Chapitre deux – Sanction du principe de légalité
503.- Un contrôle qui ne relève pas exclusivement du juge administratif.- Le contrôle de légalité des actes administratifs unilatéraux peut être opéré par différents juges et dans le cadre de différentes procédures.
Ce contrôle peut, dans certaines hypothèses, être mis en œuvre par le juge judiciaire. Tel est cas, en particulier, du juge répressif qui est compétent, selon les dispositions de l’article L. 111-5 du Code pénal, pour interpréter et apprécier la légalité des actes administratifs règlementaires ou non « lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui lui est soumis » (V. sur les hypothèses de compétence du juge judiciaire pour juger l’administration infra Troisième partie, Chapitre deux, Section deux).
504.- Un contrôle qui ne se limite pas au recours pour excès de pouvoir.- Cependant, c’est le juge administratif qui demeure le juge « naturel » de la légalité des actes administratifs unilatéraux. Ce contrôle peut d’abord être opéré dans le cadre de l’examen d’une exception d’illégalité, dans celui – rarissime – d’un recours en déclaration d’inexistence- ou dans les contentieux objectifs de pleine juridiction. Toutefois, c’est le recours pour excès de pouvoir, qui a été principalement créé à cette fin, qui demeure le principal moyen de contestation de la légalité des actes administratifs unilatéraux. Se pose alors la question des cas d’ouverture de ce recours et celui de l’étendue du contrôle juridictionnel.
Section I – Cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir
505 .- Classification des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir.- Selon la classification établie par Laferrière (Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2ème éd.1887, t. 2, p. 496 et s.), les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir peuvent être répartis en quatre catégories, qui se regroupent au sein de deux causes juridiques qui relèvent, l’une, de la légalité externe, l’autre, de la légalité interne de l’acte.
Cette distinction est importante puisque le débat juridique ouvert par le demandeur est cristallisé à la date à laquelle le délai de recours contentieux a expiré. Les conclusions présentées après l’expiration du délai de recours contentieux sont donc en principe irrecevables. De même, le juge doit rejeter comme irrecevables les moyens nouveaux présentés après l’expiration du délai de recours contentieux. Cependant, seuls les moyens tirés d’une cause juridique nouvelle seront déclarés irrecevables (CE Sect., 20 février 1953, Société Intercopie, requête numéro 9772 : Rec., p. 88 ; S. 1953, III, p. 77, note M. L.- V. également CE, 31 mars 2017, Durudaud, requête numéro 399123) à l’exception des moyens d’ordre public. Ainsi, le requérant aura tout intérêt à soulever, à l’appui de sa requête, dans le délai de recours contentieux, au moins un moyen de légalité externe et un moyen de légalité interne pour ne pas s’interdire la possibilité de soulever de nouveaux moyens relevant de l’une ou l’autre de ces causes juridiques avant la clôture de l’instruction.
§I – Moyens touchant à la légalité externe de l’acte attaqué
506.- Eléments contrôlés.- L’examen de la légalité externe porte d’abord sur l’incompétence de l’auteur de l’acte, qui constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par les juges. Les juges recherchent également la présence d’un vice de procédure et d’un vice de forme, qui ne constituent pas des moyens d’ordre public, et qui doivent donc être soulevés par les parties.
I – Incompétence
507.- Les différents types d’incompétence.- Le juge de l’excès de pouvoir sanctionne les trois types d’incompétence qui peuvent entacher d’illégalité un acte administratif : l’incompétence ratione materiae, l’incompétence ratione loci et l’incompétence ratione temporis (sur ces questions V. infra Quatrième partie, Chapitre un, Section deux).
508.- Assimilation de certains vices de procédure à l’incompétence.- En outre, les juges assimilent à l’incompétence certains vices de procédure, ce qui leur permet de soulever d’office ce moyen. Tel est le cas, notamment, lorsqu’il apparaît que le gouvernement n’a pas respecté l’obligation de décider seulement après avis du Conseil d’Etat, dans les cas où la saisine de cette institution est obligatoire.
A l’origine, dans cette hypothèse, c’est un vice d’incompétence qui était sanctionné par le juge administratif.
Exemple :
– CE Ass., 3 juillet 1998, Syndicat national de l’environnement CFDT, requête numéro 177248, requête numéro 177320 requête numéro 177387(Rec., p. 272 ; AJDA 1998, p. 780, chron. Raynaud et Fombeur ; JCP 1999, I, comm. 128, chron. Petit ; RFDA 1998, p. 1059) : lorsqu’un décret comporte la mention « le Conseil d’Etat entendu » et ne précise pas que certaines de ses dispositions pourront être modifiées par décret simple, il ne peut être modifié que par décret en Conseil d’Etat. Les dispositions du décret contesté, lequel est un décret simple qui déroge aux règles fixées par un autre décret en Conseil d’Etat, sont donc entachées d’incompétence.
La légitimité de cette solution était sujette à caution depuis que le Conseil d’Etat, pour des raisons d’impartialité, ne se considère plus comme le coauteur des décisions sur lesquelles il rend un avis (CE, 11 juillet 2007, Union syndicale des magistrats administratifs, Ligue des droits de l’homme et a., requête numéro 30204, requête numéro 302137 : Rec. tables, p. 638). Si l’absence de saisine du Conseil d’Etat, dans les cas où elle est obligatoire en application de l’article L. 111-2 du Code de justice administrative n’est donc plus un vice d’incompétence, elle présente néanmoins la particularité de constituer un vice de procédure qui entache systématiquement d’illégalité l’acte contesté et qui doit être, en raison de sa gravité, soulevé d’office par le juge administratif (CE, 17 juillet 2013, Syndicat national des professionnels de santé au travail, requête numéro 358109, préc.).
509.- Cas d’incompétence négative.- Enfin, il faut relever que les cas d’incompétence négative, qui concernent des hypothèses où une autorité administrative reste en deçà des limites de sa propre compétence (particulièrement si elle considère agir dans le cadre d’une compétence liée alors qu’elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire), sont constitutifs, comme on le verra, d’une erreur de droit.
