ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
1er juillet 2008
«Pourvoi – Accès aux documents des institutions – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Avis juridiques»
Dans les affaires jointes C‑39/05 P et C‑52/05 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduits respectivement les 31 janvier et 4 février 2005,
Royaume de Suède, représenté par Mmes K. Wistrand et A. Falk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
Maurizio Turco, demeurant à Pulsano (Italie), représenté par Mes O. Brouwer et C. Schillemans, advocaten,
parties requérantes,
soutenus par:
Royaume des Pays‑Bas, représenté par Mmes H. G. Sevenster et C. M. Wissels ainsi que par M. M. de Grave, en qualité d’agents,
partie intervenante au pourvoi,
les autres parties à la procédure étant:
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. J.‑C. Piris, M. Bauer et B. Driessen, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
Royaume de Danemark, représenté par Mme B. Weis Fogh, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
République de Finlande, représentée par Mme A. Guimaraes‑Purokoski et M. J. Heliskoski, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes V. Jackson, S. Nwaokolo et T. Harris, en qualité d’agents, assistées de Mme J. Stratford, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. M. Petite, C. Docksey et P. Aalto, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties intervenantes en première instance,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, A. Tizzano, G. Arestis et U. Lõhmus, présidents de chambre, MM. K. Schiemann (rapporteur), A. Borg Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský et J. Klučka, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: M. M.‑A. Gaudissart, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 septembre 2007,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 novembre 2007,
rend le présent
Arrêt
1 Par leurs pourvois, le Royaume de Suède (affaire C‑39/05 P) et M. Turco (affaire C‑52/05 P) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 23 novembre 2004, Turco/Conseil (T‑84/03, Rec. p. II‑4061, ci‑après l’«arrêt attaqué»), dans la mesure où celui‑ci a rejeté le recours de M. Turco tendant à l’annulation de la décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2002 lui refusant l’accès à un avis du service juridique du Conseil relatif à une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres (ci‑après la «décision litigieuse»). Le Royaume de Suède demande en outre à la Cour de statuer elle‑même sur ce recours en annulant la décision litigieuse.
2 Les moyens soulevés par les requérants aux pourvois invitent la Cour à se prononcer sur la portée et l’application de l’exception à l’obligation de divulgation de documents prévue, en cas d’atteinte à la protection des avis juridiques, à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).
Le cadre juridique
3 L’article 255 CE assure, notamment à tout citoyen de l’Union européenne, un droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission des Communautés européennes, sous réserve des principes et des conditions fixés par le Conseil pour des raisons d’intérêt public ou privé.
4 Le règlement n° 1049/2001 a été adopté par le Conseil sur le fondement de l’article 255, paragraphe 2, CE.
5 Les premier à quatrième, sixième et onzième considérants dudit règlement sont libellés comme suit:
«(1) Le traité sur l’Union européenne consacre la notion de transparence dans son article 1er, deuxième alinéa, selon lequel le traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens.
(2) La transparence permet d’assurer une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel, ainsi que de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique. La transparence contribue à renforcer les principes de la démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis à l’article 6 du traité UE et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
(3) Les conclusions des réunions du Conseil européen de Birmingham, d’Édimbourg et de Copenhague ont souligné la nécessité d’assurer une plus grande transparence dans le travail des institutions de l’Union. Le présent règlement consolide les initiatives déjà prises par les institutions en vue d’améliorer la transparence du processus décisionnel.
(4) Le présent règlement vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents et à en définir les principes généraux et limites conformément à l’article 255, paragraphe 2, du traité CE.
[…]
(6) Un accès plus large aux documents devrait être autorisé dans les cas où les institutions agissent en qualité de législateur, y compris sur pouvoirs délégués, tout en veillant à préserver l’efficacité du processus décisionnel des institutions. Dans toute la mesure du possible, ces documents devraient être directement accessibles.
[…]
(11) En principe, tous les documents des institutions devraient être accessibles au public. Toutefois, certains intérêts publics et privés devraient être garantis par le biais d’un régime d’exceptions. Il convient de permettre aux institutions de protéger leurs consultations et délibérations internes lorsque c’est nécessaire pour préserver leur capacité à remplir leurs missions. […]»
6 Sous l’intitulé «Objet», l’article 1er, sous a), du règlement n° 1049/2001 énonce que ce dernier vise à «définir les principes, les conditions et les limites, fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé, du droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (ci‑après dénommés ‘institutions’) prévu à l’article 255 du traité CE de manière à garantir un accès aussi large que possible aux documents».
7 Sous l’intitulé «Bénéficiaires et champ d’application», l’article 2, paragraphe 1, de ce même règlement reconnaît à tout citoyen de l’Union et à toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre un droit d’accès aux documents des institutions, «sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement».
