pourvoi en cassation contre la décision de la cour d’appel de Campobasso ayant rejeté leur recours en date du 3 avril 2013. Le Gouvernement a affirmé l’existence et l’efficacité d’un tel pourvoi sans fournir de jurisprudence pertinente.
La Cour ne dispose donc pas de décisions rendues par la Cour de cassation dans des cas analogues, où l’enjeu serait également la reconnaissance d’un acte étranger contraire au droit national. Elle est toutefois convaincue que la situation dénoncée par les requérants aurait dû être soumise à l’appréciation de la Cour de cassation, qui est l’instance nationale susceptible d’interpréter la loi. Il s’ensuit que, sur ce point, les requérants n’ont pas satisfait à la condition d’épuisement des voies de recours internes.
Le grief tiré de l’impossibilité d’obtenir la transcription du certificat de naissance de l’enfant dans les registres de l’état civil doit dès lors être rejeté conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
63. S’agissant du grief tiré des mesures d’éloignement et mise sous tutelle de l’enfant, la Cour relève que la décision du tribunal pour mineurs de Campobasso du 20 octobre 2011 a été attaquée devant la cour d’appel de Campobasso. Cette dernière a rejeté le recours des requérants et a confirmé les mesures le 28 février 2012. Étant donné le caractère non définitif de ce type de décisions, il n’était pas possible de se pourvoir en cassation (paragraphe 41 ci-dessus).
La Cour estime dès lors que les requérants ont épuisé les voies de recours internes sur ce point. Elle constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
64. Quant à la décision prononcée par le tribunal pour mineurs de Campobasso le 5 juin 2013, ayant décrété que les intéressés ne pouvaient pas poursuivre la procédure concernant l’enfant dénommé Teodoro Campanelli car ils n’avaient plus la qualité pour agir, la Cour note que les requérants n’ont pas attaqué cette décision devant la cour d’appel et puis devant la Cour de cassation. Toutefois, au vu des circonstances de l’espèce, la Cour doute de l’efficacité de ces remèdes en l’espèce. En effet, la décision du tribunal pour mineurs en question a été prononcée environ vingt mois après le moment de l’éloignement de l’enfant. Ce dernier, considéré en état d’abandon à défaut de liens biologiques avec au moins un des requérants, avait été placé aux fins de l’adoption auprès d’une famille depuis au moins janvier 2013. Le tribunal pour mineurs était appelé à se prononcer sur l’adoption de l’enfant dans le cadre d’une autre procédure, ouverte entre-temps à l’égard de l’intéressé sous sa nouvelle identité, à laquelle les requérant n’avaient pas la possibilité de participer. De plus, le Gouvernement n’a fourni aucune décision montrant que dans un tel cas les recours disponibles auraient eu une chance raisonnable de succès. La Cour estime dès lors que même si des recours étaient ouverts contre la décision du tribunal pour mineurs du 5 avril 2013, les requérants n’étaient pas tenus de les épuiser (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 66-67, Recueil 1996‑IV ; Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003‑IV).
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
65. Les requérants observent que le problème soulevé par la requête ne concerne ni la maternité de substitution, ni la procréation assistée, ni les liens génétiques entre parents et enfants ni, enfin, l’adoption. Le problème en cause est le refus de reconnaître un certificat de naissance délivré par les autorités russes compétentes et l’éloignement de l’enfant décidé par les autorités italiennes. Malgré l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance de la filiation et malgré l’éloignement de l’enfant, les requérants ont l’autorité parentale sur ce dernier, même s’ils ne sont pas ses parents biologiques, et ce grâce au certificat de naissance, délivré par les autorités russes compétentes.
Le certificat litigieux est authentique, comme le prouve l’apostille, et, au nom de la sécurité juridique, il aurait dû être enregistré conformément à la Convention de la Haye sur l’apostille conclue le 5 octobre 1961. Il a été délivré conformément au droit russe, selon lequel il n’est pas nécessaire d’avoir un lien génétique pour établir un lien de filiation. L’origine de l’enfant a été établie par les autorités russes compétentes qui ont tenu compte de toutes les circonstances de sa naissance. L’avocat des requérants a soumis à cet égard un article rédigé par lui-même et publié dans « Open Access Scientific Reports ». Il ressort de cet article que la donation de gamètes et d’embryons est permise en Russie, même au niveau commercial. La maternité subrogée à des fins commerciales n’est pas interdite non plus. Il est donc possible en Russie d’acheter des gamètes auprès d’une banque (IVF clinic’s database) ; de cette façon les gamètes achetés par les parents potentiels deviennent « leurs » gamètes, ce qui leur permettra d’être considérés comme parents.
Les requérants n’ont jamais commis d’infractions en Russie. Ils n’en ont pas commis non plus en Italie. Ils étaient libres de passer la frontière et d’aller là où la législation permet la fécondation in vitro hétérologue. En prétendant, à tort et sans fournir de raisons valables, que le certificat de naissance était faux, les autorités italiennes ont agi illégalement. Le seul critère qui aurait dû guider les autorités italiennes dans leurs décisions devait être l’intérêt de l’enfant : celui de pouvoir rester auprès des requérants.