II – Vice de procédure
510.- Définition.- Il y a vice de procédure lorsque l’auteur d’une décision méconnaît l’une des règles organisant la procédure d’élaboration des actes administratifs.
511.- L’ancienne distinction entre les vices de procédure substantiels et les vices de procédure non substantiels.- Traditionnellement les juges opéraient une distinction entre les vices de procédure substantiels, qui sont sanctionnés, et les vices de procédure non substantiels qui ne sont pas sanctionnés. Cependant, il arrivait que la violation de formalités substantielles n’entraîne pas l’annulation de l’acte contesté dès lors qu’il apparaissait que dans les circonstances de l’espèce l’inobservation de ces formalités n’avait pas eu d’influence sur la décision prise.
Exemple :
– CE, 3 juillet 1998, Association de défense de l’environnement de Saint-Come d’Olt, requête numéro 162464 (Rec., p. 283 ; Droit adm. 1998, 278, obs. L.T. ; RFDA 1998, p. 1060) : le fait que, contrairement à ce qu’exigent les dispositions des articles R.11-14-5 et R.11-14-7 du code de l’expropriation, l’avis publié avant le début de l’enquête ne mentionnait pas les jours et heures auxquels le commissaire enquêteur serait présent dans l’unique mairie d’une commune de 1500 habitants environ concernée par l’enquête est, en l’espèce, resté sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que 64 personnes ont présenté des observations et qu’il n’est pas établi que cette omission ait eu pour conséquence de priver quiconque de la faculté de présenter des observations.
De même, le non-respect d’une règle de procédure n’est pas sanctionné, dès lors que le respect de cette règle s’est avéré impossible au cas d’espèce.
Exemple :
– CE, 29 juillet 1994, Commune de Grand-Bourg-de-Marie-Galante, requête numéro 135097 : si le délai de deux mois imparti au conseil de discipline pour donner son avis n’est pas prescrit à peine de nullité, la carence de ce conseil ne saurait avoir pour effet de priver le maire du pouvoir d’exercer ses attributions en matière disciplinaire.
512.- Critiques de cette distinction.- En dépit de ces aménagements, l’opposition entre formalités non substantielles et formalités substantielles était assez largement critiquée. Selon le vice-président du Conseil d’Etat il convenait de s’interroger sur « la portée de la notion de formalité substantielle : trop d’annulations sont prononcées ou d’exceptions d’illégalité accueillies pour des défauts de consultation d’organismes marginaux ou pour des vices mineurs affectant la composition de l’organisme à consulter ou le déroulement de la consultation » (Courrier du vice-président du Conseil d’Etat du 31 octobre 2008 cité par J.-L Warsmann, Simplifions nos lois pour guérir un mal français, La documentation française 2009, p.35).
513.- L’apport de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011.- L’article 70 de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (JO 11 mai 2011) marque l’abandon de la distinction entre vices de procédure substantiels et vices de procédure non substantiels. Désormais : « lorsque l’autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à une consultation d’un organisme, seules les irrégularités susceptibles d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au sens de l’avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l’encontre d’une décision ».
Ce texte conduit donc le juge à avoir une démarche très concrète qui le conduit à évaluer quelle est l’influence de la règle violée sur la décision qui a été prise. En d’autres termes, cette évolution « place le juge en arbitre subjectif des intentions plutôt qu’en marqueur des irrégularités » (EDCE 2011, p. 126).
514.- Jurisprudence Danthony.- Dans son arrêt d’Assemblée Danthony du 23 décembre 2011, requête numéro 335033 le Conseil d’Etat a voulu non seulement préciser les conditions de mise en œuvre de l’article 70 de la loi du 17 mai 2011, mais il est également allé au-delà d’une simple interprétation en complétant ces dispositions. Cet article a d’ailleurs été abrogé par l’article 51 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018, ne laissant substituer, concernant les règles applicables aux vices de procédure, que celles résultant de la jurisprudence Danthony.
Les juges considèrent que ces dispositions s’inspirent « du principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon des formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».
Ainsi, toute violation d’une règle de procédure n’est pas nécessairement sanctionnée par le juge.
Exemples :
– CE, 3 juin 2013, Commune de Noisy-le-Grand, requête numéro 345174 (Dr. rur. 2013, comm. 206, note Tifine) : s’il appartient à l’autorité administrative de procéder à la publicité de l’ouverture de l’enquête publique dans les conditions fixées par l’article R. 11-4 du Code de l’expropriation, la méconnaissance de ces dispositions n’est de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l’illégalité de la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative.
– CE, 26 février 2014, Société Gestion Camping Caravaning, requête numéro 351202 : il appartient à une commune souhaitant modifier son projet de plan local d’urbanisme avant l’ouverture de l’enquête publique, notamment pour tenir compte de l’avis rendu par une personne publique associée à son élaboration, de consulter à nouveau l’ensemble des personnes publiques associées, afin que le dossier soumis à l’enquête publique comporte des avis correspondant au projet modifié. Toutefois, l’omission de cette nouvelle consultation n’est de nature à vicier la procédure et à entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information du public ou si elle a été de nature à exercer une influence sur cette décision.
Cette solution est susceptible de s’appliquer également dans le contentieux de l’annulation des clauses réglementaires d’un contrat (CE, 30 juin 2016, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, requête numéro 393805 : Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 248, note Devillers).
Les juges posent deux tempéraments à la règle définie par l’arrêt Danthony.
Tout d’abord elle ne s’applique pas lorsque le vice allégué a privé l’intéressé d’une garantie.
Exemples :
– CE, 16 décembre 2013, Département du Loiret, requête numéro 367007 (Rec. tables, p. 653) : est considéré comme privant les intéressés d’une garantie, le défaut d’entretien préalable à la fin du détachement d’un agent sur un emploi fonctionnel.
