Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues par l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi relative à la création du registre international français, le 20 avril 2005, par M. Jean-Marc AYRAULT, Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Éric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Jean-Claude BOIS, Daniel BOISSERIE, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Jean DELOBEL, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Marc DOLEZ, François DOSÉ, René DOSIÈRE, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Mme Odette DURIEZ, MM. Henri EMMANUELLI, Claude ÉVIN, Laurent FABIUS, Albert FACON, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANÇAIX, Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GÉNISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaétan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Elisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD-KUNSTLER, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, MM. François HOLLANDE, Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Serge JANQUIN, Armand JUNG, Jean-Pierre KUCHEIDA, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean-Yves LE DRIAN, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Bernard MADRELLE, Bruno LE ROUX, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Guy LENGAGNE, Mme Annick LEPETIT, MM. Louis-Joseph MANSCOUR, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Didier MATHUS, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, MM. Michel PAJON, Christian PAUL, Germinal PEIRO, Jean-Claude PÉREZ, Mmes Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Geneviève PERRIN-GAILLARD, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILÈS, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mme Ségolène ROYAL, M. Michel SAINTE-MARIE, Mme Odile SAUGUES, MM. Henri SICRE, Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE, Jean-Pierre DEFONTAINE, Paul GIACOBBI, Simon RENUCCI, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG et Mme Christiane TAUBIRA, députés,
et, le même jour, par M. Jean-Pierre BEL, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, David ASSOULINE, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, M. Jean BESSON, Mme Marie-Christine BLANDIN, MM. Jean-Marie BOCKEL, Yannick BODIN, Didier BOULAUD, Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Yolande BOYER, Nicole BRICQ, M. Jean-Pierre CAFFET, Mme Claire-Lise CAMPION, MM. Jean-Louis CARRÈRE, Raymond COURRIÈRE, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard DUSSAUT, Bernard FRIMAT, Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Noël GUÉRINI, Claude HAUT, Mme Bariza KHIARI, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. André LEJEUNE, Roger MADEC, Jacques MAHÉAS, François MARC, Marc MASSION, Pierre MAUROY, Jean-Luc MÉLENCHON, Louis MERMAZ, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-François PICHERAL, Bernard PIRAS, Jean-Pierre PLANCADE, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Daniel REINER, Thierry REPENTIN, Gérard ROUJAS, M. Claude SAUNIER, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Michel SERGENT, René-Pierre SIGNÉ, Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, Pierre-Yvon TRÉMEL, André VANTOMME, André VÉZINHET, Mme Dominique VOYNET et M. Richard YUNG, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, signée à Rome le 19 juin 1980 ;
Vu la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 ;
Vu la convention n° 179 de l’Organisation internationale du travail sur le recrutement et le placement des gens de mer, adoptée à Genève le 22 octobre 1996 ;
Vu la convention n° 180 de l’Organisation internationale du travail sur la durée du travail des gens de mer et les effectifs des navires, adoptée à Genève le 22 octobre 1996 ;
Vu le code du travail ;
Vu le code du travail maritime ;
Vu le décret n° 2005-305 du 31 mars 2005 relatif à la durée du travail des gens de mer ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 22 avril 2005 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la première saisine, enregistrées le 27 avril 2005 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la création du registre international français ; qu’ils contestent notamment la conformité à la Constitution de ses articles 3 et 9 ainsi que de son titre II ;
– SUR L’ARTICLE 3 :
2. Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article 3 de la loi déférée : » Les navigants résidant en France ne sont pas soumis aux dispositions du titre II de la présente loi » ;
