Si les personnes publiques disposent d’un large choix aux fins de déterminer les modes de gestion d’un service public, les « lois de Rolland » demeurent normalement communes à l’ensemble des activités indépendamment du choix opéré à ce titre.
La commune de Propriano avait délégué à une société de droit privé, la société Yacht club international de Valinco, le service public constitué par la construction et l’exploitation de son port de plaisance. Cependant, ladite délégation sera résiliée, pour faute du cocontractant, le 4 septembre 2007 (Sur le contentieux lié à cette résiliation : cf. CAA Marseille, 13 février 2012, Sté Yacht Club international du Valinco, n° 08MA05289), la commune reprenant dès lors l’exploitation de ce service public en régie.
Néanmoins, M. L., en sa qualité d’usager, avait souscrit le 14 octobre 2003 un contrat avec le délégataire aux termes duquel il devait bénéficier d’un anneau privatif dans ce port. La commune va refuser d’honorer ce contrat et le litige sera porté devant le Tribunal administratif de Bastia afin que la commune soit condamnée à lui verser une somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts. Par un jugement du 24 mars 2011, les premiers juges vont rejeter cette demande (TA Bastia, 24 mars 2011, M. L., n° 10‑00201) et la Cour administrative d’appel de Marseille sera saisie. Cette dernière fera partiellement droit aux conclusions de M. L. en lui allouant une somme en principal de 55 000 euros par un arrêt du 5 mars 2013 (CAA Marseille, 5 mars 2013, M. L., n° 11MA02033, obs. Fl. Linditch JCP (A) 2013.2334). La commune se pourvoira alors devant le Conseil d’État qui, par une décision de Section du 19 décembre 2014, va annuler cet arrêt et rejeter les conclusions d’appel présentées par M. L.
La Haute juridiction a statué dans une formation solennelle afin de déterminer dans quelles conditions un contrat souscrit avec un délégataire de service public pouvait se transmettre au nouvel exploitant en vertu du principe de continuité du service public.
1°) Le Parlement n’a pas expressément déterminé le sort des contrats conclu avec un délégataire de service public lorsque le gestionnaire de celui-ci change bien qu’il existe diverses exceptions législatives de portée variable.
En premier lieu, et la décision du 19 décembre 2014 y fait directement écho, l’article L.1224‑1 du code du travail (Anciennement article L.122‑12 de l’ancien code du travail) dispose qu’en cas de cession, transmission ou de modification dans la nature d’un employeur, les contrats de travail sont, de plein droit, transférés au nouvel employeur.
Ces dispositions sont parfaitement applicables aux services publics à caractère industriel et commercial, puisque leurs agents relèvent normalement du droit privé (Cass. Soc., 2 mars 1999, Bull. Civ. V n° 86) : les agents deviennent en ce cas salariés du nouveau délégataire de service public (Cass. Soc., 27 février 1934, DH 1934 p. 252).
Le législateur est néanmoins intervenu pour adapter cette logique aux services publics à caractère administratif, dont les agents sont de droit privé lorsque l’employeur l’est également (CE, 26 janvier 1923, De Robert Lafrégeyre, Rec. p. 67, GAJA n° 38) et de droit public sinon (TC, 25 mars 1996, Berkani, Rec. p. 535). Toutefois, ces dispositions n’étaient originellement pas applicables aux salariés d’un service public à caractère administratif qui était repris en régie par une personne publique (Cass. Soc., 7 février 1980, Bull. Civ. V n° 115) jusqu’à ce que le Conseil d’État fasse évoluer la jurisprudence (CE Sect., 22 octobre 2004, Lamblin, Rec. p. 382) sur ce point, ce qui soulevait de nombreuses difficultés pratiques, mais tendait à mettre en œuvre le droit communautaire (Directive n° 77/187/CEE du 14 février 1977). Le Parlement a récemment imposé, en pareilles circonstance, la conclusion d’un nouveau contrat administratif au profit de ses agents reprenant les principales clauses antérieurement souscrites dans un contrat de droit privé (Article L.1224‑3 du code du travail).