8 Intitulé «Exceptions», l’article 4 du règlement n° 1049/2001 prévoit:
«[…]
2. Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection:
[…]
– des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,
[…]
à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.
3. L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle‑ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.
L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.
[…]
6. Si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées.
7. Les exceptions visées aux paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document. Les exceptions peuvent s’appliquer pendant une période maximale de trente ans. […]»
9 L’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 dispose que les documents établis ou reçus dans le cadre de procédures visant à l’adoption d’actes légalement contraignants au sein des États membres ou pour ceux‑ci, devraient être rendus directement accessibles, sous réserve des articles 4 et 9 de ce même règlement.
Les faits à l’origine du litige
10 Le 22 octobre 2002, M. Turco a demandé au Conseil l’accès aux documents figurant à l’ordre du jour de la réunion du Conseil «Justice et affaires intérieures» s’étant tenue à Luxembourg les 14 et 15 octobre 2002, parmi lesquels figurait, sous le n° 9077/02, un avis du service juridique du Conseil relatif à une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres.
11 S’agissant de cet avis, le Conseil lui en a refusé l’accès le 5 novembre 2002, se fondant sur l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001. Ce refus était motivé comme suit:
«Le document [n°] 9077/02 est un avis du service juridique du Conseil concernant une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres.
Compte tenu de son contenu, la divulgation de ce document pourrait porter atteinte à la protection des avis juridiques internes au Conseil, prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement [n° 1049/2001]. En l’absence de tout motif spécifique indiquant qu’un intérêt public prépondérant particulier s’attacherait à la divulgation de ce document, le secrétariat général a conclu, après avoir mis en balance les intérêts, que l’intérêt de la protection des avis juridiques internes a priorité sur l’intérêt public et a, dès lors, décidé de refuser l’accès à ce document, conformément à l’article 4, paragraphe 2, [de ce] règlement. Cette exception couvre le contenu tout entier du document. En conséquence, il n’est pas possible de donner un accès partiel à celui‑ci, au titre de l’article 4, paragraphe 6, [dudit] règlement.»
12 Le 22 novembre 2002, M. Turco a présenté au Conseil une demande confirmative afin d’obtenir que celui-ci révise sa position, en faisant valoir que le Conseil avait erronément appliqué les exceptions au droit d’accès du public aux documents des institutions prévues à l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1049/2001, soutenant que le principe de démocratie et de participation des citoyens au processus législatif constitue un intérêt public supérieur justifiant la divulgation, notamment, de l’avis juridique en cause.
13 Par la décision litigieuse, le Conseil a, s’agissant dudit avis, accepté d’en divulguer le paragraphe introductif, dans lequel il est indiqué que celui‑ci contient les conseils du service juridique du Conseil sur la question de la compétence communautaire en matière d’accès de ressortissants de pays tiers au marché du travail, mais, pour le surplus, il a refusé de réviser sa position. Il a justifié cette confirmation du refus d’accès, pour l’essentiel, par le fait, d’une part, que les avis de son service juridique méritent une protection particulière, car ils constituent un instrument important lui permettant d’être certain de la compatibilité de ses actes avec le droit communautaire et de faire avancer la discussion concernant les aspects juridiques en cause. D’autre part, leur divulgation pourrait créer une incertitude quant à la légalité des actes législatifs adoptés à la suite desdits avis et, partant, mettre en danger la sécurité juridique et la stabilité de l’ordre juridique communautaire. Quant à l’existence d’un intérêt public supérieur invoqué par M. Turco, le Conseil a fait valoir ce qui suit:
«Le Conseil considère qu’un tel intérêt public prépondérant n’est pas constitué par le seul fait que la divulgation de ces documents contenant l’avis du service juridique sur des questions juridiques surgissant lors du débat sur des initiatives législatives serait dans l’intérêt général d’augmenter la transparence et l’ouverture du processus décisionnel de l’institution. En fait, ce critère est susceptible de s’appliquer à toutes les opinions écrites ou documents similaires du service juridique, ce qui rendrait pratiquement impossible au Conseil de refuser l’accès à n’importe quel avis du service juridique au titre du règlement n° 1049/2001. Le Conseil considère qu’un tel résultat serait manifestement contraire à la volonté du législateur, telle qu’elle est exprimée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, parce qu’il priverait cette disposition de tout effet utile.»
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 février 2003, M. Turco a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de ce recours, il a invoqué, en ce qui concerne le refus d’accès à l’avis juridique en cause, un moyen unique tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, divisé en trois branches.
15 Premièrement, à titre principal, il a fait valoir l’existence d’une erreur quant à la base juridique de la décision litigieuse, les avis juridiques établis dans le contexte de l’examen de propositions législatives relevant, selon lui, de l’exception aménagée à l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001, et non de celle visée à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, qui ne couvrirait que les avis juridiques rédigés dans le cadre de procédures juridictionnelles.