66. Le Gouvernement fait observer qu’en délivrant les documents de voyage permettant à l’enfant de partir en Italie, le Consulat italien de Moscou a respecté ses obligations internationales. L’apostille apposée sur le certificat de naissance russe n’empêchait toutefois pas les autorités italiennes de vérifier la véracité du contenu du dossier lié à la naissance de l’enfant. Le droit italien trouve à s’appliquer en l’espèce. L’article 18 du DPR no 396/2000 appelle les autorités italiennes à vérifier si l’acte de naissance est contraire ou non à l’ordre public interne et donc s’il est apte ou pas à être transcrit dans les registres de l’état civil. La filiation se détermine au sens de l’article 33 de la loi sur le droit international privé. Les juridictions nationales ont prouvé l’absence de tout lien biologique entre les requérants et l’enfant. Il s’agit donc d’un certificat de naissance faux dans son contenu. À supposer qu’il y ait eu une ingérence dans la vie privée et familiale des requérants, celle-ci est conforme à l’article 8 de la Convention car elle repose sur une base légale, elle répond au but de protéger l’enfant et est nécessaire dans une société démocratique. Étant donné l’agrément qu’ils avaient obtenu, les requérants auraient pu adopter un enfant, d’autant plus que l’accord bilatéral conclu entre l’Italie et la Russie le 6 novembre 2008 a permis 781 adoptions régulières dans la seule année 2011. Le Gouvernement fait enfin observer qu’il n’y a pas de consensus européen en matière de gestation pour autrui.
2. Appréciation par la Cour
a) Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention
67. Conformément à sa jurisprudence, la Cour relève que la question de l’existence ou de l’absence d’une vie familiale est d’abord une question de fait, qui dépend de l’existence de liens personnels étroits (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 31, Série A no 31 ; K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 150, CEDH 2001‑VII). La notion de « famille » visée par l’article 8 ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage, mais peut englober d’autres liens « familiaux » de facto, lorsque les parties cohabitent en dehors de tout lien marital et une relation a suffisamment de constance (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30 , série A no 297-C; Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, § 55, série A no 112 ; Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 44, série A no 290 ; X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, § 36, Recueil 1997‑II). Par ailleurs, les dispositions de l’article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit d’adopter (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008). Le droit au respect d’une « vie familiale » ne protège pas le simple désir de fonder une famille ; il présuppose l’existence d’une famille (Marckx, précité, § 31), voire au minimum d’une relation potentielle qui aurait pu se développer, par exemple, entre un père naturel et un enfant né hors mariage (Nylund c. Finlande (déc.), no27110/95, CEDH 1999-VI), d’une relation née d’un mariage non fictif, même si une vie familiale ne se trouvait pas encore pleinement établie (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 62, série A no 94), ou encore d’une relation née d’une adoption légale et non fictive (Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 148, CEDH 2004-V).
68. La Cour note que le cas d’espèce présente des similitudes avec l’affaire Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg (no 76240/01, 28 juin 2007). Dans l’affaire luxembourgeoise il était question de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance au Luxembourg de la décision judiciaire péruvienne prononçant l’adoption plénière d’une requérante au profit d’une deuxième requérante. La Cour a reconnu l’existence d’une vie familiale malgré l’absence de reconnaissance de l’adoption, en prenant en compte le fait que des liens familiaux de facto existaient depuis plus de dix ans entre les requérantes et que la deuxième se comportait à tous égards comme la mère de la mineure.
Dans une autre affaire (Moretti et Benedetti, précitée, §§ 50-52), il était question d’un couple marié de requérants qui avaient accueilli un enfant âgé d’un mois dans leur famille. Ils avaient passé dix-neuf mois avec lui avant que les juridictions italiennes ne décident de placer l’enfant auprès d’une autre famille aux fins d’adoption. La Cour a également conclu à l’existence d’une vie familiale de facto, confirmée entre autres par les expertises conduites sur la famille, malgré l’absence de tout rapport juridique de parenté (§§ 50-52).
69. En l’espèce, les requérants se sont vu refuser la transcription de l’acte de naissance russe qui avait établi la filiation. Ce certificat n’ayant pas été reconnu en droit italien, il n’a pas fait naître un rapport juridique de parenté à proprement parler, même si les requérants ont eu, au moins initialement, l’autorité parentale sur l’enfant, comme le prouve la demande de suspension de l’autorité parentale introduite par le curateur. La Cour se doit dès lors de prendre en compte les liens familiaux de facto. À cet égard, elle relève que les requérants ont passé avec l’enfant les premières étapes importantes de sa jeune vie : six mois en Italie, à partir du troisième mois de vie de l’enfant. Avant cette période, la requérante avait déjà passé quelques semaines avec lui en Russie. Même si la période en tant que telle est relativement courte, la Cour estime que les requérants se sont comportés à l’égard de l’enfant comme des parents et conclut à l’existence d’une vie familiale de facto entre les requérants et l’enfant. Il s’ensuit que l’article 8 de la Convention s’applique en l’espèce.
