Chapitre deux – Les contrats administratifs
1197.- Plan.- Trois problématiques seront successivement évoquées : la notion de contrat administratif, le régime des contrats administratifs et le contentieux des contrats administratifs.
Section I – Notion de contrat administratif
1198.- Qualification législative et critères jurisprudentiels.- La qualification de contrat administratif peut résulter d’un texte de loi. A défaut, les juges ont recours à des critères jurisprudentiels de qualification.
§I – Contrats administratifs par détermination de la loi
1199.- Illustrations.- Lorsque la qualification de contrat administratif est précisée par la loi, le juge administratif est tenu de la respecter :
Exemples :
– Depuis la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (loi dite « MURCEF », art. 2), les marchés passés en application du Code des marchés publics – aujourd’hui du Code de la commande publique (art. L. 6) – sont des contrats administratifs. Ce texte avait mis fin à la jurisprudence du Tribunal des conflits selon laquelle le fait qu’un contrat était soumis, en raison de son montant, au Code des marchés publics, ne pouvait suffire à lui conférer le caractère de contrat administratif (TC, 5 juillet 1999, requête numéro 3142, Commune de Sauve c. Société Gestetner : AJDA 1999, p. 554, chron. Raynaud et Fombeur ; Dr. adm. 1999, comm. 248, obs. Schwartz ; RDP 2000, p. 247, note Llorens ; RFDA 1999, p. 1163, concl. Schwartz).
– L’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession précise que ces contrats sont des contrats administratifs. Cette qualification est également reprise par l’article L. 6 du Code de la commande publique actuellement en vigueur.
1200.- Hypothèse du changement de la nature juridique du cocontractant public.- Il faut aussi relever que lorsque le cocontractant public devient, en cours d’exécution, une personne privée, par exemple en cas de privatisation d’un établissement public à caractère industriel et commercial, les juges considèrent que « sauf disposition législative contraire, la nature juridique d’un contrat s’apprécie à la date à laquelle il a été conclu » (TC, 16 octobre 2006, requête numéro 3506, Caisse centrale de réassurance c. Mutuelle des architectes français : AJDA 2006, p. 2382, chron. Landais et Lenica ; CJEG 2007, p. 30, concl. Stahl ; Contrats-marchés publ. 2016, comm. 319, note Zimmer ; Dr. adm. 2006, focus 21, obs. Noguellou ; JCPA 2007, comm. 2077, note Plessix ; RFDA 2007, p.284, concl. Stahl, note Delaunay). Cette solution s’applique y compris en cas de cession du contrat par la nouvelle société à une autre société privée (TC, 11 avril 2016, requête numéro 4043, Société Fosmax Lng c/ Société TCM FR, Tecnimont et Saipem : Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 146, note Pietri.- V. également TC, 4 juillet 2016, requête numéro 4055, Société JSC Investissement et Société SODEC Commercialisation et Gestion c/ Société Aéroports de Paris).
§II – Critères jurisprudentiels de qualification
1201.- Critère organique et critère matériel.- Dans le silence des textes, la jurisprudence a dégagé différents critères de qualification des contrats. Un contrat administratif doit d’abord mettre en présence au moins une personne publique (critère organique). Il doit ensuite soit contenir une clause exorbitante du droit commun, soit avoir pour objet l’exécution même du service public (critère matériel). Pour qu’un contrat soit qualifié de contrat administratif le critère organique et le critère matériel doivent être satisfaits de façon cumulative.
I – Critère organique
1202.- Principe et aménagements.- En principe, un contrat ne peut être un contrat administratif que si au moins l’une des parties est une personne publique. Ce principe fait cependant l’objet d’un certain nombre d’aménagements.
A – Principe
1203.- Un principe fermement ancré.- Un contrat passé uniquement entre des personnes privées est en principe toujours un contrat de droit privé soumis aux règles du Code civil.
Ce principe s’applique y compris dans les hypothèses où l’une des personnes privées signataires exerce une mission de service public et dispose de prérogatives de puissance publique.
Exemple :
– CE, 15 mars 1999, requête numéro 199889, Union des Mutuelles de la Drôme (RFDA 2002, p. 350, note Lichère) : les conventions d’objectifs passées par les caisses mutuelles régionales, qui sont des personnes morales de droit privé gérant un service public, sont des contrats de droit privé.
Il en va de même lorsque le contrat porte sur l’exécution d’un travail public (TC, 21 juillet 1972, requête numéro 78563, SA Entreprise ossude : Rec., p. 562) ou s’il est conclu pour la mise en œuvre d’une mission de service public (CE Sect., 13 décembre 1963, requête numéro 53973, Syndicat des praticiens de l’art dentaire du département du Nord et Merlin : Rec., p. 623).
Ainsi, l’élément organique joue un rôle majeur, ce qui constitue une différence notable entre le régime des contrats et celui appliqué aux actes administratifs unilatéraux. En effet, pour les actes unilatéraux, les considérations organiques s’effacent : lorsqu’est contesté un acte administratif unilatéral pris par une personne privée, c’est le juge administratif qui est compétent.
B – Aménagements
1204.- Hypothèses.- Il existe des hypothèses où un contrat conclu entre deux personnes privées est néanmoins qualifié de contrat administratif. En revanche, ce n’est pas parce qu’un contrat est passé par deux personnes publiques qu’il est nécessairement un contrat administratif.
1° Contrats conclus entre personnes privées
1205.- Un contrat conclu entre deux personnes privées peut être un contrat administratif.- Dans un arrêt Société d’HLM pour Paris du 14 décembre 2009 (requête numéro C3716), le Tribunal des conflits a rappelé que « le contrat conclu entre deux personnes morales de droit privé est présumé être un contrat de droit privé » dès lors en tout cas qu’elles ont agi pour leur « propre compte »
La jurisprudence admet en effet qu’une personne publique dont la présence est exigée au contrat peut ne pas l’avoir signé, à condition qu’elle soit en quelque sorte représentée par l’une des parties privées signataires. Trois hypothèses sont ici à distinguer : celle où le contrat est conclu par une association transparente, celle du mandat et celle où le contrat litigieux est l’accessoire d’un contrat administratif.
a- Contrats conclus par des associations transparentes
1206.- Définition.- Une association est transparente lorsqu’elle est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources. Il en résulte que « les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs » (CE, 21 mars 2007, requête numéro 281796, Commune de Boulogne-Billancourt : Rec., p. 130 ; BJCP 2007, 230, concl. Boulouis, note Ch. M. ; AJDA 2007, p. 915, note Dreyfus ; RJEP 2007, p. 270, note N. E.- V. également CAA Nancy, 22 mars 2012, requête numéro 11NC00238, Si Abdallah : LPA 22 avril 2013, p. 10, note Tifine).
b- Mandat
1207.- Ancienne jurisprudence Société entreprise Peyrot.- Avant d’évoquer précisément la question du mandat administratif il faut relever que les juges ont longtemps considéré que l’objet du contrat, c’est-à-dire la nature de certaines prestations réalisées par une personne privée, pouvait permettre de reconnaître le caractère administratif d’un contrat. Plus précisément, le juge estimait, dans certains cas, que la personne privée concernée a agi sans mandat mais pour le compte d’une personne publique, et le critère organique était alors indirectement satisfait.
Cette hypothèse avait été dégagée par le Tribunal des conflits dans son arrêt Société entreprise Peyrot du 8 juillet 1963 (requête numéro 01804 : Rec., p. 787 ; AJDA 1963, p. 463, chron. Gentot et Fourré ; D. 1963, jurispr. p. 543, concl. Lasry, note Josse ; JCP G 1963, II, comm. 13375, note Auby ; RDP 1963, p. 766, concl. Lasry ; RDP 1964, p. 767, note Fabre et Morin). Dans cette affaire, les juges relèvent que la construction des routes nationales et des autoroutes appartient par nature à l’Etat. Toutefois elle peut être concédée à des sociétés d’économie mixte, lesquelles sont assimilables à des personnes privées. Mais puisque le concessionnaire agit pour le compte de l’Etat, les contrats passés par le maître de l’ouvrage avec ses sous-traitants – qui ne peuvent être qualifiés de marchés publics – sont soumis aux règles du droit public, que la construction soit assurée par l’Etat ou par un concessionnaire. La solution retenue permettait ainsi de soumettre au seul juge administratif ce type de contrats, que l’autoroute ait été directement construite par l’Etat ou que sa construction ait été concédée.