16 Cette interprétation a été écartée par le Tribunal, qui a jugé qu’elle heurte la lettre dudit article 4, paragraphe 2, lequel ne comporte pas pareille restriction, et qu’elle conduirait à priver de tout effet utile la mention des avis juridiques parmi les exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001, le législateur communautaire ayant souhaité, à cette disposition, consacrer une exception relative aux avis juridiques distincte de celle relative aux procédures juridictionnelles. En effet, les avis rédigés par le service juridique du Conseil dans le contexte de procédures juridictionnelles seraient déjà visés par l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles. Par conséquent, selon le Tribunal, le Conseil a pu valablement se fonder sur l’exception relative aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 afin de déterminer s’il devait donner au requérant accès à l’avis juridique en cause.
17 Deuxièmement, M. Turco a invoqué, à titre subsidiaire, une application erronée dudit article 4, paragraphe 2, le Conseil ayant considéré à tort que les avis émis par son service juridique méritent, par nature, la protection que cette disposition garantit. En outre, le Conseil ne devrait pas se fonder sur des présomptions d’ordre général et ne saurait se prononcer sur l’application de l’exception concernée qu’au cas par cas, après examen concret de chaque avis juridique dont la divulgation est demandée. M. Turco a également contesté la pertinence du besoin de protection de l’avis juridique en cause allégué par le Conseil dans la décision litigieuse.
18 À cet égard, le Tribunal a jugé que la divulgation d’avis tels que l’avis juridique en cause est, d’une part, susceptible de laisser planer un doute sur la légalité des actes législatifs sur lesquels portent ces avis et peut, d’autre part, remettre en cause l’indépendance des avis du service juridique du Conseil, de sorte que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant qu’il existe un intérêt général à la protection des avis juridiques tels que celui en cause. Le Tribunal a en outre relevé que la motivation du refus partiel d’accès à l’avis juridique en cause ainsi que la décision d’en divulguer le paragraphe introductif démontrent que le Conseil avait examiné le contenu dudit avis. Il s’est exprimé, à cet égard, aux points 69 à 80 de l’arrêt attaqué, dans les termes suivants:
«69 Il y a lieu de relever que l’institution est tenue d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, si les documents dont la divulgation est demandée relèvent effectivement des exceptions énumérées dans le règlement n° 1049/2001 (voir, par analogie, s’agissant de la décision 94/90, arrêt de la Cour du 11 janvier 2000, Pays‑Bas et van der Wal/Commission, C‑174/98 P et C‑189/98 P, Rec. p. I‑1, point 24).
70 En l’espèce, force est de constater que le document en cause est un avis du service juridique du Conseil relatif à une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres.
71 Cependant, la circonstance selon laquelle le document en cause est un avis juridique ne saurait à elle seule justifier l’application de l’exception invoquée. En effet, comme il a été précédemment rappelé, toute exception au droit d’accès aux documents des institutions relevant du règlement n° 1049/2001 doit être interprétée et appliquée strictement (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 septembre 2000, Denkavit Nederland/Commission, T‑20/99, Rec. p. II‑3011, point 45).
72 Il appartient dès lors au Tribunal de vérifier si, en l’espèce, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant, en application de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001, que la divulgation de l’avis juridique en cause porterait atteinte à la protection pouvant bénéficier à ce type de document.
73 Afin de justifier son refus de divulguer l’entièreté de l’avis juridique en cause, le Conseil fait valoir, en substance, dans la décision [litigieuse], que les avis de son service juridique constituent un instrument important lui permettant d’être certain de la compatibilité de ses actes avec le droit communautaire et de faire avancer la discussion concernant les aspects juridiques en cause. Il avance également qu’il pourrait résulter d’une telle divulgation une incertitude quant à la légalité des actes législatifs adoptés à la suite de ces avis. Le Conseil se réfère également aux conclusions de l’avocat général M. Jacobs dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt [de la Cour du 13 juillet 1995,] Espagne/Conseil [(C‑350/92, Rec. p. I‑1985)], ainsi qu’à l’ordonnance [du président du Tribunal du 3 mars 1998,] Carlsen e.a./Conseil [(T‑610/97 R, Rec. p. II‑485)], et à l’arrêt [du Tribunal du 8 novembre 2000,] Ghignone e.a./Conseil [(T‑44/97, RecFP p. I‑A‑223 et II‑1023)].
74 Il est vrai que cette motivation, relative au besoin de protection invoqué, semble concerner l’ensemble des avis juridiques du Conseil portant sur des actes législatifs et non spécifiquement l’avis juridique en cause. Cependant, la généralité de la motivation du Conseil est justifiée par le fait que l’évocation d’informations supplémentaires, faisant notamment référence au contenu de l’avis juridique en cause, priverait l’exception invoquée de sa finalité.
