Vu 1°, sous le n° 349735, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’association CIMADE, dont le siège est au 64, rue de Clisson à Paris (75013), représentée par son président ; l’association CIMADE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’article 1er de la décision n° 09009538 du 30 mars 2011 par laquelle la Cour nationale du droit d’asile a refusé d’admettre son intervention au soutien de la demande de M. B… ;
2°) réglant l’affaire au fond, d’admettre son intervention au soutien de la demande de M. B… ;
3°) de mettre à la charge de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 349736, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. A… B…, demeurant… ; M. B… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision n° 09009538 du 30 mars 2011 par laquelle la Cour nationale du droit d’asile a refusé d’admettre l’intervention de la CIMADE au soutien de sa demande et rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 24 avril 2009 du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d’asile, d’autre part, à ce que lui soit reconnu le statut de réfugié ou, à titre subsidiaire, le bénéfice de la protection subsidiaire ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
…………………………………………………………………………
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le Traité sur l’Union européenne, notamment son protocole n° 24 ;
Vu la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Nicolas Labrune, Auditeur,
– les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Spinosi, avocat de la CIMADE et de M. B…, et à Me Foussard, avocat de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
1. Considérant que les pourvois de l’association CIMADE et de M. B… sont dirigés contre la même décision ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B…, ressortissant russe d’origine tchétchène, s’est vu reconnaître par les autorités polonaises, le 10 juillet 2008, en application des stipulations de la convention de Genève, la qualité de réfugié, sur le fondement des risques de persécution auxquels il était exposé en Fédération de Russie en raison de sa participation à la première guerre d’indépendance de la Tchétchénie ; qu’il soutient avoir été l’objet, sur le territoire polonais, de menaces émanant de personnes originaires de Tchétchénie, parmi lesquelles il a reconnu l’auteur de tortures dont il avait été victime en 2002 dans son pays d’origine ; qu’entré, en invoquant ces menaces et sans avoir été préalablement admis au séjour, sur le territoire français le 19 février 2009, pour y demander l’asile, il a vu sa demande rejetée par une décision du 24 avril 2009 du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; qu’il a alors saisi la Cour nationale du droit d’asile de conclusions afin de se voir reconnaître la qualité de réfugié ; que la CIMADE a présenté devant la Cour nationale du droit d’asile une intervention au soutien de ces conclusions ; que, par la décision attaquée, la cour, a, d’une part, refusé d’admettre cette intervention, d’autre part, rejeté la demande M. B… ;
Sur les interventions :
3. Considérant que la CIMADE et M. B… sont tous deux recevables à demander l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée, par lequel la cour a refusé d’admettre l’intervention de la CIMADE au soutien de la demande de M. B… ;
4. Considérant qu’est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation, toute personne qui justifie d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige ;
5. Considérant, en premier lieu, que les associations Amnesty international France et Action des chrétiens pour l’abolition de la torture justifient, par leur objet statutaire et leur action, d’un intérêt à intervenir à l’appui du pourvoi formé par la CIMADE pour contester le refus de la cour d’admettre son intervention ; que leurs interventions doivent, par suite, être admises ;
6. Considérant, en second lieu, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la Cour nationale du droit d’asile a commis une erreur de droit en jugeant irrecevable l’intervention de la CIMADE au motif que, dans les litiges de plein contentieux, sont seuls recevables à former une intervention les personnes qui se prévalent d’un droit propre auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier et que la CIMADE ne pouvait se prévaloir d’un tel droit ; qu’il suit de là que la CIMADE et M. B… sont fondés à demander l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée ;
Au fond :
7. Considérant qu’aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne » qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. » ; qu’aux termes du 1 de l’article 31 de cette même convention : » Les Etats contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. » ; qu’aux termes du 1 de l’article 33 de cette même convention : » Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » ;