1208.- Une jurisprudence assez précisément circonscrite.- Cette jurisprudence avait été étendue à d’autres hypothèses assez proches.
Exemple :
– TC, 4 novembre 1996, requête numéro 02990, Espinosa (Rec., p. 553) : présentent une nature administrative les contrats passés par le concessionnaire d’une autoroute, fût-ce avec d’autres personnes privées, dès lors que leur objet est d’édifier les ouvrages principaux ou accessoires de l’autoroute. Cette règle s’applique aux contrats dont l’objet est de permettre la réalisation des travaux nécessaires pour lutter contre le bruit provoqué par cette infrastructure de transports terrestres, et cela même si ces travaux doivent être réalisés hors de l’emprise de l’autoroute ou sur un immeuble privé.
Ceci étant, cette jurisprudence avait vocation à s’appliquer peu fréquemment, la notion de travaux « appartenant par nature à l’Etat » étant entendue de façon très restrictive.
Exemple :
– TC, 12 décembre 2001, requête numéro C3274, Hartmann et Association P.R.I.S.M.E, (Contrats Marchés publ. 2002, comm. 66 ; RFDA 2002, p. 43) : une association chargée de sélectionner l’artiste qui devra édifier une œuvre d’art sur la place publique d’une commune ne saurait être considérée comme agissant au nom et pour le compte de cette commune.
Le fait même que la jurisprudence Peyrot était demeurée isolée et cantonnée à une hypothèse précise remettait en cause sa pertinence : si l’on peut admettre l’idée selon laquelle certaines activités appartiennent par nature à l’Etat – alors même que l’on serait bien embarrassé de devoir définir exactement le contenu de ces activités – on ne voit pas pourquoi cette notion ne s’appliquerait qu’au type d’activités visées par l’arrêt Peyrot.
1209.- Abandon de la jurisprudence Société entreprise Peyrot.- Finalement, le Tribunal des conflits a opéré un revirement de jurisprudence à l’occasion de son arrêt du 9 mars 2015, Rispal c/ Société des Autoroutes du Sud de la France (requête numéro 3984 : AJCT 2015, p. 403, obs. Dreyfus ; AJDA 2015, p. 1204, chron. Lessi et Dutheillet de Lamothe et p. 601, tribune Clamour ; Dr. adm. 2015, comm. 34, note Brenet ; Contrats-marchés publ. 2015, comm. 110, note Devillers ; JCP A 2015, comm. 2157, note Sestier et comm. 2157, chron. Hul ; RFDA 2015, p. 265, concl. Escaut et p. 273, note Canedo-Paris ; RTD com. 2015, p. 247, chron. Orsoni.- V. également CE, 17 juin 2015, requête numéro 383203, Société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône : JCPA 2015, comm. 2359, note Martin). Il résulte de cet arrêt « qu’une société concessionnaire d’autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat » et « que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ».
Notons toutefois qu’eu égard aux conséquences de ce revirement, le Tribunal des conflits a décidé de moduler ses effets : la qualification des contrats signés avant le 9 mars 2015 – soit la date de lecture de l’arrêt Rispal – n’est pas remise en cause. Le revirement ne vaut donc que pour l’avenir.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la portée de la référence faite par le Tribunal des conflits à des « conditions particulières » qui pourraient conduire à considérer que, dans certains cas, le contrat litigieux pourrait malgré tout être qualifié de contrat administratif.
1210.- Hypothèse du mandat.- Ce revirement de jurisprudence ne remet pas en cause le cas où une personne privée, en concluant un contrat, agit en tant que mandataire d’une personne publique. Dans cette hypothèse, ce n’est pas l’objet particulier du contrat, mais le lien de l’une des personnes privées contractante avec une personne publique qui justifie le caractère administratif du contrat. L’hypothèse du mandat administratif est un cas de figure très proche de celui du mandat en droit civil (sur ces questions V. M. Canedo, Le mandat administratif, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public 2001, t. 216). Dans ce cadre, le mandataire a le pouvoir de faire un ou des actes juridiques au nom et pour le compte du mandant.
1211.- Mandat exprès.- Le mandat peut être exprès, et dans ce cas il n’y a aucun obstacle à considérer que le critère organique est satisfait puisque le mandataire ne fait que représenter une personne morale de droit public qui est partie au contrat. Cette hypothèse était notamment visée par l’article 3 de loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dont les dispositions sont reprises à l’article L. 2422-5 du Code de la commande publique. Ces dispositions prévoient que dans la limite du programme et de l’enveloppe financière prévisionnelle qu’il a arrêtés, le maître de l’ouvrage peut confier à un mandataire tout ou partie de ses attributions. Dans un avis du 22 janvier 1998 le Conseil d’Etat a pu ainsi affirmer que « le législateur a entendu faire produire au mandat ainsi institué et réglementé tous les effets du principe de représentation du mandant par le mandataire, dans l’exercice et dans la limite des attributions confiées à ce dernier par la convention de mandat » (requête numéro 361425 : EDCE 1999, n°50, p. 226).
1212.- Mandat implicite.- Le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section du 30 mai 1975, Société d’équipement de la région montpelliéraine a ensuite admis la possibilité d’un mandat implicite dans certaines hypothèses (requête numéro 86738 : Rec., p. 326 ; AJDA 1975, p. 345, chron. Franc et Boyon ; D. 1976, jurispr. p. 3, note Moderne ; RDP 1976, p. 1730.- V. également reprenant la même logique TC, 7 juillet 1975, requête numéro 02013, Commune d’Agde : Rec., p. 798 ; D. 1977, jurispr. p. 8, note Bettinger ; JCP G 1975, II, comm. 18171, note Moderne). Les juges estiment en l’espèce que présente un caractère administratif le contrat par lequel une société, concessionnaire de l’aménagement d’une zone à urbaniser en priorité, a confié à une entreprise la construction des voies publiques traversant cette zone au motif qu’elle « agissait non pas pour son propre compte, ni en sa qualité de concessionnaire mais pour le compte des collectivités publiques auxquelles les voies devaient être remises ».
1213.- Différence avec la jurisprudence Société entreprise Peyrot.- Si les juges se réfèrent également à des contrats conclus « pour le compte » d’une personne publique, ce n’est donc pas le seul objet du contrat, comme dans la jurisprudence Peyrot, qui permet de conclure à son caractère administratif, mais différents indices tirés des relations très étroites entre l’une des parties au contrat et une personne publique extérieure à ce contrat.
Cette différence est patente dans l’arrêt de Section du Conseil d’Etat, du 1er juillet 2010, Société Bioenerg (requête numéro 333275 : Rec., p. 687 ; BJCL 2011, p. 86, concl. Colin ; JCPA 2010, comm. 2359, note Pacteau ; RJEP 2011, 17, concl. Colin). Etait en cause dans cette affaire un contrat conclu entre EDF, société anonyme de droit privé et des producteurs d’électricité privés. Les juges relèvent que ces contrats « contribuent au service public de l’électricité ». Cependant, « les contrats conclus entre eux ne peuvent être regardés comme conclus pour le compte d’une personne publique, alors que la production d’électricité ne relève de l’Etat ou d’une autre personne publique, ni par nature ni par détermination de la loi, et est au contraire une activité économique exercée par des entreprises privées … ». La jurisprudence Peyrot, qui était encore en vigueur, n’a pas vocation à s’appliquer. Les juges précisent ensuite que « EDF n’exerce donc dans ce domaine aucune mission pour le compte d’une personne publique et n’est pas placée, pour la mission de service public à laquelle elle contribue, sous l’autorité de l’Etat ou d’une autre personne publique ». La jurisprudence Société d’équipement de la région montpelliéraine n’ayant donc pas vocation à recevoir application, le contrat litigieux est donc un contrat de droit privé.
1214.- Extension de la notion de mandat implicite.- Contrairement à la jurisprudence Peyrot, qui est demeurée limitée au domaine des travaux routiers et autoroutiers, la jurisprudence Société d’équipement de la région montpelliéraine s’est étendue à d’autres hypothèses.