– CE, 31 janvier 2014, X., requête numéro 369718 : il résulte de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 qu’un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier. La demande d’un agent, informé de la volonté du ministre d’engager la procédure de retrait d’emploi, de consulter son dossier administratif étant restée sans réponse, celui-ci n’a pas pu prendre connaissance de son dossier avant l’adoption de la mesure litigieuse. Ayant été ainsi effectivement privé de la garantie prévue par l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, le décret mettant fin à ses fonctions est intervenu selon une procédure irrégulière et doit être annulé.
– CE, 24 juillet 2019, requête numéro 417902 : il résulte des articles 3 et 16 de l’arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière que, dans les cas où il est manifeste, au vu des éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d’un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par un agent est nécessaire pour éclairer l’examen de son cas, l’absence d’un tel spécialiste doit être regardée comme privant l’intéressé d’une garantie et comme entachant la procédure devant la commission d’une irrégularité justifiant l’annulation de la décision attaquée.
– CE, 24 juillet 2019, requête numéro 418061 : si un magistrat, qui s’est vu infliger un avertissement, a pu prendre connaissance des pièces figurant à son dossier et de celles qui étaient jointes à sa convocation à l’entretien préalable, le rapport adressé à la première présidente de la cour d’appel, établi par le président du tribunal de grande instance au sujet des faits survenus dans ce tribunal qui ont motivé le prononcé de l’avertissement, n’a, en revanche, pas été communiqué au magistrat. L’intéressé a ainsi été effectivement privé de la garantie, résultant de l’article 44 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, de recevoir communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en œuvre de la procédure avant la tenue de l’entretien préalable. Par suite, la décision par laquelle la première présidente de la cour d’appel lui a infligé un avertissement est intervenue selon une procédure irrégulière.
– CE, 17 octobre 2022, Société E-Pango, requête numéro 461073 (JCP A 2022, act. 628, obs. Erstein) : la délibération de la Commission de régulation de l’énergie, qui institue des mesures d’urgence de sécurisation du dispositif de « responsable d’équilibre », est annulée en raison de l’absence de consultation des opérateurs concernés exigée par la ligne directrice d’un règlement européen.
Notons toutefois que dans de nombreuses affaires où cette question est soulevée, le Conseil d’Etat dénie le caractère de « garantie » des règles de procédure dont la violation est alléguée.
Exemples :
– CE, 12 février 2014, de Latour, requête numéro 352878(Rec. tables, p. 827) : dans le cadre d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle, la communication du rapport émanant de l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire, en temps utile avant la séance, au fonctionnaire déféré devant le conseil de discipline et aux membres de celui-ci satisfait aux fins en vue desquelles sa lecture a été prévue par les textes, notamment au respect des droits de la défense. Ainsi la lecture du rapport en séance ne peut être regardée, en elle-même, comme une garantie dont la seule méconnaissance suffirait à entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de la procédure.
– CE, 9 octobre 2020, requête numéro 429563 (Dr. adm. 2021, comm. 3, note Sulpice) : dans la lignée de la précédente décision, en cas du licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire, le non-respect du délai de convocation de 15 jours du fonctionnaire au conseil de discipline ne le prive pas de garantie dès lors qu’il a eu connaissance par d’autres moyens de la date de ce conseil, 14 jours avant. Au demeurant, la non-communication au fonctionnaire, avant la séance du conseil de discipline, du rapport de l’autorité ayant saisi l’instance disciplinaire ne porte pas atteinte au principe général des droits de la défense dès lors que l’intéressé avait pu avoir connaissance par d’autres moyens du contenu de ce rapport.
– CE, 30 décembre 2015, Centre indépendant d’éducation de chiens guides d’aveugles et a., requête numéro 382756 : la méconnaissance du délai de convocation et de communication des documents de la séance du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), saisi préalablement à l’édiction d’un décret, ne prive pas les intéressés d’une garantie au sens de la jurisprudence.
– CE, 23 octobre 2015, Société CFA Méditerranée, requête numéro 369113 (AJDA 2015, p. 2382, concl. Bohnert ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 292, note Ubaud-Bergeron ; JCP A 2016, comm. 2248, note Martin ; RD imm. 2016, p. 36, obs. Foulquier): la consultation du service des domaines prévue au troisième alinéa de l’article L. 2241-1 du Code général des collectivités territoriales préalablement à la délibération du conseil municipal portant sur la cession d’un immeuble ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2000 habitants ne présente pas le caractère d’une garantie au sens de la jurisprudence Danthony.
Ensuite, la règle est écartée lorsqu’est en cause une procédure obligatoire si cette omission a pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte. Ceci renvoie notamment à l’hypothèse de l’avis conforme, qui ne laisse aucune marge de manœuvre à l’autorité compétente dans le cadre de la prise de décision. Il en va de même concernant le défaut de consultation du Conseil d’Etat, dans les hypothèses visées par l’article L. 111-2 du Code de justice administrative où elle est rendue obligatoire. La juridiction administrative suprême considère en effet que « eu égard au rôle … dévolu au Conseil d’Etat, le défaut de saisine de ce dernier entraîne l’illégalité des actes administratifs dont le projet devait lui être obligatoirement soumis» (CE, 17 juillet 2013, Syndicat national des professionnels de santé au travail, requête numéro 358109, préc.). La proximité entre ces vices de procédure et les cas d’incompétence justifie la rigueur de cette solution.
La logique de la jurisprudence Danthony, qui privilégie la sécurité juridique au détriment du principe de légalité, trouve d’autres illustrations (V. en particulier CE, Ass. 13 juillet 2016, Czabaj, requête numéro 387763).
515.- Limitation à l’invocabilité des vices de procédure et des vices de forme.- Dans le domaine de la sanction des vices de procédure – mais aussi dans celui de la sanction des vices de forme – elle inspire les solutions retenues par le Conseil d’Etat dans ses arrêts d’Assemblée du 18 mai 2018, Syndicat CGT de l’administration centrale et des services des ministères économiques et financiers et du Premier ministre, requête numéro 411045 et Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, requête numéro 414583 (AJDA 2018, p. 1206, chron. Roussel et Nicolas ; AJDA 2018, p. 1241, trib. Melleray ; AJDA 2018, p. 1465, trib. Seiller ; Dr. adm. 2018, repère 7, note Plessix ; Dr. adm. 2018, comm. 45, note Eveillard ; JCP A 2018, act. 469, obs. Touzeil-Divina ; JCP A 2018, comm. 2197, note Friedrich ; Procédures 2018, comm. 236, note Chifflot ; RFDA 2018, p. 649, concl. Bretonneau). Dans ces deux décisions, le Conseil d’Etat encadre les moyens pouvant être soulevés contre un acte réglementaire dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir en distinguant les contestations par voie d’action de celles diligentées par voie d’exception. Par voie d’action, tous les moyens peuvent être soulevés, qu’ils touchent à la compétence de l’auteur de l’acte, aux vices de forme, aux vices de procédure, au détournement de pouvoir ou à la légalité des règles générales et impersonnelles énoncées. Après l’expiration du délai de recours contentieux, en revanche, les moyens qui peuvent être invoqués, dans le cadre d’une exception d’illégalité soulevée à l’encontre d’un acte faisant application de l’acte réglementaire litigieux, sont limités. Il en va de même en cas de recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision de refus d’abrogation de l’acte réglementaire. En effet, le Conseil d’Etat refuse désormais, dans ces deux hypothèses, de contrôler les vices de procédure et de forme entachant cet acte.
Le Conseil d’Etat a ultérieurement précisé que cette solution s’applique y compris dans le cas où le délai du recours pour excès de pouvoir contre l’acte réglementaire n’est pas expiré (CE, 1er mars 2023, requête numéro 462648 : JCP A 2023, act. 188, obs. Erstein).
Par extension, le Conseil d’État juge désormais qu’un requérant ne peut se prévaloir du moyen tiré de l’exception d’illégalité d’une décision individuelle ne comportant pas les mentions relatives aux voies et délais de recours au-delà d’un délai raisonnable qui, sauf circonstances particulières, ne saurait excéder un an (CE, 27 février 2019, Law-Tong, requête numéro 418950).
De même, le Conseil d’Etat a récemment jugé que les vices de forme ou de procédure dont l’acte réglementaire est susceptible d’être entaché doivent être ignorés par le juge administratif quand il répond à une question préjudicielle posée par le juge judiciaire, portant sur la légalité de cet acte (CE, 24 février 2020, Société La Grand’Maison, requête numéro 431255).
Cette jurisprudence a ensuite été transposée à l’hypothèse où le recours pour excès de pouvoir est dirigé contre une décision de refus d’abrogation d’un acte administratif. Dans un arrêt du 7 juillet 2021, requête numéro 438712, qui concerne un acte de droit souple, le Conseil d’Etat a ainsi jugé que « dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d’abroger une recommandation de bonne pratique de la Haute autorité de santé, la légalité du contenu de cette recommandation, la compétence de la Haute autorité et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de la recommandation, les vices de forme et de procédure dont elle serait entachée ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la recommandation elle-même et introduit avant l’expiration du délai de recours contentieux » ( JCP A 2021, act. 2390 ; JCPA 2021, comm. 2390, note Di Francesco).
En revanche, la solution retenue par les arrêts d’Assemblée du 18 mai 2018 n’ont pas vocation à s’appliquer aux actes non réglementaires et non individuels, comme une déclaration d’utilité publique (CE, 4 août 2021, Commune de Mitry-Mory, requête numéro 429800, requête numéro 431949: Dr. adm. 2021, comm. 50, note Eveillard ; JCP A 2021, act. 528, obs. Erstein). Un requérant est recevable en conséquence à un exciper d’un vice de procédure ou de forme entachant une déclaration d’utilité publique pour obtenir l’annulation de l’arrêté de cessibilité subséquent.
III – Vice de forme
516.- Vice de forme et vice de procédure.- Dans la classification établie par Laferrière, le vice de forme est confondu avec le vice de procédure. Cependant, les auteurs estiment aujourd’hui que ces deux notions se distinguent très nettement. En effet, alors que le vice de procédure entache le processus même de l’élaboration de l’acte, le vice de forme concerne la présentation extérieure de l’acte : l’existence d’un acte écrit lorsque cette forme est exigée, la présence d’une motivation et d’une signature.
517.- Maintien de la distinction entre les vices de forme substantiels et les vices de forme non substantiels.- Les juges distinguent les vices de forme substantiels des vices non substantiels qui ne sont pas susceptibles d’entraîner l’annulation de l’acte contesté. Il faut ici relever que la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 qui abandonné cette distinction pour la question des vices de procédure, pas plus que la jurisprudence Danthony, ne concernent les vices de forme.
Sur cette question, le Conseil d’Etat a ainsi jugé qu’en « ne recherchant pas si le vice de forme tenant à l’insuffisance de motivation de la décision attaquée avait été susceptible d’exercer une influence sur le sens de cette décision ou avait privé la société intéressée d’une garantie, circonstances qui sont sans incidence sur les conséquences qui s’attachent à une illégalité tenant en une insuffisance de motivation, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit » (CE, 7 décembre 2016, Caisse d’assurance retraite et de santé au travail, requête numéro 386304).
Il faut donc toujours s’en tenir, concernant les vices de formes, à la distinction entre ceux qui présentent un caractère substantiel et ceux qui ne présentent pas ce caractère.
Exemples :
– CE, 3 juin 2013, Commune de Lamastre, requête numéro 342673 (Rec. tables, p. 879 : BJDU 2013, p. 291, concl. de Lesquen ; RDI 2003, 382, obs. Soler-Couteaux) : si l’arrêté contesté ne comporte pas, en méconnaissance des dispositions de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000, l’indication du prénom et du nom de son signataire, il ressort des pièces du dossier, notamment de la circonstance que le requérant avait été destinataire de plusieurs autres arrêtés du maire comportant ces indications, que le maire de la commune pouvait être identifié comme étant également l’autorité signataire de l’arrêté litigieux. Dès lors, la méconnaissance des dispositions susvisées n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, revêtu un caractère substantiel justifiant l’annulation de la décision attaquée.