8. Considérant qu’il résulte de ces stipulations que lorsqu’une personne s’est vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à la convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l’Etat dont elle a la nationalité, elle ne peut plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l’Etat qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d’un autre Etat, sans avoir été préalablement admise au séjour, le bénéfice des droits qu’elle tient de la convention de Genève à raison de ces persécutions ; que, par suite, si une personne reconnue comme réfugiée, au titre de la convention, par un autre Etat partie que la France ne peut, aussi longtemps que la qualité de réfugié lui demeure reconnue par cet Etat, être reconduite depuis la France dans le pays dont elle a la nationalité, et s’il est loisible à cette personne de demander à entrer, séjourner ou s’établir en France dans le cadre des procédures de droit commun applicables aux étrangers et, le cas échéant, dans le cadre des procédures spécifiques prévues par le droit de l’Union européenne, cette personne ne saurait, en principe et sans avoir été préalablement admise au séjour, solliciter des autorités françaises que lui soit accordé le bénéfice du statut de réfugié en France ;
9. Considérant, toutefois, qu’une personne qui, s’étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à la convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l’Etat dont elle a la nationalité, demande néanmoins l’asile en France, doit, s’il est établi qu’elle craint avec raison que la protection à laquelle elle a conventionnellement droit sur le territoire de l’Etat qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié n’y est plus effectivement assurée, être regardée comme sollicitant pour la première fois la reconnaissance du statut de réfugié ; qu’il appartient, en pareil cas, aux autorités françaises d’examiner sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité ; qu’en cas de rejet de sa demande, elle ne peut, sous réserve, le cas échéant, de l’application des dispositions pertinentes du droit de l’Union européenne, se prévaloir d’aucun droit au séjour au titre de l’asile, même si la qualité de réfugié qui lui a été reconnue par le premier Etat fait obstacle, aussi longtemps qu’elle est maintenue, à ce qu’elle soit reconduite dans le pays dont elle a la nationalité, tandis que les circonstances ayant conduit à ce que sa demande soit regardée comme une première demande d’asile peuvent faire obstacle à ce qu’elle soit reconduite dans le pays qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié ;
10. Considérant, enfin, qu’eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l’Union européenne, lorsque le demandeur s’est vu en premier lieu reconnaître le statut de réfugié par un Etat membre de l’Union européenne, les craintes dont il fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l’intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire ; que cette présomption ne saurait toutefois valoir, notamment, lorsque cet Etat membre a pris des mesures dérogeant à ses obligations prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur le fondement de l’article 15 de cette convention, ou dans le cas où seraient mises en oeuvre à l’encontre de cet Etat membre les procédures, prévues à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, soit de prévention, soit de sanction d’une violation des valeurs qui fondent l’Union européenne ;
11. Considérant que, s’il appartient, dans les circonstances décrites au point précédent, au demandeur d’apporter tous éléments circonstanciés de nature à établir la réalité de ses craintes et le défaut de protection des autorités de l’Etat membre qui lui a, en premier lieu, reconnu la qualité de réfugié, et si le fait qu’il n’ait pas sollicité ou tenté de solliciter la protection de ces autorités peut être pris en compte, entre autres éléments, par le juge de l’asile pour apprécier le bien-fondé de sa demande, la circonstance que le demandeur n’ait pas sollicité ou tenté de solliciter la protection des autorités de l’Etat membre ne saurait à elle seule faire obstacle à ce qu’il apporte la preuve nécessaire au renversement de la présomption selon laquelle sa demande n’est pas fondée ; que, par suite, la Cour nationale du droit d’asile a commis une erreur de droit en rejetant la demande de M. B…, ressortissant d’un Etat tiers réfugié en Pologne, au seul motif qu’il n’établissait pas avoir sollicité ou tenté de solliciter la protection des autorités polonaises, alors qu’il lui était loisible de combattre par tout moyen la présomption que sa demande d’asile en France n’est pas fondée ; qu’il en résulte, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que M. B… est fondé à demander l’annulation des articles 2 et 3 de la décision attaquée ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 3 000 euros à verser à M. B… et de 1 500 euros à verser à la CIMADE, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions des associations Amnesty international France et Action des chrétiens pour l’abolition de la torture sont admises.
Article 2 : La décision du 30 mars 2011 de la Cour nationale du droit d’asile est annulée.
Article 3 : L’affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d’asile.
Article 4 : L’Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à M. B… une somme de 3 000 euros et à l’association CIMADE une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’association CIMADE, à M. A… B…, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, à l’association Amnesty international France et à l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l’intérieur.