CINQUIEME PARTIE – LES ACTIVITES ADMINISTRATIVES
1337.- Distinction entre activités de police et activités de service public.- Les activités administratives sont multiples et hétérogènes. Cependant, elles sont classiquement réparties en deux catégories.
Certaines se rattachent aux missions de règlementation du comportement des particuliers. Elles ont pour objet essentiel de maintenir l’ordre public dans le cadre des relations sociales. On parle alors d’activités de police administrative.
Certaines se rattachent à la prise en charge par des personnes publiques ou privées de besoins considérés d’intérêt général. Dans cette hypothèse, l’administration n’exerce plus une activité de règlementation, mais elle devient prestataire de services. On parle ici d’activités de service public.
1338.- Relativité de la distinction.- Cette distinction classique mérite toutefois d’être relativisée. En effet, le Conseil d’Etat considère que l’activité de police elle-même est un service public (CE Ass., 12 avril 1957, Mimouni, D. 1957 p. 413, concl. Contraire Tricot). Cependant, si l’activité de police est bien une activité de service public, elle est assurée dans des conditions différentes que les autres services publics ce qui justifie de la traiter à part.
Chapitre un – Police administrative
1339.- Plan.- Il est important, tout d’abord, de définir précisément la notion de police administrative, avant d’étudier quelles sont les autorités de police et d’évoquer les particularités du contrôle de légalité opéré sur les mesures de police.
Section I – Définition de la police administrative
1340.- Principales caractéristiques.- Les activités de police administrative se caractérisent par leur caractère préventif et par les objectifs qui leur sont assignés.
§I – Caractère préventif de l’activité de police administrative
1341.- Distinction avec la police judiciaire.- Le caractère préventif de la police administrative permet de la distinguer de la police judiciaire qui a un caractère répressif. Plus précisément, c’est l’intention poursuivie par l’auteur de l’acte qui est prise en compte pour qualifier l’opération de police.
En effet, la police judiciaire a pour but la recherche des infractions et l’identification de leurs auteurs en vue de l’application de sanctions pénales (CE Sect., 11 mai 1951, requête numéro 2542, Consorts Baud : Rec., p. 265 ; S. 1952, III, p. 13, 1ère esp., concl. Delvolvé, note Drago.- TC, 5 juin 1951, requête numéro 1316, Dame Noualek : Rec., p. 636, concl. Delvolvé). L’article 14 du Code de procédure pénale précise quant à lui que la police judiciaire a pour objet de « constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs tant qu’une information n’est pas ouverte ». De même « lorsqu’une information est ouverte » elle consiste à exécuter « les délégations des juridictions d’instruction » et à déférer « à leurs réquisitions ».
Exemple :
– TC, 26 septembre 2005, requête numéro 3461, Chauvel c. Ministre de l’Intérieur : l’opération consistant à interpeller et appréhender un individu en application de l’article 12 du Code de procédure pénale relève de l’exercice de la police judiciaire. Les litiges relatifs aux dommages que peuvent causer les fonctionnaires de police dans de telles circonstances, et sans même qu’il soit besoin de déterminer si le dommage trouve son origine dans une faute personnelle détachable du service, relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires.
A l’opposé, la police administrative consiste à prévenir la réalisation de telles infractions.
1342.- Conséquences de la distinction.- La distinction entre les deux types de polices a des conséquences du point de vue contentieux : en matière de police administrative, c’est le juge administratif qui est compétent, alors qu’en matière de police judiciaire, les litiges doivent être portés devant le juge judiciaire. En outre, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’en application du principe de séparation des pouvoirs, seule l’autorité judiciaire est compétente pour diriger ou surveiller des opérations de police judiciaire (CC, 19 janvier 2006, DC numéro 2005-532, Loi relative à la lutte contre le terrorisme). En revanche, si les opérations de police administrative relèvent en principe de l’exécutif, le Conseil constitutionnel admet que certaines opérations de police administrative peuvent être soumises à un régime de police judiciaire, celui-ci ayant pour effet de renforcer les garanties des administrés (CC, 19-20 janvier 1981, DC numéro 80-127, Sécurité et liberté).
Si elle paraît assez évidente, la distinction entre les deux types de polices pose un certain nombre de difficultés pratiques, ce qui est lié à l’utilisation du critère finaliste et au fait que ce sont pratiquement les mêmes autorités et agents qui sont en charge de ces missions.
1343.- Difficultés.- Les juges ont donc dû préciser la frontière entre les activités de police administrative et de police judiciaire.
Il a ainsi été jugé que la police judiciaire concerne aussi bien les infractions commises, que celles qui risquent d’être commises.
