Conseil d’État
N° 396835
ECLI:FR:CECHR:2017:396835.20170317
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère – 6ème chambres réunies
M. Frédéric Puigserver, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats
lecture du vendredi 17 mars 2017
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 396837, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 février et 23 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires (SNPA) demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 24 décembre 2015 portant extension de l’accord du 25 septembre 2015 relatif à la mise en place d’un régime frais de santé dans la branche des prestataires de services dans le domaine tertiaire et l’arrêté du 24 décembre 2015 portant extension de l’avenant indivisible du 25 septembre 2015 à cet accord ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 396835, par une requête enregistrée le 8 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 24 décembre 2015 portant extension de l’accord du 25 septembre 2015 relatif à la mise en place d’un régime frais de santé dans la branche des prestataires de services dans le domaine tertiaire et l’arrêté du 24 décembre 2015 portant extension de l’avenant indivisible du 25 septembre 2015 à cet accord.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– le code de la sécurité sociale ;
– le code du travail ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat du Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la Fédération nationale de l’information d’entreprise et de la gestion de créance et de l’enquête civile, des Services intégrés du secrétariat et des télé-services, du Syndicat national des professionnels de l’hébergement, du Syndicat national des organisateurs et réalisateurs d’actions promotionnelles et commerciales, de la Chambre nationale des entreprises de traduction et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la Fédération (Communication Conseil Culture).
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 3 et 7 mars 2017, présentées par le SORAP, les SIST, le SYNAPHE, le SP2C, la FIGEC et la CENT.
Considérant ce qui suit :
1. Le document enregistré sous le n° 396835 constitue en réalité un double de la requête du Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires (SNPA) enregistrée sous le n° 396837. Par suite, ce document doit être rayé des registres du secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat et joint à la requête enregistrée sous le n° 396837.
2. D’une part, par un accord du 25 septembre 2015, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs ont entendu, dans la branche des prestataires de services dans le secteur tertiaire, instituer et organiser dans les conditions prévues par l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale une couverture collective et obligatoire de frais de santé, en complément de celle qui résulte de l’organisation de la sécurité sociale, au bénéfice de l’ensemble des salariés des entreprises de téléservices, des centres d’affaires et entreprises de domiciliation, des entreprises de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux ou économiques, des entreprises de traduction, des palais des congrès et centres de congrès, des entreprises d’accueil événementiel et en entreprise et d’animation et de promotion, des centres d’appel et des entreprises de force de vente et d’optimisation linéaire et, enfin, des entreprises d’enquête civile. Pour le financement du régime de frais de santé ainsi institué, les parties ont notamment prévu une cotisation mensuelle globale forfaitaire due pour chaque salarié au titre de sa couverture par le » socle conventionnel obligatoire « , quelle que soit sa durée de travail pendant le mois, fixée, à compter du 1er janvier 2016, à 0,82 % du plafond mensuel de la sécurité sociale, et financée par l’employeur à hauteur de 50 % au moins.
3. D’autre part, un avenant à cet accord du 25 septembre 2015, conclu le même jour, a défini, conformément à l’article 3.1 de l’accord, une » catégorie objective » de salariés regroupant ceux d’entre eux qui, au sein des seules entreprises de la branche exerçant une activité principale d’accueil événementiel, d’animation et de promotion ou d’optimisation linéaire, sont titulaires d’un » contrat d’intervention à durée déterminée « , institué pour chacune de ces activités par un accord conclu dans le cadre du 3° de l’article L. 1242-2 du code du travail, lequel permet le recours à des contrats à durée déterminée pour des emplois » pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois « . L’avenant a prévu que les salariés relevant de cette » catégorie objective » bénéficieraient des mêmes garanties que celles qui sont instaurées pour l’ensemble des salariés de la branche au titre du socle conventionnel obligatoire mais que la cotisation due pour chaque salarié serait égale à un montant forfaitaire par heure de travail effectif, fixé, en principe, à 0,18 euros et, pour la première année de fonctionnement du régime, à 80 % de ce montant, soit 0,144 euros.
