REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours, enregistré le 14 mars 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES, qui demande l’annulation de l’arrêt, en date du 18 décembre 2002, par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté son recours tendant à l’annulation du jugement du 11 mai 2001 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l’arrêté du préfet de police du 20 novembre 1997 retirant à M. Boukhalfa X sa carte professionnelle de conducteur de taxi pour une durée de 7 mois ferme et de 5 mois avec sursis ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 ;
Vu le décret n° 95-935 du 17 août 1995 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mlle Maud Vialettes, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Boulloche, Boulloche, avocat de M. X,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que si, lorsqu’il est appliqué aux sanctions administratives, le principe de légalité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l’activité qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève, il implique, en revanche, que les sanctions soient prévues et énumérées par un texte ; que toutefois – ainsi, d’ailleurs, qu’en matière pénale – ce texte n’a pas, dans tous les cas, à être une loi ;
Considérant, par suite, qu’en relevant, pour confirmer le jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision, présentant le caractère d’une sanction administrative, par laquelle le préfet de police a retiré, sur le fondement de l’article 7 du décret du 17 août 1995, la carte professionnelle de conducteur de taxi de M. X que le principe de légalité des délits et des peines, qui s’applique aux sanctions administratives au même titre qu’aux sanctions pénales, impose que l’interdiction, à titre temporaire ou définitif, d’exercer une profession soit instituée par une loi ou intervienne en exécution d’une disposition législative habilitant le Gouvernement à l’édicter, la cour administrative d’appel de Paris a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES est, dès lors, fondé à en demander l’annulation ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant que la loi du 20 janvier 1995 relative à l’accès à l’activité de conducteur de taxi et à la profession d’exploitant de taxi distingue l’activité de conducteur de taxi de celle de propriétaire ou d’exploitant d’un taxi ; qu’elle subordonne la première à un certificat de capacité professionnelle délivré par le préfet et la seconde à une autorisation de stationnement sur la voie publique délivrée par le préfet ou par le maire ; que le décret du 17 août 1995 a prévu que tout conducteur de taxi disposant du certificat de capacité professionnelle et qui satisfait à une condition d’honorabilité professionnelle reçoit de l’autorité compétente une carte professionnelle qui précise le ou les départements dans lesquels il peut exercer sa profession ; qu’en vertu de l’article 7 du même décret, dans sa rédaction applicable au litige qui oppose M. X à l’Etat, cette carte professionnelle peut être retirée en cas de violation par le conducteur de la réglementation applicable à la profession, après avis d’une commission des taxis et véhicules de petite remise réunie en formation disciplinaire ;
Considérant que la décision en date du 18 août 1997, par laquelle le préfet de police a retiré provisoirement la carte professionnelle de M. X, a été prise sur le fondement de l’article 7 du décret du 17 août 1995 et a pour seul motif la violation, par l’intéressé, de la réglementation applicable à sa profession ; qu’elle constitue, contrairement à ce que soutient le ministre, une sanction administrative et non une simple mesure de police ;
Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 : La loi fixe les règles (…) concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; que selon son article 37, les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ; qu’au nombre des libertés publiques, dont les garanties fondamentales doivent, en vertu de la Constitution, être déterminées par le législateur, figure le libre accès, par les citoyens, à l’exercice d’une activité professionnelle n’ayant fait l’objet d’aucune limitation légale ; que toutefois la profession de conducteur de taxi a le caractère d’une activité réglementée ; que, dès lors, il était loisible à l’autorité investie du pouvoir réglementaire de fixer, en vertu des pouvoirs qu’elle tient de l’article 37 de la Constitution, des prescriptions complémentaires de celles résultant de la loi du 20 janvier 1995 ; qu’ainsi le décret du 17 août 1995 a pu légalement subordonner l’exercice de la profession de conducteur de taxi à la délivrance, sous certaines conditions, d’une carte professionnelle, alors même que celle-ci n’était pas prévue par la loi du 20 janvier 1995 ;
Considérant que lorsqu’il est compétent pour fixer certaines règles d’exercice d’une profession, le pouvoir réglementaire l’est également pour prévoir des sanctions administratives qui, par leur objet et leur nature, soient en rapport avec cette réglementation ; que, dès lors, le décret du 17 août 1995 a pu légalement prévoir que la carte professionnelle de conducteur de taxi pouvait être retirée par l’autorité administrative non seulement lorsque son titulaire ne remplirait plus les conditions mises à sa délivrance – ce que cette autorité aurait, même sans texte, le pouvoir de faire – mais aussi à titre de sanction dans le cas où l’intéressé ne respecterait pas la réglementation applicable à la profession ;
Considérant qu’il en résulte que le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a écarté l’application de l’article 7 du décret du 17 août 1995 pour annuler la décision du préfet de police prise à l’encontre de M. X ;
Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’État, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les moyens soulevés par M. X devant le tribunal administratif de Paris ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a infligé à M. X la sanction attaquée pour avoir le 18 août 1997, durant une pause, garé son véhicule dans la réserve de la station de taxis de Roissy, laquelle n’est pas destinée à accueillir des taxis dont le conducteur n’est pas immédiatement disponible ; que si les faits ainsi reprochés à M. X sont constitutifs d’une faute et pouvaient fonder légalement une sanction, leur gravité n’est pas telle que le préfet de police ait pu, sans entacher sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation, infliger à ce titre un retrait de carte professionnelle de conducteur de taxi d’une durée de sept mois ferme et de cinq mois avec sursis ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l’arrêté du préfet de police du 20 novembre 1997 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros que la SCP Boulloche, Boulloche, qui déclare renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 18 décembre 2002 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions du MINISTRE DE l’INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES devant la cour administrative d’appel de Paris est rejeté.
Article 3 : L’Etat versera la somme de 2 500 euros à la SCP Boulloche, Boulloche au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE l’INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES et à M. Boukhalfa X.