Exemple :
– TC, 15 janvier 1968, requête numéro 01909, Consorts Tayeb (Rec., p. 791 ; D. 1968, jurispr. p. 417, concl. Schmelck) : pour admettre qu’un acte relève de la police judiciaire il suffit que les agents aient pu estimer que le comportement d’une personne « était de nature à laisser supposer qu’elle se disposait à commettre un délit ».
De même, relèvent de la police judiciaire les infractions réellement commises, mais également les infractions supposées.
Exemple :
– CE, 18 mai 1981, requête numéro 7502, Consorts Ferran (Rec., p. 148 ; D. 1981, inf. rap. p. 283, obs. Delvolvé ; RDP 1981, p. 1464) : se rattache à la police judiciaire une opération de mise en fourrière d’un véhicule, alors même que l’autorité de police qui a prescrit son enlèvement aurait commis une erreur relative au caractère irrégulier du stationnement.
Dans le même ordre d’idées, le juge s’attache à contrôler l’intention réelle de l’auteur de l’acte, ce qui permet la censure d’éventuels détournements de procédure. Une telle censure a été réalisée à l’occasion d’une affaire qui mettait en cause une opération de saisie de journaux, laquelle peut revêtir, selon les cas, un caractère administratif ou judiciaire (CE Ass., 24 juin 1960, requête numéro 4221989, Société Frampar, préc.). Les juges estiment en l’espèce que des saisies qui ont « pour objet, non de constater des crimes ou délits contre la sûreté intérieure ou la sûreté extérieure de l’Etat et d’en livrer les auteurs aux tribunaux chargés de les punir, mais d’empêcher (une) diffusion (…) présente, en réalité, le caractère de mesures administratives ».
D’autres difficultés peuvent concerner, non pas la définition du contenu des activités de police judiciaire et administrative, mais la coexistence entre ces activités ou leur changement de nature.
Il peut ainsi exister des hypothèses de cumul entre une opération de police administrative et une opération de police judiciaire.
Exemple :
– TC, 29 octobre 1990, requête numéro 02617, Morvan (Rec., p. 400) : des policiers effectuent une ronde de surveillance tout en ayant reçu la consigne d’intercepter des individus dont le signalement leur a été donné. Dans cette hypothèse, il y a coexistence entre une activité de police administrative et une activité de police judiciaire. Cependant, les dommages dont il était demandé réparation en l’espèce ont été occasionnés lors de la tentative d’interception des individus recherchés, donc à l’occasion d’une activité de police judiciaire.
De la même façon, une opération de police administrative peut se transformer en opération de police judiciaire ou, à l’inverse, une opération de police judiciaire peut se transformer en opération de police administrative.
Exemple :
– TC, 5 décembre 1977, requête numéro 02060, Dlle. Motsch (Rec., p. 671 ; AJDA 1978, p. 444, chron. Dutheillet de Lamothe et Robineau) : un véhicule prend en stop une autostoppeuse. Sur la route, le véhicule est arrêté à un barrage organisé par la police en vue de réaliser des contrôles d’identité. Le véhicule force le barrage et les policiers se mettent en chasse. A ce moment précis, l’opération de police administrative se transforme et devient une opération de police judiciaire. Les dommages subis par la victime durant la poursuite relèvent donc de la compétence des juridictions judiciaires.
Dans certains cas, la distinction entre les deux phases de l’opération n’est pas aussi nette que dans le précédent exemple, ce qui peut entraîner de graves problèmes de compétence.
Exemples :
– TC, 12 juin 1978, requête numéro 02082, Société le profil (Rec., p. 648, concl. Morisot ; AJDA 1978, p.444, chron. Dutheillet de Lamothe et Robineau ; D. 1978, p.626, note Moulin ; D. 1979, inf. rap. p.50, obs. Moderne) : la caissière d’une société se fait dérober de l’argent de retour de la banque alors qu’elle était escortée par deux policiers. La société réclame réparation à l’Etat, responsable des opérations de police. La difficulté survient en l’espèce du fait que le vol est lié à deux causes différentes : la mauvaise organisation de l’escorte, ce qui relève de la police administrative ; l’inaction des agents, ce qui met en cause la police judiciaire.
– CAA Nancy, 7 janvier 2010, requête numéro 09NC00031, Epoux Girodie c. Ministre de l’intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales (JCP A 2010, comm. 2122, note Vila ; LPA 10 février 2011, p. 12, note Tifine) : exploitants d’une boutique de parfumerie depuis 1979 à Vitry-le-François, les requérants avaient été cambriolés 11 fois en 12 ans et cela en dépit des mesures de protection prises et de la mise en place d’un dispositif d’alarme raccordé au commissariat de police situé seulement à 150 mètres. Leur préjudice peut trouver son origine à la fois dans défaillance des services de police à organiser et à assurer la protection du magasin et dans leur éventuelle incapacité à rechercher et arrêter les auteurs des vols.
