Le Conseil d’Etat; — Considérant que les requêtes de la Société d’éclairage par le gaz et l’électricité de la ville d’Oloron-Sainte-Marie sont relatives à la même affaire, et qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision; — Considérant que le conseil de préfecture saisi, d’une part, des demandes de la Société d’éclairage de la ville d’Oloron tendant à l’allocation d’une indemnité et au relèvement du prix du mètre cube de gaz, à raison de la hausse exceptionnelle du charbon, des autres matières premières et de la main-d’œuvre, a décidé, par ses arrêtés des 25 janvier 1919 et 20 janvier 1921, que la ville ne pouvait être tenue d’indemniser le concessionnaire que dans le cas de perte de son capital, et a rejeté le surplus de la demande ; que, d’autre part, statuant par la ville d’Oloron, qui avait pour objet de faire prononcer, à raison de l’arrêt du service de l’exploitation du gaz, la déchéance du concessionnaire, tant pour le service du gaz que pour celui de l’électricité, il a déclaré la société requérante déchue de la concession du gaz et l’a condamnée à payer à la ville des dommages-intérêts ; que la société requérante se pourvoit, par les requêtes susvisées, contre les arrêtés intervenus dans ces conditions ; — Sur le pourvoi n. 73.769 : …(sans intérêt) — Sur le recours incident : …(sans intérêt);
Sur les pourvois n. 73.790 et 73.791 : Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens; — Considérant qu’en raison de la hausse exceptionnelle survenue, par suite de l’état de guerre notamment dans le prix du charbon, des autres matières premières et de la main-d’œuvre, et qui a généralement bouleversé l’économie des contrats passés entre les communes et les sociétés concessionnaires de l’éclairage au gaz, il n’y a pas lieu à l’application pure et simple des conventions intervenues entre la villa d’Oloron et le sieur Eichelbrenner, aux droits duquel a succédé la Société d’éclairage de la ville d’Oloron, comme si l’on se trouvait en présence de l’aléa ordinaire de l’entreprise, qu’il importe au contraire, d’examiner si, comme le soutient la société l’augmentation du prix de revient du gaz, à raison de la hausse exceptionnelle mentionnée ci-dessus, a dépassé la limite extrême des majorations ayant pu être envisagées lors de la passation du contrat, et, dans l’affirmative, de rechercher, pour mettre fin à des difficultés temporaires, une solution qui tienne compte à la fois de l’intérêt général, lequel exige la continuation du service par la société à l’aide de tous ses moyens de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas aux contrats de recevoir leur application normale ; qu’à cet effet, il convient de décider, d’une part, qu’elle doit supporter seulement, au cours de cette période transitoire, la part des conséquences onéreuses de la situation de force majeure ci-dessus rappelée que l’interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à sa charge ; — Considérant que, pour calculer ces conséquences onéreuses, il ne peut être établie de compensation entre les bénéfices réalisés par le concessionnaire, avant la période exceptionnelle dont il s’agit, et les pertes que la guerre lui a fait éprouver ; qu’en effet, le concessionnaire, qui assume seul, à l’exclusion de l’autorité concédante, les risques financiers du service public, et qui doit supporter en totalité le déficit, s’il s’en est produit en temps normal est fondé inversement à conserver à titre définitif les bénéfices réalisés dans les mêmes conditions, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les bénéfices déjà répartis et ceux qui auraient été réservés pour faire face aux besoins futurs de l’exploitation; que, pour la même raison, il n’y a pas lieu davantage de tenir compte des perspectives d’avenir que peut comporter la concession en dehors de la période envisagée; que, par contre, il y a lieu de faire état de tous les avantages assurés par les conventions à la société pendant ladite période; que, notamment, la société requérante ayant le double privilège du monopole de la distribution du gaz et, celui de l’énergie électrique, la ville est fondée à demander qu’il soit fait état des bénéfices qui résulteraient pour la société de cette situation: que par suite, il devra être tenu compte, dans la fixation de l’indemnité, des résultats donnés par l’exploitation de l’ensemble du service géré par la société; — Considérant qu’il y a lieu, en conséquence, sans allouer à la société requérante une provision, à laquelle elle ne justifie pas avoir droit, de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture, auquel il appartiendra de rechercher si, et à partir de quel moment, l’augmentation du prix de revient du gaz, à raison de la hausse exceptionnelle survenue notamment dans le prix du charbon, des autres matières premières et de la main-d’œuvre, a dépassé la limite de la majoration extrême qu’ont pu envisager les parties lors de la passation du contrat; de déterminer ensuite le montant du préjudice subi par la société à raison des conditions extra-contractuelles dans lesquelles elle a assuré son service à partir du jour où ladite limite a été dépassée, et de fixer enfin, la part du préjudice que l’interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à la charge de la société;
Sur les dépens de première instance : …(sans intérêt); — Art. 1er. Les arrêtés du conseil de préfecture des Basses-Pyrénées, en date des 25 janvier 1919 et 21 janvier 1921, sont annulés; — Art. 2. Les parties sont renvoyées devant le conseil de préfecture, pour être statué, si elles ne s’étendent pas à l’amiable, sur la détermination de l’indemnité, en capital et intérêts à laquelle la société peut avoir droit, en ce qui concerne l’éclairage public ou privé, indemnité qui, si les parties consentent à cet arrangement, pourrait être remplacée par un relèvement du prix du gaz, fixé d’un commun accord; — Art. 3. Le conseil recherchera quelles ont été les limites extrêmes de la majoration du prix de revient du gaz qui ont pu entrer dans les prévisions des parties, lors de la passation du contrat, en tenant compte notamment du prix du charbon, des autres matières premières et de la main-d’œuvre; il déterminera ensuite, au cas où ces limites auraient été dépassées, si la société a droit à une indemnité, à raison des conditions extra-contractuelles dans lesquelles elle a dû assurer son service à partir du jour où ce dépassement a eu lieu, et, dans l’affirmative, il estimera le montant de ladite indemnité; pour fixer cette indemnité, il procédera aux deux opérations suivantes : 1° il évaluera le préjudice subi par suite du dépassement du prix-limite, en tenant compte de toutes les circonstances ayant pu influer sur les résultats de l’exploitation pendant la période litigieuse; il fera état, notamment, du prix du charbon et des autres matières premières, du coût de la main-d’œuvre, de la diminution éventuelle du rendement du charbon en gaz et coke, à raison de sa mauvaise qualité, de l’importance des frais généraux, puis, s’il y a lieu, de la réduction de la consommation au delà des prévisions, des arrêts forcés de l’usine résultant du manque de charbon; enfin, et inversement, il devra. tenir compte du prix de vente du coke et des autres sous-produits et aussi des profits que la Société d’éclairage aurait éventuellement retirés de l’exploitation, pendant la période considérée, de la distribution de l’électricité; 2° il arbitrera, en appréciant tous les faits de la cause, la part des conséquences onéreuses de la situation de force majeure, déterminée comme il vient d’être dit, que l’interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à la charge de la société. — Art. 4. Le surplus des conclusions présentées, tant par la Société d’éclairage, dans les requêtes, que par la ville d’Oloron-Sainte-Marie dans son recours incident, est rejeté.
Du 10 août 1923. — Cons. d’Etat. — MM. Duléry, rapp.; Ripert, comm. du gouv.; Bressolles et Mihura, av.