CHAPITRE II – LE DÉROULEMENT DE L’INSTANCE
L’instruction, période clé de l’instance. Si elle ne se résume pas à l’instruction, l’essentiel de l’instance consiste dans l’instruction de l’affaire. C’est durant l’instruction que les parties peuvent débattre et que le juge doit mettre en œuvre ses pouvoirs, pour parvenir à la résolution du litige. On mesure toute l’importance qu’il y a à organiser l’instruction (Section 1) durant laquelle peuvent survenir un certain nombre d’évènements (Section 2).
Section 1 – L’organisation de l’instruction
Un double classicisme au service de la « vérité judiciaire ». Les caractères généraux de la procédure administrative juridictionnelle (Sous-section 1) sont l’expression d’une juste – et nécessaire – conciliation de l’identité de la juridiction administrative et des impératifs propres à toute procédure juridictionnelle. En cela, ils expriment l’adaptation du particularisme classique du droit administratif aux contraintes non moins classiques du droit processuel. Le déroulement de l’instruction (Sous-section 2) en rend compte, de laquelle émerge, par la discussion contentieuse qu’elle autorise, non seulement entre les parties mais également avec le juge, la solution juridictionnelle.
Sous-section 1 – Les caractères généraux de la procédure
Le poids des origines. Les caractères généraux de la procédure administrative juridictionnelle procèdent de l’histoire de la juridiction administrative. Le lien originel entre la juridiction administrative et l’administration active explique que la procédure juridictionnelle soit essentiellement écrite (§ 1) et inquisitoire (§ 2). Par ailleurs, il ne saurait exister de procédure juridictionnelle admissible en dehors de la contradiction, et cette considération est rendue encore plus prégnante avec le développement des garanties constitutionnelles accordées aux parties et l’influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La procédure administrative juridictionnelle est condamnée – mais elle l’accepte bien volontiers – à être contradictoire (§ 3).
§ 1 : Le caractère écrit de la procédure
Une raison d’ordre historique. C’est probablement une source de questionnement pour le justiciable de constater que son mandataire décide de ne pas se rendre à l’audience publique. Ce peut être une incompréhension teintée d’inquiétude pour lui d’entendre son mandataire s’en remettre, lors de l’audience, purement et simplement à l’instruction écrite. Ce peut lui apparaître choquant que d’entendre le président de la formation de jugement reprocher, le cas échéant, à ce mandataire d’excéder le cadre des « brèves observations » qu’il était invité à formuler. Ce justiciable doit cependant comprendre que la procédure est essentiellement écrite, le primat de l’écrit en contentieux administratif étant une tradition de l’histoire de la juridiction administrative, qui a conservé au fil du temps cette culture, laquelle caractérise l’administration active dont elle est issue.
La progression, limitée, de l’oralité. Cette culture de l’écrit s’érode cependant (D. Chabanol, « Du dialogue du juge et des parties. Réflexions sur la procédure administrative contentieuse » in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Paris, Dalloz, 2007, pp. 149 et s.), le principe restant toutefois celui suivant lequel le droit des parties de présenter des observations orales à l’audience n’existe que si un texte le prévoit (CE, 11 févr. 1953, Sté industrielle des produits chimiques Bozel Malétra, requête numéro 9685, Rec., p. 62). L’exemple de la procédure civile et, plus encore, l’influence de la jurisprudence européenne ont favorisé l’essor de l’oralité, au moins au cours des séances de jugement. En outre, le perfectionnement des procédures d’urgence (référé suspension, référé liberté, référés en matière contractuelle notamment) s’est accompagné d’un formidable développement de l’oral qui concurrence nettement l’écrit. Reste que, en procédure ordinaire, l’instruction est essentiellement écrite, ce qui ne nuit d’ailleurs assurément pas à la qualité du contentieux administratif.