Si l’on applique le critère de distinction entre les deux types de polices, les requérants devraient intenter, dans ces affaires, une action contre l’Etat devant le juge judiciaire et une action contre l’Etat devant le juge administratif, ce qui serait extrêmement compliqué.
Pour simplifier les choses, dans de tels cas, il convient de déterminer quelle est la cause principale des dommages subis. Ainsi, dans l’affaire Société le Profil, le préjudice subi résulte « essentiellement » des conditions d’organisation et de transports des fonds, c’est-à-dire d’une opération de police administrative. C’est donc le juge administratif qui est exclusivement compétent. Dans l’affaire Girodie, c’est la mauvaise organisation des services de police qui est également en cause et la même solution s’applique.
1344.- Prévention de la commission d’infractions pénales.- On relèvera enfin que le critère finaliste dégagé à l’occasion des arrêts Consorts Baud et Dame Noualek a été quelque peu perturbé par une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 9 janvier 2014 indiquant « qu’il appartient … à l’autorité (de police) administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises » (CE, ord. réf., 9 janvier 2014, requête numéro 374508, Ministre de l’Intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M’bala M’bala : Rec., p. 1 ; AJCT 2014, p. 157, note Le Chatelier ; AJDA 2014, p. 129, tribune Seiller, p. 473, tribune Broyelle et p. 866, note Petit ; D. 2014, p. 200, note Maus ; Dr. adm. 2014, repère 2, obs. Auby, et comm. 33, note Eveillard ; JCP A 2014, act. 56, obs. Touzeil-Divina et comm. 2014, note Tukov ; LPA 20 janvier 2014, p. 3, note Frison-Roche ; RFDA 2014, p. 87, note Gohin). On pouvait alors considérer que la prévention des infractions pénales devenait un but de police administrative, concurrençant ainsi la police judiciaire. Toutefois, le sens de cette jurisprudence a ensuite été précisé par une autre ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 9 novembre 2015 (requête numéro 376107, Association générale contre le racisme et pour la défense de l’identité française chrétienne et SARL Les productions de la Plume et a., : Rec., p. 377 ; AJCT 2016, p. 220, obs. Gaté ; Dr. adm. 2016, comm. 17, note Eveillard ; JCP A 2016, comm. 2065, note Pauliat) qui restreint les possibilités d’intervention du titulaire du pouvoir de police administrative générale qui peut « prendre les mesures pour prévenir la commission des infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l’ordre public ». Ainsi, l’intervention de l’autorité de police administrative n’est possible que si le risque de commission d’une infraction pénale est susceptible de porter atteinte à l’ordre public, les notions d’infraction pénale et de trouble à l’ordre public pouvant se recouper.
§II – Objet de l’activité de police administrative
1345.- Police administrative générale et polices administratives spéciales.- Alors que la police administrative générale a pour objet la protection de l’ordre public, les polices administratives spéciales peuvent se voir assigner d’autres buts, ou en tout cas elles présentent un certain nombre de spécificités.
I – Protection de l’ordre public
1346.- Spécificité de la notion publiciste d’ordre public.- La notion d’ordre public est très largement différente de celle retenue par les civilistes, telle qu’on la retrouve notamment à l’article 6 du Code civil selon lequel « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». La notion publiciste d’ordre public recouvre tous les aspects de la vie en société, y compris certains aspects de la vie privée.
C’est pour cela que le pouvoir de police peut consister à interdire des comportements dès lors qu’ils nuisent à autrui, conformément à l’article 4 de la déclaration de 1789, ou plus généralement à la société.
Exemple :
– CE, 25 juillet 1975, requête numéro 94012, requête numéro 94967, requête numéro 97867, Chaigneau : compte tenu de l’objet et de l’étendue des pouvoirs de police dont il dispose pour réglementer la circulation sur l’ensemble du territoire, le gouvernement a pu légalement prendre en considération les menaces pesant sur l’approvisionnement du pays en produits pétroliers et la nécessité d’intérêt national de restreindre la consommation de ces produits pour imposer des limitations de vitesse inférieures à celles qui étaient fixées par les dispositions permanentes du Code de la route, ces mesures étant de nature à diminuer les risques d’accident et à en limiter les conséquences.
1347.- Evolution de la notion d’ordre public.- Il existe une conception traditionnelle assez restreinte de la notion d’ordre public qui a connu une extension assez récente de son champ d’application.