3. Considérant que les requérants soutiennent que cette disposition est entachée d’incompétence négative et méconnaît l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ; qu’ils lui font grief non seulement de ne pas préciser le régime applicable aux navigants qui, résidant en France, ne sont pas soumis aux dispositions du titre II de la loi, mais aussi d’abandonner au pouvoir réglementaire le choix de ce régime ; qu’en effet, selon eux, dès lors que le II de l’article 2 de la loi déférée renvoie à un décret la détermination du port d’immatriculation des navires au registre international français, il permet au pouvoir réglementaire de désigner un port situé outre-mer et, par suite, de soumettre ces navigants à un code du travail d’outre-mer ;
4. Considérant, en premier lieu, que la disposition contestée se borne à préciser que le titre II de la loi déférée, relatif au » statut des navigants résidant hors de France « , n’est pas applicable aux navigants résidant en France ; que cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de déroger, pour les navigants résidant en France, à l’application du code du travail maritime ;
5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes du II de l’article 2 de la loi déférée : » Un décret détermine le port d’immatriculation ainsi que les modalités conjointes de francisation et d’immatriculation des navires au registre international français dans le cadre d’un guichet unique » ; qu’ainsi, le législateur n’a entendu permettre au pouvoir réglementaire de désigner qu’un seul port d’immatriculation ; qu’en outre, il n’a rendu applicable la loi déférée dans aucun des territoires ou collectivités qui, en vertu du quatrième alinéa de l’article 72-3 de la Constitution ou de ses articles 74 ou 77, ont leur propre régime ou code du travail ; que, dès lors, le grief tiré de ce qu’il aurait indirectement habilité le pouvoir réglementaire à soumettre les navigants résidant en France à un ou plusieurs codes du travail applicables outre-mer manque en fait ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs dirigés contre l’article 3 doivent être rejetés ;
– SUR L’ARTICLE 9 :
7. Considérant que la loi déférée autorise les armateurs de navires immatriculés au registre international français à recourir, pour le recrutement de navigants résidant hors de France, à une entreprise de travail maritime, afin que celle-ci mette à leur disposition, selon les termes de l’article 8, des personnes » qu’elle embauche en fonction de leur qualification et rémunère à cet effet » ; que, toutefois, son article 9 prévoit que, lorsqu’un contrat de mise à disposition est conclu avec une entreprise établie dans un Etat où il n’existe pas de procédure d’agrément ou dans lequel la convention n° 179 susvisée de l’Organisation internationale du travail ne s’applique pas, l’armateur » s’assure » que ladite entreprise » en respecte les exigences » ;
8. Considérant que les requérants reprochent à cet article 9 de ne pas définir de façon suffisamment précise les normes dont l’armateur sera conduit, le cas échéant, à contrôler le respect ; qu’en outre, ils font valoir que l’armateur ne sera pas en mesure de s’assurer que les exigences prévues par la convention précitée sont respectées par l’entreprise de travail maritime ; qu’ils estiment, dès lors, que cette disposition est entachée d' » une incompétence négative… au regard des règles du droit social » ;
9. Considérant, en premier lieu, que la convention n° 179 susvisée de l’Organisation internationale du travail sur le recrutement et le placement des gens de mer comporte des stipulations précises quant aux garanties que doivent présenter les entreprises de travail maritime en termes de formation et d’assurance et quant aux conditions dans lesquelles elles doivent exercer leur activité ; qu’elle interdit notamment de mettre à la charge des gens de mer tout frais ou honoraire relatif à leur recrutement ;
10. Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’article 14 de la loi déférée que la mise à disposition de tout navigant fait l’objet d’un contrat écrit entre l’armateur et l’entreprise de travail maritime qui précise notamment les bases de calcul de sa rémunération et les conditions de sa protection sociale ; qu’il appartiendra à l’armateur, dans le cadre de ces relations contractuelles, d’accomplir les diligences appropriées pour s’assurer que l’entreprise respecte les prescriptions de la convention sur le recrutement et le placement des gens de mer ; qu’il appartiendra à l’inspection du travail maritime de contrôler, en vertu de l’article 27 de la loi déférée, les conditions d’engagement, d’emploi et de travail de l’ensemble des navigants employés à bord des navires immatriculés au registre international français ;