70. À titre surabondant, la Cour note que, dans le cadre de la procédure engagée pour obtenir la reconnaissance de la filiation, le requérant s’est soumis à un test ADN. Il est vrai qu’aucun lien génétique n’a été établi entre le requérant et l’enfant (a contrario, Keegan, précité, § 45). Toutefois, la Cour rappelle que l’article 8 protège non seulement la « vie familiale », mais aussi la « vie privée ». Cette dernière inclut, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer des relations avec ses semblables (mutatis mutandis, Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A
no 251-B,). Il semble d’ailleurs n’y avoir aucune raison de principe de considérer la notion de vie privée comme excluant l’établissement d’un lien juridique entre un enfant né hors mariage et son géniteur (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002‑I). La Cour a déjà déclaré que le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain et que le droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs incidences sur la formation de la personnalité (Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 39, série A no 160). En l’espèce, le requérant a cherché, par la voie judiciaire, à établir s’il était géniteur. Sa demande de reconnaissance de la filiation légalement établie à l’étranger s’est donc doublée d’une quête de la vérité biologique, visant à déterminer ses liens avec l’enfant. En conséquence, il existait une relation directe entre l’établissement de la filiation et la vie privée du requérant. Il s’ensuit que les faits de la cause tombent sous l’empire de l’article 8 de la Convention (Mikulić, précité, § 55).
b) Sur l’observation de l’article 8 de la Convention
71. En l’espèce, les requérants se sont vu refuser, de la part du tribunal pour mineurs de Campobasso et de la cour d’appel de Campobasso, la reconnaissance de la filiation établie à l’étranger et ont été frappés par les décisions judiciaires ayant conduit à l’éloignement et à la prise en charge de l’enfant. Aux yeux de la Cour cette situation s’analyse en une ingérence dans les droits garantis par l’article 8 de la Convention (Wagner et J.M.W.L., précité, § 123). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si elle remplit les conditions cumulatives d’être prévue par la loi, de poursuivre un but légitime, et d’être nécessaire dans une société démocratique. La notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché (Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50, CEDH 2000‑IX ; Pontes c. Portugal, no 19554/09, § 74, 10 avril 2012).
72. S’agissant de la question de savoir si cette ingérence était « prévue par la loi », la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 de la Convention de la Haye de 1961, le seul effet de l’apostille est celui de certifier l’authenticité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Il ressort du rapport explicatif de ladite Convention que l’apostille n’atteste pas la véracité du contenu de l’acte sous-jacent. Cette limitation des effets juridiques découlant de la Convention de la Haye a pour but de préserver le droit des États signataires d’appliquer leurs propres règles en matière de conflits de lois lorsqu’ils doivent décider du poids à attribuer au contenu du document apostillé. En l’espèce, les juridictions italiennes ne se sont pas basées sur le certificat de naissance étranger mais elles ont opté pour l’application du droit italien s’agissant du lien de filiation. En fait, l’application des lois italiennes qui a été faite en l’espèce par le tribunal pour mineurs découle de la règle des conflits des lois selon laquelle la filiation est déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance. En l’espèce, compte tenu de ce que l’enfant est issu de gamète de donneurs inconnus, la nationalité de l’enfant n’était pas établie. Dans cette situation, la Cour estime que l’application du droit italien par les juridictions nationales ayant abouti au constat que l’enfant était en état d’abandon ne saurait passer comme étant arbitraire. Enfin, la Cour relève que les mesures à l’égard de l’enfant prises par le tribunal pour mineurs et confirmées par la cour d’appel de Campobasso s’appuient sur les dispositions de droit interne.
Il s’ensuit que l’ingérence – fondée en particulier sur les articles pertinents de la loi sur le droit international privé et de la loi sur l’adoption internationale – était « prévue par la loi ».
73. S’agissant du but légitime, aux yeux de la Cour, il n’y a pas lieu de douter que les mesures prises à l’égard de l’enfant tendaient à la « défense de l’ordre », dans la mesure où la conduite des requérants se heurtait à la loi sur l’adoption internationale et le recours aux techniques de reproduction assistée hétérologue était, à l’époque des faits, interdit. En outre, les mesures en question visaient la protection des « droits et libertés » de l’enfant.
74. Pour apprécier la « nécessité » des mesures litigieuses « dans une société démocratique », la Cour examine, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour les justifier sont pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. Dans les affaires délicates et complexes, la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Si les autorités jouissent d’une grande latitude en matière d’adoption (Wagner et J.M.W.L., précité, § 127) ou pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction que dans l’affaire en question, il existait des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les parents et l’enfant la mesure d’adoption, ainsi que d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant avant de mettre une pareille mesure à exécution (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 166, CEDH 2001‑VII ; Kutzner, précité, § 67).