A – Conception traditionnelle de l’ordre public
1348.- « l’ordre matériel et extérieur ».- A l’origine, conformément à une vision libérale du droit administratif, l’ordre public c’est ce que Maurice Hauriou appelait « l’ordre matériel et extérieur considéré comme un état de fait opposé au désordre, l’état de paix, opposé à l’état de trouble … en d’autres termes elle ne poursuit pas l’ordre moral dans les idées et dans les sentiments, elle ne pourchasse pas les désordres moraux, elle est pour cela radicalement incompétente : si elle l’essayait, elle verserait immédiatement dans l’inquisition et dans l’oppression des consciences à cause de la lourdeur de son mécanisme » (Précis de droit administratif et de droit public, 12ème éd., Sirey 1933, p. 549).
1349.- Trilogie traditionnelle de l’ordre public.- Il résulte de cette définition que les troubles à l’ordre public sont nécessairement matériels et non pas simplement moraux. Ainsi, traditionnellement, la notion d’ordre public recouvre trois éléments, que l’on retrouve notamment dans l’actuelle définition des pouvoirs de police des maires qui figure à l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales.
Il s’agit, tout d’abord, de la sécurité publique. A ce titre, par exemple, le maire est chargé dans sa commune de réglementer la circulation et le stationnement, ce qui vise notamment à éviter les accidents. De même, un préfet peut procéder à la suspension administrative d’un permis de conduire en cas d’infraction grave au Code de la route. Cette mesure relève de la police administrative, puisqu’elle vise à empêcher la réalisation d’autres infractions.
Est ensuite concernée la tranquillité publique qui peut, par exemple, permettre à l’autorité de police de prendre des mesures visant à lutter contre le bruit ou à éviter les émeutes où les rixes.
Enfin, le troisième élément de cette trilogie traditionnelle est constitué par la salubrité publique qui permet, par exemple, à un maire de prendre un arrêté en vue d’organiser le ramassage des ordures dans sa commune ou encore de lutter contre la pollution. De même, le Premier ministre peut prendre une mesure relative à l’abattage des animaux destinés à l’alimentation humaine (CE, 5 juillet 2013, requête numéro 361441, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs : Dr. adm. 2013, comm. 85, note Eveillard).
1350.- Notions de bon ordre et de sûreté.- Outre les composantes traditionnelles de l’ordre public, l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales se réfère à la notion de bon ordre et à celle de sûreté. Cependant, ces notions paraissent ne pas avoir de signification autonome et devoir se fondre dans les autres composantes de l’ordre public. Selon ce texte, en effet, l’autorité de police garantit « tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques … », ce qui se rattache à l’objectif de sécurité. La même remarque peut être formulée à propos de la notion de bon ordre qui doit être maintenu « dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ».
1351.- Elements ne relevant pas de la définition de l’ordre public.- En revanche, les juges ont refusé de reconnaître que certains motifs, qui pourraient aisément être qualifiés d’intérêt général, pouvaient être englobés dans l’ordre public.
Exemples :
– CE, 12 novembre 1997, requête numéro 169295, Ministre de l’Intérieur c. Association communauté tibétaine en France (Rec., p. 417 ; D. 1997, inf. rap. p. 262) : l’autorité de police ne peut interdire des manifestations qui seraient susceptibles de « porter atteinte aux relations internationales de la République ». En effet, ce motif « ne fait pas référence à des risques de troubles à l’ordre public ».
– TA Versailles, 23 janvier 1998, requête numéro 971245, Préfet de l’Essonne (Dr. adm. 1998, comm. 190) : l’autorité de police n’a pas le pouvoir de contraindre les individus à s’abriter car « l’errance de personnes sans domicile fixe en période de grands froids n’est pas de nature à porter atteinte à l’ordre public ».
–CE ord. réf., 26 août 2016, requête numéro 402742, requête numéro 402777, Ligue des droits de l’homme et a. et Association de défense des droits de l’homme – Collectif contre l’islamophobie (Rec., p. 390 ; AJDA 2016, p. 2122, note Gervier ; Dr. adm. 2016, comm. 59, note Eveillard ; JCP A 2016, act. 704, obs. Pauliat ; JCP G 2016, comm. 1560, note Lenoir ; RJDH 2017, p. 407, note Wattier ; RFDA 2016, p. 1227, note Bon) : le Conseil d’Etat reconnaît ici de façon implicite que la laïcité n’est pas une composante de l’ordre public.
Sur certaines questions, la position du juge administratif a été amenée à évoluer. Ainsi, le Conseil d’Etat a-t-il longtemps admis que des considérations d’esthétique pouvaient fonder l’intervention d’un maire dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative générale, par exemple pour la réglementation des enseignes (CE, 3 juin 1938, requête numéro 58698, requête numéro 58699, Société des usines Renault : Rec., p. 531) ou de l’affichage (CE, 14 mars 1941, Compagnie nouvelle chalets de nécessité : Rec., p. 44). Toutefois, cette jurisprudence paraît abandonnée (CE, 28 février 1972, requête numéro 77277, Chambre syndicale du bâtiment de la Haute Garonne : AJDA 1972, p. 250), ce qui s’explique par le fait que la protection de l’esthétique des villes relève aujourd’hui davantage d’une multitude de polices spéciales, relevant également du maire, notamment en matière d’urbanisme et de réglementation des enseignes et des pré-enseignes.
