Conseil d’État
N° 393805
ECLI:FR:CECHR:2016:393805.20160630
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
2ème – 7ème chambres réunies
M. Clément Malverti, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
lecture du jeudi 30 juin 2016
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 septembre 2015 et 6 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le syndicat des compagnies aériennes autonomes demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le contrat de régulation économique conclu le 31 août 2015 entre l’Etat et la société Aéroports de Paris en tant qu’il détermine, sur la période 2016-2020, le plafond du taux moyen d’évolution des principales redevances aéroportuaires pour services rendus ainsi que la décision du directeur général de l’aviation civile de signer ce contrat ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat et de la société Aéroports de Paris la somme de 8 000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 ;
– le code des transports ;
– le code de l’aviation civile ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Clément Malverti, auditeur,
– les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 6325-2 du code des transports : » Pour Aéroports de Paris et pour les autres exploitants d’aérodromes civils relevant de la compétence de l’Etat, des contrats pluriannuels d’une durée maximale de cinq ans conclus avec l’Etat déterminent les conditions de l’évolution des tarifs des redevances aéroportuaires, qui tiennent compte, notamment, des prévisions de coûts, de recettes, d’investissements ainsi que d’objectifs de qualité des services publics rendus par l’exploitant d’aérodrome. Ces contrats s’incorporent aux contrats de concession d’aérodrome conclus par l’Etat./ En l’absence d’un contrat pluriannuel déterminant les conditions de l’évolution des tarifs des redevances aéroportuaires, ces tarifs sont déterminés sur une base annuelle dans des conditions fixées par voie réglementaire. » ; qu’en application de ces dispositions, l’Etat et la société Aéroports de Paris ont signé le 31 août 2015 un contrat de régulation économique, pour la période 2016-2020, qui fixe le plafond du taux moyen d’évolution des principales redevances aéroportuaires et détermine les objectifs de qualité de service et de productivité d’Aéroports de Paris ; que le syndicat des compagnies aériennes autonomes demande l’annulation pour excès de pouvoir de ce contrat en tant qu’il détermine, sur la période 2016-2020, le plafond du taux moyen d’évolution des principales redevances aéroportuaires pour services rendus ainsi que la décision du directeur général de l’aviation civile de signer ce contrat ;
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la société Aéroports de Paris :
2. Considérant qu’indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ; qu’il en résulte que des conclusions d’excès de pouvoir d’un tiers contre ces actes détachables du contrat sont irrecevables ;
3. Considérant que la requête présentée par le syndicat des compagnies aériennes autonomes doit être regardée comme tendant à l’annulation pour excès de pouvoir, d’une part, des clauses réglementaires du contrat de régulation économique signé le 31 août 2015 entre l’Etat et la société Aéroports de Paris, pour la période 2016-2020, relatives aux conditions d’évolution des tarifs de redevances aéroportuaires, et, d’autre part, de la décision du directeur général de l’aviation civile de signer ce contrat ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point 2 que si les conclusions d’excès de pouvoir dirigées contre ces clauses réglementaires sont recevables, les conclusions d’excès de pouvoir dirigées contre l’acte détachable du contrat sont, en revanche, irrecevables ; que celles-ci doivent, par suite, être rejetées ;
En ce qui concerne la régularité de la procédure d’élaboration des clauses réglementaires du contrat de régulation économique :
4. Considérant, en premier lieu, que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article R. 224-3-2 du code de l’aviation civile : » L’autorité de supervision indépendante, au sens de la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, est la direction du transport aérien de la direction générale de l’aviation civile. Elle a notamment pour missions d’homologuer les tarifs des redevances mentionnées à l’article R. 2204-2 et, le cas échéant, leurs modulations, ainsi que les éventuels accords de qualité de service mentionnés à l’article R. 224-3. Elle intervient dans l’élaboration des contrats prévus à l’article L. 6325-2 du code des transports selon les modalités précisées dans le présent article (…) » ; que le II de l’article R. 224-4 de ce code prévoit que dans un délai d’un mois suivant la publication du dossier soumis à la consultation publique prévue par cet article, » les usagers et les autres parties intéressées adressent leurs observations à l’autorité de supervision indépendante mentionnée au I du présent article, au ministre chargé de l’aviation civile, et à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. L’autorité de supervision indépendante mentionnée au I du présent article communique ces observations à l’exploitant d’aérodrome (…). Dans le cadre de la préparation des contrats, l’exploitant d’aérodrome transmet à l’autorité de supervision indépendante mentionnée au I du présent article, au ministre chargé de l’aviation civile et au président de la commission consultative aéroportuaire, à leur demande, tout élément permettant d’évaluer l’impact économique et financier susmentionné, y compris le plan d’affaires, sous format électronique modifiable avec accès aux formules et aux données, permettant à l’exploitant d’aérodrome d’établir sa proposition d’évolution des tarifs des redevances (…) » ;
6. Considérant que par une décision du 29 avril 2015, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a jugé que la désignation de la direction du transport aérien de la direction générale de l’aviation civile du ministère chargé des transports comme autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires était incompatible avec les objectifs de l’article 11 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 en relevant que toutes les garanties n’avaient pas été mises en place pour que soit assurée son indépendance par rapport aux compagnies aériennes et aux entités gestionnaires d’aéroports ; que le syndicat requérant soutient que la procédure ayant précédé la signature du contrat litigieux est dès lors entachée d’irrégularité dans la mesure où aucune autorité de supervision indépendante, au sens de la directive du 11 mars 2009, n’est intervenue dans l’élaboration du contrat ;