– CE, 11 mars 2009, Commune d’Auvers-sur-Oise, requête numéro 307656 (Rec. tables, p. 607 ; JCP A 2009, comm. 2087 ; Constr.-Urb. 2009, comm. 56, note Corneille ; JCP A 2009, act. 411) : un permis de construire mentionne la qualité de son auteur, le maire de la commune d’Auvers-sur-Oise. En revanche, il ne comporte pas l’indication du nom et du prénom de celui-ci. Par ailleurs, ni la signature manuscrite, qui est illisible, ni aucune autre mention de ce document ne permet d’identifier la personne. En conséquence, le permis de construire est annulé.
– CE, 1er mars 2021, requête numéro 436013 (JCP A 2021, act. 173, obs. Erstein; Procédures 2021, comm. 156, note Chifflot) : le premier alinéa de l’article 4 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000, aujourd’hui codifié à l’article L. 111-2 du Code des relations entre le public et l’administration, qui garantit à toute personne, dans ses relations avec une autorité administrative, le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne, est applicable à toutes les procédures dans le cadre desquelles un agent est chargé du traitement d’une affaire, y compris les procédures disciplinaires. Toutefois, la méconnaissance de ces dispositions est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision prise, au terme de la procédure, par l’autorité administrative compétente. Ainsi, l’absence des mentions exigées sur un compte-rendu établi après un manquement à la discipline reproché à un détenu n’affecte pas la régularité de la décision de sanction prise à son terme.
De même, il ne saurait être reproché à une autorité administrative le non-respect d’une règle de forme dont l’accomplissement se révèle, pour une raison ou pour une autre, impossible.
Exemple :
– CE, 10 avril 2002, Société des agrégés de l’Université, requête numéro 226352 : si l’article L. 311-5 du Code de l’éducation, dispose que « les avis et propositions du conseil national des programmes sont rendus publics », aucune disposition législative ou règlementaire ne définit les modalités de cette publicité. Par suite, la circonstance qu’elle n’aurait pas été assurée préalablement à l’intervention des arrêtés du ministre de l’Education nationale modifiant les programmes de certains enseignements n’est pas de nature à entacher d’illégalité lesdits arrêtés.
§II – Moyens touchant à la légalité interne de l’acte attaqué
518.- Eléments contrôlés.- Les juges contrôlent la légalité interne des actes administratifs unilatéraux à trois niveaux différents : ils contrôlent le contenu de l’acte, les mobiles de son auteur, ainsi que ses motifs.
I – Contrôle du contenu de l’acte
519.- Violation directe de la loi.- Le juge contrôle d’abord « la violation directe de la loi », c’est-à-dire qu’il confronte le contenu de l’acte attaqué aux règles juridiques qui sont supérieures à cet acte, qu’il s’agisse d’une norme constitutionnelle, internationale, législative, réglementaire ou encore d’un principe général du droit, ce qui ne présente pas de difficulté majeure.
Exemple :
– CAA Bordeaux, 9 novembre 2000, Signon, requête numéro 97BX31632 : une mesure de suspension d’un fonctionnaire n’étant pas une sanction disciplinaire, les dispositions de la loi du 3 août 1995 portant amnistie ne sauraient trouver application en l’espèce.
II – Contrôle des mobiles de l’auteur de l’acte
520.- Détournement de pouvoir.- Dans ce cas de figure, qui a été visé pour la première fois dans l’arrêt du Conseil d’Etat Pariset du 26 novembre 1875, requête numéro 47544 ( Rec., p. 934, concl. David), l’acte contesté a toutes les apparences de la légalité. Il est toutefois censuré s’il apparaît que l’auteur de l’acte a utilisé ses pouvoirs dans un but autre de celui pour lequel ils lui ont été conférés.
521.- Volonté de favoriser ou de nuire à des intérêts privés.- Dans certains cas, le pouvoir est utilisé dans l’intérêt personnel de l’auteur de l’acte ou pour favoriser ou pour nuire à d’autres intérêts privés.
Exemples :
– CE, 23 avril 1997, Commune des Gets, requête numéro 115523 (Rec., p. 662) : est en cause en l’espèce un arrêté municipal qui avait décidé du transfert sur un nouvel emplacement du marché hebdomadaire de la commune. Les juges relèvent que cet arrêté avait eu pour mobile, non de remédier aux difficultés de stationnement alléguées par la commune, mais de protéger les intérêts des commerçants sédentaires de la localité. En effet, les difficultés de stationnement et de circulation des véhicules aux abords de la place où se tenait le marché avait pour cause l’abandon, décidé à l’initiative des commerçants sédentaires, du plan de circulation qui y avait remédié. Ainsi l’arrêté est entaché de détournement de pouvoir et encourt l’annulation (V. aussi, CE Sect, 25 janvier 1991, Brasseur, requête numéro 80969, préc.).
– CE, 17 septembre 1999, Nasica et a., requête numéro 176174 (AJDI 2000, p. 131, note Hostiou) : est illégale l’opération d’expropriation visant à satisfaire exclusivement les intérêts privés d’un habitant de la commune concernée en permettant le désenclavement de sa propriété.
– TA Lille, 13 février 2017, Association secours catholique, requête numéro 1701245 (JCP A 2017, comm. 2015, obs. Untermaier-Kerléo) : l’arrêté par lequel le maire de Calais a autorisé ses services à occuper le domaine public communal pour poser une benne à matériaux devant l’un des accès desservant des locaux du Secours Catholique avait pour objet d’empêcher l’accès d’un camion transportant une construction modulaire destinée à compléter un dispositif de douches à destination des migrants. Il est entaché, en conséquence, d’un détournement de pouvoir.
