Conseil d’État
N° 401378
ECLI:FR:CECHR:2017:401378.20171215
Inédit au recueil Lebon
10ème – 9ème chambres réunies
Mme Pauline Jolivet, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
lecture du vendredi 15 décembre 2017
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association des musulmans de Lagny-sur-Marne demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 6 mai 2016 en tant qu’il prononce sa dissolution ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, et notamment son Préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Pauline Jolivet, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L' » Association des musulmans de Lagny-sur-Marne » demande l’annulation pour excès de pouvoir du décret du Président de la République, du 6 mai 2016 en tant qu’il prononce sa dissolution sur le fondement des dispositions des 6° et 7° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
2. Aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : » Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (…) 6° ( …) qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger. (…) ».
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour prononcer la dissolution contestée, le Président de la République s’est fondé sur le fait que l’ » Association des musulmans de Lagny-sur-Marne » participait, en lien étroit avec les associations » Retour aux sources » et » Retour aux sources musulmanes « , qui ont également fait l’objet d’une mesure de dissolution, à des activités d’endoctrinement, de recrutement et d’acheminement de candidats vers le djihad, entretenait des liens avec des personnes mises en cause dans des opérations de terrorisme et avait ainsi le caractère d’un groupement provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur non-appartenance à une religion au sens du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et pouvait être regardée comme se livrant sur le territoire français à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger au sens du 7° de cet article.
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment des » notes blanches » précises et circonstanciées versées au débat contradictoire, que l’ » Association des musulmans de Lagny-sur-Marne » a été créée quelques jours après le gel des avoirs de M. B…A…, imam de la mosquée de Lagny-sur-Marne jusqu’à son départ en Egypte le 31 décembre 2014 et ancien président des associations » Retour aux sources » et » Retour aux sources musulmanes « , qui prêchait et enseignait un islamisme radical, prônant le rejet des valeurs de la République et l’hostilité aux chrétiens et aux chiites et qui a été le responsable du recrutement et du départ vers la zone irako-syrienne de plusieurs combattants volontaires. L’association requérante, qui a le même objet cultuel et culturel que les deux associations mentionnées ci-dessus et qui utilise les mêmes comptes bancaires que l’association » Retour aux sources « , est gérée par des proches de M.A…, les trois membres du bureau de l’association ayant déjà été membres des bureaux des deux associations présidées par M. A…. Par ailleurs, plusieurs des prédicateurs qui officiaient à la mosquée de Lagny-sur-Marne, avant sa fermeture par un arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 1er décembre 2015, ainsi que des fidèles de cette mosquée ont fait l’objet de mesures d’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ou de mesures d’interdiction de sortie du territoire français sur le fondement de l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure au motif qu’il existait de sérieuses raisons de penser qu’ils projetaient des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ou sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Certaines des personnes de l’entourage des dirigeants de l’association ont été interpelées, mises en examen ou incarcérées en raison de leur participation à des filières terroristes. S’il n’est pas contesté que les perquisitions administratives effectuées le 2 décembre 2015 au sein de la salle de prière de la mosquée ainsi qu’au domicile du président de l’association requérante n’ont pas conduit, selon les procès-verbaux de ces opérations, à la découverte d’éléments susceptibles de révéler des activités à caractère terroriste ou d’intéresser les enquêtes en cours, la perquisition réalisée le même jour au domicile du responsable de l’association requérante chargé de la structure d’enseignement de la langue arabe et de la religion musulmane gérée par cette dernière a permis de découvrir l’existence d’une école coranique clandestine et de documents de propagande d’organisations islamistes radicales.
5. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d’erreur de fait en ce qu’il retient l’existence de liens étroits entre l’ » Association des musulmans de Lagny-sur-Marne » et les associations » Retour aux sources » et » Retour aux sources musulmanes » doit être écarté. Eu égard aux éléments rappelés au point 4, qui caractérisent l’existence de discours et de faits provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence ou les justifiant, et en dépit d’attestations de fidèles de la mosquée réfutant l’existence de prêches à caractère radical produites par l’association requérante, le Président de la République a fait une exacte application des dispositions du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en prononçant la dissolution contestée.
6. Dès lors qu’il résulte de l’instruction que le Président de la République aurait pris la même décision s’il n’avait retenu que ce premier motif, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure doit être écarté, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la légalité du motif de la dissolution fondé sur le 7° de cet article.
7. Par ailleurs, le décret attaqué, qui constitue une restriction à l’exercice des libertés de conscience, de religion et d’association justifiée par la gravité des dangers pour l’ordre public et la sécurité publique résultant des activités de l’association en cause et proportionnée au but poursuivi, ne méconnaît ni les stipulations des articles 9 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation du décret du 6 mai 2016, qui est suffisamment motivé. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l' » Association des musulmans de Lagny-sur-Marne » est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association des musulmans de Lagny-sur-Marne.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur.