Vu LA REQUÊTE présentée pour le sieur de Robert Lafrégeyre, demeurant à Tanaoarive (Madagascar)…, et tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler en tous les chefs qui lui font grief, l’arrêté en date du 16 juin 1914 par lequel le conseil du contentieux administratif de la colonie de Madagascar et dépendances, lui a alloué une indemnité qu’il estime insuffisante à raison de la rupture du contrat d’engagement intervenu entre la commune et lui;
Vu (les décrets des 5 août 1881, 7 sept. 1881, 12 nov. 1902; 22 juill. 1806; la loi du 24 mai 1872; les art. 1153 et 1154 du Code civil);
CONSIDÉRANT que le sieur de Robert Lafrégeyre demande au Conseil d’Etat de lui allouer, pour la rupture du contrat qui le liait à la colonie de Madagascar, une indemnité plus élevée que celle que lui a accordée l’arrêté attaqué; que cette colonie conclut au rejet de la requête, et, par la voie du recours incident, à la réformation dudit arrêté, en tant qu’il l’a condamnée à payer au sieur de Robert Lafrégeyre des dommages-intérêts qu’elle estime ne pas lui être dûs, ainsi qu’à la condamnation du sieur de Robert Lafrégeyre à lui rembourser la somme de 5.903 fr. 33 payée en vertu de la décision du conseil du contentieux administratif; qu enfin le sieur de Robert Lafrégeyre a opposé au recours incident une fin de non-recevoir tirée de l’acquiescement qu’aurait donné la colonie à l’arrêté qu’elle critique aujourd’hui devant le Conseil d’Etat;
Sur la compétence : — Cons. que, eu égard au caractère des fonctions de direction auxquelles le sieur de Robert de Lafrégeyre a été appelé par arrêté du gouverneur général de la colonie de Madagascar, les difficultés soulevées entre la colonie et le requérant touchant les droits résultant pour ce dernier du contrat qui le liait à la colonie sont de celles sur lesquelles il appartient à la juridiction administrative de statuer et que, s’agissant de fonctions publiques coloniales, le conseil du contentieux administratif de Madagascar était compétent pour en connaître ;
Sur la recevabilité du recours incident : — Cons. qu’aux termes de l’art. 3 du décret du 22 juill. 1906 et de l’art. 24 de la loi du 24 mai 1872, le recours devant le Conseil n’est pas suspensif; qu’en conséquence, le fait, par la colonie de Madagascar, d’avoir acquitté sans réserves tout ou partie des condamnations prononcées par le conseil du contentieux administratif ne saurait être regardé comme un acte d’exécution volontaire; que, même si la colonie a consenti la prolongation du délai fixé par l’arrêté attaqué pour rembarquement comportant gratuité de transport du requérant, cette mesure, qui ne constitue un acquiescement à aucun chef dudit arrêté, n’est pas davantage de nature à faire obstacle à la recevabilité du recours incident ;
Au fond, sur les conclusions tant du recours principal que du recours incident : — Cons. qu’il résulte de la correspondance échangée fin 1905 et en 1906 entre le représentant légal de la colonie et le sieur de Robert Lafrégeyre. que ce dernier a accepté de se mettre à la disposition de la colonie’pour exercer, aux conditions de traitement, de durée de séjour et de congé à lui proposées par la colonie, non pas une fonction déterminée, mais d’une manière générale une fonction de direction afférente à l’exploitation du chemin de fer; qu’il a été, en conséquence de cet accord, nommé, aux conditions convenues, par arrête du gouverneur général du 8 juill. 1906, chef des services de l’exploitation de ce chemin de fer, puis, dans les mêmes formes, à la suite de la division, par voie réglementaire, des services de l’exploitation du chemin de fer, chef de l’un de ces services qui a été successivement le service de l’exploitation (mouvement et trafic), le service de l’exploitation (trafic), enfin le service de l’exploitation commerciale;
Cons. que, par arrêté réglementaire du gouverneur général de Madagascar en date du 25 déc. 1913, réorganisant les services de l’exploitation du chemin de fer de Tananarive à la Côte Est, l’administration du chemin de fer a été divisée en six services distincts, parmi lesquels celui de la recette principale, dont l’ensemble était placé sous les ordres d’un fonctionnaire du cadre général des travaux publics, portant le titre de chef des services de l’exploitation, et qu’à la suite de cette réorganisation, un arrêté du gouverneur général du 7 janv. 1914 a nommé le sieur de Robert Lafrégeyre receveur principal du chemin de fer.
Cons. que, d’une part, le sieur de Robert Lafrégeyre n’est pas recevable à se plaindre de la suppression de l’emploi de chef de service de l’exploitation commerciale, qui est résultée implicitement de la réforme introduite, ainsi qu’il vient d’être dit, dans l’organisation du chemin de fer, et que le gouverneur général avait le droit de réaliser; que, d’autre part, la nomination du requérant aux fonctions de chef de service de la recette principale n’a pas été faite en violation des engagements pris par la colonie à son égard ; qu’en effet, la fonction à laquelle il a été ainsi appelé constituait une fonction de direction de la nature de celles dans lesquelles la colonie s’était engagée à utiliser ses services; qu’il n’est même pas allégué que le traitement que le requérant devait recevoir en sa nouvelle qualité fût inférieur à celui qu’il avait stipulé dans son contrat, et qu’il n’est pas, au surplus, établi que la colonie ne lui eût pas maintenu le traitement dont il jouissait avant le 7 janv. 1914, s’il avait accepté le poste auquel il a été nommé à cette date; que, dès lors, le sieur de Robert Lafrégeyre n’est pas fondé à prétendre que la colonie de Madagascar n’a pas rempli toutes les obligations dont elle était tenue envers lui;
Cons. qu’il résulte de tout ce qui précède qu’en refusant le poste qui lui était offert, le sieur de Robert Lafrégeyre a, tout à la fois, renoncé à son emploi et rompu l’engagement qui le liait à la colonie; que, par suite, il ne peut réclamer aucune indemnité, qu’il y a lieu, en conséquence, faisant droit au recours incident, d’annuler l’arrêté attaqué et de décider que le sieur de Robert Lafrégeyre remboursera à la colonie de Madagascar la somme de 5.903 fr. 33 que celle-ci justifie lui avoir payé en exécution dudit arrêté;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts : — Cons. que la colonie a payé sans y être contrainte la somme de 5.903 fr. 33; que, dès lors, les intérêts de cette somme doivent courir à son profit à partir du 25 fevr. 1918, date du recours incident; qu’il y a lieu, en outre, par application de l’art. 1154 du Code civil de faire’droit aux demandes des intérêts des intérêts qu’elle a présentées les 26 mars 1920 et 11 août 1921, et de rejeter les conclusions tendant aux mêmes fins présentées le 8 déc. 1921, une année entière ne s’étant pas écoulée depuis la dernière capitalisation des intérêts;
Sur les dépens de première instance : — Cons. que les dépens exposés devant le conseil du contentieux administratif doivent être supportés par le sieur de Robert Lafrégeyre qui succombe devant le Conseil d’Etat;… (Requête rejetée; arrêté annulé; le sieur de Robert Lafrégeyre remboursera à la colonie de Madagascar la somme de 5.903 fr. 33, avec les intérêts de ladite somme à partir du 25 avr. 1918; les intérêts seront capitalisés les 26 mars 1920 et 11 août 1921 pour porter eux-mêmes intérêts; surplus des conclusions de la colonie de Madagascar rejeté; dépens, y compris ceux exposés devant le conseil du contentieux administratif, mis à la charge du sieur de Robert Lafrégeyre).