522.- Volonté de privilégier un intérêt public autre que celui pour lequel l’auteur de l’acte est habilité à agir.- Dans d’autres cas, l’acte administratif est pris dans un intérêt public, mais qui n’est pas celui pour lequel les pouvoirs nécessaires pour prendre l’acte ont été conférés à son auteur.
Exemples :
– CE, 26 novembre 1875, Pariset, requête numéro 47544 : un préfet ne pouvait légalement faire usage de son pouvoir de police des établissements dangereux, incommodes ou insalubres pour éviter à l’Etat d’indemniser les industriels dont les usines étaient concernées par l’institution du monopole de la fabrication des allumettes.
– CE, 20 mars 1953, Bluteau (Rec; p. 590 ; S. 1953, III, p. 80) : le Conseil d’Etat censure une déclaration d’utilité publique, au motif que cette décision avait pour seul objet de faire réaliser des économies à l’Etat en lui permettant de s’affranchir des clauses d’un bail. Or, même s’il s’agit à l’évidence d’un intérêt public, cet intérêt n’est pas celui pour la défense duquel une telle procédure a été instituée.
Toutefois, le détournement de pouvoir ne sera pas retenu si l’auteur de l’acte poursuit également un but légal considéré comme déterminant. Dans ce cas, les objectifs qui pourraient caractériser un détournement de pouvoir seront jugés surabondants.
Exemple :
– CE, 20 juillet 1971, Ville de Sochaux, requête numéro 80804 (Rec., p. 561 ; AJDA 1972, p. 227, note Homont) : en acceptant l’offre d’une société privée de procéder à un échange de terrains et de financer sur ses fonds le coût d’une opération d’expropriation, l’Etat s’est proposé de réaliser celle-ci dans les meilleures conditions financières. L’avantage des finances publiques n’ayant cependant pas été le motif déterminant de l’expropriation, celle-ci n’est pas entachée de ce fait d’illégalité. Le Conseil d’Etat relève également que si la déviation dont la construction est projetée procure à la Société des automobiles Peugeot un avantage direct et certain, il est conforme à l’intérêt général de satisfaire à la fois les besoins de la circulation publique et les exigences du développement d’un ensemble industriel qui joue un rôle important dans l’économie régionale.
523.- Détournement de procédure.- Il existe une hypothèse proche de celle du détournement de pouvoir qui est celle du détournement de procédure. Dans ce cas, l’administration utilise, pour arriver à un but précis, une procédure réservée par les textes à des fins autres que celles qu’elle poursuit, ce qui lui permettra d’éviter d’accomplir les formalités plus lourdes prévues par la procédure qui aurait normalement dû être utilisée.
Exemples :
– CE, 16 janvier 1998, SIVOM du canton d’Accous, requête numéro 168168 (Constr.-urb. 1998, comm. 204) : est annulée la déclaration d’utilité publique prononcée dans le seul but de modifier les règles applicables à un lotissement et d’éviter d’utiliser une procédure qui aurait engendré davantage de difficultés pour la collectivité.
– CE, 9 octobre 2019, CNRS, requête numéro 422874 : il résulte de l’article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 que lorsqu’un agent demande la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée, il appartient au juge administratif, saisi par l’intéressé, de rechercher, en recourant au besoin à la méthode du faisceau d’indices, si en dépit de l’existence de plusieurs employeurs apparents, l’agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès d’un employeur unique. Le choix du CNRS de conclure avec un autoentrepreneur un contrat de prestation de services avait pour objectif de ne pas dépasser la durée de six années de services publics effectifs mentionnée à l’article 8 précité. Par ailleurs, cet autoentrepreneur avait pour unique client le CNRS et a rempli une mission en continuité avec une précédente mission effectuée dans le cadre d’un contrat à durée déterminée conclu avec le CNRS. Dès lors, en jugeant que le recours à un contrat de prestation de services était entaché de détournement de procédure dans le but de ne pas le faire bénéficier d’un contrat à durée indéterminée en application des dispositions précitées, la cour n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis.
– CE, 18 mars 2005, Société Cyclergie, requête numéro 238752 (Contrats-Marchés publ. 2005, comm. 150, note Olivier) : indépendamment du cas où aucune offre n’est jugée acceptable, une collectivité publique a la faculté de ne pas donner suite à un appel d’offres sur performances pour un motif d’intérêt général. Toutefois, constitue un détournement de procédure le fait de mettre fin à un appel d’offres sur performance en se prévalant de l’incohérence d’une offre présentée par un candidat, un tel motif ne constituant pas un motif d’intérêt général, mais pouvant uniquement conduire la commission d’appel d’offres à juger l’offre inacceptable.
524.- Assimilation possible du détournement de procédure à une erreur de droit.- Le détournement de procédure peut dans certains cas être assimilé à une erreur de droit, lorsque l’auteur de l’acte n’est pas mu pas une intention coupable, c’est-à-dire lorsqu’elle résulte exclusivement d’une mauvaise interprétation des textes.
525.- Difficultés de preuve.- Il est primordial de relever qu’il est très rare que le juge censure un détournement de pouvoir, dès lors que celui-ci est suffisamment bien camouflé. Cette difficulté tient au fait que l’illégalité repose non pas sur un élément matériel, mais sur un élément psychologique. Cet élément n’apparaît pas dans l’acte lui-même, mais dans les intentions de l’auteur de l’acte, ce qui pose un problème de preuve souvent insurmontable.
III – Contrôle des motifs de l’acte
526.- Recherche de la cause de l’acte.- Le contrôle des motifs de l’acte administratif conduit les juges à rechercher la cause de l’acte, c’est-à-dire ce pourquoi il a été pris, au regard des éléments qu’il contient.