11. Considérant, par suite, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’article 9 de la loi déférée est entaché d’incompétence négative ;
– SUR LE TITRE II :
12. Considérant que le titre II de la loi déférée détermine le statut des navigants résidant hors de France employés à bord des navires immatriculés au registre international français ; que ses dispositions définissent les règles qui leur sont applicables en matière de droit du travail, de droit syndical et de protection sociale ;
13. Considérant que les requérants reprochent à ces dispositions de méconnaître l’article 34 de la Constitution et l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, les huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, le principe d’égalité, ainsi que l’article 6 de la Charte de l’environnement ;
. En ce qui concerne la compétence du législateur et l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi :
14. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : » La loi détermine les principes fondamentaux… du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale » ; qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement cette compétence ; qu’à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu’il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ;
– Quant à l’article 12 :
15. Considérant que l’article 12 de la loi déférée dispose : » Les contrats d’engagement et le régime de protection sociale des navigants résidant hors de France sont soumis à la loi choisie par les parties, sous réserve des dispositions de la présente loi et sans préjudice de dispositions plus favorables des conventions ou accords collectifs applicables aux non-résidents, dans le respect des engagements internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés, et communautaires, de la France » ;
16. Considérant que les requérants soutiennent que cet article, en soumettant les contrats d’engagement et le régime de protection sociale à la loi choisie par les parties, autorise un renvoi à la loi du pays d’origine et permet ainsi à l’armateur et à l’entreprise de travail maritime d’adopter les règles les moins protectrices, » y compris pour des matières relevant d’exigences constitutionnelles et de l’ordre public social protecteur » ; qu’ils reprochent au législateur d’avoir méconnu tant l’étendue de sa compétence que l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ;
17. Considérant, en premier lieu, qu’en prévoyant que les contrats d’engagement et le régime de protection sociale sont soumis à la loi choisie par les parties, le législateur a défini, s’agissant de contrats conclus dans un cadre international, un critère permettant de déterminer clairement la loi applicable ; qu’en réservant expressément l’application des engagements internationaux et communautaires de la France, il a entendu se référer, ainsi qu’il ressort des travaux parlementaires, aux stipulations de l’article 6 de la convention de Rome du 19 juin 1980 susvisée, qui prévoit que le choix des parties ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 de cet article ;
18. Considérant, en second lieu, que le législateur a défini, au titre II de la loi déférée, des règles d’ordre public social qui seront applicables en tout état de cause aux navigants résidant hors de France employés à bord des navires immatriculés au registre international français ; que ces dispositions établissent en matière de repos quotidien et hebdomadaire, de congés, de liberté syndicale et de droit de grève, des règles identiques à celles du code du travail maritime français ; qu’elles instaurent par ailleurs des garanties minimales en matière de salaire et de protection sociale ;
19. Considérant que le législateur a ainsi adopté des dispositions non équivoques et suffisamment précises pour définir les règles applicables aux navigants relevant du titre II ; qu’il a pleinement exercé la compétence qu’il tient de l’article 34 et n’a pas méconnu l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ;
– Quant aux articles 13 et 24 :
20. Considérant que le second alinéa de l’article 13 définit les règles applicables à la rémunération des navigants résidant hors de France ; que le I de l’article 24 détermine les conditions dans lesquelles ils peuvent se prévaloir des conventions ou accords collectifs ;
21. Considérant que les requérants font valoir que l’article 13 permet au pouvoir réglementaire de déterminer un niveau minimal de rémunération sans l’encadrer autrement que par référence à des standards internationaux qui autorisent une rémunération inférieure au salaire minimum en vigueur en métropole ; qu’ils soutiennent également que le I de l’article 24, qui rend applicables les conventions collectives du pays de la loi du contrat, permet de recourir au régime juridiquement le moins contraignant, donc le moins protecteur ; qu’à ce double titre, le législateur aurait méconnu sa compétence ;