75. Dans la présente affaire, la question est de savoir si l’application faite en l’espèce des dispositions législatives a ménagé un juste équilibre entre l’intérêt public et les intérêts privés en jeu, fondés sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (Wagner et J.M.W.L., précité, §§ 133-134 ; Mennesson c. France, no 65192/11, § 81, CEDH 2014 (extraits) ; Labassee c. France, no 65941/11, § 60, 26 juin 2014).
76. La Cour relève qu’en l’espèce il y a l’absence avérée de liens génétiques entre l’enfant et les requérants. Ensuite, la loi russe ne précise pas si entre les futurs parents et l’enfant à naître il faut un lien biologique. En outre, les requérants n’ont pas argué devant les juridictions nationales que le droit russe n’exigeait pas un lien génétique avec au moins un des futurs parents pour parler de gestation pour autrui. Compte tenu de ces éléments, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de comparer la législation des États membres afin de voir si, en matière de gestation pour autrui, la situation se trouve à un stade avancé d’harmonisation en Europe. En effet, la Cour est confrontée à un dossier dans lequel une société russe – pour laquelle travaille l’avocat qui représente les requérants à Strasbourg – a encaissé une somme d’argent des requérants ; elle a acheté des gamètes de donneurs inconnus ; elle a trouvé une mère porteuse et lui a fait implanter les embryons ; elle a remis l’enfant aux requérants ; elle les a aidés à obtenir le certificat de naissance. Pour mieux expliquer ce processus, l’avocat en question a indiqué qu’il était tout à fait possible de contourner l’exigence d’avoir un lien génétique avec un des futurs parents en achetant les embryons, qui deviennent ainsi « ses » embryons. Indépendamment de toute considération éthique quant aux agissements de la société Rosjurconsulting, les conséquences de ces agissements ont été très lourdes pour les requérants, surtout si l’on prend en compte le fait que le requérant était certain d’être le père biologique de l’enfant et qu’à ce jour il n’a pas été démontré qu’il n’était pas de bonne foi.
77. L’application du droit national a eu pour conséquence la non reconnaissance de la filiation établie à l’étranger, au motif que les requérants n’avaient pas un lien génétique avec l’enfant. La Cour ne néglige pas les aspects émotionnels de ce dossier où il a été question, pour les requérants, de constater leur incapacité à procréer ; de demander l’agrément pour adopter ; une fois l’agrément obtenu en décembre 2006, d’attendre pendant des années de pouvoir adopter en faisant face à la pénurie d’enfants adoptables ; de nourrir un espoir lorsqu’en 2010, les requérants se sont résolus à souscrire un contrat avec Rosjurcosulting et lorsqu’ils ont appris la naissance de l’enfant ; de sombrer dans le désespoir lorsqu’ils ont appris que le requérant n’était pas le père biologique de l’enfant.
Les juridictions nationales ont examiné l’argument du requérant selon lequel il y avait eu une erreur à la clinique russe car son liquide séminal n’avait pas été utilisé. Elles ont toutefois estimé que la bonne foi de l’intéressé ne pouvait pas créer le lien biologique qui faisait défaut.
Selon la Cour, en faisant une application stricte du droit national pour déterminer la filiation et en passant outre le statut juridique créé à l’étranger, les juges nationaux n’ont pas pris une décision déraisonnable (a contrario, Wagner et J.M.W.L. précité, § 135).
78. Il reste néanmoins à savoir si, dans une telle situation, les mesures prises à l’égard de l’enfant – notamment son éloignement et sa mise sous tutelle – peuvent passer pour des mesures proportionnées, à savoir si l’intérêt de l’enfant a été pris en compte de manière suffisante par les autorités italiennes.
79. La Cour note à cet égard que le tribunal pour mineurs de Campobasso a estimé que l’enfant était sans environnement familial adéquat aux termes de la loi sur l’adoption internationale. Pour parvenir à cette conclusion, les juges nationaux ont pris en compte le fait que l’enfant était né de parents biologiques inconnus et que la mère porteuse avait renoncé à lui. Ils ont ensuite attaché une grande importance à la situation d’illégalité dans laquelle les requérants versaient : ces derniers avaient amené l’enfant en Italie en faisant croire qu’il s’agissait de leur fils et avaient ainsi violé le droit italien, en particulier la loi sur l’adoption internationale et la loi sur la reproduction assistée. Ils ont en outre déduit du fait que les requérants s’étaient adressés à Rosjurconsulting une volonté de court-circuiter la loi sur l’adoption malgré l’agrément obtenu et ont estimé que cette situation résultait d’un désir narcissique du couple ou que l’enfant était destiné à résoudre des problèmes du couple. Dès lors on pouvait douter de leurs capacités affective et éducative. Il était donc nécessaire de mettre un terme à cette situation en éloignant l’enfant du domicile des requérants et de supprimer toute possibilité de contact avec lui. La perspective suivie par les juridictions nationales répondait manifestement au besoin de mettre un terme à la situation d’illégalité.