En second lieu, et ce point n’était pas ici en cause mais peut se retrouver présent dans les services public à caractère industriels, la cession d’un fonds de commerce est de nature à imposer le transfert du contrat de bail qui y est attaché (Cass. Com., 30 octobre 1984, Bull. civ. IV n° 292).
Enfin, en troisième et dernier lieu, le législateur peut prévoir la continuité contractuelle à l’occasion des opérations de nationalisation ou de privatisation (Par exemple : cf. article 6 de la loi n° 46‑628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz) ou lors de la création d’un exploitant public (Articles 22 et 44 de la loi n° 90‑658 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications).
2°) Le Conseil d’État avait admis, dans l’entre deux guerres, la possibilité qu’un rachat de concession pouvait prévoir la transmission des obligations du concessionnaire à la collectivité publique qui reprenait, à ce titre, l’exploitation en régie du service. Mais ces solutions, anciennes bien que toujours applicables, n’étaient que partiellement topiques ici.
Dans une première affaire, relative au service public de distribution des eaux de la ville de Toulon (CE, 16 juin 1922, Compagnie générale des eaux c. Ministre de la Marine et Ville de Toulon, n° 66707 et 67094, Rec. p. 521), la convention de rachat avait expressément prévu le transfert des droits et obligations du concessionnaire. Le Conseil d’État va alors juger que les contrats conclus avec des tiers, en leur qualité d’usagers, se devaient alors d’être assumés sauf si la commune démontrait « que la compagnie a pris des engagements qu’une interprétation raisonnable de son traité de concession ne lui permettait pas de prendre ». Autrement dit, le nouvel exploitant du service public peut ainsi exciper de la nullité du contrat conclu avec l’usager en question pour s’y soustraire.
Dans une seconde affaire, liée au même service public mais dans la ville de Lyon (CE, 24 mars 1926, Compagnie générale des eaux c. Ville de Lyon, n° 79424, Rec. p. 327), le Conseil d’État va juger que la commune se devait d’être informée d’une convention particulière qui dérogerait aux règles prévues par les actes de concession tant dans leur contenu que dans leur durée, faute de quoi ladite convention particulière était inopposable à la ville.
Il résulte de ces jurisprudences qu’un contrat passé avec un délégataire de service public se doit d’être honoré par une personne publique reprenant l’exploitation d’un contrat en régie lorsque celui-ci était conforme aux actes de concession, suivant une interprétation « raisonnable » de ces derniers (Ce qui est une manière de conférer au concessionnaire une relative autonomie sur certains points), ou lorsque la puissance publique délégante avait agréé à leurs termes. C’est en réalité une simple conséquence sur le plan contractuel du devoir de surveillance de l’administration sur son cocontractant (G. Eckert, « Les pouvoirs de l’administration dans l’exécution du contrat et la théorie générale des contrats administratifs », Contrats et marchés publics, n° 10‑2010 étude n° 9) : le contrat « anormal » ou « atypique » se doit d’être l’objet d’une information auprès de la puissance publique (On songe ici aux rapports annuels de gestion que le délégataire est tenu de fournir au délégant en vertu de l’article L.1411‑3 du code général des collectivités territoriales) afin qu’elle puisse, le cas échéant, manifester son opposition.
3°) Au cas présent, la problématique était quelque peu différente puisque la délégation avait été résiliée pour faute au détriment du cocontractant. Toutefois, l’article 54 de la convention de délégation prévoyait qu’en cas de déchéance, « le concessionnaire est tenu de se substituer au délégataire pour l’exécution des engagements normalement pris par celui-ci vis-à-vis des tiers pour l’achèvement des travaux et l’exploitation », ces dispositions ayant un caractère réglementaire et, par suite, sont opposables aux usagers (S. Nicinski, L’usager du service public industriel et commercial, L’Harmattan, 2001 p. 170 et s).
