La Commission européenne des Droits de l’Homme, siégeant en chambre du
conseil le 10 octobre 1986 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
J.A. FROWEIN
F. ERMACORA
E. BUSUTTIL
G. TENEKIDES
S. TRECHSEL
B. KIERNAN
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
G. BATLINER
J. CAMPINOS
H. VANDENBERGHE
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
M. F. MARTINEZ
M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ;
Vu l’article 25 (art. 25) de la Convention de Sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 26 juin 1985 par R.P. contre la
France et enregistrée le 14 août 1985 sous le N° de dossier 11691/85 ;
Vu le rapport prévu à l’article 40 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été présentés par le requérant,
peuvent se résumer comme suit :
Le requérant est un ressortissant français, né en 1946, sans
profession, détenu à la maison d’arrêt de Fresnes depuis le
16 janvier 1981. Il purge actuellement une peine de 12 années de
réclusion criminelle prononcée contre lui le 9 mai 1983.
Il est représenté devant la Commission par Maître Donche, avocat au
barreau de Seine St-Denis.
Le 14 mars 1985 un surveillant de la prison de Fresnes accusa le
requérant d’avoir prononcé à son encontre la menace suivante : « si tu
m’alignes, on se retrouvera, je suis là pour un double crime, alors un
troisième ne me fait pas peur ».
Le 15 mars 1985 à 8 heures le requérant se vit notifier un rapport de
procédure disciplinaire mentionnant ces faits et lui enjoignant de
comparaître le jour même devant le chef de l’établissement
pénitentiaire pour répondre d’une infraction de menaces de mort sous
conditions.
Le directeur de la prison, seul compétent en la matière, selon
l’article D 249 du Code de procédure pénale, infligea le 15 mars 1985
au requérant une sanction disciplinaire de 12 jours de mise en cellule
de punition. Cette peine entraîne selon l’article D 169 « la privation
de cantine et de visites. Elle comporte aussi des restrictions à la
correspondance autre que familiale. » Cette peine peut entraîner
également une perte de remise de peine prononcée discrétionnairement
par le juge d’application des peines dans les limites fixées aux
articles 721 et D 250-1 du Code de procédure pénale. En pratique, si
la perte de réduction de peine peut aller théoriquement jusqu’à 3 mois
par année d’emprisonnement, il semble qu’il soit en pratique
relativement répandu d’infliger une perte de remise de peine d’un jour
et demi par journée de sanction disciplinaire. En l’espèce, le
requérant se verrait donc infliger 18 jours de perte de remise de
peine.
Pendant sa mise en cellule de punition, le requérant n’a pas pu
participer au culte collectif assuré par l’aumônier de la prison et il
n’a pas pu lire les journaux et les périodiques auxquels il était
abonné. Les conditions matérielles de détention seraient
particulièrement dégradantes.
Le 20 mars 1985 le requérant saisit le juge d’application des peines
en invoquant le fait que ni le surveillant de la prison ni deux autres
détenus qui partagent la cellule avec lui n’avaient été convoqués à
l’entrevue pour que le directeur de la prison puisse se faire une idée
objective des faits. Il fit également valoir que les propos qui lui
avaient été prêtés étaient forcément faux étant donné qu’il est détenu
en exécution d’une peine prononcée pour un seul crime et non deux.
Il faut cependant noter que le juge d’application des peines, auquel
la décision disciplinaire en cause fut notifiée, ne peut contrôler ni
sa légalité ni sa proportionnalité par rapport à l’objectif poursuivi.
Le 20 mars 1985 le requérant a également saisi en référé le tribunal
de grande instance de Créteil en vue de faire cesser l’exécution de la
décision de mise en cellule de punition et d’obtenir une réparation du
préjudice causé « par cette voie de fait ».
Par décision du 26 mars 1985 le tribunal statuant en référé se déclara
incompétent au motif notamment que, selon la jurisprudence constante
du tribunal des conflits, le contentieux qui s’élève à la suite de
sanctions disciplinaires, mesures d’ordre intérieur, relève de
l’autorité administrative.