Depuis l’arrêt d’Assemblée Perrot du 12 janvier 1968, requête numéro 70951 ( Rec., p. 39 ; AJDA 1969, p. 179, concl. Kahn), le Conseil d’Etat estime que si la décision contestée est fondée, dès l’origine, sur plusieurs motifs dont certains sont erronés, il appartient juge de rechercher, en fonction du dossier, si en ne retenant que les motifs valides l’administration aurait pris ou non la même décision. Si tel est le cas, les moyens tirés des erreurs qui entacheraient le ou les autres motifs seront regardés comme inopérants.
527.- Injonctions d’instruction.- Il faut relever que si les motifs n’apparaissent pas clairement dans la décision, le juge peut ordonner un supplément d’instruction en vue de demander à l’administration de les préciser. En cas de silence de l’administration le juge présumera exacts les motifs allégués par le requérant qui les conteste (CE Ass., 28 mai 1954, Barel et a., requête numéro 28238, requête numéro 28493, requête numéro 28524, requête numéro 30237, requête numéro 30256).
528.- Substitution de motifs.- Dépassant le cadre de la jurisprudence Perrot, le Conseil d’Etat a admis que le juge de l’excès de pouvoir a la possibilité de procéder, à la demande de l’administration, à une substitution des motifs de la décision attaquée. Cette solution a été admise à l’occasion de l’arrêt Hallal du 6 février 2004, requête numéro 240560 (Rec., p. 48, concl. Silva ; RFDA 2004, p. 740, concl. Silva ; AJDA 2004, p. 436, chron. Donnat et Casas ; JCPA, 1154, note Tchen) dont il résulte que l’illégalité des motifs de la décision peut être régularisée si son auteur invoque, durant l’instruction, un ou plusieurs motifs de droit ou de fait qui sont susceptibles de la fonder légalement. Elle ne peut être demandée que par l’auteur de la décision attaquée et, par conséquent, le juge n’a pas le pouvoir d’invoquer d’office la substitution de motifs (CE, 5 février 2014, Société Pludis, requête numéro 367815), sauf dans les cas où la décision a été prise dans l’exercice d’une compétence liée (CE, 7 janvier 1983, Ministre de l’industrie c/ Sogeba, requête numéro 26725 : Rec., p. 1).
La demande n’est pas nécessairement expresse. Il revient ainsi au juge de déterminer la portée des écritures de l’auteur de l’acte pour déterminer si celui-ci pouvait être regardé comme faisant valoir un autre motif que celui ayant initialement fondé la décision en litige (CE, 19 mai 2021, Commune de Rémire-Montjoly, requête numéro 435109 : JCP A 2021, act. 351 ; JCP A 2021, comm. 2204, note Polizzi).
En outre, la possibilité de régularisation est soumise au respect de quatre conditions :
– Les motifs invoqués ne doivent pas être postérieurs à l’acte contesté (ce qui est lié au fait qu’en matière de recours pour excès de pouvoir la légalité de la décision s’apprécie à la date à laquelle elle a été prise) ;
– Le requérant ne doit pas être privé d’une garantie procédurale (par exemple de la consultation de la commission du titre de séjour pour un étranger auquel a été refusé un titre de séjour : CAA Paris, 20 juin 2005, Erdogan, requête numéro 04PA03625) ;
– Le requérant doit avoir été mis à même de présenter ses observations sur la substitution demandée (V. par ex. CE, 4 février 2013, Section de commune de Brousse-et-Selves, requête numéro 346584) ;
– Le juge doit apprécier si l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif.
529.- Substitution de base légale.- Le juge de l’excès de pouvoir peut, de la même façon, procéder à une substitution de base légale « lorsqu’il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d’appréciation, sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée ». (CE Sect., 3 décembre 2003, Préfet de Seine-Maritime c. El Bahi, requête numéro 240267 : Rec., p. 479, concl. Stahl ; AJDA 2004, p. 202, chron. Donnat et Casas ; RFDA 2003, p. 733, concl. Stahl). Cette solution s’applique également dans le cadre du plein contentieux (CE, 22 mai 2012, Mari, requête numéro 344589 : Rec., p. 226). Contrairement à l’hypothèse de la substitution de motif, le juge peut procéder d’office à la substitution de base légale (CE, 12 juillet 2013, Commune de Chasse-sur-Rhône, requête numéro 348967). Dans cette hypothèse également, le principe du contradictoire doit être respecté et il est exigé que l’intéressé ait bénéficié des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcé.
Exemple :
– CE, 25 septembre 2009, Vergerau, requête numéro 311597 : en utilisant ses pouvoirs de police générale pour suspendre un médecin le préfet n’a pas fait bénéficier le requérant des garanties prévues par l’article L. 4113-14 du Code de la consommation. En effet, cet article prévoit que le médecin doit être auditionné dans un délai de trois jours à compter de la décision et que la période de suspension est limitée à cinq mois. La substitution de base légale est donc impossible.
530.- Eléments contrôlés. Les raisons de l’adoption d’un acte administratif apparaissent au terme d’un syllogisme, dont chaque étape peut receler une erreur :
- Une règle de droit prévoit telle chose. A ce niveau, une erreur de droit peut être commise.
- Les faits de l’espèce sont les suivants. Ici, le juge peut censurer une erreur de fait.
- Compte tenu des deux premiers éléments, la décision de l’administration est la suivante. A ce niveau, le juge peut censurer une erreur sur la qualification juridique des faits.
A – Erreur de droit
531.- Détournement de procédure.- L’erreur de droit est fréquemment sanctionnée par le juge administratif et elle peut être liée à plusieurs causes différentes. Elle peut, comme on l’a déjà évoqué, résulter d’un détournement de procédure (V. supra n°523).
532.- Défaut de base légale.- Un autre cas est celui d’un défaut de base légale de la décision contestée, dans les hypothèses où l’administration a mis en œuvre une norme inexistante ou, le plus souvent, inapplicable.