Elle a vocation, tout d’abord, à s’appliquer à d’autres travaux que les travaux routiers et autoroutiers.
Exemple :
– TC, 20 mai 1993, requête numéro 02840, Société Wanner Isofi Isolation et Société Nersa (Dr. adm. 1993, comm. 349 ; RFDA 1994, p. 181 ; CJEG 1994, p. 86, concl. Martin, note Delpirou) : le marché passé par la société Nersa a pour objet la construction d’un ouvrage public concourant à la réalisation des mêmes objectifs que ceux d’Electricité de France.
Les juges relèvent dans cette affaire plusieurs indices.
Tout d’abord, la constitution de la société Nersa a été autorisée par un décret en application d’une loi prévoyant la création d’entreprises exerçant en France une activité d’intérêt « européen » en matière d’électricité et en conformité avec la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.
Ensuite, l’exploitation des centrales doit se faire dans les conditions prévues par la loi du 8 avril 1946.
De même, le personnel français de la société Nersa est soumis au même statut que celui d’Electricité de France.
Enfin, Electricité de France – qui est à l’époque une personne publique – détient 51 % des actions de la société Nersa.
Compte tenu de ces indices, le marché passé par cette société a pour objet la construction d’un ouvrage public concourant à la réalisation des mêmes objectifs que ceux d’Electricité de France. La société Nersa doit donc être regardée comme agissant pour le compte de cet établissement public. Dès lors, le marché litigieux est un marché de travaux publics.
Dans toutes ces hypothèses, la solution retenue présente pour intérêt d’attribuer compétence au juge administratif pour des litiges qui portent sur la construction d’ouvrages qui ont fait l’objet d’un financement public alors même qu’ils n’ont pas été réalisés au moyen d’un marché public de travaux.
1215.- Remise en cause en matière de concessions.- S’agissant des travaux publics, la portée de cette solution a toutefois été remise en cause par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 11 mars 2011, Communauté d’agglomération du Grand Toulouse (requête numéro 330722 : Rec. tables, p. 843 ; BJCP 2011, p. 222, concl. Boulouis, obs. R.S. ; BJDU 2011, p. 198, concl. Boulouis, obs. Ch. L ; RJEP 2011, étude 4, note Llorens ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 130, note Devillers ; JCP A 2011, comm. 2205, note Devès ; RD imm. 2011, p. 278, note Noguellou ; Construction – Urb. 2011, comm. 67, obs. Couton). Il résulte de cette décision qu’un aménageur qui ne réalise pas exclusivement des équipements ou ouvrages devant être remis à la collectivité publique dès leur achèvement ou leur réception ne peut être regardé comme agissant pour le compte de la personne publique.
Cette solution a été ensuite reprise par le Tribunal des conflits dans son arrêt SARL Port croisade du 15 octobre 2012 (requête numéro 3853 : Rec. tables, p. 653 ; Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 17, note Eckert.- V. également TA Strasbourg, 31 mars 2016, requête numéro 1601218, Société Eiffage Énergie Alsace Franche-Comté : Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 131, note Ubaud-Bergeron). Dans cette affaire, sont qualifiés de contrats de droit privé des conventions passées par une société titulaire d’une convention publique d’aménagement, au motif que celle-ci n’a pas pour unique objet la réalisation d’ouvrages publics, dès lors qu’elle prévoit également la construction puis la vente de logements privés par ce titulaire.
En matière de concessions de travaux (TC, 16 juin 2014, n°C3944, Société d’exploitation de la Tour Effeil : Rec., p. 462 ; RJEP 2014, comm. 52, note Sirinelli), mais également de concessions de services (TC, 9 juillet 2012, n°C3834, Compagnie des eaux et de l’ozone : Rec. tables, p. 653), la simple existence du contrat entre parties n’emporte donc pas mandat conféré par la personne publique concédante au concessionnaire.
Les critères du mandat ont ensuite été reformulés dans un sens tout aussi restrictif par le Tribunal des conflits à l’occasion de l’arrêt Commune de Capbreton du 11 décembre 2017 concernant une concession et plus précisément dans cette affaire une concession d’aménagement (requête numéro 4103 : Rec., p. 416 ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 30, note Ubaud-Bergeron). Les juges posent d’abord le principe que « le titulaire d’une convention conclue avec une collectivité publique pour la réalisation d’une opération d’aménagement ne saurait être regardé comme un mandataire de cette collectivité ». Il n’en ira autrement que si les stipulations de la convention définissant les missions du cocontractant de la collectivité publique ou un « ensemble de conditions particulières prévues pour l’exécution de celle-ci » permettent d’affirmer que la convention est, en tout ou partie, un « contrat de mandat par lequel la collectivité publique demande seulement à son cocontractant d’agir en son nom et pour son compte, notamment pour conclure les contrats nécessaires ». Il en ira ainsi, notamment, lorsqu’il est prévu « le maintien de la compétence de la collectivité publique pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l’opération ou la substitution de la collectivité publique à son cocontractant pour engager des actions contre les personnes avec lesquelles celui-ci a conclu des contrats ».
Exemple :
– TC, 4 juillet 2022, requête numéro C4247, Société Allianz global corporate et a. (Dr. adm. 2022, alerte 115, obs. Courrèges ; JCP A 2022, act. 467, obs. Erstein) : la concession, par l’Etat, de l’exploitation de l’aérodrome de Toulouse Blagnac est soumise au cahier des charges type de concession annexé au décret n°2007-244 du 23 février 2007, qui confie au concessionnaire le soin d’assurer l’aménagement et le développement de l’aérodrome et prévoit les conditions dans lesquelles s’exécutent les travaux de création, d’aménagement et d’entretien des pistes, voies de circulation et aires de stationnement. Ni la définition des missions confiées à la société Aéroport Toulouse Blagnac par cette concession pour l’exécution des travaux d’aménagement d’installations aéroportuaires, ni les conditions prévues pour leur exécution ne permettent de la regarder comme ayant en réalité pour objet de confier à la société Aéroport Toulouse Blagnac le soin d’agir non pas en son nom propre mais au nom et pour le compte de l’Etat.
1216.- Application dans d’autres hypothèses.- En dépir de ce recul de la théorie du mandat, il faut enfin souligner que la logique de la jurisprudence Société d’équipement de la région montpelliéraine s’est étendue à d’autres hypothèses que celles des travaux publics qui, si elles sont rares, ne paraissent pas devoir être remises en cause.
Exemples :
– CE, avis, 16 mai 2001, requête numéro 229811, requête numéro 229810, Joly et Padroza (Rec., p. 237 ; AJFP 2001, n°5, p. 4, concl. Fombeur et p. 10, note Boutelet ; RDP 2001, p. 1513, note Canedo) : il appartient au juge administratif de rechercher, en recourant à la méthode du faisceau d’indices, si l’Etat peut être désigné comme l’employeur d’une personne recrutée par une association dans le cadre d’un contrat emploi solidarité.
– TC, 23 septembre 2002, requête numéro C3300, Société Sotrame et Metalform c. GIE SESAM Vitale (Rec., p. 550 ; AJDA 2002, p. 1437, chron. Donnat et Casas) : un litige mettant en cause la responsabilité extra contractuelle de la personne morale de droit privé chargée de l’exécution même du service public administratif de mise en œuvre du système de saisie électronique des données de l’assurance maladie, qu’elle assume au nom et pour le compte des caisses qui l’ont constituée et notamment de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, ressortit à la compétence du juge administratif.
c- Théorie de l’accessoire
1217.- Une application peu fréquente.- Le recours à la théorie de l’accessoire, suivant l’ancien principe civiliste accessorium sequitur principale, peut permettre de qualifier de contrats administratifs des contrats conclus entre personnes privées. Longtemps cette théorie a été essentiellement cantonnée aux contrats de cautionnement accessoires d’un marché public (CE Sect., 13 octobre 1972, requête numéro 79499, requête numéro 79500, SA de Banque Le Crédit du Nord : AJDA 1973, p. 213. – CE, 22 mars 1974, requête numéro 81721, Banque Alexandre de Saint-Phalle : Rec., p. 211.- V. également CE, 10 juillet 2013, requête numéro 361122, Banque calédonienne d’investissement : Rec. tables, p. 698). Cette utilisation limitée a notamment conduit les juges à dénier le caractère administratif d’un contrat de crédit-bail emportant occupation du domaine public, lequel ne saurait être considéré comme l’accessoire d’une délégation du service public (TC, 21 mars 2005, requête numéro C3436, Société Slibail énergie c/ Ville Conflans-Sainte-Honorine : Rec., p. 653 ; AJDA 2005, p. 1186, note Dreyfus ; BJCL 2005, p. 302, concl. Roul, obs. B. P. ; BJCP 2005, p. 241 ; CJEG 2005, comm. 293, concl. Roul ; Contrats-marchés publ. 2005, étude 14, Tenailleau et Tixier ; Dr. adm. 2005, comm. 115, note Ménéménis). Selon cet arrêt, en effet, le contrat de crédit-bail ne pouvait être qualifié de contrat administratif dès lors qu’il « se borne à mettre en place une opération de financement entre deux sociétés commerciales ». De la même façon, il a été récemment jugé qu’un contrat de prestations de sûreté portuaire ne saurait être considéré comme l’accessoire d’une convention d’occupation domaniale (TC, 8 avril 2019, requête numéro 4157 : AJDA 2019, p. 1706, note Roux).