B – Evolution de la notion d’ordre public
1352.- Moralisation de la notion d’ordre public.- D’abord conçue comme se rapportant à « l’ordre matériel et extérieur », la notion d’ordre public s’est étendue à d’autres domaines, et plus particulièrement à la protection de la moralité publique et au respect de la dignité de la personne humaine.
1° Ordre public et moralité publique
1353.- Une notion étrangère à la conception traditionnelle de l’ordre public.- Si l’on envisage l’ordre public comme « l’ordre matériel et extérieur », il est évident que la moralité publique ne fait pas partie de ses composantes. En effet, dans ce cas, l’atteinte à la moralité publique ne se concrétise pas par des manifestations extérieures, mais seulement par un trouble psychologique, une atteinte portée à la conscience de certains administrés. Elle est exclusivement abstraite.
1354.- Premières illustrations.- La jurisprudence a considérablement évolué jusqu’à intégrer la protection de la moralité publique parmi les composantes de l’ordre public.
Cette jurisprudence a connu de rares illustrations dans la première moitié du XX° siècle. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt Chambre syndicale des marchands de vins et liquoristes de Paris du 17 décembre 1909 a ainsi pu considérer que le préfet de police, en prenant des mesures en vue de lutter contre la prostitution « n’a fait qu’user des pouvoirs qu’il tient de la loi des 16-24 août 1790 en vue d’assurer le bon ordre et la moralité publique » (requête numéro 30164 : Rec., p. 990). Peut également être mentionné l’arrêt du Conseil d’Etat du 7 novembre 1924, Club sportif châlonnais (requête numéro 78468 : Rec., p. 683 ; D. 1924. III. p.58, concl. Cahen-Salvador). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat confirme l’arrêté d’interdiction d’une réunion de boxe pris par un maire pour des raisons « d’hygiène morale ». Enfin, un arrêt Baugé du 30 mai 1930 réglemente la tenue des baigneurs « pour assurer le maintien du bon ordre et de la décence sur le rivage de la mer » (Rec. p. 582).
1355.- Consécration.- Il ne s’agit pas ici d’ordre matériel et extérieur, mais bien de protéger la moralité publique. Cependant, ces arrêts sont demeurés isolés jusqu’à l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 18 décembre 1959, Société les films Lutetia (requête numéro 36385, requête numéro 36428 : Rec., p. 693 ; S. 1960, p. 9, concl. Mayras ; AJDA 1960, 1, p. 20, chron. Combarnous et Galabert ; D. 1960, p. 171, note Weil ; JCP 1961, comm. 11898, note Mimin ; Rev. Adm. 1960, p. 31, note Juret). Le maire de Nice avait pris un arrêté d’interdiction de projection dans sa commune du film « le feu dans la peau », justifié par des considérations de moralité publique. Le Conseil d’Etat juge « qu’un maire, responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d’un film auquel le visa ministériel d’exploitation a été accordé mais dont la projection est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l’ordre public ».
Par conséquent, deux types de circonstances, visées par l’arrêt, sont désormais susceptibles de légitimer l’intervention de l’autorité de police.
Il s’agit, tout d’abord, du risque de « troubles sérieux », c’est-à-dire de manifestations concrètes à l’encontre du film projeté. Ainsi, le maire peut toujours interdire la projection d’un film, notamment si cette projection risque, en raison du thème traité, de porter atteinte à la sécurité publique (on pense par exemple aux incidents violents qui ont pu accompagner la sortie en salle de films comme Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard, la Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese ou plus récemment du film Creed 3 de Michael B. Jordan dont la projection a pu donner lieu à des rixes dans les salles de cinéma reproduisant les combats de boxe à l’écran). Il s’agit ici de la conception traditionnelle de l’ordre public.
Il s’agit ensuite de troubles à la moralité publique, ce qui renvoie à des troubles de nature exclusivement psychologique. Toutefois, pour que l’autorité de police puisse agir dans ce cas encore faut-il qu’une condition supplémentaire soit remplie : l’intervention de cette autorité, dans un but de protection de la moralité publique, doit être légitimée par l’existence de circonstances locales particulières.
1356.- Critique de l’inclusion de la moralité publique parmi les composantes de l’ordre public.- Cette jurisprudence pouvait être critiquée d’un double point de vue.
En premier lieu, reconnaître qu’une autorité de police peut intervenir au nom de la moralité publique porte atteinte à la liberté de conscience. Elle tend à imposer un ordre moral « municipal ».