Précision complémentaire sur la notion d’écrit. L’écrit doit se comprendre ici au sens large. Doivent ainsi être considérés comme écrits les échanges dématérialisés entre les parties et les juridictions administratives, que le décret n° 2012-1437 du 21 décembre 2012 relatif à la communication électronique devant le Conseil d’Etat, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs a eu pour effet de généraliser. Il n’y a pas lieu de douter que l’instruction d’une part importante du contentieux administratif est à présent vouée à se dérouler sous forme électronique. Au demeurant, un requérant est à présent réputé avoir reçu notification d’une mesure d’instruction par Télérecours lorsque son avocat est inscrit sur cette application et qu’aucun dysfonctionnement n’a été constaté, alors même que la requête n’aurait pas été initialement adressée à la juridiction par voie dématérialisée (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 6 octobre 2014, Commune d´Auboué, requête numéro 380778, Rec., T., p. 799). Suivant le même raisonnement, un rapport d’expertise est réputé régulièrement déposé par voie dématérialisée et il incombe à la partie qui prétend ne pas en avoir reçu communication, après avoir consulté le site dédié au suivi de la procédure, d’accomplir les diligences nécessaires pour en obtenir communication (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 23 juillet 2014, Borriglione, requête numéro 364825, Rec., T., p. 800).
§ 2 : Le caractère inquisitoire de la procédure
-Le juge administratif, maître de la procédure. Il est de coutume de présenter la procédure administrative juridictionnelle comme inquisitoire. C’est sans doute vrai dès lors que le juge administratif conserve la maîtrise de l’instruction, initiée d’ailleurs par « requête » (CJA, art. R. 411-1) et non par assignation comme cela peut être le cas en procédure civile. C’est lui qui communique les mémoires à l’adversaire, qui fixe les délais de réponse, et qui décide du moment de clore l’instruction.
-Des pouvoirs d’injonction. C’est encore le juge chargé de l’instruction de l’affaire, ou la formation de jugement à la faveur d’un jugement avant dire droit (Conseil d´Etat, Ass, 6 novembre 2002, Moon Sun Myung, requête numéro 194295 et 219587, Rec., p. 380 ; AJDA 2002, p. 1337, chron. F. Donnat et D. Casas), qui décident des mesures d’instruction et qui disposent à ce titre de véritables pouvoirs d’injonction. Le juge administratif se reconnaît en effet de longue date un pouvoir d’injonction au cours de l’instruction. Il appartient ainsi au juge administratif « d’exiger de l’administration compétente, la production de tous documents susceptibles d’établir sa conviction et de nature à permettre la vérification des allégations du requérant » (CE, Sect., 1er mai 1936, Couëspel du Mesnil, requête numéro 44513, Rec., p. 485). Il est pourtant assez rare que le juge mette en œuvre ces pouvoirs. Ce constat procède en partie de ce que les échanges d’écritures suffisent le plus souvent à éclairer la juridiction. Ce constat participe également d’une forme de nivellement de la culture de l’inquisitoire au profit de l’accusatoire. Mais le Conseil d’Etat de rappeler récemment que la conviction du juge doit se forger au vu des éléments versés au dossier par les parties et que la charge de la preuve ne pèse pas entièrement sur le demandeur.
Ainsi, il a été énoncé que les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne peuvent être réclamés qu’à celle-ci (Conseil d´Etat, Sect, 30 juin 2003, Société Etablissement Lebreton, requête numéro 232832 , Rec., p. 273) et encoure la censure la décision rendue sans que le juge ait fait usage de ses pouvoirs alors que cela était nécessaire à la résolution du litige (Conseil d´état, 20 décembre 1968, Société des travaux hydrauliques et des entreprises générales, requête numéro 69978, Rec., p. 678). Lorsque l’administration ne produit pas les éléments infirmant les allégations du requérant, il appartient au juge « de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur » (Conseil d´Etat, 26 novembre 2012, Mme Cordière, requête numéro 354108, Rec., p. 394, concl. B. Bourgeois-Machureau ; AJDA 2012, p. 2373, chron. X. Domino et A. Bretonneau).
Le pouvoir d’injonction est ici un pouvoir discrétionnaire (Conseil d´Etat, 25 juin 1948, Brillaud, requête numéro 94511, Rec., p. 292), le juge appréciant l’intérêt d’ordonner les productions suivant que le requérant se prévaut d’allégations « sérieuses » (Conseil d´Etat, Sect., 26 janvier 1968, Société « maison Genestal », requête numéro 69765, Rec., p. 62, concl. L. Bertrand) ou « suffisamment sérieuses » (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 26 septembre 1986,Ministre délégué auprès du ministre du redéploiement industriel et du commerce chargé des P.T.T. c. Epoux Blanckaert, requête numéro 64812, Rec., p. 222), ou que sa demande s’avère frustratoire (Conseil d´Etat, 20 novembre 1968, Ministre des Armées et Anger, requête numéro 72431, Rec., p. 580). Il n’est à cet égard pas tenu de répondre à une demande d’injonction de produire (Conseil d´Etat, 5ème et 3ème SSR, 7 octobre 1983, requête numéro 35249 , Rec., p. 403).
