LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, notamment son article 67 portant abrogation de l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;
Vu le code de l’éducation ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 5 avril 2005 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel l’ensemble de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ; qu’ils contestent la procédure d’adoption de son article 9 ; qu’ils dénoncent le caractère non normatif de son article 12 et, de façon plus générale, la présence dans la loi de nombreuses dispositions » sans aucune portée législative ou normative » ;
– SUR LA PROCÉDURE D’ADOPTION DE L’ARTICLE 9 :
2. Considérant que l’article 9 de la loi déférée insère dans le code de l’éducation un article L. 122-1-1 dont le premier alinéa dispose : » La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société… » ; que cet article L. 122-1-1 définit par ailleurs les principaux éléments du socle commun et renvoie à un décret pris après avis du Haut conseil de l’éducation la détermination précise des connaissances et des compétences requises ;
3. Considérant que, selon les requérants, cet article a été adopté au terme d’une procédure législative irrégulière ; qu’ils font valoir, à l’appui de leur recours, que, lors de son examen par le Sénat, a été adopté un amendement élargissant le champ du socle commun ; qu’à la suite de cette adoption, le Sénat a voté contre l’article ainsi modifié, avant de le réintroduire sous la forme d’un article additionnel dans une rédaction proche de son texte initial ; qu’ils estiment que » ce faisant, le Sénat a remis en cause son propre vote sur un même article hors toute procédure constitutionnelle le permettant » ; qu’ils ajoutent que l’article 43 du règlement du Sénat a été méconnu, celui-ci ne permettant la remise en cause d’un » vote acquis » que pour coordination ou seconde délibération ;
4. Considérant qu’il est toujours loisible à une assemblée parlementaire, saisie d’un projet ou d’une proposition de loi, de ne pas adopter un article lorsque celui-ci est mis aux voix, y compris après avoir adopté un amendement le modifiant ; que, dans les circonstances de l’espèce, il était également loisible au Sénat, saisi en première lecture de la loi déférée, d’adopter un article additionnel reprenant une disposition précédemment amendée puis rejetée, dans une rédaction qui, au demeurant, différait non seulement de celle qu’il avait décidé de supprimer mais également de celle qui lui avait été initialement soumise ; qu’il ressort des travaux parlementaires, et notamment de l’enchaînement des votes émis par le Sénat sur l’amendement puis sur l’article et l’article additionnel en cause, que cette procédure n’a pas altéré la sincérité des débats et n’a porté atteinte à aucune autre exigence de valeur constitutionnelle ;
5. Considérant, par ailleurs, que la méconnaissance alléguée de l’article 43 du règlement du Sénat ne saurait davantage avoir pour effet, à elle seule, de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l’irrégularité de la procédure d’adoption de l’article 9 doit être écarté ;
– SUR LA PORTÉE NORMATIVE DE CERTAINES DISPOSITIONS :
7. Considérant que les requérants demandent au Conseil constitutionnel de censurer l’article 12 de la loi déférée en faisant valoir qu’il serait » dépourvu de portée normative » ; que, selon eux, la loi comporterait de nombreuses autres dispositions susceptibles de faire l’objet de la même critique ;
. En ce qui concerne les normes applicables :
8. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : » La loi est l’expression de la volonté générale… » ; qu’il résulte de cet article comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative ;
9. Considérant qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; qu’à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ;
10. Considérant qu’aux termes de l’avant-dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution : » Des lois de programme déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’Etat » ; que la loi organique du 1er août 2001 susvisée a abrogé l’article 1er de l’ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée qui prévoyait que » les autorisations de programme peuvent être groupées dans des lois dites « lois de programme » » ; qu’en vertu de l’article 70 de la Constitution, » tout projet de loi de programme à caractère économique ou social » est soumis pour avis au Conseil économique et social ;
. En ce qui concerne l’article 12 :
11. Considérant qu’aux termes de l’article 12 de la loi déférée : » Les orientations et les objectifs de la politique nationale en faveur de l’éducation ainsi que les moyens programmés figurant dans le rapport annexé à la présente loi sont approuvés » ;
12. Considérant que ce rapport annexé fixe des objectifs à l’action de l’Etat dans le domaine de l’enseignement des premier et second degrés ; que, si les engagements qui y figurent ne sont pas revêtus de la portée normative qui s’attache à la loi, ses dispositions sont de celles qui peuvent trouver leur place dans la catégorie des lois de programme à caractère économique ou social prévue par l’avant-dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution ; que, dans cette mesure, elles pouvaient être approuvées par le législateur ; que le grief tiré du défaut de portée normative ne peut donc être utilement soulevé à l’encontre de l’ensemble du rapport approuvé par l’article 12 de la loi déférée ;
