AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
La société commerciale guadeloupéenne de tabacs et allumettes (SCGTA) a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre :
– de condamner le département de la Guadeloupe à lui verser la somme de 23 033 877 euros au titre des droits de consommation sur les tabacs qu’elle a acquittés depuis 2001, augmentée de la somme de 1 612 195,89 euros correspondant aux intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2001 ;
– de condamner le département de la Guadeloupe à lui verser la somme de 925 880,61 euros en réparation de l’ensemble de ses préjudices ;
– de condamner la recette des impôts de Basse-Terre à lui rembourser la somme de 1 957 879,55 euros au titre de l’incidence de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les droits de consommation sur les tabacs.
Par une ordonnance n° 1100026 du 16 juillet 2013, le président de la deuxième chambre du tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Par un arrêt n° 13BX02632 du 27 février 2014, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, d’une part, annulé cette ordonnance en tant qu’elle a rejeté les conclusions de la SCGTA tendant à la condamnation du département de la Guadeloupe à lui payer la somme de 925 880,61 euros en réparation de l’ensemble de ses préjudices, et de l’Etat à lui rembourser la somme de 1 957 879,55 euros au titre de l’incidence de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé le droit de consommation litigieux et renvoyé le jugement de ces conclusions au tribunal administratif de Basse-Terre, d’autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête de la SCGTA.
Par un pourvoi enregistré le 25 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le département de la Guadeloupe demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt en tant qu’il a annulé l’ordonnance du tribunal administratif de Basse-Terre du 16 juillet 2013 en tant qu’elle a rejeté les conclusions de la SCGTA tendant à la condamnation du département de la Guadeloupe à lui verser une somme de 925 880,61 euros en réparation de l’ensemble de ses préjudices ;
2°) réglant, dans cette mesure, l’affaire au fond, de rejeter comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions de la SCGTA tendant à la condamnation du département de la Guadeloupe à lui verser une somme de 925 880,61 euros ;
3°) de mettre à la charge de la SCGTA la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des douanes ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat du département de la Guadeloupe et à la SCP Boullez, avocat de la société commerciale guadeloupéenne de tabacs et allumettes (SCGTA) ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article 268 du code des douanes : « Les cigarettes, les cigares, cigarillos, les tabacs à mâcher, les tabacs à priser, les tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes et les autres tabacs à fumer, destinés à être consommés dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, sont passibles d’un droit de consommation. Les taux et l’assiette du droit de consommation sont fixés par délibération des conseils généraux des départements. (…) Le droit de consommation est recouvré comme en matière de droit de douane. Les infractions sont constatées et réprimées et les instances instruites et jugées conformément aux dispositions du code des douanes. » ; qu’aux termes de l’article 357 bis du code des douanes, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2013 : » Les tribunaux de grande instance connaissent des contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l’administration des douanes et des autres affaires de douane n’entrant pas dans la compétence des juridictions répressives. » ;
2. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les tribunaux de l’ordre judiciaire sont seuls compétents pour connaître de toutes les contestations concernant l’assiette et le recouvrement des droits de douane et des droits assimilés ; que le même juge fiscal est également compétent pour connaître des actions par lesquelles le redevable sollicite la réparation du préjudice imputable aux actes accomplis par les agents de l’administration des douanes et des droits indirects à l’occasion de la détermination de l’assiette de ces droits, y compris lorsque la responsabilité de l’administration est recherchée du fait de l’application d’un texte incompatible avec le droit de l’Union européenne ou une convention internationale ;
3. Considérant, en revanche, que lorsque le redevable de droits de douane ou de droits assimilés entend rechercher la responsabilité pour faute de l’Etat ou de toute autre personne publique du fait de son activité normative, qu’elle soit législative ou réglementaire, cette responsabilité ne peut être recherchée que devant la juridiction administrative ;
4. Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment des termes des mémoires produits devant la cour administrative d’appel par la SCGTA, qu’à l’appui de ses conclusions indemnitaires dirigées contre le département de la Guadeloupe, cette société soutenait notamment que les délibérations prises par le conseil général de Guadeloupe en application de l’article 268 du code des douanes méconnaissaient le droit de l’Union européenne et que cette illégalité était constitutive d’une faute de nature engager sa responsabilité à son égard ; que, par suite, en jugeant que la société sollicitait la réparation du préjudice résultant de l’incompatibilité, avec les règles et principes du droit européen, des délibérations du conseil général de la Guadeloupe prises en application de l’article 268 précité du code des douanes, la cour n’a pas méconnu la portée de ses écritures ; qu’elle n’a pas davantage fondé sa décision sur un moyen relevé d’office ;
5. Considérant, d’autre part, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus qu’en jugeant que les conclusions de la SCGTA tendant à la condamnation du département de la Guadeloupe à l’indemniser des préjudices subis relevaient de la compétence de la juridiction administrative dès lors qu’était en cause la responsabilité de la collectivité du fait de son activité réglementaire, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le département de la Guadeloupe n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque ;
7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la SCGTA ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à la charge du département de la Guadeloupe au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du département de la Guadeloupe est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société commerciale guadeloupéenne de tabacs et allumettes (SCGTA) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au département de la Guadeloupe et à la société commerciale guadeloupéenne de tabacs et allumettes (SCGTA).