-Illustrations. Il est, par exemple, permis au juge :
– de demander des éclaircissements ou des renseignements (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 29 juin 1998, Société anonyme des eaux minérales d´Evian, requête numéro 157110, Rec., p. 257) et le refus de se plier à ces demandes, sans motif légitime, se retourne contre l’administration (Conseil d´Etat, Ass, 28 mai 1954, Barel et a., requête numéro 28238, 28493, 28524, 30237 et 30256, Rec., p. 308, concl. M. Letourneur ; RDP 1954, p. 509, concl. M. Letourneur et note M. Waline) ;
– de demander à l’administration de fournir des explications sur une décision administrative (Conseil d´état, 26 janvier 1968, Société « Maison Genestal », requête numéro 69765, préc.), ce qui compense l’absence de principe général de motivation ;
– d’ordonner la production de tous documents utiles (Conseil d´Etat, 26 septembre 1986,Ministre délégué auprès du ministre du redéploiement industriel et du commerce chargé des P.T.T. c. Epoux Blanckaert, requête numéro 64812, préc.), d’où le refus du juge du référé mesures utiles de satisfaire une telle demande lorsqu’une instance a déjà été introduite (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 3 mars 2008, Ministre de la Défense c. Commune d´Aiguines, requête numéro 308275).
Le juge administratif s’autorise même aujourd’hui, en ce qui concerne les décrets en Conseil d’Etat dont la légalité est contestée devant lui, à inviter le Premier ministre à produire aux débats le projet qui avait été initialement présenté pour avis et le projet finalement adopté par la Haute assemblée (Conseil d´Etat, 1ère et 2ème SSR, 7 juillet 2000,Confédération des syndicats médicaux français et Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, requêtes numéros 210943 et 211064).
§ 3 : Le caractère contradictoire de la procédure
– Une procédure nécessairement contradictoire. La procédure administrative juridictionnelle est contradictoire. Comment pourrait-il en être autrement ? Après avoir été érigé en principe général de la procédure (Conseil d´Etat, 12 mai 1961, Société La Huta requête numéro 40674 , Rec., p. 313), le principe de la contradiction a acquis une valeur législative au moins en ce qui concerne la juridiction administrative générale, l’article L. 5 du code de justice administrative disposant que « l’instruction des affaires est contradictoire ». Il est vrai que la contradiction est conçue comme le moyen de garantir les droits de la défense (Cons. const., décision numéro 89-268 DC du 29 déc. 1989, Loi de finances pour 1990, Rec. Cons. const., p. 110 ; RFDA 1990, p. 143, note B. Genevois ; RFDC 1990, p. 122, note L. Philip). La confusion doit cependant être exclue : son champ d’application étant plus étendu, le principe du contradictoire est irréductible à celui des droits de la défense. Il est ainsi plus juste de souligner que le principe du contradictoire est un « principe fondamental du procès équitable » (CEDH, 18 févr. 1997, Nideröst Huber c. Suisse, affaire numéro 18990/91, Rec., p. 101).
-La signification du principe du contradictoire. Le principe du contradictoire commande que les parties soient informées et puissent discuter de l’ensemble des éléments sur lesquels le juge peut se fonder pour statuer (Conseil d´Etat, Ass, 13 décembre 1968,Association des propriétaires de Champigny-sur-Marne, Comité de défense des intérêts menacés par l’autoroute A6 et Sieur Musso, requêtes numéros 71624 à 71626, Rec., p. 645 ; RDP 1969, p. 512, concl. N. Questiaux et note M. Waline) : mémoires, pièces, rapports d’expertise… mais également moyens soulevés d’office par le juge, conclusions du rapporteur public… Il en va non seulement ainsi devant les juridictions administratives générales mais également devant les juridictions disciplinaires. Ainsi, si un texte prévoit que toute personne convoquée à l’audience y est entendue même si elle n’a produit aucune observation écrite avant la clôture de l’instruction, l’affaire doit être rayée du rôle et l’instruction rouverte dans le cas où les propos tenus à l’audience sont de nature à exercer une influence sur la décision de la juridiction et qu’il ne peut y être utilement répondu pendant l’audience (Conseil d´Etat, 4ème et 5ème SSR, 21 octobre 2015, Mme D, requête numéro 381754 , Rec.). Le principe du contradictoire ne va cependant pas jusqu’à concerner « l’acte même de juger » (D. Chauvaux, concl. sur Conseil d´Etat, 29 juillet 1998, Esclatine, requêtes numéros 179635 et 180280, Rec., p. 320), en sorte que ni le rapport ni les conclusions du rapporteur public ne sont communicables dans le cadre de la procédure (Conseil d´Etat, Sect., 21 juin 2013, Communauté d´agglomération du pays de Martigues, requête numéro 352247, Rec., p. 167 ; AJDA 2013, p. 1276, chron. X. Domino et A. Bretonneau).