Le requérant attaqua cette décision devant la cour d’appel de Paris en
faisant valoir que lorsque l’acte administratif litigieux porte
atteinte à des droits fondamentaux ou constitue une voie de fait,
l’autorité judiciaire est exclusivement compétente, selon l’article 66
de la Constitution et l’article 136 du Code de procédure pénale, pour
constater cette atteinte lorsqu’elle est le fait de l’autorité
administrative et faire cesser sans délai le trouble manifestement
illicite qui en découle. Il invoqua également la violation des
articles 3, 5, 6, 8, 9 et 10 (art. 3, art. 5, art. 6, art. 8, art. 9,
art. 10) de la Convention.
Par décision du 25 juin 1985 la cour d’appel débouta le requérant aux
motifs que : 1° le directeur de la prison n’a pas commis une voie de
fait en exerçant les pouvoirs qu’il tient des articles D 241 et
suivants du Code de procédure pénale ; 2° le requérant avait la
faculté de formuler un recours gracieux devant le directeur régional
des prisons selon l’art. 260 du même Code et 3° la cour était
incompétente pour allouer au requérant la somme réclamée au titre de
réparation.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint du fait que sa cause n’a pas été
entendue publiquement par un tribunal indépendant et impartial. Il
invoque l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il se plaint
également de n’avoir pas disposé du temps et des facilités nécessaires
à la préparation de sa défense. Il invoque l’article 6 par. 3 b) et
c) (art. 6-3-b, art. 6-3-c) de la Convention. Il se plaint aussi de
n’avoir pas pu obtenir l’interrogation équitable des témoins à charge
et à décharge. Il invoque l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la
Convention.
2. Il se plaint également de l’inexistence d’un recours effectif
contre la décision disciplinaire du 15 mars 1985 étant donné que la
cour d’appel a décliné sa compétence nonobstant les dispositions de
l’article 66 de la Constitution et l’article 136 du Code de procédure
pénale qui lui conféreraient une compétence exclusive en la matière.
Il invoque l’article 13 (art. 13) de la Convention.
3. Il se plaint en outre de sa privation totale de visites et des
restrictions à sa correspondance autre que familiale pendant sa mise
en cellule de punition. Il invoque en substance l’article 8
(art. 8) de la Convention.
4. Il se plaint enfin d’avoir été empêché de participer au culte
collectif rendu par l’aumônier de la maison d’arrêt pendant sa mise en
cellule de punition. Il invoque en substance l’article 9 (art. 9)
de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d’avoir fait l’objet d’une sanction
disciplinaire pour une infraction qui était en réalité une infraction
pénale ce qui l’a privé des garanties de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
et 6 par. 3 b) et c) (art. 6-3-b, art. 6-3-c) de la Convention.
La Commission relève tout d’abord qu’en droit français, les menaces de
mort sous conditions à l’encontre du surveillant de la prison,
ressortissent au pouvoir de sanction disciplinaire dont est investi le
directeur de la prison en vertu des articles D 167, D 249 et D 250 du
Code de procédure pénale.
Toutefois, l’infraction consistant à proférer des menaces de mort sous
conditions constitue également un délit au sens de l’article 305 du
Code pénal. L’infraction incriminée ressort donc au droit
disciplinaire et au droit pénal à la fois.
Cette double qualification n’implique pas nécessairement que le détenu
poursuivi disciplinairement pour une infraction qui, par ailleurs,
serait passible de poursuites pénales, puisse invoquer le bénéfice des
garanties prévues à l’article 6 (art. 6) de la Convention.
Pour que le reproche d’une infraction disciplinaire soit susceptible
d’être considéré comme une accusation en matière pénale au sens de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1), il faut avoir égard également à la
nature et au degré de sévérité de la sanction encourue et à celle
effectivement infligée ( Cour. Eur. D.H., arrêt Campbell et Fell du
28 juin 1984, série A n° 80, par. 70-72).
En l’occurrence, la Commission relève que les sanctions maxima
encourues en droit français sont d’une part la mise en cellule de
punition pour une durée de 45 jours et une perte de remise de peine
correspondant, suivant une pratique relativement répandue, à 1 jour et
demi de perte de remise par journée de sanction disciplinaire
infligée.
En l’espèce le requérant s’est vu infliger tout d’abord une sanction
disciplinaire de 12 jours de mise en cellule de punition.