80. Selon la Cour, la référence à l’ordre public ne saurait toutefois passer pour une carte blanche justifiant toute mesure, car l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant incombe à l’État indépendamment de la nature du lien parental, génétique ou autre. À cet égard, la Cour rappelle que dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. précitée, les autorités luxembourgeoises n’avaient pas reconnu la filiation établie à l’étranger au motif que celle-ci se heurtait à l’ordre public ; cependant, elles n’avaient adopté aucune mesure visant l’éloignement du mineur ou l’interruption de la vie familiale. En effet, l’éloignement de l’enfant du contexte familial est une mesure extrême à laquelle on ne devrait avoir recours qu’en tout dernier ressort. Pour qu’une mesure de ce type se justifie, elle doit répondre au but de protéger l’enfant confronté à un danger immédiat pour celui-ci (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000‑VIII ; Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 136, CEDH 2010 ; Y.C. c. Royaume-Uni, no 4547/10, §§ 133-138, 13 mars 2012 ; Pontes c. Portugal, no 19554/09, §§ 74-80, 10 avril 2012). Le seuil établi dans la jurisprudence est très élevé, et la Cour estime utile de rappeler les passages suivants tirés de l’arrêt Pontes précité :
« § 74. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Kutzner, précité, § 58) et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001-VII). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché (Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004).
§ 75. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il met de surcroît à la charge de l’État des obligations positives inhérentes au « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’État doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 71, série A no 156 ; Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250 ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I ; Gnahoré c. France, no 40031/98, § 51, CEDH 2000-IX et, dernièrement, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 140, CEDH 2010). La frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public – (Maumousseau et Washington c. France, no 93388/05, § 62, CEDH 2007‑XIII), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (dans ce sens Gnahoré, précité, § 59, CEDH 2000-IX), pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003-VIII). L’intérêt de ces derniers, notamment à bénéficier d’un contact régulier avec l’enfant, reste néanmoins un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu (Haase c. Allemagne, no 11057/02, § 89, CEDH 2004-III (extraits), ou Kutzner c. Allemagne, précité, § 58). Dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, W., B. et R. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no121, §§ 60 et 61, et Gnahoré, précité, § 52). La Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer la prise en charge d’enfants par l’administration publique et les droits des parents de ces enfants, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299‑A).
§ 76. La Cour rappelle que, si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, le processus décisionnel lié aux mesures d’ingérence doit être équitable et propre à respecter les intérêts protégés par cette disposition. Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 64, série A no 121).
§ 77. Pour apprécier la « nécessité » de la mesure litigieuse « dans une société démocratique », la Cour considérera si, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs invoqués à l’appui de celle-ci étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. À cette fin, elle tiendra compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave ; une telle mesure doit donc reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et ayant assez de poids et de solidité (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000-VIII).
§ 78. Si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier en particulier la nécessité de prendre en charge un enfant, il lui faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (Gnahoré précité, § 54, et Sahin c. Allemagne [GC], no30943/96, § 65, CEDH 2003-VIII).
§ 79. D’un côté, il est certain que garantir aux enfants une évolution dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l’article 8 ne saurait en aucune manière autoriser un parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de ses enfants (Sahin précité, § 66). De l’autre côté, il est clair qu’il est tout autant dans l’intérêt de l’enfant que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. Il en résulte que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré précité, § 59).
§ 80. La Cour rappelle par ailleurs que, dans les affaires touchant la vie familiale, le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui. En effet, la rupture de contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, précité, § 102 ; Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VI). »
La Cour estime utile de rappeler également les passages suivants tirés de l’arrêt Zhou (Zhou c. Italie, no 33773/11, §§ 55-56, 21 janvier 2014) :
« § 55 La Cour rappelle que dans des cas si délicats et complexes, la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction que dans l’affaire en question, il existait des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les parents et l’enfant la mesure d’adoption, ainsi que d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant avant de mettre une pareille mesure à exécution (K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 166; Kutzner c. Allemagne, précité, § 67, CEDH 2002-I).
§ 56 À la différence d’autres affaires que la Cour a eu l’occasion d’examiner, l’enfant de la requérante en l’espèce n’avait pas été exposée à une situation de violence ou de maltraitance physique ou psychique (voir, a contrario, Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005; Zakharova c. France (déc.), no57306/00, 13 décembre 2005), ni à des abus sexuels (voir, a contrario, Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003). La Cour rappelle avoir a conclu à la violation dans l’affaire Kutzner c. Allemagne, (§ 68, précité) dans laquelle les tribunaux avaient retiré l’autorité parentale aux requérants après avoir constaté un déficit affectif de ces-derniers, et a déclaré la non violation de l’article 8 dans l’affaire Aune c. Norvège, (no52502/07, 28 octobre 2010), où la Cour avait relevé que l’adoption du mineur n’avait en fait pas empêché la requérante de continuer à entretenir une relation personnelle avec l’enfant et n’avait pas eu pour conséquences de couper l’enfant de ses racines. Elle a également constaté la violation de l’article 8 dans une affaire (Saviny c. Ukraine, n 39948/06, 18 décembre 2008) où le placement des enfants des requérants avait été justifié en raison de leur incapacité de garantir des conditions de vie adéquates (le manque de moyens financiers et de qualités personnelles des intéressés mettaient en péril la vie, la santé et l’éducation morale des enfants). Au demeurant, dans une affaire où le placement des enfants avait été ordonné en raison d’un de déséquilibre psychique des parents, la Cour a conclu à la non violation de l’article 8 en tentant en compte également de ce que le lien entre les parents et les enfants n’avait été coupé (Couillard Maugery c. France, précité). »
81. La Cour reconnaît que la situation qui se présentait aux juges nationaux en l’espèce était délicate. En effet, de graves soupçons pesaient sur les requérants. Au moment où le tribunal pour mineurs a décidé d’éloigner l’enfant des requérants, il a pris en compte le préjudice certain qu’il subirait mais, vu la courte période qu’il avait passée avec eux et son bas âge, il a estimé que l’enfant surmonterait ce moment difficile de sa vie. Cependant la Cour estime que les conditions pouvant justifier le recours aux mesures litigieuses n’étaient pas remplies, et ce pour les raisons suivantes.