7. Considérant néanmoins que les dispositions du II de l’article R. 224-4 du code de l’aviation civile prévoient uniquement que cette autorité de supervision indépendante, dans le cadre de l’élaboration des contrats de régulation économique, recueille des données de l’exploitant d’aérodrome et transmet à celui-ci les observations des parties intéressés ; qu’il ressort de l’instruction que le syndicat requérant, regroupement de compagnies aériennes, a pu faire valoir ses observations à la fois lors de la consultation publique qui s’est déroulée entre le 20 janvier et le 7 mars 2015 et devant la commission consultative aéroportuaire ; que l’Etat et Aéroports de Paris disposaient ainsi de ces observations avant de conclure leur contrat de régulation économique ; que dès lors, la circonstance que la direction du transport aérien de la direction générale de l’aviation civile ne présente pas des garanties d’indépendance compatibles avec les exigences de la directive du 11 mars 2009 n’est pas de nature à avoir privé le syndicat requérant d’une garantie ni à avoir exercé une influence sur le contenu des clauses réglementaires du contrat de régulation économique ; que, par suite, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure ayant précédé la signature du contrat de régulation économique doit être écarté ;
8. Considérant, en second lieu, que si les paragraphes 3 et 4 de l’article 6 de la directive du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires prévoient la mise en place par les Etats membres d’une voie de contestation préalable des décisions relatives aux redevances aéroportuaires devant l’autorité de supervision indépendante, le paragraphe 5 de cet article dispose qu' » un État membre peut décider de ne pas appliquer les paragraphes 3 et 4, en ce qui concerne des modifications du niveau ou de la structure des redevances aéroportuaires, aux aéroports pour lesquels (…) il existe, dans le droit national, une procédure obligatoire en vertu de laquelle les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal sont déterminés ou approuvés par l’autorité de supervision indépendante (…) » ;
9. Considérant que l’article R. 224-3-2 du code de l’aviation civile prévoit que » l’autorité de supervision indépendante, au sens de la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, (…) a notamment pour missions d’homologuer les tarifs des redevances mentionnées à l’article R. 224-2 et, le cas échéant, leurs modulations, ainsi que les éventuels accords de qualité de service mentionnés à l’article R. 224-3 (…) » ; que le III de l’article R. 224-4 de ce code précise que » les tarifs des redevances et, le cas échéant, leurs modulations ainsi que les éventuels accords de qualité de service mentionnés à l’article R. 224-3 sont réputés homologués et deviennent exécutoires pour la période tarifaire considérée dans les conditions fixées au V de l’article R. 224-3 à moins que l’autorité de supervision indépendante mentionnée au I du présent article n’y fasse opposition dans un délai d’un mois suivant la réception de la notification, en cas de manquement aux règles générales applicables aux redevances ou aux stipulations du contrat » ; qu’il ressort de ces dispositions que la France a prévu une procédure d’approbation des tarifs des redevances aéroportuaires fixés pour chaque période tarifaire par Aéroports de Paris et les exploitants d’aérodromes de l’Etat ; que le contrat litigieux, s’il fixe le plafond du taux moyen d’évolution des redevances, ne remet pas en cause l’approbation des tarifs fixés par Aéroports de Paris pour chaque période annuelle ; que, compte tenu de cette procédure d’approbation, la France n’était pas tenue, en vertu du paragraphe 5 de l’article 6 de la directive 2009/12/CE, de prévoir une voie de contestation préalable devant l’autorité de supervision indépendante des décisions de l’entité gestionnaire d’aéroport relatives au niveau ou la structure des redevances aéroportuaires ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d’élaboration du contrat de régulation économique prévue par le code de l’aviation civile méconnaîtrait les objectifs fixés par les paragraphes 3 et 4 de l’article 6 de la directive ne peut qu’être écarté ;
En ce qui concerne les autres moyens de la requête :
10. Considérant qu’aux termes du II de l’article R. 224-4 du code de l’aviation civile : » (…) c) Le ministre chargé de l’aviation civile saisit la commission consultative aéroportuaire mentionnée à l’article L. 228-1 ; la commission consultative aéroportuaire auditionne notamment la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; l’avis de la commission est rendu public par ce même ministre ;/ d) Sur la base des éléments ci-dessus, le contrat est négocié entre l’Etat et l’exploitant d’aérodrome (…) » ; qu’en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires les y obligeant, l’Etat et la société Aéroports de Paris n’étaient pas tenus de suivre cet avis de la commission consultative aéroportuaire ; que, par suite, la seule circonstance que le contrat de régulation économique fixe un coût moyen pondéré du capital ainsi que des taux plafonds d’augmentation des redevances aéroportuaires différents de ceux retenus par la commission consultative aéroportuaire n’est pas de nature à entacher celui-ci d’une erreur manifeste d’appréciation ; qu’il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que le coût moyen pondéré du capital et les taux plafonds d’augmentation des redevances aéroportuaires retenus par le contrat de régulation économique soient entachés d’erreurs manifestes d’appréciation ;
11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la requête du syndicat des compagnies aériennes autonomes doit être rejetée ;
12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat et de la société Aéroports de Paris, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du syndicat des compagnies aériennes autonomes la somme de 1 500 euros à verser tant à l’Etat qu’à la société Aéroports de Paris ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du syndicat des compagnies aériennes autonomes est rejetée.
Article 2 : Le syndicat des compagnies aériennes autonomes versera à l’Etat et à la société Aéroports de Paris la somme de 1 500 euros chacun au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat des compagnies aériennes autonomes, à la société Aéroports de Paris et à la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.