4. Cet accord et son avenant du même jour ont été étendus par des arrêtés du 24 décembre 2015 du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du secrétaire d’Etat chargé du budget, dont le syndicat requérant demande l’annulation pour excès de pouvoir.
Sur la légalité externe des arrêtés attaqués :
5. Aux termes de l’article D. 2261-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : » Lorsqu’un arrêté d’extension ou d’élargissement est envisagé, il est précédé de la publication au Journal officiel de la République française d’un avis. Cet avis invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations. Il indique le lieu où la convention ou l’accord a été déposé et le service auprès duquel les observations sont présentées. / Les organisations et les personnes intéressées disposent d’un délai de quinze jours à compter de la publication de l’avis pour présenter leurs observations « .
6. Il ressort des pièces du dossier que les arrêtés attaqués ont été signés le 24 décembre 2015, soit moins de quinze jours après la publication, au Journal officiel de la République française, le 15 décembre 2015, de l’avis mentionné à l’article D. 2261-3 du code du travail.
7. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. Il ressort en l’espèce des pièces du dossier, d’une part, que le syndicat requérant, bien que n’ayant signé ni l’accord ni son avenant, avait participé à leur négociation et avait eu préalablement connaissance de leur teneur et, d’autre part, que les arrêtés attaqués n’ont été publiés que le 30 décembre 2015 et qu’à cette date, soit quinze jours après la publication de l’avis, aucune observation n’avait été présentée. Dès lors, la méconnaissance du délai de quinze jours prévu à l’article D. 2261-3 n’a, en l’espèce, ni privé les organisations et personnes intéressées de la garantie instituée par cet article, ni été susceptible d’exercer une influence sur le sens des décisions prises. Par suite, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure doit être écarté.
Sur la légalité interne des arrêtés attaqués :
8. Lorsque, à l’occasion d’un litige relatif à un arrêté prononçant l’extension ou l’agrément d’une convention ou d’un accord collectif de travail, qui relève de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s’élève sur la validité de cette convention ou de cet accord, il appartient au juge saisi du litige de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation, sauf s’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ou si elle met en cause la conformité de l’accord litigieux au droit de l’Union européenne.
9. Il résulte d’une jurisprudence établie de la Cour de cassation que, lorsqu’une différence de traitement entre salariés relève de celles qui sont présumées justifiées, ainsi que c’est le cas lorsqu’elles sont opérées entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. En revanche, lorsqu’une différence de traitement ne relève pas de celles qui sont présumées justifiées, elle ne peut être pratiquée entre des salariés placés dans la même situation au regard de l’avantage litigieux que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence. Il résulte, de même, d’une jurisprudence établie que, pour l’attribution d’un avantage particulier, une différence de statut juridique entre des salariés placés dans une situation comparable au regard de cet avantage ne suffit pas, à elle seule, à exclure l’application du principe d’égalité de traitement.
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les salariés titulaires d’un » contrat d’intervention à durée déterminée » au sein des entreprises exerçant des activités d’accueil événementiel, d’animation commerciale et d’optimisation linéaire, c’est-à-dire ceux qui relèvent de la » catégorie objective » définie par l’avenant du 25 septembre 2015, qui sont soumis à une cotisation proportionnelle au nombre d’heures de travail effectuées, seraient placés, au regard de l’objectif poursuivi par le régime de couverture complémentaire de leurs frais de santé institué par l’accord du même jour, dans une situation différente de celle de l’ensemble des autres salariés de la branche titulaires de contrats à durée déterminée, notamment de ceux qui effectuent des missions d’accueil en entreprise de très courte durée et qui sont pour leur part soumis à une cotisation mensuelle globale forfaitaire, dès la première heure travaillée et quelle que soit la durée de leur travail effectif pendant le mois. Il n’en ressort pas davantage, alors que la » catégorie objective » de salariés au bénéfice de laquelle l’accord du 25 septembre 2015 et son avenant du même jour instaurent ainsi une différence de traitement en matière de cotisations ne constitue pas, contrairement à ce qui est soutenu en défense, une » catégorie professionnelle » susceptible de se voir appliquer la présomption de justification résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation mentionnée au point 9, que la différence de traitement ainsi prévue, tenant non aux conditions effectives d’exercice des tâches, mais exclusivement à la nature des contrats à durée déterminée en cause, selon qu’ils sont conclus en raison d’un usage constant dans le secteur considéré, en vertu du 3° de l’article L. 1242-2 du code du travail, ou pour un autre motif, reposerait sur des raisons objectives réelles et pertinentes. Par suite, il apparaît manifestement que la contestation relative à la validité sur ce point de l’accord du 25 septembre 2015 et de son avenant du même jour peut être accueillie par le Conseil d’Etat, saisi de la légalité des arrêtés prononçant leur extension.