22. Considérant, en premier lieu, que le législateur a prévu que les rémunérations à bord d’un navire immatriculé au registre international français ne peuvent être inférieures aux montants fixés, après consultation des organisations professionnelles et syndicales représentatives, par un arrêté du ministre chargé de la marine marchande par référence aux rémunérations généralement pratiquées ou recommandées sur le plan international ; qu’il ressort des travaux parlementaires qu’il a entendu se référer aux normes préconisées par la Fédération internationale des ouvriers du transport ; que la fixation du montant du salaire minimal ne relève pas de la loi ; que, par suite, l’article critiqué n’est pas entaché d’incompétence négative ;
23. Considérant, en second lieu, que le I de l’article 24 prévoit que les navigants résidant hors de France » peuvent » être soumis aux conventions et accords collectifs applicables en vertu de la loi dont relève leur contrat d’engagement ; que, par cette formulation, le législateur a entendu écarter les accords ou conventions dont le champ d’application exclurait les navigants concernés ou qui détermineraient un niveau de protection inférieur à celui qui résulte des dispositions du titre II de la loi déférée ; que, dans ces conditions, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence ;
. En ce qui concerne le respect des huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 :
24. Considérant que les requérants reprochent aux dispositions du titre II de la loi déférée de ne pas permettre aux navigants résidant hors de France de participer à la détermination de leurs conditions de travail et de méconnaître plusieurs exigences fondamentales, notamment leur droit à la santé et au repos ; qu’ils estiment, en conséquence, que le législateur aurait privé de garanties légales les exigences résultant des huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ;
25. Considérant qu’aux termes du huitième alinéa du Préambule de 1946 : » Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » ; qu’en vertu de son onzième alinéa, la Nation » garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs… » ; qu’il incombe au législateur de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de leur mise en oeuvre ;
26. Considérant, en premier lieu, qu’en application du II de l’article 24 de la loi déférée, les navigants résidant hors de France participent à l’élection des délégués de bord ; qu’en outre, l’article 12 réserve l’application des clauses plus favorables des conventions ou accords collectifs ; qu’enfin, le I de l’article 23 dispose que : » Tout navigant, quels que soient son sexe, son âge ou sa nationalité, peut adhérer librement au syndicat professionnel de son choix » ; que le législateur a ainsi prévu des mesures répondant aux exigences du huitième alinéa du Préambule de 1946 ;
27. Considérant, en second lieu, qu’il résulte des termes mêmes de l’article 4 de la loi déférée que les navires immatriculés au registre international français sont soumis aux règles de santé et de sécurité au travail applicables en vertu de la loi française, de la réglementation communautaire et des engagements internationaux de la France ; que ses articles 16 et 17 limitent la durée du travail des navigants soumis au titre II et prévoient des périodes de repos ; que ses articles 20 et 21 définissent les conditions de leur rapatriement, notamment en cas de maladie ou d’accident ; que, dès lors, le législateur a assorti de garanties suffisantes les exigences du onzième alinéa du Préambule de 1946 relatives à la protection de la santé ;
28. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs tirés d’une méconnaissance des huitième et onzième alinéas du Préambule de 1946 doivent être rejetés ;
. En ce qui concerne le principe d’égalité :
29. Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions du titre II de la loi déférée permettent d’appliquer des régimes juridiques différents à des navigants exécutant des tâches identiques et soumis aux mêmes obligations ; qu’ils estiment que le critère du lieu de résidence du navigant ne peut justifier une telle différence de traitement ; que ce critère reposerait, en effet, non sur une différence objective de situation, mais sur une différenciation subjective organisée par la loi ; qu’ils font valoir que le principe de territorialité, retenu en matière répressive par l’article 29 de la loi déférée, devrait être également retenu en matière d’ordre public social ; qu’ils estiment, enfin, que la compétitivité de la marine marchande nationale ne constitue pas un intérêt général de nature à justifier une telle discrimination entre marins sur un même navire ;
30. Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
31. Considérant qu’en prévoyant, à l’article 16, l’établissement d’un tableau qui précise l’organisation du travail et indique, pour chaque fonction, le programme du service à la mer et au port, le législateur a nécessairement entendu se référer au tableau de service unique prévu sur tout navire tant par la convention n° 180 susvisée de l’Organisation internationale du travail que par le décret susvisé du 31 mars 2005 sur la durée du travail des gens de mer ; que les articles 16 et 17 de la loi déférée établissent, pour le repos quotidien et le repos hebdomadaire minimum, les jours fériés et les congés des navigants résidant hors de France, des règles identiques à celles applicables aux autres navigants ; qu’en matière de santé et de sécurité au travail, sont applicables l’ensemble des règles résultant de la loi française, de la réglementation communautaire et des engagements internationaux de la France ; que le législateur a ainsi fixé, en ce qui concerne les conditions de travail à bord, des règles qui n’opèrent, et ne permettront d’opérer, aucune distinction suivant le pays de résidence des marins ; qu’à cet égard, le grief manque en fait ;
32. Considérant, il est vrai, qu’il résulte des articles 13, 16 et 26 de la loi déférée que les règles de rémunération des navigants résidant hors de France, qu’il s’agisse du niveau du salaire minimum ou du paiement des heures supplémentaires, ainsi que le régime de protection sociale de ces navigants, sont différents de ceux des navigants résidant en France ;
33. Considérant, d’une part, qu’il résulte des règles actuelles du droit de la mer qu’un navire battant pavillon français ne peut être regardé comme constituant une portion du territoire français ; que, dès lors, les navigants résidant hors de France qui sont employés à bord d’un navire immatriculé au registre international français ne peuvent se prévaloir de toutes les règles liées à l’application territoriale du droit français ;
34. Considérant, d’autre part, que les navigants qui résident hors de France ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui résident en France compte tenu des conditions économiques et sociales propres aux pays où se situe le centre de leurs intérêts matériels et moraux ; qu’eu égard à cette différence objective de situation, il était loisible au législateur de leur appliquer des règles de rémunération et de protection sociale minimales différentes de celles prévues pour les navigants résidant en France ; que la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet de la loi qui est de promouvoir le pavillon français en améliorant sa compétitivité ;
35. Considérant, par suite, que le grief tiré de la violation du principe d’égalité doit être écarté ;
. En ce qui concerne la méconnaissance de l’article 6 de la Charte de l’environnement :
36. Considérant que, selon les requérants, » le moins disant social, sciemment organisé, ne peut aboutir qu’au moins disant en matière de sécurité maritime » ; que, dès lors, la loi déférée porterait atteinte à l’article 6 de la Charte de l’environnement ;
37. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement de 2004 : » Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social » ; qu’il appartient au législateur de déterminer, dans le respect du principe de conciliation posé par ces dispositions, les modalités de sa mise en oeuvre ;
38. Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la loi déférée : » Les navires immatriculés au registre international français sont soumis à l’ensemble des règles de sécurité et de sûreté maritimes, de formation des navigants, de santé et de sécurité au travail et de protection de l’environnement applicables en vertu de la loi française, de la réglementation communautaire et des engagements internationaux de la France » ; que le législateur a ainsi pris des mesures de nature à promouvoir la sécurité maritime et la protection de l’environnement ; qu’il n’a pas, dès lors, méconnu les exigences de l’article 6 de la Charte de l’environnement ;
39. Considérant qu’il n’y a lieu d’examiner d’office aucune question de constitutionnalité,
Décide :
Article premier.- Les articles 3 et 9 de la loi relative à la création du registre international français, ainsi que son titre II, ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 avril 2005, où siégeaient : M. Pierre MAZEAUD, Président, MM. Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER et M. Pierre STEINMETZ.