En revanche, une autre hypothèse admise de l’application de la théorie de l’accessoire est celle d’un contrat passé entre des entrepreneurs et des architectes en vue de régler à l’amiable un litige relatif à l’exécution de travaux publics (CE, 23 octobre 1970, requête numéro 73663, Clot et Société Orefice : Rec., p. 616).
Dans un arrêt du 8 juillet 2013 (requête numéro 3906, Société d’exploitation des énergies photovoltaïques : Rec., p. 371 ; Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 241, note Devillers ; JCP A 2014, comm. 2213, note Renard-Payen ; Dr. adm. 2013, comm. 78, note Simonnet ; Dr. rur. 2013, comm. 14, note Tifine), le Tribunal des conflits a paru vouloir donner une place plus importante à la théorie de l’accessoire, le considérant de principe de cet arrêt visant expressément cette hypothèse comme une dérogation possible à l’exigence du critère organique. Ainsi, « les contrats conclus entre personnes privées sont en principe des contrats de droit privé, hormis le cas où l’une des parties agit pour le compte d’une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l’accessoire d’un contrat de droit public ».
Il est toutefois difficile, en l’état actuel de la jurisprudence d’apprécier la portée de cette évolution puisque les juges ont considéré, en l’espèce, que le contrat de raccordement d’une installation de production d’électricité photovoltaïque au réseau EDF ne peut pas être considéré comme l’accessoire du contrat d’achat d’électricité (ce dernier contrat étant un contrat administratif en application de la loi n°2000-108 du 10 février 2000). Il s’agissait pourtant d’une hypothèse dans laquelle on aurait pu envisager l’application de la théorie de l’accessoire. Quoi qu’il en soit, il n’est pas sûr que l’introduction de cette théorie, parmi les critères de qualification des contrats administratifs, conduira à une extension du domaine des contrats administratifs. S’agissant des montages contractuels complexes, on peut même redouter qu’elle introduise davantage de confusion en rendant plus incertaine la qualification des contrats conclus entre personnes privées dans le cadre de ces montages.
2° Contrats conclus entre personnes publiques
1218.- Présomption d’administrativité.- Pour ces contrats, le respect du critère organique est évident. La question qui se pose est alors de savoir si ces contrats obéissent à un statut particulier, qui diffèrerait de celui des autres contrats administratifs, qu’ils soient passés entre deux personnes privées, ou entre une personne privée et une personne publique. Plus précisément, il s’agit de déterminer si la présence au contrat de deux personnes publiques suffit à qualifier ces contrats de contrats administratifs.
Dans son arrêt du 21 mars 1983 UAP (requête numéro 02256 : Rec., p. 537 ; AJDA 1983, p. 356, concl. Labetoulle ; D. 1984, jurispr. p. 33, note Auby et Hubrecht ; Rev. adm. 1983, p. 368, note Pacteau), le Tribunal des conflits semble s’être prononcé en faveur du statut particulier des contrats conclus entre deux personnes publiques. Il a en effet posé une présomption selon laquelle « un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif ».
1219.- Exigence du critère matériel.- Cependant, la jurisprudence ultérieure a démontré que cette présomption n’avait aucune valeur juridique. La formule de l’arrêt UAP établit une sorte de constat : il est logique de présumer, en effet, qu’un contrat conclu entre deux personnes publiques est un contrat administratif. Cependant, comme pour tous les autres contrats, ces conventions n’ont un caractère administratif que si le critère matériel de qualification est également satisfait. Dans le cas contraire, elles seront qualifiées de contrat de droit privé.
Exemple :
– CE, 11 mai 1990, requête numéro 60247, Bureau d’aide sociale de Blénod-lès-Pont-à-Mousson (Rec., p. 123 ; CJEG 1990, p. 347, concl. Hubert) : aux termes d’une « convention de location » passée entre un office public d’HLM et un bureau d’aide sociale, le premier a donné à bail au second pour une durée d’un an renouvelable un ensemble de bâtiments moyennant une redevance fixée en fonction de la législation sur les HLM, et la convention stipulant que le bureau d’aide sociale aurait « la responsabilité entière et exclusive de tous les services… fonctionnant dans les lieux loués ». Dès lors, eu égard à son objet, le contrat n’a fait naître entre l’office et le bureau que des rapports de droit privé (V. également TC, 4 juillet 2016, requête numéro 4057, Commune de Gélaucourt c/ Office public d’habitat de la ville de Toul : Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 230, note Pietri).
Ceci implique clairement qu’en dépit de la rédaction de l’arrêt UAP, les contrats conclus entre deux personnes publiques ne sont pas soumis à un régime particulier. Le critère matériel est également requis.
Un raisonnement inspiré par la jurisprudence UAP a récemment été adopté par le Tribunal des conflits à propos des contrats conclus par les établissements publics industriels et commerciaux avec une personne privée (TC, 7 avril 2014, requête numéro 3949, Société d’édition de ventes publicitaires (SEVP) c/ Office du tourisme de Rambouillet : Dr. adm. 2014, comm. 49, note Sée). Il résulte de cet arrêt que sauf disposition législative contraire, le contrat est un contrat de droit privé « à l’exception de ceux comportant des clauses exorbitantes du droit commun ou relevant d’un régime exorbitant du droit commun ainsi que de ceux relatifs à celles de ses activités qui ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ». Là encore, il s’agit plus d’un constat : normalement ces contrats sont de droit privé, mais ce ne sera pas le cas si, le critère organique étant respecté, les autres critères de qualification des contrats administratifs sont également satisfaits.
II – Critère matériel
1220.- Un critère alternatif.- Ce critère se cumule au critère organique, mais il se présente sous une forme alternative : pour être considéré comme administratif, le contrat qui satisfait au critère organique doit en outre soit comprendre des clauses exorbitantes du droit commun, soit avoir pour objet l’exécution même du service public.
A – Clauses exorbitantes du droit commun
1221.- Origine du critère.- Ce critère est apparu à l’occasion de l’arrêt du Conseil d’Etat du 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges (requête numéro 30701 : Rec., p. 909, concl. Blum ; RDP 1914, p. 145, note Jèze). Cette affaire concernait un litige relatif à un contrat entre la ville de Lille et cette société sur le montant du prix d’une livraison de pavés. Le Conseil d’Etat se borne à relever que ce contrat « avait pour objet unique des fournitures à livrer selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers ». Par conséquent, les litiges liés à l’exécution de ces contrats, qui ne contiennent aucune clause exorbitante du droit commun, relèvent du juge judiciaire.
Il faut relever que cet arrêt est bien antérieur à la loi MURCEF du 11 décembre 2001 (V. supra). Désormais, en application de l’article L. 6 du Code de la commande publique, les marchés relevant du champ d’application de ce code passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs par détermination de la loi.
La notion de « clauses exorbitantes du droit commun » a été constamment utilisée par le juge administratif depuis 1912. Elle a été redéfinie par le Tribunal des conflits à l’occasion de l’arrêt SA Axa IARD du 13 octobre 2014 (requête numéro 3963 préc.).
