Le Conseil constitutionnel a été saisi le 31 mai 2011 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3036 du 24 mai 2011), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SOMODIA, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 3134-11 du code du travail.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi du 17 octobre 1919, relative au régime transitoire de l’Alsace et de la Lorraine ;
Vu la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu l’ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 22 juin 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Bruno Odent, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 19 juillet 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 3134-11 du code du travail : « Lorsqu’il est interdit, en application des articles L. 3134-4 à L. 3134-9, d’employer des salariés dans les exploitations commerciales, il est également interdit durant ces jours de procéder à une exploitation industrielle, commerciale ou artisanale dans les lieux de vente au public. Cette disposition s’applique également aux activités commerciales des coopératives de consommation ou associations » ; qu’en vertu de l’article L. 3134-1 du même code, cette disposition n’est applicable que dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en interdisant de procéder le dimanche à une exploitation industrielle, commerciale ou artisanale dans les lieux de vente au public, cette disposition instituerait, en méconnaissance du principe d’égalité des citoyens devant la loi, une règle locale que ne connaîtrait pas la réglementation de droit commun ; qu’en outre, par son caractère général et absolu, cette interdiction porterait une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l’Alsace et de la Lorraine, adoptée à la suite du rétablissement de la souveraineté de la France sur ces territoires : « Les territoires d’Alsace et de Lorraine continuent, jusqu’à ce qu’il ait été procédé à l’introduction des lois françaises, à être régies par les dispositions législatives et réglementaires qui y sont actuellement en vigueur » ; que les lois procédant à l’introduction des lois françaises et notamment les deux lois du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française et portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ont expressément maintenu en vigueur dans ces départements certaines législations antérieures ou édicté des règles particulières pour une durée limitée qui a été prorogée par des lois successives ; qu’enfin, selon l’article 3 de l’ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : « La législation en vigueur. . . à la date du 16 juin 1940 est restée seule applicable et est provisoirement maintenue en vigueur » ;
4. Considérant qu’ainsi, la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu’elles n’ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu’à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application n’est pas élargi ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements dont il s’agit ; que ce principe doit aussi être concilié avec les autres exigences constitutionnelles ;
– SUR LE PRINCIPE D’ÉGALITÉ :
5. Considérant que la disposition contestée est au nombre des règles particulières antérieures à 1919 et qui ont été maintenues en vigueur par l’effet des lois précitées ; qu’il s’ensuit que le grief tiré de la violation du principe d’égalité entre les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, d’une part, et les autres départements, d’autre part, doit être écarté ;
– SUR LA LIBERTÉ D’ENTREPRENDRE :
6. Considérant que la liberté d’entreprendre découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’il est toutefois loisible au législateur d’apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ;
7. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 3134-2 du code du travail : « L’emploi de salariés dans les entreprises industrielles, commerciales ou artisanales est interdit les dimanches et jours fériés, sauf dans les cas prévus par le présent chapitre » ; que les dispositions de l’article L. 3134-11 ont, par suite, pour effet d’interdire l’exercice d’une activité industrielle, commerciale ou artisanale les dimanches dans les lieux de vente ouverts au public ; que, par ces dispositions, le législateur vise à éviter que l’exercice du repos hebdomadaire des personnes qui travaillent dans ces établissements ne défavorise les établissements selon leur taille ; qu’il a en particulier pris en compte la situation des établissements de petite taille qui n’emploient pas de salarié ; que ces dispositions ont pour objet d’encadrer les conditions de la concurrence entre les établissements quels que soient leur taille ou le statut juridique des personnes qui y travaillent ; que, dès lors, elles répondent à un motif d’intérêt général ;
8. Considérant, en second lieu, qu’en maintenant, par dérogation à certaines dispositions du titre III du livre Ier de la troisième partie du code du travail, le régime local particulier en vertu duquel le droit au repos hebdomadaire des salariés s’exerce le dimanche, le législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, a opéré une conciliation, qui n’est pas manifestement disproportionnée, entre la liberté d’entreprendre et les exigences du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ;
9. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- L’article L. 3134-11 du code du travail est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 août 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT et M. Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 5 août 2011.