11. Il résulte de ce qui précède que le syndicat requérant est fondé à demander l’annulation des arrêtés attaqués en tant seulement qu’ils étendent les stipulations de cet accord et de son avenant du même jour régissant la situation des salariés en contrats à durée déterminée ou en » contrats d’intervention à durée déterminée « , qui sont divisibles de leurs autres stipulations.
Sur les conséquences de l’illégalité des arrêtés attaqués :
12. L’annulation rétroactive des arrêtés attaqués en tant qu’ils étendent les stipulations de l’accord du 25 septembre 2015 et de son avenant du même jour régissant la situation des salariés en contrats à durée déterminée ou en » contrats d’intervention à durée déterminée » serait à l’origine de graves inconvénients pour les droits, en matière de protection complémentaire, des salariés titulaires de tels contrats exerçant leur activité dans la branche. Elle aurait ainsi, dans les circonstances de l’espèce, des conséquences manifestement excessives. Dans ces conditions, il y a lieu de disposer que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les effets de ces arrêtés pour les salariés dont les contrats de travail sont en cours ou achevés à la date de la présente décision doivent être réputés définitifs.
Sur les frais exposés par les parties à l’occasion du litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement au Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de ce syndicat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l’essentiel.
D E C I D E :
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Article 1er : Les productions enregistrées sous le n° 396835 seront rayées du registre du secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat pour être jointes à la requête n° 396837.
Article 2 : L’arrêté du 24 décembre 2015 portant extension de l’accord du 25 septembre 2015 relatif à la mise en place d’un régime frais de santé dans la branche des prestataires de services dans le domaine tertiaire et l’arrêté du 24 décembre 2015 portant extension de l’avenant indivisible du 25 septembre 2015 à cet accord sont annulés en tant qu’ils s’appliquent à des salariés embauchés en contrat à durée déterminée ou en » contrat d’intervention à durée déterminée « . Toutefois, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les effets de ces arrêtés pour les salariés dont les contrats de travail sont en cours ou achevés à cette date doivent être réputés définitifs.
Article 3 : L’Etat versera au Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le Syndicat national des organisateurs et réalisateurs d’actions promotionnelles et commerciales (SORAP), les Services intégrés du secrétariat et des télé-services (SIST), le Syndicat national des professionnels de l’hébergement (SYNAPHE), le syndicat des professionnels des centres de contact (SP2C), la Fédération nationale de l’information d’entreprise, de la gestion de créance et de l’enquête civile (FIGEC), la Chambre nationale des entreprises de traduction (CENT) et la Fédération » Communication Conseil Culture » (F3C CFDT) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête du Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national des prestataires de services d’accueil et services d’animation et de promotion des ventes, d’optimisation des linéaires (SNPA), à la ministre des affaires sociales et de la santé, au Syndicat national des organisateurs et réalisateurs d’actions promotionnelles et commerciales (SORAP), premier dénommé, pour l’ensemble des défendeurs ayant présenté un mémoire commun avec ce syndicat, et à la Fédération » Communication Conseil Culture » (F3C CFDT).
Copie en sera adressée au Syndicat national des cabinets de recouvrement de créance et renseignement, à la Fédération nationale de l’encadrement du commerce et des services, à la CFTC-CSFV, à la Fédération des sociétés d’études, à la FEC-FO et à B2V Prévoyance.