1222.- Définition en creux du critère.- Le recours à cette notion, telle qu’elle résulte de l’arrêt du 31 juillet 1912, présentait un certain nombre d’inconvénients, qui sont tous liés au caractère négatif ou en creux de sa définition. Selon le Conseil d’Etat il s’agit de clauses qui ont « pour effet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales » (CE Sect., 20 octobre 1950, Stein : Rec., p. 505). Le Conseil d’Etat a pu également se référer à « des clauses attribuant à la puissance publique des prérogatives exorbitantes du droit commun » (CE, 21 janvier 1948, Société Penaroya : S. 1949, III, p. 6). Un arrêt d’une cour d’appel se réfère quant à lui à « une clause qui serait illicite ou impossible à insérer dans un contrat de droit privé » (CA Caen, 26 juin 2008, numéro 08/00826, Le Cleach c/ Commune de Ranes : Loyers et Copropriété 2008, 271, note Vial-Pedroletti). De mêmec, présentent un caractère exorbitant du droit commun les clauses « qui diffèrent par leur nature de celles qui peuvent être stipulées dans un contrat analogue de droit privé » (Cass. 1ère civ., 18 février 1992, pourvoi numéro 90-18.826, Compagnie d’assurances La Mondiale : Bull. civ. 1992, I, n°59) ou qui imposent au cocontractant des « obligations particulières … dans un intérêt public » (CE Sect., 17 décembre 1954, Grosy : Rec., p. 674).
Exemples :
– CE, 19 novembre 2010, requête numéro 331837, Office national des forêts (Rec., p. 449 ; Contrats-Marchés publ. 2011, 36, note Devillers) : en l’espèce, un particulier avait été autorisé à occuper une parcelle de forêt relevant du domaine privé de l’Etat afin d’établir un centre équestre, avant que l’Office national des forêts (ONF) ne prononce la résiliation du contrat. Le Conseil d’Etat identifie plusieurs clauses exorbitantes du droit commun : l’ONF dispose d’un pouvoir de contrôle direct de l’ensemble des documents comptables du titulaire ; l’ONF peut exécuter des travaux sur la voie publique ou sur des immeubles voisins et dans ce cas le titulaire n’aura aucun recours contre l’ONF et ne pourra prétendre à aucune indemnité, ni diminution de loyer ; le cocontractant doit observer les instructions que pourraient lui donner les agents assermentés de l’ONF, compétents pour rechercher et constater les contraventions et délits dans les forêts et terrains soumis au régime forestier.
– CE, 14 octobre 2005, requête numéro 275446, Commune de Chantonnay c. Robert : cette affaire est relative à un contrat de bail conclu entre une commune et des particuliers. Constitue une clause exorbitante du droit commun, une clause du contrat qui stipule que les preneurs s’engagent, au cas où la commune bailleresse aurait besoin de récupérer le logement, à le libérer dans un délai de deux mois à compter de la réception d’un simple préavis et sans pouvoir prétendre à la moindre indemnité.
– TC, 20 juin 2005, requête numéro C3446, SNC Société hôtelière Guyanaise c. Centre national d’études spatiales : était ici en cause un contrat en vue de la vente d’un hôtel et d’un terrain attenant en vertu duquel la société acquéreuse s’engageait à réaliser des travaux d’extension de l’hôtel au profit du Centre national d’études spatiales (CNES). Pour le Tribunal des conflits, le contrat contenait des clauses exorbitantes car il conférait au CNES un pouvoir de contrôle sur son cocontractant en lui imposant des modalités d’exploitation en lui réservant, postérieurement à la vente, l’appréciation de la qualité du projet architectural ainsi que des normes et du prix des chambres de l’ensemble hôtelier dont la réalisation était à entreprendre avant la réitération des actes définitifs de vente, en garantissant un taux d’occupation des locaux, et en prévoyant des conditions de remboursement pouvant aboutir à une revente en faveur du CNES à un coût déterminé et non au prix du marché.
– TC, 2 novembre 2020, requête numéro 4196, Institut national de recherches archéologiques préventives (Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 3, note M. Ubaud-Bergeron ; Dr. adm. 2021, comm. 13, note Brenet ; JCP G 2020, act. 1316) : la clause attribuant un pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, non pas à une personne publique mais à la personne privée contractante ne confère pas un caractère administratif au contrat.
L’utilisation de cette définition est délicate et elle manque de fiabilité puisqu’elle est entièrement dépendante du droit des obligations, tel qu’il est interprété par le juge administratif.
Or, d’une part, la notion même de clause exorbitante du droit commun est évolutive. Ainsi, une clause de résiliation unilatérale n’est plus nécessairement considérée comme une clause exorbitante du droit commun, ce qui est lié à l’évolution du droit civil des obligations qui admet aujourd’hui plus facilement qu’une telle clause peut être stipulée dans un contrat de droit privé. Ainsi, lorsqu’est en cause une convention d’occupation temporaire du domaine privé, une clause permettant à la personne publique de reprendre la jouissance de l’immeuble à tout moment et pour tout motif n’est pas considérée comme une clause exorbitante du droit commun (TC, 20 février 2008, requête numéro 08-03623, Verrière c. COURLY : Contrats – Marchés publ., 2008, comm. 122, note Eckert.- V. également TC, 12 décembre 2011, requête numéro 3824, Commune de Nouméa c/Société Lima : Rec. tables, p. 843). En effet, la juridiction judiciaire admet la conclusion de conventions d’occupation précaire, exonérées du régime des baux commerciaux, à condition que leur caractère provisoire soit justifié par des circonstances spéciales connues des deux parties (Cass. 3ème civ., 14 novembre 1973, pourvoi numéro 72-13.043 : D. 1974, p. 139. – Cass. 3ème civ., 25 mai 1977, pourvoi n°76-102.26 : Bull. civ. 1977, III, n°220).
D’autre part, les juges ne procèdent pas à une analyse clause par clause du contrat, mais ils prennent en compte l’équilibre général de la convention. En d’autres termes, le critère ne sera pas satisfait dès lors qu’une clause imposant une sujétion au cocontractant privé est contrebalancée par un avantage qui lui est concédé et qui est également inusuel dans un contrat de droit privé. Ainsi, dans l’arrêt Verrière c/ COURLY du 20 février 2008 (préc.), si le contrat permet au bailleur d’utiliser librement le bien, l’ensemble des dépenses liées à l’entretien sont à sa charge, ce qui fait que la première clause n’est pas considérée comme étant exorbitante du droit commun.
1223.- Définition positive du critère.- C’est pour tenter de résoudre les difficultés liées à la définition « en creux » de la notion de clause exorbitante que le Tribunal des conflits à fait évoluer sa jurisprudence en imposant une définition positive du critère des clauses exorbitantes.
Dans ses conclusions sur l’arrêt SA Axa IARD (préc.), le commissaire du gouvernement Desportes est revenu sur les difficultés liées à la notion de clause exorbitante en insistant sur le fait qu’en « se bornant à désigner cette clause comme celle qui ne se trouve pas dans les contrats de droit privé, la définition donne peu d’indications permettant de déterminer, de manière positive, l’élément objectif caractérisant l’existence d’une relation de droit public ». Le commissaire du gouvernement a alors proposé de « revenir à ce qui fait la spécificité de l’action administrative : l’accomplissement d’une mission d’intérêt général par la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ».
C’est cette nouvelle approche qui a été choisie par le Tribunal des conflits, les clauses exorbitantes se définissant alors « comme celles qui, dans un but d’intérêt général, soit confèrent à la personne publique, des prérogatives ou des avantages exorbitants, soit imposent à son cocontractant des obligations ou des sujétions exorbitantes ». Ainsi, deux conditions cumulatives sont désormais nécessaires pour considérer qu’une clause est exorbitante du droit commun : elle doit nécessairement s’exercer dans un but d’intérêt général et, soit conférer « à la personne publique, des prérogatives ou des avantages exorbitants », soit imposer « à son cocontractant des obligations ou des sujétions exorbitantes ».
Cette nouvelle approche permet de mieux comprendre des solutions jurisprudentielles qui, comme on l’a évoqué plus haut, sont souvent très nuancées. Si l’on revient sur l’arrêt Verrière c/ COURLY du 20 février 2008 (préc.), on peut ainsi considérer que c’est aussi l’absence d’une telle finalité d’intérêt général dans une convention d’occupation précaire du domaine privé qui a conduit les juges à considérer qu’une clause dotant la collectivité publique contractante d’un pouvoir de résiliation unilatérale n’était pas exorbitante.