75 En outre, bien que le Conseil ait, dans un premier temps, refusé l’accès du requérant à l’avis juridique en cause, il ressort de la décision [litigieuse] qu’il a finalement accepté de divulguer le seul paragraphe introductif dudit avis. Aux termes de ce paragraphe introductif, il est indiqué que l’avis en cause contient les conseils du service juridique du Conseil sur la question de la compétence communautaire en matière d’accès de ressortissants de pays tiers au marché du travail.
76 Il s’ensuit que n’est pas fondé le grief selon lequel le Conseil n’aurait pas examiné le contenu de l’avis juridique en cause afin de se prononcer sur la demande d’accès litigieuse.
77 Quant à la pertinence du besoin de protection de cet avis identifié par le Conseil dans la décision [litigieuse], le Tribunal estime que la divulgation de l’avis juridique en cause aurait pour effet de rendre publiques les discussions internes du Conseil concernant la question de la compétence communautaire en matière d’accès de ressortissants de pays tiers au marché du travail et, plus largement, concernant la question de la légalité de l’acte législatif sur lequel il porte.
78 La divulgation d’un tel avis serait ainsi susceptible, eu égard à la nature particulière de ces documents, de laisser planer un doute sur la légalité de l’acte législatif en cause.
79 En outre, il importe de constater que le Conseil est fondé à considérer que l’indépendance des avis de son service juridique, établis à la demande d’autres services de cette institution ou qui leur sont à tout le moins destinés, peut constituer un intérêt à protéger. À cet égard, le requérant n’a pas expliqué dans quelle mesure, dans les circonstances de l’espèce, la divulgation de l’avis juridique en cause contribuerait à protéger le service juridique du Conseil des influences extérieures illégitimes.
80 Eu égard à ce qui précède, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant qu’il existait un intérêt à la protection de l’avis juridique en cause.»
19 Troisièmement, M. Turco a soutenu, toujours à titre subsidiaire, que le principe de transparence constitue un «intérêt public supérieur» au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 et que l’avis juridique en cause aurait, en tout cas, dû être divulgué en vertu de ce principe.
20 S’agissant de cette branche du moyen, le Tribunal a jugé aux points 82 à 85 de l’arrêt attaqué que le Conseil était fondé à considérer que l’intérêt public supérieur susceptible de justifier la divulgation d’un document doit, en règle générale, être distinct des principes invoqués par M. Turco, qui sous‑tendent le règlement n° 1049/2001 dans son entièreté, et ce dans les termes suivants:
«82 […] il convient de relever que ces principes sont mis en œuvre par l’ensemble des dispositions du règlement n° 1049/2001, ainsi que l’attestent les considérants 1 et 2 dudit règlement, lesquels font explicitement référence aux principes d’ouverture, de démocratie et de meilleure participation des citoyens au processus décisionnel […]
83 L’intérêt public supérieur, visé à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, susceptible de justifier la divulgation d’un document portant atteinte à la protection des avis juridiques doit donc, en principe, être distinct des principes susmentionnés qui sous‑tendent ledit règlement. À défaut, il incombe à tout le moins au demandeur de démontrer que, eu égard aux circonstances spécifiques de l’espèce, l’invocation de ces mêmes principes présente une acuité telle qu’elle dépasse le besoin de protection du document litigieux. En l’occurrence, tel n’est toutefois pas le cas.
84 En outre, bien qu’il soit possible que l’institution en cause identifie d’elle‑même un intérêt public supérieur susceptible de justifier la divulgation d’un tel document, il incombe au demandeur qui entend se prévaloir d’un tel intérêt de l’invoquer dans le cadre de sa demande afin d’inviter l’institution à se prononcer sur ce point.
85 En l’espèce, le Conseil n’ayant pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que les intérêts publics supérieurs invoqués par le requérant n’étaient pas de nature à justifier la divulgation de l’avis juridique en cause, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir identifié d’autres intérêts publics supérieurs.»
21 En conséquence, le Tribunal a rejeté le recours en ce qu’il porte sur le refus d’accès à l’avis juridique en cause.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
22 Par leurs pourvois, le Royaume de Suède et M. Turco demandent l’annulation de l’arrêt attaqué en ce que celui‑ci refuse à M. Turco l’accès à l’avis juridique en cause. Le Royaume de Suède invite en outre la Cour à statuer elle‑même sur le recours en annulant la décision litigieuse. M. Turco, en revanche, demande que, si cela s’avère nécessaire, l’affaire soit renvoyée devant le Tribunal pour qu’elle soit à nouveau jugée.
23 Par ordonnance du président de la Cour du 19 avril 2005, les deux pourvois ont été joints aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
24 Par ordonnance du président de la Cour du 5 octobre 2005, le Royaume des Pays‑Bas a été admis à intervenir au soutien des conclusions des requérants.
25 Le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays‑Bas et la République de Finlande concluent à ce qu’il soit fait droit aux pourvois.
