Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 décembre 1992 et 18 mars 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, représentée par son maire en exercice et domicilié en cette qualité en l’Hôtel de ville ; la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 8 octobre 1992 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, à la demande de la société Fun Production et de M. X…, annulé l’arrêté du 23 janvier 1992 par lequel le maire d’Aix-en-Provence a interdit le spectable dit de « lancer de nains » prévu le 24 janvier 1992 dans l’établissement « Retro 25 » et l’a condamné à payer aux requérants la somme de 10 000 F au titre de dommages-intérêts et 3 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
2°) de condamner la société Fun Production et M. X… à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, et de Me Bertrand, avocat de M. X…,
– les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 131-2 du code des communes : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique » ;
Considérant qu’il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public ; que l’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ;
Considérant que l’attraction de « lancer de nains » consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d’un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, ce spectacle porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l’autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l’interdire même en l’absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération ;
Considérant que pour annuler l’arrêté du 23 janvier 1992 du maire d’Aix-enProvence interdisant le spectacle de « lancer de nains » prévu le 24 janvier dans un établissement de la ville, le tribunal administratif de Marseille s’est fondé sur le fait que l’attraction litigieuse ne portait pas atteinte à la dignité de la personne humaine et qu’ainsi elle ne mettait en cause ni la sécurité ni la moralité publiques ; qu’il résulte de ce qui précède qu’un tel motif doit être censuré ;
Considérant qu’il appartient au Conseil d’Etat saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens invoqués par la société Fun production et M. X… tant devant le tribunal administratif que devant le Conseil d’Etat ;
Considérant que le respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoirde police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l’ordre public ; que tel est le cas en l’espèce, eu égard à la nature de l’attraction en cause ;
Considérant que le maire d’Aix-en-Provence ayant fondé sa décision sur les dispositions précitées de l’article L. 131-2 du code des communes qui justifiaient à elles seules une mesure d’interdiction du spectacle, le moyen tiré de ce que cette décision ne pourrait trouver sa base légale ni dans l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni dans la circulaire du ministre de l’intérieur du 27 novembre 1991 est inopérant ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a prononcé l’annulation de l’arrêté du maire d’Aix-en-Provence en date du 23 janvier 1992 et a condamné la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE à verser aux demandeurs la somme de 3 000 F au titre de l’article L. 8 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et la somme de 10 000 F en réparation du préjudice subi ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions tendant à l’augmentation du montant de cette dernière indemnité ;
Sur les conclusions de la société Fun Production et de M. X… tendant à ce que la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE soit condamnée à une amende pour recours abusif :
Considérant que de telles conclusions ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu’aux termes de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : « dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office pour des raisons tirées de ces mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la société Fun production et M. X… la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions au profit de la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE et de condamner M. X… à payer à cette ville la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’en revanche il y a lieu de condamner la société Fun Production à payer à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 octobre 1992 est annulé.
Article 2 : Les demandes de la société Fun production et de M. X… présentées devant le tribunal administratif de Marseille sont rejetées.
Article 3 : L’appel incident de la société Fun production et de M. X… est rejeté.
Article 4 : La société Fun Production est condamnée à payer à la VILLE D’AIX-ENPROVENCE la somme de 15 000 F en application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Les conclusions de la société Fun-Production et de M. X… tendant à l’application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, à la société Fun production, à M. X… et au ministre de l’intérieur.