En second lieu, la condition de l’existence de circonstances locales particulières ressemble, pour reprendre l’expression utilisée dans sa note par Prosper Weil à « une clause de style ». Ainsi, dans l’arrêt Société les films Lutetia, le Conseil d’Etat confirme l’arrêté du maire qui invoquait, comme circonstances locales particulières, « l’existence d’une vague d’immoralité déferlant sur la ville de Nice au début de l’année 1954 », ce qui est assez peu convaincant.
De fait, la jurisprudence Lutetia paraissait conférer un pouvoir quasi-discrétionnaire d’interdiction des films aux maires dans leur commune.
1357.- Une approche plus restrictive.- Pourtant, l’évolution des mœurs aidant, la jurisprudence s’est dirigée vers une conception de plus en plus restrictive de leur intervention. En particulier, le juge administratif a examiné avec plus de précision les circonstances locales particulières invoquées par les maires (V. par exemple, à propos du film « le pull-over rouge » CE, 26 juillet 1985, requête numéro 43468, Ville d’Aix-en-Provence : Rec., p. 236 ; RFDA 1896, p. 439, concl. Genevois).
L’évolution des mœurs a entraîné une certaine raréfaction de l’intervention des maires, en tout cas en matière de diffusion d’œuvres cinématographiques. Aujourd’hui, la notion de moralité publique a plutôt tendance à être utilisée dans d’autres domaines.
Exemples :
– CE, 8 décembre 1997, requête numéro 171134, Commune d’Arcueil : le caractère immoral d’un affichage publicitaire en faveur de messageries roses peut justifier son interdiction par un maire.
– CE, ord. réf., 8 juin 2005, requête numéro 281084, Commune de Houilles (JCP A 2005, act. 319, obs. Rouault ; Collectivités territoriales-intercommunalité 2005, comm. 163) : sur le fondement de ses pouvoirs de police générale, le maire peut interdire l’ouverture d’un sex-shop à proximité d’établissements scolaires et de services municipaux destinés aux jeunes.
1358.- Police administrative et œuvres cinématographiques.- Le débat sur la moralité publique paraissait apaisé jusqu’à une affaire récente qui a donné lieu à l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 30 juin 2000, Association Promouvoir et a. Toutefois, il ne s’agit plus ici de police administrative générale, mais de la police spéciale du cinéma qui consiste, pour le ministre de la Culture, à délivrer des visas d’exploitation à des œuvres cinématographiques. A l’occasion de l’arrêt du 30 juin 2000, le Conseil d’Etat annule le visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux moins de 16 ans accordé au film « baise-moi » (requête numéro 222194, requête numéro 222195 : AJDA 2000, p. 674, chron. Guyomar et Collin ; D. 2001, p. 590, chron. Boitard ; RFDA 2000, p. 1282, note Canedo et p. 1311, note Morange ; RDP 2001, p. 367, note Guettier ; Com. comm. électr. septembre 2000, comm. 95, obs. Lepage ; LPA, 15 décembre 2000, n°250, p. 9, note Lecucq) Le Conseil d’Etat motive sa décision par le fait que ce film « composé pour l’essentiel d’une succession de scènes de grande violence et de scènes de sexe non simulées … constitue … un message pornographique et d’incitation à la violence … qui pourrait relever des dispositions de l’art. 227-24 du Code pénal ». Notons au passage que cette jurisprudence ne concerne pas la police administrative générale du maire, mais la police spéciale du cinéma qui relève actuellement de la compétence du ministre de la Culture.
Cet arrêt a été très critiqué. Pourtant, si une critique devait être formulée, elle devait être adressée au gouvernement et non pas au Conseil d’Etat. En effet, dans un but de libéralisation, le décret n°90-174 du 23 février 1990 avait supprimé la possibilité de délivrer le visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans, en la remplaçant par une interdiction aux moins de 16 ans. Or, l’article 227-24 du Code pénal punit de trois ans d’emprisonnement le fait d’exposer à la vue d’un mineur un message à caractère violent ou pornographique. En application de ces textes, il paraissait logique d’interdire le film « Baise-moi » aux mineurs. Ainsi, du fait de la suppression de l’interdiction aux moins de 18 ans, le ministre aurait dû le classer X, ce qui entraîne deux conséquences majeures : un régime fiscal très défavorable et une restriction de la distribution en salle. L’arrêt du Conseil d’Etat a eu au moins le mérite de révéler ce problème ce qui a finalement entraîné un changement de règlementation, le décret n°2001-618 du 12 juillet 2001 rétablissant la possibilité de délivrer un visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans.
Le débat suscité par cet arrêt et le procès gagné par l’association requérante ont conduit à une multiplication des recours dans ce domaine, généralement intentés par la même association.