26 Le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, le Conseil et la Commission concluent au rejet des pourvois.
Sur les pourvois
27 Les pourvois soulèvent cinq moyens, dont les trois premiers renvoient aux trois branches du moyen invoqué par M. Turco en première instance.
28 En premier lieu, M. Turco, soutenu par le Royaume des Pays‑Bas, invoque une erreur d’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 commise par le Tribunal, qui aurait, à tort, estimé que les avis juridiques relatifs à des propositions législatives peuvent tomber dans le champ d’application de ladite disposition, alors que seul l’article 4, paragraphe 3, dudit règlement serait susceptible de s’appliquer à de tels avis.
29 En deuxième lieu, le Royaume de Suède et M. Turco, soutenus par le Royaume des Pays‑Bas et la République de Finlande, font valoir que le Tribunal a fait une application erronée de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 en jugeant que les avis juridiques du service juridique du Conseil portant sur des propositions législatives sont, par nature, couverts par l’exception prévue à cette disposition.
30 En troisième lieu, M. Turco, soutenu par le Royaume des Pays‑Bas et la République de Finlande, reproche au Tribunal d’avoir inexactement interprété et appliqué la notion d’intérêt public supérieur susceptible, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, de justifier la divulgation d’un document en principe couvert par l’exception de confidentialité prévue à cette même disposition pour les avis juridiques.
31 Les deux derniers moyens soulevés par M. Turco invoquent, respectivement, un principe selon lequel l’ordre juridique communautaire est fondé sur la règle de droit et une insuffisance de motivation.
Observations liminaires
32 Avant d’aborder les moyens invoqués au soutien des pourvois, il convient de rappeler les règles pertinentes relatives, d’une part, à l’examen à effectuer par le Conseil lorsque la divulgation d’un avis de son service juridique relatif à un processus législatif lui est demandée ainsi que, d’autre part, à la motivation qu’il lui incombe de fournir pour justifier un éventuel refus de divulgation.
L’examen à effectuer par l’institution
33 Le règlement n° 1049/2001 vise, comme l’indiquent son quatrième considérant et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible.
34 Conformément à son premier considérant, ce règlement s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, du traité UE, inséré par le traité d’Amsterdam, de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le deuxième considérant dudit règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières.
35 Lorsque la divulgation d’un document est demandée au Conseil, celui-ci est tenu d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, si ce document relève des exceptions au droit d’accès du public aux documents des institutions énumérées à l’article 4 du règlement n° 1049/2001.
36 Compte tenu des objectifs poursuivis par ce règlement, ces exceptions doivent être interprétées et appliquées strictement (voir arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission e.a., C‑64/05 P, non encore publié au Recueil, point 66).
37 S’agissant de l’exception afférente aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001, l’examen à effectuer par le Conseil lorsque la divulgation d’un document lui est demandée doit nécessairement se dérouler en trois temps, correspondant aux trois critères figurant à cette disposition.
38 Dans un premier temps, le Conseil doit s’assurer que le document dont la divulgation est demandée concerne bien un avis juridique et, dans l’affirmative, déterminer quelles en sont les parties effectivement concernées et, donc, susceptibles de tomber dans le champ d’application de ladite exception.
39 En effet, ce n’est pas parce qu’un document a été intitulé «avis juridique» qu’il doit automatiquement bénéficier de la protection des avis juridiques garantie par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001. Par-delà sa dénomination, il incombe à l’institution de s’assurer que ce document concerne bien un tel avis.
40 Dans un deuxième temps, le Conseil doit examiner si la divulgation des parties du document en question identifiées comme concernant des avis juridiques «porterait atteinte à la protection» de ces derniers.
41 À cet égard, il convient de relever que ni le règlement n° 1049/2001 ni les travaux préparatoires de celui‑ci n’apportent d’éclaircissements sur la portée de la notion de «protection» des avis juridiques. Dès lors, il y a lieu d’interpréter celle‑ci en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément.
42 Il y a par conséquent lieu d’interpréter l’exception relative aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 comme visant à protéger l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets.
43 Le risque d’atteinte à cet intérêt doit, pour pouvoir être invoqué, être raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique.
44 Finalement, dans un troisième temps, si le Conseil considère que la divulgation d’un document porterait atteinte à la protection des avis juridiques telle qu’elle vient d’être définie, il lui incombe de vérifier qu’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant cette divulgation nonobstant l’atteinte qui en résulterait à son aptitude à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets.
45 Dans ce contexte, il incombe au Conseil de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non‑divulgation du document concerné et, notamment, l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible, eu égard aux avantages découlant, ainsi que le relève le deuxième considérant du règlement n° 1049/2001, d’une transparence accrue, à savoir une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel ainsi qu’une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique.