82. Tout d’abord, le seul fait que l’enfant aurait développé un lien affectif plus fort vis-à-vis de ses parents d’intention pour le cas où il serait resté auprès d’eux ne suffit pas pour justifier son éloignement.
83. Ensuite, s’agissant de la procédure pénale ouverte à l’encontre des requérants, la Cour note d’emblée que la cour d’appel de Campobasso avait estimé qu’il n’était pas nécessaire d’en attendre l’issue car la responsabilité pénale des intéressés ne jouait aucun rôle (paragraphe 25 ci-dessus), de sorte que les soupçons pesant sur les intéressés ne suffisent pas non plus pour justifier les mesures litigieuses. Aux yeux de la Cour, il n’est en tout cas pas possible de spéculer sur l’issue de la procédure pénale. En outre, seulement en cas de condamnation pour l’infraction prévue à l’article 72 de la loi sur l’adoption les requérants seraient devenus légalement incapables d’adopter ou accueillir l’enfant en placement.
84. À ce dernier égard, la Cour relève que les requérants, jugés aptes à adopter en décembre 2006 au moment où ils reçurent l’agrément (paragraphe 12 ci-dessus), ont été jugés incapables d’éduquer et aimer l’enfant au seul motif qu’ils avaient contourné la loi sur l’adoption, sans qu’une expertise ait été ordonnée par les tribunaux.
85. Enfin, la Cour note que l’enfant a reçu une nouvelle identité seulement en avril 2013, ce qui signifie qu’il était inexistant pendant plus de deux ans. Or, il est nécessaire qu’un enfant ne soit pas désavantagé du fait qu’il a été mis au monde par une mère porteuse, à commencer par la citoyenneté ou l’identité qui revêtent une importance primordiale (voir l’article 7 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, 1577 Recueil des Traités 3).
86. Compte tenu de ces éléments, la Cour n’est pas convaincue du caractère adéquat des éléments sur lesquels les autorités se sont appuyées pour conclure que l’enfant devait être pris en charge par les services sociaux. Il en découle que les autorités italiennes n’ont pas préservé le juste équilibre devant régner entre les intérêts en jeu.
87. En conclusion, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
88. Compte tenu de ce que l’enfant a certainement développé des liens affectifs avec la famille d’accueil chez laquelle il a été placé début 2013, le constat de violation prononcé dans la cause des requérants ne saurait donc être compris comme obligeant l’État à remettre le mineur aux intéressés.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS
89. Les requérants allèguent enfin que la non reconnaissance du lien de filiation établi à l’étranger constitue une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, et de l’article 1 du protocole no 12.
La Cour relève d’emblée qu’à ce jour, l’Italie n’a pas ratifié le Protocole no 12, de sorte que ce grief est incompatible ratione personae et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Cette partie de la requête doit dès lors être examinée sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. L’article 14 de la Convention dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
90. Dans la mesure où cette partie de la requête se rapporte au refus de transcrire le certificat de naissance dans les registres de l’état civil, la Cour estime que – tout comme le grief tiré de l’article 8 de la Convention invoqué isolément (voir paragraphe 62 ci-dessus) elle doit être rejetée pour non épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
91. Pour autant que cette partie de la requête concerne les mesures adoptées à l’égard de l’enfant, la Cour rappelle que, dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (Mazurek c. France, no 34406/97, § 46, CEDH 2000‑II). Une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (Mazurek précité, § 48). Après examen du dossier, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des dispositions invoquées. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
92. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
93. Les requérants sollicitent le versement de 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.
94. Le Gouvernement s’oppose au versement de toute somme et insiste pour le rejet de la requête. En tout état de cause, le dommage n’a pas été démontré et l’enfant a le droit de vivre dans un environnement familial « légitime et tranquille ».
95. Statuant en équité, la Cour accorde 20 000 EUR conjointement aux requérants.
B. Frais et dépens
96. Les requérants demandent 29 095 EUR pour le remboursement des frais exposés devant les juridictions nationales et dans la procédure à Strasbourg.