Exemple :
– CE, 25 novembre 2009, requête numéro 328677, Association promouvoir et a. (AJDA 2010, p. 614, note V. M) : le ministre chargé de la Culture a assorti le visa d’exploitation du film « antichrist » d’une interdiction aux mineurs de 16 ans en reprenant les termes de l’avis de la commission de classification, qui s’était bornée, pour justifier sa proposition, à faire état du climat violent du film. La décision du ministre est annulée pour insuffisance de motivation.
Plus rarement, aujourd’hui, le recours émane d’une société de distribution qui se plaint d’une classification trop restrictive.
Exemple :
– CE, 6 octobre 2008, requête numéro 311017, Société cinéditions : les juges relèvent que le film « Quand l’embryon part braconner » comporte, par la représentation d’une rencontre banale entre un homme et une femme, de nombreuses scènes de torture et de sadisme d’une grande violence physique et psychologique, et présente une image des relations entre les sexes fondée sur la séquestration, l’humiliation et l’avilissement du personnage féminin, dont la mise en scène est de nature à heurter la sensibilité des mineurs. Ainsi, le ministre de la Culture et de la Communication n’a pas commis d’erreur d’appréciation en interdisant la diffusion du film en cause aux mineurs de moins de 18 ans.
2° Ordre public et principe du respect de la dignité de la personne humaine
1359.- L’affaire du lancer de nains.- Cette nouvelle composante de l’ordre public a été dégagée à l’occasion d’une affaire très particulière qui a donné lieu aux arrêts d’Assemblée du Conseil d’Etat du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-orge et Ville d’Aix-en-Provence (requête numéro 136727, requête numéro 143578 : Rec., p. 372, concl. Frydman ; AJDA 1995, p.878, chron. Stahl et Chauvaux ; D. 1996, p. 177, note Lebreton ; JCP G 1996, II, comm. 22630, note Hamon ; RFDA 1995, p. 1204, concl. Frydman ; RDP 1996, p. 536, notes Gros et Froment). Le Conseil d’Etat devait ici connaître de la légalité d’arrêtés municipaux interdisant des spectacles de lancers de nains ce qui lui a donné l’occasion d’établir comme principe que « le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public ». Le Conseil d’Etat a ensuite fait valoir que le fait d’utiliser « comme un projectile une personne affectée d’un handicap physique et présentée comme telle … porte atteinte à la dignité de la personne humaine ».
1360.- L’affaire des soupes gauloises.- Il n’existe que d’assez rares illustrations de cette jurisprudence. La première est fournie par l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 5 janvier 2007, Ministre de l’Intérieur c. Association « Solidarité des Français » (requête numéro 300311 : AJDA 2007, p. 601, note Pauvert). Dans cette affaire – généralement appelée l’affaire des « soupes gauloises » – le juge a estimé que l’interdiction de plusieurs rassemblements liés à la distribution sur la voie publique d’aliments contenant du porc pouvait être prononcée pour prendre en considération les risques de réactions à une démonstration susceptible de porter atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé.
1361.- Le cas très particulier des installations classées pour l’environnement.- La seconde illustration concerne l’arrêt du 26 novembre 2008, Syndicat mixte de la vallée de l’Oise, Commune de Fresnières et Communauté de communes du Pays des sources (requête numéro 301151 : Rec., p. 439 ; AJDA 2008, p. 2252, obs. Jégouzo ; AJDA 2009, p. 32, concl. Guyomar ; BJCL 2009, p. 33, concl. Guyomar ; Dr. adm. 2008, comm. 9 ; Gaz. Pal. 3-4 juillet 2009, p. 32, note Cassara) dans lequel le Conseil d’Etat a décidé que les décisions en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement doivent respecter les principes fondamentaux relatifs au respect de la dignité humaine (à propos de restes humains qui pourraient être exhumés à l’occasion de travaux sur un site sur lequel des combats ont eu lieu durant la Première guerre mondiale).