46 Ces considérations sont, à l’évidence, d’une pertinence toute particulière lorsque le Conseil agit en sa qualité de législateur, ainsi qu’il résulte du sixième considérant du règlement n° 1049/2001, selon lequel un accès plus large aux documents doit être autorisé précisément dans un tel cas. La transparence à cet égard contribue à renforcer la démocratie en permettant aux citoyens de contrôler l’ensemble des informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif. En effet, la possibilité, pour les citoyens, de connaître les fondements des actions législatives est une condition de l’exercice effectif, par ces derniers, de leurs droits démocratiques.
47 Il convient en outre de relever que, en vertu de l’article 207, paragraphe 3, second alinéa, CE, le Conseil est obligé de déterminer les cas dans lesquels il doit être considéré comme agissant en sa qualité de législateur afin de permettre un meilleur accès aux documents dans de tels cas. Pareillement, l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 reconnaît la spécificité du processus législatif en disposant que les documents établis ou reçus dans le cadre de procédures visant à l’adoption d’actes légalement contraignants au sein des États membres ou pour ceux-ci devraient être rendus directement accessibles.
La motivation requise
48 Toute décision du Conseil au titre des exceptions énumérées à l’article 4 du règlement n° 1049/2001 doit être motivée.
49 Si le Conseil décide de refuser l’accès à un document dont la divulgation lui a été demandée, il lui incombe de fournir des explications quant aux questions de savoir, premièrement, comment l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement n° 1049/2001 que cette institution invoque et, deuxièmement, dans les hypothèses visées aux paragraphes 2 et 3 de cet article, s’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant néanmoins la divulgation du document concerné.
50 Il est en principe loisible au Conseil de se fonder, à cet égard, sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature. Il lui incombe toutefois de vérifier dans chaque cas si les considérations d’ordre général normalement applicables à un type de documents déterminé sont effectivement applicables à un document donné dont la divulgation est demandée.
51 C’est au regard de ces éléments de droit qu’il y a lieu d’examiner les moyens invoqués par les requérants au soutien de leurs pourvois.
52 Il convient d’examiner en premier lieu le deuxième moyen.
Sur le deuxième moyen
53 Le deuxième moyen se divise en trois branches, toutes trois tirées d’une interprétation erronée, par le Tribunal, de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001. Par la première branche, les requérants font valoir que le Tribunal a méconnu cette disposition en ne vérifiant pas correctement si le Conseil avait examiné le document en cause de façon suffisamment détaillée avant d’en refuser la divulgation. Par la deuxième branche, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir admis une motivation du refus conçue en termes généraux concernant l’ensemble des avis juridiques du service juridique du Conseil portant sur des actes législatifs, et non spécifiquement sur l’avis juridique en cause. Par la troisième branche, les requérants soutiennent que le Tribunal aurait violé ladite disposition en admettant l’existence d’un besoin général de confidentialité en ce qui concerne les avis juridiques relatifs à des questions législatives.
54 Le Conseil est d’avis que les première et deuxième branches du présent moyen reposent sur une confusion entre, d’une part, le principe selon lequel chaque document devrait être évalué en fonction de son contenu et, d’autre part, la possibilité d’invoquer des motifs d’ordre général. En ce qui concerne la troisième branche de ce moyen, le Conseil maintient la position qu’il avait défendue devant le Tribunal, à savoir qu’il existe un besoin général de confidentialité en ce qui concerne les avis juridiques relatifs à des questions législatives, dès lors que, d’une part, la divulgation de tels avis serait susceptible de laisser planer un doute sur la légalité de l’acte législatif concerné et, d’autre part, l’indépendance de son service juridique serait remise en cause par une divulgation systématique de ces avis.
55 En ce qui concerne la première branche du présent moyen, il y a lieu de constater que le Tribunal a valablement pu déduire du fait que le Conseil a, d’une part, accepté de divulguer le paragraphe introductif de l’avis juridique en cause et, d’autre part, refusé l’accès au reste de cet avis en invoquant la protection des avis juridiques que cette institution avait effectivement examiné la demande de divulgation dudit avis juridique au regard du contenu de celui-ci et avait donc accompli à tout le moins la première phase de l’examen décrit aux points 37 à 47 du présent arrêt. Il convient par conséquent de rejeter la première branche du présent moyen.
56 En ce qui concerne la deuxième branche de celui-ci, le fait que le Tribunal a admis la prise en compte, par le Conseil, de motifs d’ordre général pour justifier le refus partiel d’accès à l’avis juridique en cause n’est, ainsi qu’il ressort du point 50 du présent arrêt, pas en soi de nature à invalider l’examen dudit refus par le Tribunal.