97. Le Gouvernement s’oppose au versement de toute somme.
98. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 10 000 EUR tous frais confondus et l’accorde conjointement aux requérants.
C. Intérêts moratoires
99. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief soulevé par les requérants en leur nom et tiré de l’article 8 de la Convention au sujet des mesures adoptées à l’égard de l’enfant et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3 Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Raimondi et Spano.
A.I.K.
S.H.N.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE DES JUDGES RAIMONDI AND SPANO
1. Avec tout le respect que nous devons à nos collègues de la majorité, nous ne pouvons partager leur avis d’après lequel l’article 8 de la Convention aurait été violé en l’espèce.
2. Nous pouvons accepter, mais avec une certaine hésitation et sous réserve des remarques qui suivent, les conclusions de la majorité selon lesquelles l’article 8 de la Convention est applicable en l’espèce (paragraphe 69 de l’arrêt) et il y a eu ingérence dans les droits des requérants.
3. En effet, la vie familiale (ou vie privée) de facto des requérants avec l’enfant se fondait sur un lien ténu, en particulier si l’on tient compte de la période très brève au cours de laquelle ils en auraient eu la garde. Nous estimons que la Cour, dans des situations telles que celle à laquelle elle était confrontée dans cette affaire, doit prendre en compte les circonstances dans lesquelles l’enfant a été placé sous la garde des personnes concernées dans son examen de la question de savoir si une vie familiale de facto a été développée ou pas. Nous soulignons que l’article 8 § 1 ne peut pas, à notre avis, être interprété comme consacrant une « vie familiale » entre un enfant et des personnes dépourvues de tout lien biologique avec celui-ci dès lors que les faits, raisonnablement mis au clair, suggèrent que l’origine de la garde est fondée sur un acte illégal en contravention de l’ordre public. En tout cas, nous estimons que les considérations liées à une éventuelle illégalité à l’origine de l’établissement d’une vie familiale de facto doivent entrer en ligne de compte dans l’analyse de la proportionnalité qui s’impose dans le contexte de l’article 8.
4. Cela dit, il faut constater que les requérants se sont vu refuser, tant de la part du tribunal pour mineurs de Campobasso que de la part du registre de l’état civil et de la cour d’appel de Campobasso, la reconnaissance du certificat de naissance délivré par les autorités russes compétentes et ont été frappés par les décisions judiciaires ayant conduit à l’éloignement et à la prise en charge de l’enfant. Cette situation s’analyse en une ingérence dans les droits garantis par l’article 8 de la Convention (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, 28 juin 2007, § 123).
5. À notre avis, cette ingérence était prévue par la loi, poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique.
6. Quant à la question de savoir si cette ingérence était « prévue par la loi » et poursuivait un « but légitime » nous souscrivons à l’analyse de la majorité (paragraphes 72-73 de l’arrêt).
7. En outre, à notre avis, l’application faite en l’espèce des dispositions législatives a ménagé un juste équilibre entre l’intérêt public et les intérêts privés concurrents en jeu, fondés sur le droit au respect de la vie privée et familiale.
8. En l’espèce, il y a d’abord l’absence avérée de liens génétiques entre l’enfant et les requérants. Ensuite, la loi russe ne précise pas s’il faut un lien biologique entre les futurs parents et l’enfant à naître. En outre, les requérants n’ont pas soutenu devant les juridictions nationales qu’en droit russe l’existence d’un lien génétique avec au moins un des futurs parents n’était pas nécessaire pour parler de gestation pour autrui. Compte tenu de ces éléments, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de comparer les législations des différents États membres afin de voir si, en matière de gestation pour autrui, la situation se trouve à un stade avancé d’harmonisation en Europe. En effet, nous sommes confrontés à un dossier dans lequel une société russe – pour laquelle travaille l’avocat qui représente les requérants à Strasbourg – a encaissé une somme d’argent des requérants ; elle a acheté des gamètes de donneurs inconnus ; elle a trouvé une mère porteuse et lui a fait implanter les embryons ; elle a remis l’enfant aux requérants ; elle les a aidés à obtenir le certificat de naissance. Pour mieux expliquer ce processus, l’avocat en question a indiqué qu’il était tout à fait possible de contourner l’exigence d’avoir un lien génétique avec un des futurs parents en achetant les embryons, qui deviennent ainsi « ses » embryons.
9. L’application du droit national a eu pour conséquence la non-reconnaissance de la filiation établie à l’étranger, au motif que les requérants n’avaient aucun lien génétique avec l’enfant. Nous ne négligeons pas les aspects émotionnels de ce dossier où les requérants ont dû constater leur incapacité à procréer ; demander l’agrément pour adopter ; une fois l’agrément obtenu en décembre 2006, attendre pendant des années de pouvoir adopter en faisant face à la pénurie d’enfants adoptables ; nourrir un espoir lorsqu’en 2010, lorsqu’ils se sont résolus à souscrire un contrat avec Rosjurcosulting et lorsqu’ils ont appris la naissance de l’enfant ; et enfin, sombrer dans le désespoir lorsqu’ils ont appris que le requérant n’était pas le père biologique de l’enfant.