1362.- Les affaires Dieudonné.- Une autre illustration est fournie par les multiples épisodes de la célèbre affaire « Dieudonné ». Etait ici en cause un spectacle intitulé « le mur », contenant notamment des propos de caractère antisémite et incitant à la haine raciale. Dans son ordonnance Ministre de l’Intérieur du 9 janvier 2014 (requête numéro 374508, préc.- V. également CE, ord. réf., 10 janvier 2014, requête numéro 374528, SARL les productions de la Plume.- CE, ord. réf., 11 janvier 2014, requête numéro 374552, SARL les productions de la Plume) le juge des référés du Conseil d’Etat valide l’interdiction du spectacle au regard du « risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine ». Comme on l’a vu les juges relèvent également qu’il appartient « à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises » ce qui permet donc d’interdire à titre préventif de nouvelles représentations du spectacle. Il est à noter enfin, que concernant un autre spectacle de Dieudonné, édulcoré de ses propos antisémites, le Conseil d’Etat a refusé de faire droit à un nouvel arrêté d’interdiction notamment fondé sur l’atteinte à la dignité de la personne humaine (CE, 6 février 2015, requête numéro 387726, Commune de Cournon d’Auvergne ; Rec., p. 55 ; AJDA 2015, p. 1658, note Saillant-Maraghni ; D. 2015, p. 544, note Quiriny.- V. aussi pour un spectacle organisé à Marseille CE, ord. réf., 13 novembre 2017, requête numéro 415400, Société les productions de La plume et a.– V. par ailleurs dans d’autres affaires refusant d’appliquer les principes de la jurisprudence Commune de Morsang-sur Orge/ Commune d’Aix-en-Provence : CE, 11 décembre 2014, requête numéro 386328, Centre Dumas-Pouchkine des Diasporas et Cultures Africaines et a.– CE, 16 avril 2015, requête numéro 389372, Société Grasse boulangerie : JCP A 2015, comm. 2138, note Pauliat). Dans toutes ces affaires, sont en cause, comme dans la jurisprudence consacrée à la moralité publique, des atteintes abstraites à l’ordre public. L’appréciation de l’existence de telles atteintes est donc, une fois encore, totalement subjective. Le lien entre le nouveau principe dégagé par le Conseil d’Etat et la moralité publique a d’ailleurs été bien mis en valeur par le commissaire du gouvernement Frydman dans ses conclusions sur les arrêts de 1995, celui-ci ayant clairement précisé que le respect de la personne humaine « traduit une exigence morale » et « constitue lui-même l’une des composantes essentielles de la moralité publique ».
Cependant, par exception à la jurisprudence consacrée à la moralité publique, le Conseil d’Etat estime que l’autorité de police peut intervenir « même en l’absence de circonstances locales particulières » lorsqu’est en cause ce principe. L’exigence d’une telle condition aurait, de fait, rendue totalement inutile l’inclusion de cette notion parmi les composantes de l’ordre public. En effet, à la rigueur, on peut estimer que des circonstances locales particulières peuvent être invoquées à l’appui d’une mesure d’interdiction d’un film pour des motifs liés à la moralité publique. A l’opposé, on ne voit pas comment de telles circonstances pourraient être invoquées relativement à un principe aussi absolu que celui du respect de la dignité de la personne humaine.
L’absence de référence à la condition de circonstances locales particulières a été assez vivement critiquée par une partie de la doctrine. On peut en effet penser que le Conseil d’Etat aurait dû annuler les arrêtés municipaux contestés en raison de l’incompétence de leur auteur, ce type de mesure, en l’absence de circonstances locales particulières susceptibles d’être invoquées, devant relever du titulaire des pouvoirs de police au niveau national, c’est-à-dire, en application de la jurisprudence Labonne (requête numéro 56377, préc.) du Premier ministre.
II – Particularités des polices spéciales
1363.- Différences avec la police administrative générale.- Contrairement à la police administrative générale, qui a pour objet la protection de l’ordre public dans un ressort géographique donné, les polices administratives spéciales s’exercent dans un cadre plus restreint.
Les différences entre ces deux types de polices peuvent être observées sur trois points et, selon les cas, ces points de différences seront ou non cumulés.
Une police est spéciale si elle est attribuée à une autorité différente de celle qui est en principe territorialement compétente pour protéger l’ordre public. Ainsi, par exemple, la police des gares, des aérodromes, de la chasse et de la pêche relèvent, non pas de la compétence du maire de la commune concernée, mais de celle du préfet. De même, la police spéciale du cinéma, qui consiste à délivrer les visas d’exploitation et d’importation des films, appartient non pas au Premier ministre mais au ministre de la Culture.
Une police est également spéciale si elle est exercée selon des procédures différentes de celles auxquelles la police générale est assujettie. Ainsi, par exemple, dans le cadre de la police du cinéma, le ministre de la Culture ne peut prendre de décisions qu’après avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques.
Enfin, une police est spéciale si elle a une finalité en tout ou partie différente de celle de la police générale. Cette finalité, comme c’était le cas à l’origine pour la police du cinéma qui pouvait être exercée « pour la protection de tous les intérêts généraux », peut être plus vaste que de simples considérations liées à la préservation de l’ordre public. Cependant, elle aura généralement un objet qui lui est propre et qui est plus restreint que la notion traditionnelle d’ordre public. C’est le cas, par exemple, de la police de la chasse qui a pour objet la préservation du gibier ou encore de la police de l’affichage, de la publicité et des enseignes qui tend à la sauvegarde de l’esthétique et à la protection de l’environnement. De même, concernant la police du cinéma « le visa peut désormais être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine » (Code du cinéma et de l’image animée, art. L. 211-1).
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