57 Il convient toutefois de constater, d’une part, que celui-ci n’a pas exigé que le Conseil ait vérifié si les motifs d’ordre général dont il se prévalait étaient effectivement applicables à l’avis juridique dont la divulgation lui était demandée. D’autre part, ainsi qu’il résulte des considérations suivantes concernant la troisième branche du présent moyen, c’est à tort que le Tribunal a considéré qu’il existe un besoin général de confidentialité en ce qui concerne les avis du service juridique du Conseil relatifs à des questions législatives.
58 En effet, aucun des deux arguments soulevés à cet égard par le Conseil et repris par le Tribunal aux points 78 et 79 de l’arrêt attaqué ne saurait étayer cette affirmation.
59 En ce qui concerne, en premier lieu, la crainte exprimée par le Conseil que la divulgation d’un avis de son service juridique relatif à une proposition législative soit susceptible d’induire un doute sur la légalité de l’acte législatif concerné, il y a lieu de relever que c’est précisément la transparence à cet égard qui, en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens européens et à augmenter la confiance de ceux-ci. De fait, c’est plutôt l’absence d’information et de débat qui est susceptible de faire naître des doutes dans l’esprit des citoyens, non seulement quant à la légalité d’un acte isolé, mais aussi quant à la légitimité du processus décisionnel dans son entièreté.
60 Par ailleurs, le risque que des doutes naissent dans l’esprit des citoyens européens quant à la légalité d’un acte adopté par le législateur communautaire du fait que le service juridique du Conseil ait émis un avis défavorable quant à cet acte ne se réaliserait le plus souvent pas si la motivation dudit acte était renforcée de façon à mettre en évidence les raisons pour lesquelles cet avis défavorable n’a pas été suivi.
61 Il convient par conséquent de constater qu’invoquer de façon générale et abstraite le risque que la divulgation des avis juridiques relatifs à des processus législatifs puisse engendrer des doutes concernant la légalité d’actes législatifs ne saurait suffire pour caractériser une atteinte à la protection des avis juridiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 et, par conséquent, fonder un refus de divulgation de ces avis.
62 En ce qui concerne, en second lieu, l’argument du Conseil selon lequel l’indépendance de son service juridique serait remise en cause par une possible divulgation des avis juridiques émis par ce dernier dans le cadre de procédures législatives, il doit être constaté que cette crainte est au cœur même des intérêts protégés par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement nº 1049/2001. En effet, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, cette exception vise précisément à protéger l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets.
63 Toutefois, il y a lieu de relever que le Conseil s’est, à cet égard, fondé, tant devant le Tribunal que devant la Cour, sur de simples affirmations, aucunement étayées par des argumentations circonstanciées. Or, à la lumière des considérations qui suivent, il n’apparaît aucun véritable risque, raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique, d’atteinte audit intérêt.
64 S’agissant d’éventuelles pressions exercées en vue d’influer sur la teneur d’avis exprimés par le service juridique du Conseil, il suffit de relever que, à supposer même que les membres de ce service juridique subissent des pressions illégitimes à une telle fin, ce seraient ces pressions, et non la possibilité de divulgation des avis juridiques, qui mettraient en cause l’intérêt de cette institution à recevoir des avis juridiques francs, objectifs et complets, et il incomberait à l’évidence au Conseil de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin.
65 En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel il pourrait être difficile, pour le service juridique d’une institution ayant tout d’abord exprimé un avis négatif à propos d’un acte législatif en cours d’adoption, de défendre ensuite la légalité de cet acte si cet avis avait été publié, il convient de constater qu’un argument d’ordre si général ne peut justifier une exception à la transparence prévue par le règlement nº 1049/2001.
66 À la lumière de ces considérations, il n’apparaît aucun véritable risque, raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique, que la divulgation des avis du service juridique du Conseil émis dans le cadre de procédures législatives soit de nature à porter atteinte à la protection des avis juridiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001.
67 En tout état de cause, dans la mesure où cette divulgation serait susceptible de porter atteinte à l’intérêt à la protection de l’indépendance du service juridique du Conseil, ce risque devrait être pondéré par les intérêts publics supérieurs qui sous‑tendent le règlement nº 1049/2001. Constitue un tel intérêt public supérieur comme il a été rappelé aux points 45 à 47 du présent arrêt, le fait que la divulgation des documents contenant l’avis du service juridique d’une institution sur des questions juridiques surgissant lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à augmenter la transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit démocratique des citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif, tel que visé, en particulier, aux deuxième et sixième considérants dudit règlement.
68 Il ressort des considérations susvisées que le règlement nº 1049/2001 impose, en principe, une obligation de divulguer les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif.
69 Ce constat ne fait néanmoins pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au‑delà du cadre du processus législatif en cause, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques. Dans un tel cas, il incomberait à l’institution concernée de motiver le refus de façon circonstanciée.
70 Dans ce contexte, il convient en outre de rappeler que, en vertu de l’article 4, paragraphe 7, de règlement nº 1049/2001, une exception ne saurait s’appliquer qu’au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document.
