Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 1er avril 1996, par MM Claude Estier, Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Mmes Monique ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Benezet, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoé, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM Bernard Dussaut, Léon Fatous, Aubert Garcia, Gérard Gaud, Claude Haut, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Mme Danièle Pourtaud, MM Paul Raoult, René Régnault, Alain Richard, Michel Rocard, Gérard Roujas, René Rouquet, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, Fernand Tardy, André Vezinhet et Henri Weber, sénateurs, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à la Constitution de la loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, et notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi n° 86-793 du 2 juillet 1986 autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social ;
Vu le code de la consommation ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 3 avril 1996 ;
Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine le 5 avril 1996 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, et notamment son article 47 et le I de l’article 87 ;
– SUR L’ARTICLE 47 DE LA LOI :
2. Considérant que cet article est relatif aux modalités de transfert au secteur privé de certaines entreprises publiques dont plus de la moitié du capital est directement détenue par l’État quand elles ne sont pas entrées dans le secteur public en application d’une disposition législative ; que son I limite l’obligation de procéder au transfert par voie législative à celles de ces entreprises dont les effectifs, augmentés de ceux des filiales dans lesquelles elles détiennent, directement ou indirectement, plus de la moitié du capital social, sont supérieurs à mille personnes au 31 décembre de l’année précédant le transfert ou dont le chiffre d’affaires consolidé avec celui des filiales, telles qu’elles viennent d’être définies, est supérieur à un milliard de francs à la date de clôture de l’exercice précédant le transfert ; que son II maintient les règles applicables aux transferts devant être approuvés par la loi pour les entreprises publiques dont plus de la moitié du capital est directement détenue par l’État et qui, ne remplissant pas les deux critères susmentionnés, pourront désormais être transférées au secteur privé par approbation de l’autorité administrative ;
3. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine font valoir que l’ensemble des entreprises publiques dont plus de la moitié du capital est directement détenue par l’État ne peuvent être transférées au secteur privé qu’en vertu d’une disposition législative, sans que la taille de ces entreprises puisse constituer un critère pertinent, la nature de l’opération de privatisation de telles entreprises exigeant la compétence exclusive du législateur ;
4. Considérant que si l’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé, il n’impose pas que toute opération de transfert du secteur public au secteur privé soit directement décidée par le législateur ; qu’il est loisible au législateur de déterminer des critères en fonction desquels ces transferts pourront être approuvés par les autorités ou organes désignés par lui comme il lui appartient de définir les règles applicables à de tels transferts ; que toutefois, dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 34, le législateur ne saurait méconnaître aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ;
5. Considérant qu’en prévoyant que pourront être transférées au secteur privé sous condition d’approbation de l’autorité administrative, des entreprises dont plus de la moitié du capital est détenue par l’État et qui remplissent à la fois des conditions de taille et de chiffre d’affaires tout en maintenant à leur égard les procédures applicables aux entreprises dont le transfert doit être approuvé par la loi, le législateur a posé des règles qui ne sont contraires à aucun principe de valeur constitutionnelle ; qu’il appartiendra à l’autorité administrative compétente de s’assurer, sous le contrôle du juge, que ne seront pas concernés des services publics dont l’existence et le fonctionnement seraient exigés par la Constitution ; que dans ces conditions le grief invoqué par les auteurs de la saisine ne saurait être accueilli ;
– SUR LE I DE L’ARTICLE 87 DE LA LOI :
6. Considérant que le I de cet article tend, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, à déclarer régulières au regard des dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de l’article L. 312-8 du code de la consommation, les offres de prêts mentionnées à l’article L. 312-7 du même code et émises avant le 31 décembre 1994, dès lors qu’elles ont indiqué le montant des échéances de remboursement du prêt, leur périodicité, leur nombre ou la durée du prêt, ainsi, le cas échéant, que les modalités de leurs variations ;
7. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine soutiennent tout d’abord que cette disposition porterait une très grave atteinte au principe de la séparation des pouvoirs en conduisant au rejet de la plupart des recours actuellement pendants devant la juridiction judiciaire et en interdisant aux justiciables s’estimant lésés par une mauvaise application de la loi de faire utilement valoir leurs droits devant le juge ; qu’ils font valoir au surplus à cet égard que l’intervention du législateur contreviendrait aux articles 6-1 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’ils affirment également que l’article 87-I porterait atteinte au principe de non rétroactivité des sanctions pénales et des sanctions ayant le caractère d’une punition ; que le législateur aurait procédé à une validation des offres de prêts ne reposant sur aucun motif tiré de l’intérêt général et qu’il chercherait au contraire à défendre des intérêts particuliers qui ne concernent même pas l’ensemble de la profession bancaire ; que les auteurs de la saisine soutiennent enfin que la disposition contestée porterait de multiples atteintes au principe d’égalité, tant entre les emprunteurs qu’entre les établissements bancaires ;
8. Considérant que s’il n’appartient ni au législateur, ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence, ces principes ne s’opposent pas à ce que, dans l’exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie, dans un but d’intérêt général, les règles que le juge a mission d’appliquer dès lors qu’il ne méconnaît pas des principes ou des droits de valeur constitutionnelle ; que le fait que de telles modifications entraînent des conséquences sur des conventions en cours n’est pas en lui-même de nature à entraîner une inconstitutionnalité ; que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
9. Considérant que d’une part, en disposant que seront réputées régulières au regard des dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de l’article L. 312-8 du code de la consommation, les offres de prêts mentionnées à l’article L. 312-7 du même code dès lors qu’ont été respectées un ensemble de conditions concernant les échéances de remboursement, le législateur a expressément fait réserve des décisions passées en force de chose jugée ; que d’autre part, s’il revient au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article 61 de la Constitution, de s’assurer que la loi respecte le champ d’application de l’article 55 de la Constitution, il ne lui appartient pas en revanche d’examiner la conformité de cette loi aux stipulations d’un accord international ; qu’il n’y a pas lieu, dès lors, d’examiner la conformité du I de l’article 87 aux stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme ; que le grief tiré d’une méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs ne saurait dans ces conditions être accueilli ;
10. Considérant que le I de l’article 87 n’a ni pour objet, ni pour effet de permettre aux autorités judiciaires compétentes d’infliger des sanctions nouvelles à raison d’agissements antérieurs à la publication de la loi ; qu’ainsi le moyen tiré d’une atteinte au principe de non-rétroactivité des sanctions pénales et des sanctions ayant le caractère d’une punition manque en fait ;
11. Considérant par ailleurs qu’en déclarant régulières les offres de prêts ayant méconnu les dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de l’article L. 312-8 du code de la consommation, le législateur a entendu éviter un développement des contentieux d’une ampleur telle qu’il aurait entraîné des risques considérables pour l’équilibre financier du système bancaire dans son ensemble et, partant, pour l’activité économique générale ; que le Conseil constitutionnel ne disposant pas d’un pouvoir d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, il ne lui appartient pas de se prononcer en l’absence d’erreur manifeste sur l’importance des risques encourus ; que le législateur a pris soin de limiter la portée de la disposition contestée aux offres de prêts qui auront indiqué le montant des échéances de remboursement du prêt, leur périodicité, leur nombre ou la durée du prêt ainsi, le cas échéant, que les modalités de leurs variations ; qu’il résulte nécessairement de l’objet de la loi, d’une part que les emprunteurs qui n’ont pas bénéficié au moment de l’offre de prêt des dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de l’article L. 312-8 précité se trouveront placés dans la même situation que ceux qui en ont bénéficié, d’autre part que les banques se trouveront au regard de ces dispositions dans la même situation qu’elles les aient ou non respectées ; enfin que s’il résulte du I de l’article 87 que des emprunteurs se trouvent traités différemment selon que les litiges qui les opposent aux établissements prêteurs ont ou n’ont pas déjà été tranchés par les juridictions avant l’intervention du législateur, cette différence procède de l’interdiction faite au législateur de censurer les décisions des juridictions et d’enfreindre par là même le principe de séparation des pouvoirs ; que le I de l’article 87 doit dès lors être regardé comme ayant répondu à un but d’intérêt général et que les griefs tirés de la méconnaissance de ce dernier comme du principe d’égalité ne sauraient qu’être écartés ;
12. Considérant qu’en l’espèce il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office d’autres questions de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
L’article 47 et le I de l’article 87 de la loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel, dans sa séance du 9 avril 1996, où siégeaient : MM Roland DUMAS, président, Etienne Dailly, Maurice FAURE, Georges ABADIE, Jean CABANNES, Michel AMELLER, Jacques ROBERT et Mme Noëlle LENOIR.
Le président,
Roland DUMAS