Si, en vertu du principe de continuité du service public (CC, 25 juillet 1979, « Droit de grève à la radiotélévision », n° 79‑105 DC ; CE, 18 juillet 1913, Syndicat national des chemins de fer de France et des colonies, Rec. p. 875), les activités ordinaires de ce service public à caractère administratif se devaient d’être maintenue, la Section du contentieux avait à déterminer si les solutions adoptées en 1922 et 1926 pouvaient être systématisées à toute succession d’opérateur de service public. Une telle solution est nécessaire et fondamentale dans la mesure où le droit communautaire impose, de manière accrue, de régulières mises en concurrence en la matière ce qui a pour conséquence que les successions entre délégataires ou opérateurs publics ne peuvent que se multiplier.
La rédaction de l’arrêt commenté renvoie ici aux solutions adoptées avant-guerre puisqu’il est précisé qu’en l’absence de dispositions législatives, la personne publique reprenant l’exploitation d’un service public en régie du fait d’une résiliation, se substitue de plein droit à son ancien cocontractant pour toutes les conventions conclues pour l’exécution de la mission de ce service. Il est cependant émis deux réserves d’importance à ce transfert.
La première réserve porte sur les contrats « anormaux » qui ne sont pas opposables et transférables à la personne publique sauf si elle a accepté leur conclusion.
La seconde porte sur les dettes et créances liées à des contrats conclus avec des usagers du service ou des tiers pour la période antérieure au transfert. Ceci implique que le cocontractant peut être amené à s’acquitter de paiement sans que les tiers puissent se retourner vers la collectivité délégante. Si la sauvegarde des deniers publics peut aisément justifier cette solution, on peut légitimement s’interroger sur ses conséquences lorsque la créance portera sur des travaux et ouvrages dont la collectivité a la propriété (« biens de retour » ou autres) ce qui pourrait soulever la question de l’enrichissement sans cause.
Au cas présent, on notera que le raisonnement opéré sur le fond porte sur deux points. Si le délégataire pouvait légalement pallier aux lacunes de l’acte de délégation, en s’inspirant des tarifications prévues pour les bateaux de 12 et 14 mètres, afin de déterminer la tarification applicable aux bateaux de 13 mètres, tel n’est pas le cas de l’attribution d’un anneau privatif alors qu’il n’était prévu qu’un accès banalisé et non privatif à des zones portuaires. Par voie de conséquence, le contrat conclu par M. L. ne pouvait être admis par la commune en l’absence d’accord de cette dernière.
4°) Si la solution rendue par cette décision de principe a le mérite de clarifier, en l’absence de texte législatif, les conditions de la continuité contractuelle en cas de transfert de gestion d’un service public, elle fait apparaître des lacunes.
D’abord, comme la société Yacht club international du Valinco ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du 10 décembre 2012 (BODACC n° 249 A p. 97), il est peu probable que l’usager ainsi débouté ait une quelconque chance d’être indemnisé du préjudice subi. Or s’agissant d’un service public à caractère administratif, la confiance des usagers –en l’absence d’une quelconque concurrence- se doit d’être la règle.
Ensuite, tous les contrats souscrits par des usagers ont été repris par la commune sauf celui de M. L. ce qui n’est pas soulever des interrogations légitimes. On sait que la situation des tiers ne peut être admise dans un contentieux de la légalité comme justifiant un traitement identique lorsqu’il est illégal, mais que cela pourrait justifier une indemnisation à la charge du délégataire ayant commis l’illégalité en violation des actes de délégations.
Enfin, si le droit civil admet largement le transfert de contrats et de créances entre personnes se succédant dans une même activité (L. Aynès, La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, Économica, 1984, 272 p), les particularismes du droit administratif, peuvent justifier certains aménagements, notamment au titre du pouvoir de direction et de contrôle de puissance publique. Il est regrettable que, compte tenu des multiples interventions du législateur, ce dernier n’ait pas souhaité encadrer plus précisément les effets d’une telle reprise d’exploitation d’un service public local.