71 Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il apparaît que c’est à tort que le Tribunal a considéré, aux points 77 à 80 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse pouvait être légalement motivée et justifiée par un besoin général de confidentialité s’attachant aux avis juridiques relatifs à des questions législatives.
72 Il s’ensuit que les deuxième et troisième branches du présent moyen sont fondées. Dans ces conditions, l’arrêt attaqué doit être annulé en ce qu’il porte sur le refus d’accès à l’avis juridique en cause et en ce qu’il condamne M. Turco et le Conseil à supporter chacun la moitié des dépens.
Sur le troisième moyen
73 Il ressort des considérations relatives au deuxième moyen que le troisième moyen est aussi fondé, ce qui justifie également l’annulation de l’arrêt attaqué en ce qu’il porte sur le refus d’accès à l’avis juridique en cause et en ce qu’il condamne M. Turco et le Conseil à supporter chacun la moitié des dépens.
74 Ainsi qu’il a été jugé aux points 44 à 47 ainsi que 67 du présent arrêt, le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 en décidant que l’intérêt public supérieur susceptible de justifier la divulgation d’un document doit, en règle générale, être distinct des principes qui sous‑tendent ce règlement.
75 En effet, les principes qui sous-tendent un acte législatif sont à l’évidence ceux à la lumière desquels il convient d’appliquer les dispositions de celui-ci.
Sur les premier, quatrième et cinquième moyens
76 Les deuxième et troisième branches du deuxième moyen ainsi que le troisième moyen étant accueillis et justifiant l’annulation de l’arrêt attaqué en ce qu’il porte sur le refus d’accès à l’avis juridique en cause et sur les dépens de M. Turco et du Conseil afférents au recours, il n’y a pas lieu d’examiner les premier, quatrième et cinquième moyens présentés par M. Turco au soutien de son pourvoi, dès lors que ceux-ci ne sont pas susceptibles d’entraîner une annulation plus étendue de cet arrêt.
Sur les conséquences de l’annulation partielle de l’arrêt attaqué
77 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui‑ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce.
78 La décision litigieuse a été adoptée sur le fondement d’une double erreur en ce qui concerne, d’une part, l’existence d’un besoin général de confidentialité quant aux avis juridiques relatifs à des processus législatifs, protégé par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001, et, d’autre part, l’opinion selon laquelle les principes qui sous‑tendent ce règlement ne sauraient être considérés comme un «intérêt public supérieur» au sens de l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement.
79 Or, il résulte des points 40 à 47, 56 à 68 ainsi que 74 et 75 du présent arrêt que sont fondés les moyens invoqués par M. Turco en première instance selon lesquels, d’une part, c’est à tort que le Conseil a considéré qu’il existe un besoin général de confidentialité concernant les avis de son service juridique relatifs à des procédures législatives, protégé par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001, et, d’autre part, le Conseil n’a pas vérifié légalement l’existence, en l’espèce, d’un intérêt public supérieur.
80 En conséquence, la décision litigieuse doit être annulée.
Sur les dépens
81 En vertu de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle‑même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 69 du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, dispose à son paragraphe 2 que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le paragraphe 4, premier alinéa, dudit article 69 prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
82 Les pourvois ayant été accueillis, il y a lieu de condamner le Conseil à supporter les dépens afférents à ceux-ci exposés par le Royaume de Suède et par M. Turco, conformément aux conclusions de ces derniers.
83 Le Conseil et les autres parties à la procédure de pourvoi supportent leurs propres dépens afférents à celle-ci.
84 La Cour ayant par ailleurs fait droit au recours introduit par M. Turco devant le Tribunal, il y a lieu de condamner également le Conseil à supporter les dépens que M. Turco a exposés dans le cadre de la procédure de première instance, conformément aux conclusions de son recours.
85 Le Conseil supporte ses propres dépens afférents à la procédure de première instance.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 23 novembre 2004, Turco/Conseil (T‑84/03), est annulé en ce qu’il porte sur la décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2002 refusant à M. Turco l’accès à l’avis du service juridique du Conseil n° 9077/02, relatif à une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres, et en ce qu’il condamne M. Turco et le Conseil à supporter chacun la moitié des dépens.
2) La décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2002 refusant à M. Turco l’accès à l’avis du service juridique du Conseil n° 9077/02 est annulée.
3) Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter les dépens exposés par le Royaume de Suède dans le cadre de la procédure de pourvoi ainsi que ceux exposés par M. Turco dans le cadre tant de ladite procédure que de celle de première instance ayant abouti audit arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes.
4) Le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays‑Bas, la République de Finlande, le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, le Conseil de l’Union européenne ainsi que la Commission des Communautés européennes supportent leurs propres dépens afférents au pourvoi.
5) Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens afférents à la procédure de première instance.