13. Considérant, néanmoins, que, s’il était loisible au Gouvernement d’associer le Parlement à la politique qu’il entend mettre en oeuvre dans le domaine de l’éducation par une loi de programme plutôt qu’en faisant usage des prérogatives qui lui sont reconnues par les premier et dernier alinéas de l’article 49 de la Constitution, il devait, dès lors, respecter la procédure prévue à cet effet ;
14. Considérant, en l’espèce, que, dès le dépôt du projet dont est issue la loi déférée sur le bureau de la première assemblée saisie, le rapport annexé à celle-ci se rattachait à la catégorie des lois de programme ; qu’en effet, bien qu’ayant fait l’objet de nombreux amendements parlementaires au cours de son examen, il a toujours eu pour objet de faire approuver par le Parlement des dispositions dénuées d’effet juridique, mais fixant des objectifs qualitatifs et quantitatifs à l’action de l’Etat en matière éducative ; que, dès lors, en vertu de l’article 70 de la Constitution, il aurait dû être soumis pour avis au Conseil économique et social ; que l’omission de cette formalité substantielle a entaché la régularité de la procédure mise en oeuvre pour son approbation ;
15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 12 de la loi déférée, qui approuve le rapport annexé, est contraire à la Constitution ;
. En ce qui concerne les autres dispositions sans portée normative :
16. Considérant qu’aux termes du II de l’article 7 de la loi déférée : » L’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves. – Compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents. – La formation scolaire, sous l’autorité des enseignants et avec l’appui des parents, permet à chaque élève de réaliser le travail et les efforts nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses aptitudes, aussi bien intellectuelles que manuelles, artistiques et sportives. Elle contribue à la préparation de son parcours personnel et professionnel » ;
17. Considérant que ces dispositions sont manifestement dépourvues de toute portée normative ; que, dès lors, le II de l’article 7 de la loi déférée est contraire à la Constitution ;
. En ce qui concerne les dispositions de portée normative incertaine :
18. Considérant, en premier lieu, que les articles 27 et 31 de la loi déférée disposent que, dans les écoles et collèges, des aménagements appropriés ou des actions particulières sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces, manifestant des aptitudes particulières, ou non francophones et nouvellement arrivés en France ; que l’article 27 énonce en outre que, dans les écoles, des aménagements et des actions de soutien sont prévus pour les élèves en difficulté ;
19. Considérant qu’en raison de la généralité des termes qu’ils emploient, ces articles font peser sur les établissements d’enseignement des obligations dont la portée est imprécise ; qu’il résulte cependant des travaux parlementaires qu’ils imposent des obligations non pas de résultat mais de moyens ; que, sous cette réserve, les articles 27 et 31 ne méconnaissent pas le principe de clarté de la loi ;
20. Considérant, en second lieu, qu’aux termes du cinquième alinéa de l’article L. 331-1 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de l’article 29 de la loi déférée : » Lorsqu’une part de contrôle continu est prise en compte pour la délivrance d’un diplôme national, l’évaluation des connaissances des candidats s’effectue dans le respect des conditions d’équité » ;
21. Considérant qu’en raison de la généralité de ses termes, cette disposition impose une obligation de portée imprécise ; qu’il résulte toutefois des travaux parlementaires que la référence au » respect des conditions d’équité » doit s’entendre comme prévoyant l’utilisation de dispositifs d’harmonisation entre établissements ; que, sous cette réserve, l’article 29 ne méconnaît pas le principe de clarté de la loi ;
– SUR LA PRÉSENCE DANS LA LOI DE DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES :
22. Considérant que les requérants soutiennent, de façon générale, que la loi déférée comporte » de nombreuses dispositions sans aucune portée législative… en contradiction avec les articles 34 et 37 de la Constitution » :
23. Considérant que les articles 19, 22, 33 et 34 de la loi déférée se bornent respectivement à instituer dans chaque académie une commission sur l’enseignement des langues vivantes étrangères, à modifier la terminologie relative à un organisme déjà existant, à prévoir la création et les conditions d’attribution d’un label de » lycée des métiers « , à définir le » projet d’école ou d’établissement » et le règlement intérieur que doivent adopter les écoles et établissements d’enseignement scolaire public ; qu’ils ne mettent en cause ni » les principes fondamentaux… de l’enseignement « , qui relèvent de la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution, ni aucun autre principe ou règle que la Constitution place dans le domaine de la loi ; que ces dispositions ont, à l’évidence, le caractère réglementaire ;
24. Considérant qu’il n’y a lieu d’examiner d’office aucune question de constitutionnalité,
Décide :
Article premier.- Sont déclarés contraires à la Constitution le II de l’article 7 ainsi que l’article 12 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.
Article 2.- Sont déclarés non contraires à la Constitution, sous les réserves énoncées aux considérants 19 et 21, les articles 27, 29 et 31 de la même loi.
Article 3.- Les articles 19, 22, 33 et 34 de la même loi ont le caractère réglementaire.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 avril 2005, où siégeaient : M. Pierre MAZEAUD, Président, MM. Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER, M. Pierre STEINMETZ et Mme Simone VEIL.