Exemple :
– CE, 20 juillet 2022, requête numéro 457616 : pour juger qu’un contrat portant sur l’occupation du domaine privé comprenait des clauses impliquant qu’il relève du régime des contrats administratifs, et en déduire que le contentieux relatif à sa résiliation relevait de la compétence du juge administratif, les juges du fond se sont fondés, en premier lieu, sur les stipulations de son article 8, permettant à l’ONF de résilier le contrat sans indemnité ni préavis dans le cas où il déciderait d’engager une procédure de cession de cette parcelle, en deuxième lieu, sur celles de son article 2 prévoyant la possibilité pour l’ONF, d’une part, de faire réaliser des travaux de remise en état du terrain aux frais du concessionnaire et, d’autre part, habilitant ses agents à contrôler la bonne exécution par l’intéressé des obligations lui incombant et, en troisième lieu, sur les stipulations de l’article 3 de la convention, lequel interdisait au concessionnaire d’élaguer, d’abattre ou d’enlever un arbre sans l’accord écrit de l’ONF, autorisait l’établissement public à procéder à des coupes d’arbres sur le terrain et soumettait la plantation d’arbres à autorisation écrite de l’Office. Aucune de ces clauses ne justifie toutefois que, dans l’intérêt général, cette convention relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
Il semble toutefois que cette évolution ne soit pas de nature à dissiper toutes les difficultés liées à l’utilisation du critère des clauses exorbitantes, notamment parce que le juge fait référence à la notion éminemment imprécise « d’intérêt général ». L’intérêt pratique de la jurisprudence SA Axa IARD apparaît limité et il est probable que son application au cas par cas n’emportera pas d’évolutions notables sur la qualification des contrats soumis au juge administratif.
1224.- Variante du critère du régime exorbitant du droit commun.- Il faut enfin relever l’existence d’une variante au critère des clauses exorbitantes du droit commun qui résulte de l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 19 janvier 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant (requête numéro 82338 : Rec., p. 48 ; CJEG 1973, p. 239, concl. Rougevin-Baville, note Carron ; AJDA 1973, p. 358, chron. Léger et Boyon ; JCP G 1974, II, comm. 17629, note Pellet ; Rev. adm. 1973, p. 633, note Amselek). Plutôt qu’à la notion de clause exorbitante du droit commun, c’est à celle de régime exorbitant du droit commun en application duquel le contrat a été conclu que se réfère le juge. Prosper Weil a pu écrire, à propos de ces conventions, qu’il s’agit de contrats conclus dans une « ambiance de droit public » (Le critère du contrat administratif en crise, Mélanges Waline, p. 847).
L’arrêt de 1973 concernait le régime des contrats passés entre EDF et les producteurs privés propriétaires de mini centrales électriques. Le Conseil d’Etat constate notamment que les producteurs sont obligés de contracter avec EDF pour vendre leur électricité et, en cas de litige, qu’ils doivent obligatoirement saisir le ministre de l’Industrie préalablement à tout recours juridictionnel. L’existence de ce régime particulier conduit à qualifier les conventions en cause de contrats administratifs. Dans cette affaire, c’est donc le régime du contrat qui justifie ce caractère administratif, alors qu’en principe, à l’inverse du raisonnement du Conseil d’Etat, c’est le régime du contrat qui devrait être la conséquence de sa qualification.
Il est à noter, cependant, concernant les contrats d’achat d’électricité, que cette jurisprudence n’est plus d’actualité depuis la transformation d’EDF en société anonyme. Dans son arrêt Société Bioenerg du 1er juillet 2010 (requête numéro 333275, préc.), le Conseil d’Etat a en effet estimé que « à supposer que le contrat soit soumis à un régime exorbitant du droit commun, ce qui ne peut résulter des seules conditions relatives à sa passation, cette circonstance serait en tout état de cause sans incidence, s’agissant d’un contrat entre deux personnes privées ».
Notons toutefois que cette jurisprudence a été remise en cause par l’article 88 III de la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national sur l’environnement. Cette loi a modifié l’article 10 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 qui précise désormais que les contrats d’achat d’électricité sont des contrats administratifs.
Quoi qu’il en soit le critère du régime exorbitant du droit commun peut s’appliquer à d’autres catégories de contrats.
Exemple :
– Cass. 1ère civ., 30 septembre 2003, pourvoi numéro 01-03717, SMPDC c. Société CGU Courtage et a. (AJDA 2003, p. 2205, note Dreyfus) : un syndicat mixte avait souscrit une convention avec une société intervenant comme mandataire de l’Etat, puis d’un établissement public administratif, en vue de gérer un fonds alimenté par des deniers publics dont les interventions étaient limitées par les dispositions qui l’avaient créé et qui ne pouvait fonctionner qu’avec le concours d’assureurs dont l’action s’inscrivait dans un contexte administratif et selon des règles exorbitantes du droit commun et dont les garanties ne pouvaient jouer qu’en fonction du dépassement des engagement financiers dudit fonds administrés par un mandataire de la puissance publique.
La persistance de ce critère a été très clairement rappelée par le Tribunal des conflis à l’occasion de son arrêt du 7 avril 2014, Société d’édition de ventes publicitaires (SEVP) c/ Office du tourisme de Rambouillet (requête numéro 3949 : préc.- V. aussi par ex. TC, 8 avril 2019, requête numéro 4157 : AJDA 2019, p. 1706, obs. Roux). Il résulte en effet de cet arrêt que, sauf disposition législative contraire, lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement public industriel et commercial « les contrats conclus pour les besoins de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux comportant des clauses exorbitantes du droit commun ou relevant d’un régime exorbitant du droit commun ainsi que de ceux relatifs à celles de ses activités qui ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ».
B – Objet du contrat
1225.- Apparition et difficultés.- Apparu au début du XXème siècle, ce critère a connu une éclipse avant d’être à nouveau utilisé à partir du milieu des années 1950. Sa mise en œuvre suscite cependant un certain nombre de difficultés.
1° Apparition du critère de l’objet du contrat
1226.- Origine du critère.- Ce critère a été dégagé par le Conseil d’Etat dès l’arrêt Thérond du 4 avril 1910 (requête numéro 29373 : Rec., p. 193 ; D. 1912, III, p. 57, concl. Pichat, note Hauriou ; RDP 1910, p. 249, note Jèze). Il est donc antérieur à celui tiré de l’existence de clauses exorbitantes du droit commun. Très longtemps, cependant, ces critères ont été exclusifs l’un de l’autre.
Dans l’affaire Thérond, la ville de Montpellier avait confié le service public de capture et de mise en fourrière des chiens errants et d’enlèvement des animaux morts à une personne privée. Le Conseil d’Etat a alors considéré que l’objet du contrat, ajouté au fait qu’une des parties était une personne publique, lui conférait un caractère administratif.
1227.- Un critère un temps éclipsé par le critère des clauses exorbitantes du droit commun.- La solution dégagée par l’arrêt Thérond a cependant été abandonnée à l’occasion de l’arrêt Société des granits porphyroïdes des Vosges (préc.) au profit du critère tiré de l’existence de clauses exorbitantes du droit commun. Cet abandon n’a toutefois jamais été total, ce critère réapparaissant dans des espèces isolées (V. ainsi TC, 6 avril 1946, Société franco-tunisienne d’armement : Rec., p. 327).
1228.- Un critère désormais concurrent du critère des clauses exorbitantes du droit commun.- Ce n’est toutefois qu’avec les arrêts de Section du 20 avril 1956, Epoux Bertin et ministre de l’Agriculture c/ Consorts Grimouard (requête numéro 49837, requête numéro 33961 : Rec., p. 167 et 168 ; AJDA 1956, II, p. 272, concl. Long, chron. Fournier et Braibant ; RDP 1956, p. 869, concl. Long, note Waline ; D. 1956, p. 433, note de Laubadère ; Rev. Adm. 1956, p. 496, note Liet-Veaux) que le Conseil d’Etat a réhabilité le critère de l’objet du contrat, tout en conservant l’autre critère dégagé en 1912.
