Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 juillet 1993 par MM Martin Malvy, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Jean-Pierre Chevènement, Henri d’Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Garmendia, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jack Lang, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Jean-Pierre Michel, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Georges Sarre, Henri Sicre, Camille Darsières, Jean-Pierre Defontaine, Gilbert Annette, Kamilo Gata, Roger-Gérard Schwartzenberg, Didier Boucaud, Bernard Charles, Aloyse Warhouver, Bernard Tapie, Régis Fauchoit, Gilbert Baumet, François Asensi, Rémy Auchedé, Gilbert Biessy, Alain Bocquet, Patrick Braouezec, Jean-Pierre Brard, Jacques Brunhes, René Carpentier, Daniel Colliard, Jean-Claude Gayssot, André Gérin, Michel Grandpierre, Maxime Gremetz, Georges Hage, Guy Hermier, Mmes Muguette Jacquaint, Janine Jambu, MM Jean-Claude Lefort, Georges Marchais, Paul Mercieca, Louis Pierna, Jean Tardito et Ernest Moutoussamy, députés, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative aux contrôles et vérifications d’identité ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu la convention d’application de l’accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale, notamment son article 78-2 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés, auteurs de la saisine, défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative aux contrôles et vérifications d’identité dans son ensemble en faisant valoir que l’article 1er de cette loi méconnaîtrait différents principes et règles de valeur constitutionnelle et que les autres dispositions de ladite loi, énoncées à ses articles 2 et 3, sont inséparables de l’article 1er ;
2. Considérant que l’article 1er de la loi insère dans l’article 78-2 du Code de procédure pénale un sixième, un septième et un huitième alinéas lesquels remplacent le sixième alinéa actuellement en vigueur ;
– SUR LE SIXIEME ALINEA DE L’ARTICLE 78-2 DU CODE DE PROCEDURE PENALE :
3. Considérant que cet alinéa prévoit un cas supplémentaire dans lequel peuvent être engagées des procédures de contrôle et de vérification d’identité, sur réquisitions écrites du procureur de la République pour la recherche et la poursuite d’infractions, dans des lieux et pour une période de temps qui doivent être précisés par ce magistrat ; qu’il indique que le fait que de tels contrôles d’identité révèlent des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes ;
4. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que cette dernière précision méconnaît la liberté individuelle et sa protection par l’autorité judiciaire que garantit l’article 66 de la Constitution dès lors que la prise en compte d’infractions qui ne seraient pas énoncées a priori par le procureur de la République prive selon eux « l’autorité judiciaire de toute maîtrise effective de l’opération » ;
5. Considérant qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties et, d’autre part, les besoins de la recherche des auteurs d’infractions, qui sont nécessaires l’un et l’autre à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle ; qu’il incombe à l’autorité judiciaire, conformément à l’article 66 de la Constitution, d’exercer un contrôle effectif sur le respect des conditions de forme et de fond par lesquelles le législateur a entendu assurer cette conciliation ;
6. Considérant que le législateur a confié au procureur de la République, magistrat de l’ordre judiciaire, la responsabilité de définir précisément les conditions dans lesquelles les procédures de contrôle et de vérification d’identité qu’il prescrit doivent être effectuées ; que la circonstance que le déroulement de ces opérations conduise les autorités de police judiciaire à relever des infractions qui n’auraient pas été visées préalablement par ce magistrat ne saurait, eu égard aux exigences de la recherche des auteurs de telles infractions, priver ces autorités des pouvoirs qu’elles tiennent de façon générale des dispositions du code de procédure pénale ; que par ailleurs celles-ci demeurent soumises aux obligations qui leur incombent en application des prescriptions de ce code, notamment à l’égard du procureur de la République ; que, dès lors, les garanties attachées au respect de la liberté individuelle sous le contrôle de l’autorité judiciaire ne sont pas méconnues ; qu’ainsi le grief invoqué doit être écarté ;
– SUR LE SEPTIEME ALINEA DE L’ARTICLE 78-2 DU CODE DE PROCEDURE PENALE :
7. Considérant que cet alinéa reprend des dispositions déjà en vigueur en vertu desquelles un contrôle d’identité peut être opéré, selon les mêmes modalités que dans les autres cas, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens, en ajoutant la précision nouvelle selon laquelle peut être contrôlée l’identité de toute personne « quel que soit son comportement » ;
8. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que cet ajout en conduisant à autoriser des contrôles d’identité sans que soient justifiés les motifs de l’opération effectuée, porte une atteinte excessive à la liberté individuelle en la privant de garanties légales ;
9. Considérant que la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle ; que toutefois la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ; que s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ; que ce n’est que sous cette réserve d’interprétation que le législateur peut être regardé comme n’ayant pas privé de garanties légales l’existence de libertés constitutionnellement garanties ;