– La portée du principe du contradictoire. Seule la partie réellement lésée peut contester le manquement au principe du contradictoire. Il en résulte qu’un requérant ne peut utilement soutenir que le principe du contradictoire a été méconnu parce que sa requête n’aurait pas été communiquée au défendeur (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 15 mars 2000, Mme Drannikova, requête numéro 185837, Rec., T., pp. 1047, 1161, 1184), ni le défendeur lorsque son mémoire tendait aux mêmes fins que celui produit par son codéfendeur et reposant sur des moyens ou une argumentation n’appelant pas de discussion de la part de ce dernier (Conseil d´Etat, 11 juillet 2012, Société Juwi énergies renouvelables, requête numéro 347001, Rec., T., p. 919).
– Des aménagements parfois nécessaires. Le principe du contradictoire peut donner lieu à des aménagements. Ceux-ci sont, d’une part, rendus nécessaires par l’urgence. L’article L. 5 du code de justice administrative dispose ainsi que « les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence ». D’autre part, de jurisprudence constante, le juge ne peut requérir de l’administration et donc livrer à la contradiction des documents « dont la communication contreviendrait à une prescription législative » (Conseil d´Etat, Sect., 24 octobre 1969, Ministre de l´Equipement et du logement c. Sieur Gougeon, requête numéro 77089, Rec., p. 457 ; AJDA 1969, p. 689, chron. R. Denoix de Saint Marc et D. Labetoulle ; RDP 1970, p. 394, note M. Waline). Le principe de la contradiction est donc aménagé en raison du caractère confidentiel conféré à certains documents par la loi, que ce soit en matière médicale ou en matière de défense et de renseignement. Il ne l’est pas en droit des affaires.
– En matière médicale. Sans doute les articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique posent-il le principe du secret médical dans des termes restrictifs. Le principe n’est toutefois pas absolu, et il ne peut être opposé à l’intéressé lui-même (Conseil d´Etat, Sect., 24 octobre 1969, Ministre de l´Equipement et du logement c. Sieur Gougeon, requête numéro 77089, préc.). Il en résulte que le juge administratif peut inviter l’administration à communiquer à l’intéressé les motifs d’ordre médical sur lesquels ses décisions sont fondées, lequel dispose alors d’un délai de deux mois pour révéler au juge les motifs qui lui auront été communiqués (Conseil d´Etat, 5ème et 3ème SSR, 14 décembre 1988, Département des Hauts-de-Seine c. Bon, requête numéro 68209). Mais, une fois versé au débat, l’élément (un rapport d’expertise par exemple) spontanément communiqué par la partie concernée doit être livré à la contradiction (Cour administrative d´appel Lyon, 29 novembre 2012, Centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, requête numéro 11LY01769 ).
– En matière de défense et de renseignement. Les documents classifiés sont protégés des immixtions de la juridiction administrative qui ne peut en obtenir la communication alors même que celle-ci serait nécessaire à la résolution du litige (CE, Ass., 11 mars 1955, Secrétaire d’Etat à la Guerre c. Coulon, requête numéro 34036, Rec., p. 149 ; RDP 1955, p. 995, concl. F. Grévisse). Sans doute est-il devenu possible au juge de demander la déclassification et la communication des informations présumées nécessaires (C. déf., art. L. 2312-4. Sur ce point, M. Guillaume, « La réforme du droit du secret de la défense nationale », RFDA 1998, pp. 1223 et s.). Mais le principe reste inchangé : tant que cette déclassification n’est pas prononcée, le principe de la contradiction constitue un obstacle à la divulgation d’informations vitales – ou prétendues vitales – pour la sûreté de l’Etat (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 1er octobre 2015, M.C, requête numéro 373019, Rec., T.).