1229.- Hypothèses.- Les arrêts de 1956 visent deux hypothèses. Celle, tout d’abord, où le contrat confie au cocontractant privé l’exécution même du service public.
Dans l’arrêt Epoux Bertin, le Conseil d’Etat relève ainsi qu’un contrat conclu entre les requérants et l’administration pour qu’ils assurent l’hébergement et la nourriture de réfugiés « a eu pour objet de confier aux intéressés l’exécution même du service public alors chargé d’assurer le rapatriement des réfugiés de nationalité étrangère ». Ainsi, en vertu de cette jurisprudence, les contrats de délégation de service public étaient des contrats administratifs, bien avant que cette qualification ne leur soit reconnue par l’article 3 de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016. Cette solution connaît un prolongement dans l’hypothèse de contrats conclus avec des agents en charge d’une mission de service public administratif (V. sur ce point infra).
La seconde hypothèse est celle où le contrat constitue « une modalité d’exécution » du service public par l’administration elle-même.
C’est l’hypothèse de l’arrêt Grimouard dans lequel était en cause une opération de reboisement opérée par l’Etat sur des terrains privés, à la suite d’un contrat conclu avec les propriétaires.
Une dernière hypothèse a été dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section Département de la Moselle du 31 mars 1989 (requête numéro 57000, requête numéro 60384 : Rec., p. 105 ; AJDA 1989, p. 315, chron. Baptiste et Honorat ; Rev. adm. 1989, p. 341, note Terneyre ; RFDA 1989, p. 466, concl. Fornacciari ; RDP 1989, p. 1171, note Llorens). Elle concerne spécifiquement les contrats conclus entre deux personnes en charge d’une mission de service public, dès lors que le contrat a pour objet l’organisation d’un service public et notamment la coordination entre deux personnes publiques (TC, 16 janvier 1995, requête numéro 02946, Préfet de la région Île-de-France, Préfet de Paris, Compagnie nationale du Rhône c/ EDF : Rec., p. 489 ; CJEG 1995, p. 259, concl. Martin, note Delpirou.- V. également CE, 24 novembre 2008, requête numéro 290540, Syndicat mixte d’assainissement de la région du Pic Saint-Loup : Rec. tables, p. 648 ; AJDA 2009, p. 319, note Dreyfus ; Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 7, note Eckert ; Dr. adm. 2009, comm. 19, note Melleray ; JCP G 2009, I, comm. 130, chron. Plessix ; RJEP 2009, 21, note Pellissier).
Ainsi, dans l’arrêt Département de la Moselle, le contrat conclu entre un département et l’Etat, en vertu duquel celui-ci s’engage à continuer d’assurer le service de la paye des personnels de police de l’Etat, est qualifié de contrat administratif.
Par conséquent, désormais, un contrat a un caractère administratif si, d’une part, l’une des parties est une personne publique – sous réserve des aménagements évoqués plus haut – et si, d’autre part, le contrat contient une clause exorbitante du droit commun ou bien s’il concerne l’exécution du service public.
2° Difficultés liées à l’application du critère
1230.- Portée du critère et contrats d’engagement des agents des services publics administratifs.- Le critère tiré de l’objet du contrat pose un certain nombre de difficultés. Un premier problème concerne la portée de ce critère. Une seconde difficulté concerne un type particulier de contrats : les contrats d’engagement des agents des services publics à caractère administratif.
a- Portée du critère
1231.- Distinction entre contrats portant sur l’exécution du service et contrats conlus pour les besoins du service.- On pourrait penser, de prime abord, que le critère de l’objet du contrat devrait conduire à une conception très extensive de la notion de contrat administratif, notamment en ce qu’il permet de considérer, conformément à la jurisprudence Grimouard, qu’un contrat peut être administratif dès lors qu’il est conclu par l’administration dans le but d’exercer ses missions de service public. En effet, puisque les contrats conclus par les personnes publiques se rattachent en général à leurs missions de service public, l’outil contractuel apparaît comme le moyen privilégié d’accomplissement de ces missions.
Il convient cependant de distinguer les contrats visant à l’exécution du service public des contrats qui sont conclus pour les besoins du service public. Dans la première hypothèse, la personne privée cocontractante est associée à l’exécution des missions de service public prises en charge par l’administration. Dans la seconde hypothèse, la personne privée ne fait que fournir au service public les biens travaux ou services nécessaires à son exécution. Cette distinction entre ce qui est un contrat de délégation de service public et ce qui est un marché public est essentielle, non pas parce qu’elle aboutit à déterminer la nature publique ou privée du contrat – il s’agit de contrats administratifs par détermination de la loi dans les deux cas – mais parce qu’elle détermine quelle procédure de passation devra utilisée par la collectivité publique contractante.
Dans certains cas se pose toutefois la question de savoir si l’activité en cause est ou non une activité de service public, ce qui détermine ici le caractère administratif ou privé du contrat.
1232.- Difficultés à définir la consistance de certains services publics.- La qualification est parfois difficile à établir, puisqu’elle nécessite que soit déterminée exactement la consistance du service public concerné.
Exemples :
– TC, 17 décembre 2007, requête numéro C3646, Société clinique de l’espérance : La convention conclue entre un centre hospitalier intercommunal, personne morale de droit public, et la clinique, personne morale de droit privé, réalisant la cession d’une entité économique, dans le contexte des difficultés financières que cette clinique connaissait, alors même qu’elle a pour effet de concourir à la rationalisation de l’offre locale de soins, ne porte pas sur l’organisation du service public de la santé et n’a pas pour objet de faire participer la clinique à l’exécution de ce service public.
– CE, 2 mai 2016, requête numéro 381370, Centre hospitalier régional universitaire de Montpellier (AJDA 2016, p. 929 ; BJCP 2016, p. 333, concl. Marion ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 169, note Pietri ; JCP A 2017, comm. 2063, note Harada) une « charte du tour de rôle des transports sanitaires privés agréés et des sociétés de taxis conventionnées » a pour seul objet de faciliter la mise en relation des patients sortants avec des entreprises de transport privé. Ce contrat ne comporte ni de « dispositions relatives au transport des usagers vers le CHRU … ni à leur transport du CHRU vers d’autres établissements ou professionnels de santé au cours de leur prise en charge pour la réalisation d’actes médicaux ». Ce contrat ne confie donc aucune mission de service public à la société. En l’absence de clause exorbitante, il s’agit donc d’un contrat de droit privé.
Un exemple plus frappant encore peut être fourni par le cas des contrats de location d’appareils de télévision :
– TC, 23 novembre 1998, requête numéro 3124, Bergas (Rec., p. 50 ; JCP 1999, IV, comm. 770 ; RFDA 1999, p. 426) : un contrat liant une maison d’arrêt à une entreprise par lequel cette dernière s’engage, d’une part, à fournir à la maison d’arrêt le matériel et la technique nécessaires à l’installation d’une antenne collective de télévision et au câblage de tous les locaux de détention, d’autre part, à louer un téléviseur à chaque détenu qui en ferait la demande, n’a pas pour objet de faire participer l’entreprise à l’exécution du service public administratif.
– CE, 28 mai 2003, requête numéro 90818, Assistance publique – Hôpitaux de Paris (BJCP 2003, n°30, p. 385) : un contrat de location de téléviseurs à des malades hospitalisés relève de la compétence administrative aux motifs que « le service hospitalier comprend non seulement la dispense de soins mais également l’aménagement des conditions de séjour des malades … la fourniture d’appareils de télévision aux personnes hospitalisées relève des éléments de confort proposés aux intéressés pendant cette période ».
Cette différenciation, assez étonnante, entre deux types d’activités de service public, n’est toutefois pas opérée par le Tribunal des conflits qui considère qu’un contrat portant sur la gestion et l’exploitation d’un réseau d’appareils de télévision mis à la disposition des malades d’un hôpital n’a pas pour objet de faire participer l’entreprise titulaire du contrat à l’exécution du service public administratif, mais seulement de permettre d’assurer les besoins du service (TC, 21 mai 2007, requête numéro C3609, SA Codiam : AJDA 2008, p. 200, note Robbe).