10. Considérant qu’il appartient aux autorités administratives et judiciaires de veiller au respect intégral de l’ensemble des conditions de forme et de fond posées par le législateur ; qu’en particulier il incombe aux tribunaux compétents de censurer et de réprimer les illégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables ; qu’ainsi il revient à l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle de contrôler en particulier les conditions relatives à la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons ayant motivé les opérations de contrôle et de vérification d’identité ; qu’à cette fin il lui appartient d’apprécier, s’il y a lieu, le comportement des personnes concernées ;
– SUR LE HUITIEME ALINEA DE L’ARTICLE 78-2 DU CODE DE PROCEDURE PENALE :
11. Considérant que cette disposition autorise le contrôle de l’identité de toute personne en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi non seulement dans des zones de desserte de transports internationaux, mais encore dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la Convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà ; que cette distance peut être portée jusqu’à quarante kilomètres par arrêté interministériel dans des conditions à prévoir par décret en Conseil d’État ;
12. Considérant que l’article 3 de la loi déférée prévoit que les dispositions de cet alinéa ne prendront effet qu’à la date d’entrée en vigueur de ladite Convention ;
13. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que les dispositions de cet alinéa imposent à la liberté individuelle des restrictions excessives en la privant de garanties légales ; qu’elles méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et d’indivisibilité de la République dans la mesure où elles imposent à certaines personnes sans justification appropriée des contraintes particulières liées à leurs attaches avec certaines parties du territoire français ; qu’ils ajoutent qu’en reconnaissant au pouvoir réglementaire la latitude d’accroître très sensiblement les zones concernées, le législateur a méconnu sa propre compétence ;
14. Considérant que les stipulations de la Convention signée à Schengen le 19 juin 1990 suppriment les contrôles « aux frontières intérieures » concernant les personnes sauf pour une période limitée lorsque l’ordre public ou la sécurité nationale l’exigent ; que le législateur a estimé que par les dispositions contestées il prenait dans le cadre de l’application de ces stipulations des mesures nécessaires à la recherche des auteurs d’infractions et à la prévention d’atteintes à l’ordre public ;
15. Considérant que s’agissant, d’une part, des zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international, d’autre part de celles qui sont comprises entre les frontières terrestres de la France avec les Etats parties à la Convention et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, le législateur a, dès lors que certains contrôles aux frontières seraient supprimés, autorisé des contrôles d’identité ; que ceux-ci doivent être conformes aux conditions de forme et de fond auxquelles de telles opérations sont de manière générale soumises ; que ces contrôles sont effectués en vue d’assurer le respect des obligations, prévues par la loi, de détention, de port et de présentation de titres et documents ; que les zones concernées, précisément définies dans leur nature et leur étendue, présentent des risques particuliers d’infractions et d’atteintes à l’ordre public liés à la circulation internationale des personnes ; que, dès lors, la suppression de certains contrôles aux frontières qui découlerait de la mise en vigueur des accords de Schengen pouvait conduire le législateur à prendre les dispositions susmentionnées sans rompre l’équilibre que le respect de la Constitution impose d’assurer entre les nécessités de l’ordre public et la sauvegarde de la liberté individuelle ; que les contraintes supplémentaires ainsi occasionnées pour les personnes qui résident ou se déplacent dans les zones concernées du territoire français ne portent pas atteinte au principe d’égalité dès lors que les autres personnes sont placées dans des situations différentes au regard des objectifs que le législateur s’est assigné ; qu’en outre de telles dispositions ne sauraient être regardées en elles-mêmes comme portant atteinte à l’indivisibilité de la République ;
16. Considérant en revanche qu’en ménageant la possibilité de porter la limite de la zone frontalière concernée au-delà de vingt kilomètres, le législateur a apporté en l’absence de justifications appropriées tirées d’impératifs constants et particuliers de la sécurité publique et compte tenu des moyens de contrôle dont par ailleurs l’autorité publique dispose de façon générale, des atteintes excessives à la liberté individuelle ; que, de surcroît, le législateur a méconnu sa compétence en déléguant au pouvoir réglementaire le soin de fixer cette extension ; que dès lors doivent être déclarés contraires à la Constitution les mots suivants « cette ligne pouvant être portée, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, jusqu’à 40 kilomètres par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice » et les mots « conjoint des deux ministres susvisés » qui en sont inséparables ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution, au quatrième alinéa de l’article 1er de la loi les mots » cette ligne pouvant être portée, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, jusqu’à 40 kilomètres par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice » et les mots : » conjoint des deux ministres susvisés « .
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.