Il n’est cependant pas toujours permis à l’administration de se réfugier derrière ses secrets. Ainsi, la confidentialité des informations détenues par l’administration ne saurait constituer un paravent commode et, s’il admet notamment comme mode de preuve les notes blanches (Conseil d´Etat, Ass., 11 octobre 1991, Diouri, requête numéro 128128, Rec., T., p. 939 ; AJDA 1991, p. 890, chron. C. Maugüé et R. Schwartz ; RFDA 1991, p. 978, concl. M. de Saint Pulgent), c’est à la condition que celles-ci restent suffisamment précises et complètes pour étayer les dires de l’administration, à peine d’être écarté du débat contentieux (Conseil d´Etat, 2ème sous section jugeant seule, Beddiaf, requête numéros 337992 et 342706. Ainsi le Conseil d’Etat a-t-il encore jugé que le ministre de l’Intérieur ne pouvait refuser à une personne les informations la concernant et figurant au fichier des renseignements généraux en l’absence de tout élément permettant d’estimer que leur divulgation mettrait en péril la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat (Conseil d´état, 10ème et 9ème SSR, 30 juillet 2003, Raoust, requête numéro 242812CE, 30 juill. 2003, Raoust, requête numéro 242812, Rec., p. 355 ; AJDA 2003, p. 2101, concl. C. Maugüé).
Par ailleurs, si, en matière de pensions militaires d’invalidité, l’intéressé doit apporter la preuve de la relation entre son infirmité et le service, le tribunal des pensions peut user des prérogatives qu’il tient des textes et demander à l’administration qu’elle apporte les éléments en sa possession pour statuer sur le droit à pension du requérant (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 4 octobre 2010, Ministre de la défense, requete numéro 323049). Plus largement, le juge peut demander au ministre de la Défense tous les éléments d’information, à l’exclusion des documents classifiés, afin de pouvoir se prononcer en connaissance de cause sans pour autant porter atteinte au secret de la Défense nationale (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 20 février 2012, Ministre de la Défense et des anciens combattants, requête numéro 350382, Rec., p. 54 ; AJDA 2012, p. 1072, note S. Brimo ; AJDA 2012, p. 1588, concl. D. Hedari). Le Conseil d’Etat a même pu enjoindre, avant dire droit, la production du projet de décret initialement soumis au Conseil d’Etat, de la minute de la section administrative du Conseil d’Etat qui a examiné le texte, et du décret finalement adopté, sans que la communication des pièces produites par le ministre soit faite au requérant, en raison du classement secret défense de ces pièces (Conseil d´état, 10ème et 9ème SSR, 31 juillet 2009, Association Aides et a., requete numéro 3201966, Rec., p. 341).
– En matière commerciale. Le principe du contradictoire n’est pas contrarié par le secret des affaires. D’aucuns soutiennent, avec la force de conviction qu’on leur connaît, qu’il doit en être ainsi (D. de Béchillon, « Principe du contradictoire et protection du secret des affaires, Plaidoyer pour le maintien de la jurisprudence en vigueur », RFDA 2011, pp. 1107 et s.). On y souscrira… En effet, si les opérateurs économiques n’entendent pas dévoiler certaines données confidentielles à leurs concurrents, si donc l’atteinte au secret des affaires s’avère pour eux problématique, une entorse ici au principe du contradictoire serait encore moins satisfaisante, qui ne trouverait pas de justifications suffisamment convaincantes.
Sous-section 2 – Le déroulement de l’instruction
Une période déterminante. L’instruction, qui est de principe en contentieux administratif (§ 1), ne doit pas être confondue avec l’instance dont elle n’en est qu’une des phases. L’instruction est une période clé de l’instance, puisqu’elle est celle durant laquelle le juge use de ses pouvoirs afin de se mettre en mesure de trancher le litige qui lui est soumis. C’est durant l’instruction que la discussion contentieuse se déroule et, à ce titre, que les moyens et les pièces peuvent être soumis au juge. C’est jusqu’à la fin de l’instruction que l’essentiel des irrecevabilités peut faire l’objet d’une régularisation. Eu égard à l’importance de cette période, il convient de l’appréhender avec sérieux et d’en maîtriser les différentes étapes (§ 2).
