REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le sieur X…, concessionnaire du service de la capture et mise en fourrière des chiens errants et de l’enlèvement des bêtes mortes à Montpellier, y demeurant …, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au Secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat les 13 septembre et 28 novembre 1907 et tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler un arrêté, en date du 6 février 1907, par lequel le conseil de préfecture du département de l’Hérault a rejeté sa demande en 120.000 francs de dommages-intérêts qu’il avait formée contre la ville pour le préjudice que lui avait causé l’inexécution par cette dernière des clauses et conditions de l’article 11 du cahier des charges qui régit la concession ; Vu la loi des 2-17 mars 1791 ; Vu la loi du 21 juin 1898 ; Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Sur la compétence : Considérant que le marché passé entre la ville de Montpellier et le sieur X… avait pour objet la capture et la mise en fourrière des chiens errants et l’enlèvement des bêtes mortes ; qu’à raison de cet objet, ce contrat ne saurait être assimilé à un marché de travaux publics dont il aurait appartenu au conseil de préfecture de l’Hérault de connaître par application de l’article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII ; que ce conseil était, par suite, incompétent pour statuer sur la demande du sieur X… et que son arrêté doit être annulé ;
Considérant qu’en traitant dans les conditions ci-dessus rappelées avec le sieur X…, la ville de Montpellier a agi en vue de l’hygiène et de la sécurité de la population et a eu, dès lors, pour but d’assurer un service public ; qu’ainsi les difficultés pouvant résulter de l’inexécution ou de la mauvaise exécution de ce service sont, à défaut d’un texte en attribuant la connaissance à une autre juridiction, de la compétence du Conseil d’Etat ;
Considérant qu’à l’appui de la demande d’indemnité dont il a saisi le maire de Montpellier, le sieur X… soutenait que la ville aurait porté atteinte au privilège qu’il prétend tenir de son contrat et lui aurait ainsi causé un préjudice dont il lui serait dû réparation ; que du refus du maire et du conseil municipal de faire droit à cette réclamation il est né entre les parties un litige dont le Conseil d’Etat, compétent comme il vient d’être dit, est valablement saisi par les conclusions prises devant lui et tendant à la résiliation du marché et à l’allocation d’une indemnité ;
Au fond : Considérant qu’il résulte des dispositions combinées des articles 1er, 6 et 7 du cahier des charges de l’entreprise que la ville de Montpellier a concédé au sieur X… le privilège exclusif de la capture des chiens et de l’enlèvement tant des bêtes mortes dans les gares de chemins de fer, à l’abattoir, sur la voie publique ou au domicile des particuliers, qui n’auraient pas été réclamées par leurs propriétaires, que de celles qui auraient été reconnues malsaines par le service de l’inspection sanitaire ; que dans l’un et l’autre cas, la chair des bêtes malsaines doit être dénaturée par les soins du concessionnaire ; que les dépouilles des bêtes mortes de maladies non contagieuses seront délivrées aux propriétaires qui les réclameront, moyennant le paiement de taxes prévues à l’article 7 du marché, le concessionnaire gardant la disposition des dépouilles des bêtes mortes de maladies contagieuses et de celles qui ne seront pas réclamées par leurs propriétaires ; que ces taxes et la valeur de ces dépouilles constituent la rémunération qui est assurée par le marché au concessionnaire ;
Mais considérant que les dispositions ci-dessus rappelées établissent au profit du sieur X… un véritable monopole, en violation du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, inscrit dans la loi du 17 mars 1791 ; qu’elles sont, en outre, contraires aux articles 27 et 42 de la loi susvisée du 21 juin 1898, qui autorisent les propriétaires de bêtes mortes à en opérer eux-mêmes la destruction par un des procédés énumérés à ces articles ; qu’il suit de là que la ville n’a pu légalement obliger les propriétaires de bêtes mortes à les faire enlever et dénaturer par les soins du concessionnaire et n’a pas pu, par suite, assurer à ce dernier les produits qu’il était en droit d’attendre de sa concession ; qu’elle est donc dans l’impossibilité de satisfaire à ses engagements ; que, dans ces conditions, il y a lieu, faisant droit aux conclusions de la requête, de prononcer la résiliation du marché au profit du sieur X… et de condamner la ville de Montpellier à l’indemniser des dommages résultant pour lui de la non-exécution du marché ;
Considérant que l’état de l’instruction ne permet pas d’apprécier l’étendue du préjudice qui a été causé au sieur X… et qu’il y a lieu d’ordonner une expertise à cet effet ;
DECIDE : Article 1er : L’arrêté ci-dessus visé du Conseil de préfecture de l’Hérault en date du 6 février 1907 est annulé. Article 2 : Il sera par trois experts nommés l’un par le sieur X…, l’autre par la ville de Montpellier, le troisième par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, à moins que les parties ne s’entendent pour la désignation d’un expert unique, procédé à une expertise contradictoire. Faute par l’une des parties d’effectuer la désignation de son expert dans le délai d’un mois à dater de la notification de la présente décision, il y sera procédé d’office par le président de la section du contentieux ; le ou les experts auront à évaluer le montant de l’indemnité due au concessionnaire en réparation du préjudice qui est résulté pour lui de l’inexécution du contrat. Cette indemnité devra comprendre : 1° le montant des diverses perceptions dont le concessionnaire a été privé depuis le 24 juillet 1905 jusqu’au jour de la présente décision, sauf déduction des dépenses d’exploitation correspondant à ces perceptions ; 2° la part des dépenses exposées par le sieur X… pour satisfaire aux obligations du contrat et qui ne serait pas amortie soit par les perceptions diverses par lui effectuées, soit par celles qui sont prévues au paragraphe ci-dessus ; le ou les experts prêteront serment soit devant le secrétaire du contentieux du Conseil d’Etat, soit devant le président du conseil de préfecture de l’Hérault. Ils devront transmettre leurs rapports au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat dans le délai de trois mois à partir de la prestation du serment.
Article 3 : Les dépens sont réservés pour être statué ce qu’il appartiendra en fin de cause. Article 4 : Expédition Intérieur.