A cet égard, la Commission observe que la mise en cellule de punition
ne représente pas une privation supplémentaire de liberté mais une
aggravation des conditions de détention.
Le problème se limite par conséquent aux 18 jours de perte de remise
de peine qu’entraînera le cas échéant, selon le requérant, la sanction
disciplinaire du 18 mars 1985. Sans même s’interroger sur le point de
savoir si la remise de peine constitue un privilège ou un droit du
détenu (cf. arrêt Campbell et Fell précité, par. 72), la Commission
estime qu’on ne saurait considérer qu’une perte éventuelle de 18 jours
de remise de peine soit une sanction d’une nature et d’un degré de
sévérité tels qu’ils soient susceptibles de faire relever l’infraction
sanctionnée de la matière pénale au sens de l’article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention.
Dans ces conditions, la Commission estime que le Directeur de
l’administration pénitentiaire n’a pas eu à décider dans le cadre de
la procédure disciplinaire diligentée contre le requérant, d’une
contestation portant au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
sur le bien-fondé d’une accusation pénale dirigée contre lui.
L’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’était donc pas d’application en
l’espèce, de sorte que le présent grief est incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté
par application de l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint de l’inexistence d’un recours effectif
contre la décision disciplinaire du 15 mars 1985.
La Commission rappelle que l’article 13 (art. 13) n’est applicable que
si le requérant se plaint de la violation de droits et libertés
énoncés dans la Convention. Il ne peut donc être invoqué isolément.
Or, la Commission vient de constater que le principal grief du
requérant se situe en dehors du champ d’application de la Convention.
Il s’ensuit que l’article 13 (art. 13) n’est pas d’application en
l’espèce. La Commission se réfère sur ce point à sa jurisprudence
constante (cf. par ex. No 8142/78, déc. 10.10.79, D.R. 18 p. 88, 99
et No 8782/79, déc. 10.7.81, D.R. 25 p. 243, 247).
Cette partie de la requête doit donc également être rejetée comme
incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention,
au sens de l’article 27 par. 2 (art. 27-2).
3. Le requérant se plaint du fait que les sanctions disciplinaires
dont il a fait l’objet ont entraîné des restrictions à sa
correspondance autre que familiale et la privation totale de visites
sauf celle de son conseil. A cet égard, il invoque l’article 8
(art. 8) de la Convention.
Pour ce qui est des restrictions à la correspondance du requérant
autre que familiale et de l’interdiction de visites familiales, la
Commission note qu’aucune indication n’a été fournie par le requérant
quant aux personnes avec lesquelles il aurait souhaité correspondre
pendant les 12 jours de mise en cellule de punition ou quant à une
interception quelconque de sa correspondance. Le requérant n’a pas
davantage fourni des indications quelconques concernant les personnes
qui auraient pu lui rendre visite.
Le requérant n’ayant fourni aucun commencement de preuve de ses
allégations, il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au
sens de l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Le requérant se plaint du fait qu’il a été empêché de
participer au culte collectif rendu par l’aumônier de la maison
d’arrêt pendant sa mise en cellule de punition.
Il est vrai que l’article 9 par. 1 (art. 9-1) de la Convention
reconnaît à toute personne le droit à la liberté de religion, droit
qui implique inter alia la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction individuellement ou collectivement par le culte, les
pratiques et l’accomplissement des rites.
Toutefois, cette liberté peut faire, selon le par. 2 du même article
(art. 9-2), l’objet de restrictions prévues par la loi et constituant
des mesures nécessaires dans une société démocratique à la protection
de l’ordre.
En vertu de l’article D 167 du Code de procédure pénale, le détenu
sanctionné d’une peine de mise en cellule de punition doit être
totalement isolé des autres détenus pendant la durée de sa peine. Ce
serait aller à l’encontre de cet objectif que de permettre au
requérant de communiquer avec les autres détenus pendant le culte
collectif.
L’examen de ce grief par la Commission tel qu’il a été soulevé ne
permet donc de déceler, même d’office, aucune apparence de violation
de l’article 9 (art. 9) de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée, au sens de l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire adjoint Le Président
de la Commission de la Commission
(J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)