§ 1 : Le principe de l’instruction
– Instruire si nécessaire. L’instruction est le principe, commandé par l’importance qu’elle revêt pour le jugement du litige dans le respect des principes directeurs de la procédure et en particulier celui du contradictoire (I). Mais le pragmatisme commande également que le juge ne s’embarrasse pas d’une instruction inutile qui verserait dans l’artifice, en sorte que le code de justice administrative prévoit la faculté de déroger au principe de l’instruction (II).
I. L’importance de l’instruction
– L’instruction, rien ou presque que l’instruction… L’instruction de l’affaire à juger est de longue date considérée par le Conseil d’Etat comme une « formalité essentielle » dont la violation conduit à la censure pour vice de procédure (CE, 25 janv. 1957, Raberanto et syndicat fédéral des fonctionnaires malgaches, requête numéro 25223, Rec., p. 66 ; Rev. jur. pol. 1958, p. 394, concl. J. Chardeau). Il est vrai que l’instruction constitue la période clé au cours de laquelle se déploie l’essentiel des argumentations des parties et durant laquelle le juge peut ordonner les mesures d’instruction utiles à la manifestation de la vérité.
-La durée de l’instruction. C’est au juge qu’il appartient de fixer la durée de l’instruction. Sous réserve que le principe du contradictoire soit préservé, le juge peut décider de l’accélérer (C. Lasry, concl. sur CE, 10 mai 1957, Sous-secrétaire d’Etat à la Marine marchande, AJDA 1957, II, p. 246). Il s’agit même parfois d’une obligation pour lui, par exemple lorsque la suspension d’une décision administrative a été ordonnée en référé, l’article L. 521-1 al. 2 du code de justice administrative disposant qu’il est alors statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais.
II. Les cas de dérogations au principe de l’instruction
Pas d’instruction inutile. Le principe de l’instruction n’est pas absolu. Lorsqu’il apparaît évident qu’elle ne sera d’aucune utilité, l’issue du litige étant déjà établie, il est possible au juge de statuer sans instruction préalable, au moyen d’un rejet par ordonnance (A) ou à la suite d’une décision de dispense d’instruction (B).
A. Le rejet par ordonnance
-La fonction de régulation conférée aux ordonnances de rejet. L’article R. 222-1 du code de justice administrative énumère la liste des hypothèses dans lesquelles les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent statuer par ordonnance sans lancer la procédure d’instruction.
Notamment, peuvent être rejetées par ordonnance :
– les requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative (CJA, art. R. 222-1-2°) ;
– les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter le requérant à régulariser ou lorsque cette invitation est restée sans réponse dans le délai imparti (CJA, art. R. 222-1-4°), un mémoire en défense opposant une fin de non-recevoir ne tenant pas lieu d’invitation à régulariser (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 14 octobre 2015, M. et Mme Godrant, requete numéro 374850C, Rec., T.) ;
– les requêtes qui, après l’expiration du délai de recours, ne comportent que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé (CJA, art. R. 222-1-7°).
Les mêmes dispositions sont contenues à l’article R. 122-12 du code de justice administrative, au bénéfice du président de la section du contentieux du Conseil d’Etat et des présidents de chambres. Ces dispositions constituent des formidables instruments de gestion des flux des requêtes en permettant l’éviction immédiate de celles vouées, ab initio, au rejet. Lorsque la requête a déjà été communiquée au défendeur, il n’est toutefois plus possible de faire application des articles R. 222-1 et R. 122-12 du code de justice administrative sans respecter le principe de la contradiction (Conseil d´Etat, 2ème et 7ème SSR, 27 juin 2008, Boudou, requête numéro 305540, Rec., p. 252).
-Le cas des ordonnances de série. Les articles R. 222-1-6° et R. 122-12-6° du code de justice administrative prévoient également qu’il est possible de statuer, par ordonnance, « sur les requêtes relevant d’une série, qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu’elle a déjà tranchées ensemble par une même décision passée en force de chose jugée ou à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux ou examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d’Etat en application de l’article L. 113-1 ». La finalité de ces dispositions est également de faciliter le travail des juridictions en évitant la lourdeur d’une formation collégiale là où les circonstances de l’espèce ne l’imposent pas. Les similitudes avec les ordonnances de rejet s’arrêtent toutefois ici. En effet, le principe du contradictoire s’impose et la requête doit avoir été communiquée au défendeur préalablement à l’adoption de l’ordonnance (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 17 septembre 2010, Chambre des métiers et de l´artisanat de Mayotte c. Said Ahmed, requête numéro 317105 , Rec., T., pp. 833, 906 et 919).