Exemple :
– CE Ass., 2 février 1987, Société TV6 et a., requête numéro 81131, requête numéro 82432 requête numéro 82437 requête numéro 82443 (Rec., p. 28 ; AJDA 1987, p. 314, chron. Azibert et de Boisdeffre ; Droit adm. 1987, comm. 155 ; RFDA 1987, p. 29, concl. Fornacciari) : est entaché d’erreur de droit le décret résiliant le contrat de concession d’une chaîne de télévision privée fondé sur un projet de loi non encore adopté.
– CE, 28 décembre 2001, Franzetti, requête numéro 223892: est dépourvue de base légale et est donc illégale une décision de l’autorité de régulation des télécommunications relative à l’utilisation des installations de radioamateurs, fondée sur un arrêté ministériel précédemment annulé par le Conseil d’Etat.
533.- Acte pris conformément à une norme illégale.- Le troisième cas est celui où l’administration a pris une décision, conformément à une norme qui est, elle, illégale en raison de sa non-conformité avec une norme supérieure.
Exemple :
– CE, 10 novembre 1997, Gherbi, requête numéro 175804 : est illégal un arrêté de reconduite à la frontière pris sur le fondement d’une décision elle-même illégale refusant à la requérante la délivrance d’un certificat de résidence.
De même, il y a erreur de droit lorsque l’administration a pris une décision sur le fondement d’une norme régulière, mais qu’elle a mal interprété.
Exemples :
– CE, 28 mai 1954, Barel et a., requête numéro 28238, requête numéro 28493, requête numéro 28524, requête numéro 30237, requête numéro 30256: le ministre chargé d’arrêter la liste des candidats admis à se présenter au concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration a cru à tort pouvoir établir des discriminations en prenant en compte les opinions politiques de certains d’entre eux.
– CE, 16 février 1994, Hayot, requête numéro 135733 (Rec., p. 1023) : en prenant en considération l’exercice par l’agent d’un recours contentieux formé à l’encontre d’une décision du chef de juridiction dans l’appréciation de son activité professionnelle, l’auteur de la décision de notation attribuée à un magistrat a commis une erreur de droit.
– CE, 27 juillet 1990, Université de Paris-Dauphine, requête numéro 65180 requête numéro 65181 (Rec., p. 238 ; AJDA 1991, p. 151, obs. Chevallier ; Droit adm. 1990, comm. 499 ; LPA 8 mars 1991, p. 14, note Fialaire) : les textes sur l’admission des étudiants en premier ou second cycle universitaire ne prévoient aucune sélection sur la qualité des dossiers. Par conséquent, un refus d’admission prononcé pour cause de non-satisfaction à des épreuves de sélection est frappé d’erreur de droit.
534.- Incompétence négative.- Une variante de ce dernier type d’erreur de droit concerne le cas dit « d’incompétence négative » où une autorité administrative méconnaît l’étendue de sa compétence lorsqu’elle se croit, à tort, tenue de prendre une décision dans un sens donné. Cette confusion entre pouvoir discrétionnaire et compétence liée est sanctionnée par le juge de l’excès de pouvoir.
Exemple :
– CE Sect., 20 juin 2003, Stilinovic, requête numéro 248242 (Rec., p. 258, concl. Lamy ; AJDA 2003, p. 1334, chron. Donnat et Casas) : dans une affaire mettant en cause une décision sanctionnant un magistrat, le garde des Sceaux doit être regardé comme ayant renoncé à exercer le pouvoir d’appréciation qui lui appartient de mettre en œuvre lorsque, après avoir fait savoir publiquement qu’il se conformerait à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, il s’est entièrement approprié les motifs et la portée de l’avis rendu par cette institution. Le garde des Sceaux a, dans ces conditions, méconnu l’étendue de sa compétence et entaché sa décision d’une erreur de droit. On peut en effet considérer qu’il a renoncé à exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu par les textes pour se prononcer dans le cadre d’une compétence liée.
B – Erreur de fait
535.- Faits erronés.- L’acte administratif contesté est annulé s’il apparaît que les faits qui servent de fondement à la décision sont erronés, comme cela a été précisé par le Conseil d’Etat dans son arrêt Camino du 14 janvier 1916, requête numéro 59619, requête numéro 59679 ( Rec., p. 15 ; RDP 1917, p. 463, concl. Corneille, note Jèze ; S. 1922, III, p.10, concl. Corneille).
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat était saisi d’un recours contre une décision gouvernementale révoquant un maire au motif qu’il n’aurait pas veillé, comme la loi le lui impose, à la décence d’un convoi funèbre. En effet, il aurait fait passer le cercueil par une brèche ouverte dans le mur d’enceinte du cimetière et fait creuser une fosse trop petite pour marquer son mépris vis-à-vis du défunt. Or, ces faits étaient matériellement inexacts, ce qui justifie l’annulation de l’acte de révocation.
C – Erreur de qualification juridique des faits
536.- Contrôle opéré par le juge.- La qualification juridique des faits est l’opération par laquelle l’administration décide d’appliquer une règle de droit déterminée aux faits de l’espèce. Si les faits sont mal qualifiés, l’acte contesté sera annulé.
Cette notion a été précisée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 4 avril 1914 Gomel, requête numéro 55125 ( Rec., p. 488 ; S. 1917, III, p. 25, note Hauriou).
Le Conseil d’Etat était saisi, dans cette affaire, d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision rejetant une demande de permis de construire. Cette décision était motivée par le fait que la construction projetée aurait porté atteinte à une perspective monumentale. La question qui se posait alors était de savoir si la place sur laquelle était projetée la construction formait une perspective monumentale, et dans l’affirmative si la construction projetée portait atteinte à cette perspective. Autrement dit, le problème consistait à déterminer si les faits de l’espèce avaient été correctement qualifiés par l’administration et justifiaient ainsi la décision prise.
Le Conseil d’Etat a estimé en l’espèce que la place Beauveau ne pouvait être regardée dans son ensemble comme présentant une perspective monumentale. Par conséquent, le préfet de la Seine avait excédé ses pouvoirs en refusant l’autorisation de construire un immeuble sur cette place, par le motif qu’il serait porté atteinte à une perspective monumentale.
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