10. Les juridictions nationales ont examiné l’argument du requérant selon lequel il y avait eu une erreur à la clinique russe car son liquide séminal n’avait pas été utilisé. Toutefois, la bonne foi de l’intéressé ne pouvait pas créer le lien biologique qui faisait défaut. À notre avis, en faisant une application stricte du droit national pour déterminer la filiation et en passant outre le statut juridique créé à l’étranger, les juges nationaux n’ont pas été déraisonnables (voir, a contrario, Wagner et J.M.W.L. précité, § 135).
11. Le tribunal pour mineurs de Campobasso a estimé que l’enfant ne bénéficiait pas d’un environnement familial adéquat au sens de la loi sur l’adoption internationale. Les juges nationaux ont pris en compte le fait que l’enfant était né de parents biologiques inconnus et que la mère porteuse avait renoncé à lui. Ils ont ensuite attaché une grande importance à la situation d’illégalité dans laquelle les requérants s’étaient retrouvés : ces derniers avaient amené l’enfant en Italie en faisant croire qu’il s’agissait de leur fils et avaient ainsi violé le droit italien, en particulier la loi sur l’adoption internationale et la loi sur la reproduction assistée. Ils ont en outre déduit du fait que les requérants s’étaient adressés à Rosjurconsulting une volonté de court-circuiter la loi sur l’adoption malgré l’agrément obtenu et ont estimé que cette situation résultait d’un désir narcissique du couple ou que l’enfant était destiné à résoudre des problèmes du couple. Dès lors, le tribunal a jugé que l’on pouvait douter des capacités affectives et éducatives des requérants, et qu’il était donc nécessaire de mettre un terme à cette situation en éloignant l’enfant du domicile des requérants et de supprimer toute possibilité de contact avec lui.
12. Nous remarquons d’emblée que les requérants, jugés aptes à adopter en décembre 2006 au moment où ils reçurent l’agrément, ont été considérés comme incapables d’éduquer et d’aimer l’enfant uniquement sur la base de présomptions et déductions, sans qu’une expertise ait été ordonnée par les tribunaux. Cependant, nous reconnaissons que la situation qui se présentait aux juges nationaux était délicate et revêtait un caractère d’urgence. En effet, nous n’avons pas de raisons de considérer comme arbitraire la position des juges nationaux, qui ont estimé que les soupçons qui pesaient sur les requérants étaient graves et qu’il était essentiel d’éloigner l’enfant et de le mettre en sécurité sans permettre aux requérants de le contacter. Au moment où le tribunal pour mineurs a décidé d’éloigner l’enfant des requérants, il a pris en compte le préjudice certain qu’il subirait mais, vu la courte période qu’il avait passée avec eux et son bas âge, il a estimé que l’enfant surmonterait ce moment difficile de sa vie. Compte tenu de ces éléments, nous n’avons pas de raisons de douter du caractère adéquat des éléments sur lesquels les autorités se sont appuyées pour conclure que l’enfant devait être pris en charge par les services sociaux. Il en découle que les autorités italiennes ont agi dans le respect de la loi, en vue de la défense de l’ordre et dans le but de protéger les droits et la santé de l’enfant, et ont préservé le juste équilibre devant régner entre les intérêts en jeu.
13. À notre avis, il n’y a aucune raison de remettre en jeu l’évaluation faite par les juges italiens. La majorité substitue sa propre évaluation à celle des autorités nationales, mettant ainsi à mal le principe de subsidiarité et la doctrine de la « quatrième instance ».
14. Dans ce genre d’affaires, dans lesquelles les juridictions nationales sont confrontées à des questions difficiles de mise en balance des intérêts de l’enfant d’une part et des exigences d’ordre public de l’autre, la Cour devrait à notre avis faire preuve de retenue, et se limiter à vérifier si l’évaluation des juges nationaux est entachée d’arbitraire. Les arguments développés par la majorité (paragraphes 82-84 de l’arrêt) ne sont pas convaincants. En particulier nous estimons que la question de l’établissement de l’identité de l’enfant n’a pas d’impact sur la décision de 2011 de le séparer des requérants et pourrait former l’objet, à la limite, d’un grief de l’enfant lui-même.
15. En outre, la position de la majorité revient, en substance, à nier la légitimité du choix de l’État de ne pas reconnaitre d’effet à la gestation pour autrui. S’il suffit de créer illégalement un lien avec l’enfant à l’étranger pour que les autorités nationales soient obligées de reconnaître l’existence d’une « vie familiale », il est évident que la liberté des États de ne pas reconnaître d’effets juridique à la gestation pour autrui, liberté pourtant reconnue par la jurisprudence de la Cour (Mennesson c. France, no 65192/11), 26 juin 2014, § 79, et Labassee c. France, (no 65941/11), 2 juin 2014, § 58), est réduite à néant.