Le Conseil d’Etat a ensuite eu l’occasion de nuancer cette solution en appliquant les critères dégagés par l’arrêt APREI (requête numéro 264541, préc.) pour qualifier un contrat conclu par un établissement de santé pour des prestations de mise à disposition des patients d’abonnements de télévision, mais également de téléphone et d’accès à internet, ainsi que pour des prestations associées (CE, 7 mars 2014, requête numéro 372897, Centre hospitalier universitaire de Rouen : AJDA 2014, p. 1497, note Hardy ; Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 151, note Eckert ; Dr. adm. 2014, comm. 32, note Sée). Les juges considèrent que le contrat ne porte pas sur une simple prestation de service mais qu’il a bien pour effet de confier à une personne privée une mission d’intérêt général « liée à l’activité de soins de l’hôpital ». En outre, les éléments contenus dans le cahier des clauses administratives et techniques démontrent que la prestation est effectuée sous le contrôle de la personne publique. Ainsi, le pouvoir adjudicateur a entendu confier à la personne privée contractante une mission de « service public portant sur l’ensemble de la communication extérieure des patients ».
b- Problème des contrats d’engagement des personnels employés dans les services publics administratifs
1233.- Agents concernés.- La résolution de ce problème ne concerne évidemment pas les fonctionnaires qui sont des agents statutaires et qui bénéficient d’un statut de droit public. Elle ne concerne pas non plus les agents des services publics industriels et commerciaux qui se voient appliquer des règles particulières (V. sur ce point supra Troisième partie, Chapitre deux, Section deux).
S’agissant maintenant des agents contractuels des services publics administratifs, la solution est apparemment simple : on devrait considérer, sans difficultés, que ces contrats ont pour objet l’exécution même du service public et qu’ils sont donc des contrats administratifs si le critère organique est également respecté.
1234.- Hypothèse des contrats aidés.- Cette solution trouve exception, logiquement, pour les catégories de contrats qualifiés de contrats de droit privé par le législateur, particulièrement des contrats dits « aidés ». Tel est le cas notamment des contrats uniques d’insertion – contrats d’accompagnement dans l’emploi visés par l’article L. 5134-20 du Code du travail.
1235.- Distinction initiale par le juge entre deux catégories d’agents.- Par ailleurs, l’hypothèse de qualification législative mise à part, la jurisprudence a longtemps considéré qu’une distinction devait être réalisée entre les différents agents contractuels des services publics administratifs. Cette solution avait été dégagée à l’occasion des arrêts de Section du 4 juin 1954, Vingtain et Affortit (requête numéro 17329, requête numéro 8208 : Rec., p. 342, concl. Chardeau ; AJDA 1954, II, p. 6, chron. Gazier et Long.- V. également CE Sect. 20 mars 1956, requête unméro 98637, Lauthier : Rec., p. 198 ; AJDA 1959, p. 68, chron. Combarnous et Galabert ; D. 1960, jurispr. p. 280, note de Laubadère ; RDP 1959, p. 770, concl. Bernard). Ces arrêts précisaient que seuls étaient unis au service par un lien administratif les agents qui participaient directement à son exécution. Ceci signifiait que seuls les agents dont les qualifications répondaient à la spécialisation du service étaient liés à ce service par un contrat administratif. Tel était le cas, par exemple, d’un enseignant vacataire recruté par un établissement scolaire. A l’inverse, le juge considérait qu’une femme de service, ou qu’une femme de ménage, recrutée dans un même établissement, était liée par un contrat de droit privé. Cette solution s’expliquait par le fait que ces personnels ne participaient pas à l’exécution même du service public de l’enseignement.
Il résultait de cette jurisprudence des situations parfois absurdes.
Exemple :
– TC, 25 novembre 1963, Veuve Mazerand (Rec., p. 792 ; JCP G 1964, comm. 13466, note R.L.) : Mme Mazerand, agent contractuelle, est employée par une commune comme femme de ménage dans une école. Par la suite, elle a été chargée de prendre en charge la garderie de cette école. Est alors survenu un litige avec la commune concernant la rémunération de Mme Mazerand et couvrant l’ensemble de la durée de son contrat. La détermination du juge compétent va alors dépendre du caractère administratif ou privé de ce contrat. Cette question a été soumise au Tribunal des conflits qui a statué dans le cadre d’une procédure de conflit positif. Le Tribunal des conflits a estimé que le contrat de Mme Mazerand était d’abord un contrat de droit privé avant de devenir un contrat de droit public lors de son changement de fonction. Ceci impliquait que Mme Mazerand devait intenter deux actions contre la commune devant deux juges différents.
1236.- Simplification opérée par la jurisprudence Berkani.- Finalement, le Tribunal des conflits est revenu à une solution beaucoup plus simple avec l’arrêt du 25 mars 1996, Berkani c CROUS de Lyon Saint-Etienne (requête numéro 03000 : Rec., p. 535, concl. Martin ; AJDA 1996, p. 355, chron. Stahl et Chauvaux ; D. 1996, p. 598, note Saint-Jours ; Droit adm. 1996, comm. 319, obs. J.B.A ; Droit soc. 1996, p. 735, obs. Prétot ; JCP G 1996, 22664, note Moudoudou ; RFDA 1996, p. 819, concl. Martin). Le litige concernait le contrat d’un aide-cuisinier d’un CROUS. Le Tribunal des conflits précise que « les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public administratif sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi ».
Cette solution a été reprise par le Conseil d’Etat (CE, 26 juin 1996, requête numéro 135453, Commune de Céreste : Rec., p. 246 ; Dr. adm. 1996, comm. 536 ; RFDA 1996, p. 851) et par la Cour de cassation (Cass. soc., 18 juin 1996, pourvoi numéro 95-40.491, Gonin : Dr. adm. 1996, comm. 536). Elle est toujours valable sauf – on l’a vu – dans les cas où la loi prévoit que le contrat conclu entre un service public administratif et son agent est un contrat de droit privé. De telles exceptions, qui concernent essentiellement les contrats aidés, ne sont pas motivées par des raisons d’ordre juridique, mais par des considérations d’ordre politique : il s’agit de faire baisser artificiellement les chiffres de l’emploi public en France tout en insistant sur le fait que les personnes recrutées n’ont pas vocation à être intégrées, à terme, dans la fonction publique.
Il ne s’agit toutefois pas de la seule explication de ces exceptions. Ainsi, par exemple, en sens inverse, l’article L. 6322-3 du Code des transports déroge à la règle selon laquelle un agent public mis à la disposition d’un organisme de droit privé pour accomplir un travail pour le compte de celui-ci et sous sa direction est lié à cet organisme par un contrat de travail (V. Cass. soc., 29 septembre 2014, pourvoi numéro 13-11.191).
1237.- Ancienne dérogation à la jurisprudence Berkani en cas de reprise en régie d’un SPA.- Une autre dérogation à l’application de la jurisprudence Berkani avait été prévue par l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 22 octobre 2004, Lamblin (requête numéro 245154 : AJDA 2004, p.2153, chron. Landais et Lenica et p. 2241, obs. de Montecler ; JCP A 2004, comm. 14788, note Jean-Pierre ; Gaz. cnes, 15 novembre 2004, p.82). Cet arrêt concernait l’hypothèse de reprise en régie par une personne publique d’un service public administratif dont la gestion avait été jusqu’alors déléguée à une personne privée. Dans un tel cas, il se pose la question de la reprise des contrats des agents du service. Les juges estiment en l’espèce qu’en « l’absence de dispositions législatives spécifiques, et réserve faite du cas où le transfert entraînerait un changement d’identité de l’entité transférée, la collectivité a le choix soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur ancien contrat».
Il résultait donc de l’arrêt Lamblin qu’en cas de reprise en régie par une collectivité publique d’un service public à caractère administratif, les contrats de droit privé des agents concernés pouvaient être maintenus, ce qui faisait échec à la jurisprudence Berkani.
Les règles issues de l’arrêt Lamblin ont toutefois été modifiées par la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique. L’article 20 de cette loi, aujourd’hui codifié à l’article L. 1224-3 du Code du travail précise notamment que lorsqu’une personne publique gérant un service public administratif reprend une activité employant des salariés de droit privé, elle doit proposer à ces salariés un contrat de droit public à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires. Précisons également que ce contrat doit reprendre les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération. En conséquence, la voie ouverte par l’arrêt Lamblin de conserver les contrats de droit privé des salariés est définitivement fermée.
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