B. La dispense d’instruction
-L’article R. 611-8 du code de justice administrative. Aux termes de l’article R. 611-8 du code de justice administrative, « lorsqu’il apparaît au vu de la requête que la solution de l’affaire est d’ores et déjà certaine, le président du tribunal administratif ou le président de la formation de jugement ou, à la cour administrative d’appel, le président de la chambre ou, au Conseil d’Etat, le président de la chambre peut décider qu’il n’y a pas lieu à instruction ». Il s’agit d’une mesure d’administration de la justice qui n’a pas même à être notifiée au requérant (Conseil d´Etat, 3ème et 5ème SSR, 29 juillet 1983, Meallier, requête numéro 43140, Rec., T., p. 823), insusceptible de faire en elle-même l’objet d’un recours devant le juge d’appel ou de cassation (Conseil d´Etat, 1ère sous section jugeant seule, 14 décembre 2005, Mme Der Agobian, requête numéro 285647, Rec., T., p. 1041) mais qui pourra seulement être contestée à l’occasion de l’appel ou du pourvoi en cassation dirigé contre la décision juridictionnelle (Conseil d´Etat, 2ème sous section jugeant seule, 11 février 2005, Lamouissi, requête numéro 258801CE, 11 févr. 2005, Lamouissi, requête numéro 258801, Rec., T., p. 1041), par le seul requérant (Conseil d´Etat, 2ème et 7ème SSR, 5 juin 2015, M.A, requête numéro 378130, Rec., T.).
-Une solution d’ores et déjà certaine. La mise en œuvre de l’article R. 611-8 du code de justice administrative dépend, d’une part, de ce que la requête n’a pas encore été communiquée à la partie adverse (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 27 mai 2015, communes d´Istres, requêtes numéro 386195, Rec., T.), d’autre part, de ce que la solution, au regard des seules pièces du dossier (Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 14 novembre 1991, Ministre du budget c. Moreau, requete numéro 100236, Rec., p. 402), ne fait aucun doute, qu’il s’agisse par exemple d’une requête portée devant une juridiction incompétente pour connaître du litige (Conseil d´Etat, 10 juillet 1970, Sieur Barentin, requete numéro 78322, Rec., p. 489), entachée d’une irrecevabilité non régularisable (CE, 5 avr. 1957, Association des anciens élèves de l’École nationale d’administration, requête numéro 36173, Rec., p. 245), mal fondée (CE, 18 mars 1959, Dagan, requête numéro 38532, Rec., T., p. 1065), ou encore du fait de la chose jugée (Conseil d´Etat, 3ème et 6ème SSR, 26 mars 1971, Devillers, requete numéro 79815, Rec., p. 259). Le sentiment n’est pas loin ici du double emploi avec les ordonnances de tri. Mais il est vrai également que, parfois, des considérations d’opportunité commandent qu’audience soit tenue, notamment par égard pour le requérant. En quelque sorte, la mise en œuvre de l’article R. 611-8 du code de justice administrative témoigne alors d’une forme de respect pour lui. Reste cette disposition n’est pas à l’abri de la critique. En effet, on peut largement souscrire à cette idée que « l’instruction d’une affaire peut démentir le sentiment de certitude initiale » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2008, p. 812. Dans un sens sensiblement identique, R. Odent, Contentieux administratif, tome 1, Paris, Dalloz, 2007 (rééd.), p. 941). En outre, le procédé s’accorde mal avec la faculté offerte aux requérants, sous la réserve déjà évoquée que la cause juridique ait été ouverte dans le délai du recours contentieux, de soulever des moyens nouveaux en cours d’instance, et notamment en réplique. La certitude quant à l’issue du litige ne s’acquiert pas seulement au vu de la requête introductive d’instance. Pour preuve, le Conseil d’Etat a pu considérer dans une affaire que le tribunal administratif n’avait pas commis d’irrégularité en se dispensant d’instruction, parce qu’il disposait des éléments d’appréciation suffisants, au nombre desquels, outre la requête, le dossier de l’instance en référé engagée préalablement dans la même affaire (Conseil d´Etat, 1ère et 4ème SSR, 12 mars 1980, Centre hospitalier spécialisée de Sarreguemines, requête numéro 12572 , Rec., p. 141).
