Vu, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 26 novembre 2008, l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Paris, avant de statuer sur la demande de M. Jafor Khan, demeurant chez M. Mohammad Ali Babul, 33, rue Jules-Auffret à Pantin (93500), tendant à l’annulation de l’ordonnance du 31 mars 2008 de la présidente du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à l’annulation de la décision du 5 mars 2008 par laquelle le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti cette décision d’une obligation de quitter le territoire français, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° Lorsque, avant l’expiration du délai de recours contentieux, une juridiction est saisie d’une requête, d’un mémoire ou d’un courrier annexé dans lequel le requérant mentionne sa volonté de bénéficier de l’aide juridictionnelle, sans avoir par ailleurs saisi le bureau d’aide juridictionnelle d’une telle demande, cette mention doit-elle être regardée, en vertu des dispositions de l’article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ou des principes dont s’inspire cet article ou encore en vertu du respect des droits de la défense et des règles de procédure applicables devant la juridiction administrative, comme une demande régulière d’aide juridictionnelle, obligeant le juge à la transmettre au bureau d’aide juridictionnelle compétent et donc à différer le jugement de l’affaire, hormis le cas où la requête est entachée d’une irrecevabilité non susceptible d’être couverte en cours d’instance ?
Dans l’affirmative, sera alors regardée comme remplie la condition posée par l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile selon lequel la demande d’aide juridictionnelle ne peut être présentée après la requête introductive d’instance.
2° Lorsqu’une demande d’aide juridictionnelle a été formulée en première instance et que le juge a méconnu son obligation de surseoir à statuer, l’irrégularité entachant alors son jugement doit-elle être soulevée d’office par le juge d’appel ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
― le rapport de Mme Fabienne Lambolez, maître des requêtes ;
― les observations de la SCP Capron, Capron, avocat de M. Jafor Khan,
― les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Capron, Capron, avocat de M. Jafor Khan,
Rend l’avis suivant :
Sur la première question :
Aux termes de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique : « L’accès à la justice et au droit est assuré dans les conditions prévues par la présente loi. / L’aide juridique comprend l’aide juridictionnelle (…) », cependant qu’aux termes de l’article R. 441-1 du code de justice administrative : « Les parties peuvent, le cas échéant, réclamer le bénéfice de l’aide juridictionnelle prévue par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. » Il résulte, en outre, de l’article 13 de la loi du 10 juillet 1991 qu’un bureau d’aide juridictionnelle chargé de se prononcer sur les demandes d’admission à l’aide juridictionnelle relative aux instances portées devant les juridictions administratives du premier et du second degré, à l’exception de la Cour nationale du droit d’asile, est institué auprès de chaque tribunal de grande instance. Et par application des dispositions combinées de l’article 13 précité et des articles 26, 32 et 33 du décret d’application du 19 décembre 1991, une demande d’aide juridictionnelle relative à une instance introduite auprès d’une des juridictions mentionnées ci-dessus doit être présentée soit au bureau d’aide juridictionnelle territorialement compétent, soit le cas échéant, s’il est différent, au bureau établi au siège du tribunal de grande instance du domicile du demandeur. Enfin, en vertu des dispositions combinées de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article 29 du décret du 19 décembre 1991, les demandes d’aide juridictionnelle relatives aux instances portées devant le Conseil d’Etat et devant la Cour nationale du droit d’asile ne peuvent être présentées qu’au bureau établi auprès de chacune de ces juridictions.
Par ailleurs, l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fixe à un mois le délai dans lequel l’étranger qui fait l’objet d’une décision de refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français peut demander l’annulation de ces décisions au tribunal administratif, et à trois mois le délai dans lequel le tribunal administratif, saisi d’une telle demande d’annulation, doit rendre son jugement. Les dispositions ajoutées à cet article par la loi du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique, aux termes desquelles l’étranger « peut demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle au plus tard lors de l’introduction de sa requête en annulation », dérogent à la règle générale fixée par l’article 18 de la loi du 10 juillet 1991, qui prévoit que « l’aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l’instance ».
La première question posée par la cour administrative d’appel de Paris doit être regardée comme portant sur le point de savoir, d’une part, s’il appartient à une juridiction administrative, saisie directement, à l’occasion d’un recours introduit devant elle, d’une demande d’aide juridictionnelle, de transmettre cette demande au bureau d’aide juridictionnelle territorialement compétent, en vertu soit des dispositions de l’article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, soit d’une règle générale de procédure ou d’un principe applicable sans texte, et, d’autre part, si, dans l’affirmative, la condition de délai dans laquelle l’article L. 521-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile enferme la présentation d’une demande d’aide juridictionnelle doit en pareil cas être regardée comme remplie.
1° Saisie, à l’occasion d’un recours introduit devant elle, d’une demande d’aide juridictionnelle, dont le régime contribue à la mise en œuvre du droit constitutionnellement garanti à toute personne à un recours effectif devant une juridiction, toute juridiction administrative est tenue en vertu de ce principe, et afin d’assurer sa pleine application, de transmettre cette demande sans délai au bureau d’aide juridictionnelle compétent, qu’il soit placé auprès d’elle ou auprès d’une autre juridiction, et de surseoir à statuer jusqu’a ce qu’il ait été statué sur cette demande. Il n’en va différemment que dans les cas où une irrecevabilité manifeste, insusceptible d’être couverte en cours d’instance, peut donner lieu à une décision immédiate sur le recours.
2° Il en résulte notamment qu’une demande d’aide juridictionnelle formulée au sein d’une requête dirigée contre un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français devra être regardée comme valablement introduite au regard des dispositions de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui imposent que la demande d’aide juridictionnelle soit déposée au plus tard lors de l’introduction du recours.
Sur la seconde question :
La seconde question posée par la cour administrative d’appel de Paris porte sur le point de savoir s’il appartient de manière générale au juge d’appel de relever le cas échéant d’office l’irrégularité de procédure résultant de ce qu’une juridiction, qu’elle ait ou non été avisée dans les conditions fixées par le décret du 19 décembre 1991 de ce qu’un requérant a formé une demande d’aide juridictionnelle, s’est abstenue de surseoir à statuer sur la demande dont elle était saisie.
Compte tenu de l’importance de l’aide juridictionnelle, ainsi que de l’obligation de transmission évoquée ci-dessus, pour la mise en œuvre du droit constitutionnellement garanti de toute personne à un recours effectif à une juridiction, l’irrégularité tenant à ce qu’une décision juridictionnelle a été rendue en méconnaissance de l’obligation de surseoir à statuer qui s’impose à toute juridiction lorsqu’a été présentée une demande d’aide juridictionnelle, que la demande ait été présentée directement devant le bureau d’aide juridictionnelle ou bien devant la juridiction saisie, doit, le cas échéant, être soulevée d’office par la juridiction qui est saisie de cette décision.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Il sera notifié au président de la cour administrative d’appel de Paris, à M. Jafor Khan, au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, à la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, ainsi qu’à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Conseil d’Etat, Avis, 6 mai 2009, Khan, requête numéro 322713
Citer : Revue générale du droit, 'Conseil d’Etat, Avis, 6 mai 2009, Khan, requête numéro 322713, ' : Revue générale du droit on line, 2009, numéro 26640 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=26640)
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