-Une décision de rejet à venir. Le caractère contradictoire de la procédure s’oppose à ce qu’une dispense de l’instruction soit décidée si la décision juridictionnelle à venir de la juridiction, aussi certaine qu’elle peut être, doit donner satisfaction au requérant (Conseil d´Etat, Ass., 5 avril 1996, Syndicats des avocats de France, requête numéro 116594, Rec., p. 118 ; RFDA 1996, p. 1195, concl. J.-C. Bonichot). Mais, en certaines hypothèses encore, il n’est pas permis au juge de décider une dispense de l’instruction, alors même qu’il est déjà établi que la solution sera favorable au défendeur. Ainsi a-t-il été jugé que la bonne gestion des deniers publics commande que l’administration soit mise en mesure de se prévaloir de la prescription quadriennale avant que la juridiction saisie du litige en premier ressort se soit prononcée sur le fond (Conseil d´Etat, 1er décembre 1982, Ministre du budget c. Autret, requête numéro 43771, Rec., T., p. 569 et 715 ; Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 29 décembre 1997, Ministre du budget c. Mialon, requête numéro 150333, Rec., T., p. 753).
§ 2 : Les étapes de la procédure d’instruction
-Le rôle éminent du rapporteur. Le rapporteur joue un rôle particulièrement important. Il est le juge le mieux informé de l’affaire et il éclaire le reste de la formation de jugement. A ce titre, il lui appartient de rédiger la note du rapporteur. Celle-ci règle, en premier lieu, les questions préalables. Dans l’ordre, le juge examine les questions du desistement, de l’incompétence, du non-lieu, et des irrecevabilités. Cet ordre doit être respecté, à peine d’irrégularité de la décision juridictionnelle à intervenir (par ex., Conseil d´Etat, 3ème et 8ème SSR, 9 avril 2014, Société Copalex, requête numéro 357168). La note du rapporteur traite, en second lieu, du fond de l’affaire. Destinée à la formation de jugement et, au Conseil d’Etat, à l’ensemble de la section ou de la chambre chargée de l’instruction, la note du rapporteur a vocation à expliquer le projet de décision juridictionnelle sur l’affaire, qu’il lui appartient par ailleurs de rédiger. Même si les mesures d’instruction sont pour l’essentiel ordonnées par le président de chambre, au Conseil d’Etat le président de la chambre chargée de l’instruction, le rapporteur est chargé de l’instruction (Conseil d´Etat, Section du Contentieux, 27 février 2004, Préfet des Pyrénées-Orientales c. Mme Nebbab, requête numéro 253003, Rec., p. 93).
Trois étapes. Si le cours de l’instruction est la période durant laquelle l’essentiel se joue (II), il ne faut négliger ni le début (I), ni la clôture de l’instruction (III).
I. Le début de l’instruction
-La désignation du rapporteur. Immédiatement après son enregistrement par le greffe, la requête introductive d’instance est transmise à un rapporteur désigné par le président de la juridiction (CJA, art. R. 611-9 pour les TA ; art. R. 611-16 pour les CAA) ou, au Conseil d’Etat, par le président de la chambre qui a été chargée de l’instruction par le président de la section du contentieux (CJA, art. R. 611-20 al. 2), sauf à ce que le président de la section du contentieux décide que l’instruction de l’affaire seta confiée à la section du contentieux, auquel cas il lui appartient de désigner le rapporteur (CJA, art. R. 611-20 al. 3). La mise en œuvre de cette faculté est rare, mais elle se rencontre en pratique (par ex., Conseil d´Etat, Ass, 28 mai 1954, Barel et a, requêtes numéro 28238, 28493, 28524, 30237 et 30256, Rec., p. 308, concl. M. Letourneur ; RDP 1954, p. 509, concl. M. Letourneur et note M. Waline ; Conseil d´Etat, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic travaux signalisation, requête numéro 291545, Rec., p. 360 ; RFDA 2007, p. 696, concl. D. Casas ; AJDA 2007, p. 1577, chron. F. Lenica et J. Boucher ; JCP gén. 2007, II, 10156, note M. Ubaud-Bergeron et 10160, note B. Sellier ; JCP adm. 2007, 2212, note F. Linditch et 2221, note M.-C. Rouault ; CE, Ass., 16 févr. 2009, Hoffman-Glemane, requête numéro 351499, Rec., p. 43, concl. F. Lenica ; RFDA 2009, p. 316, concl. F. Lenica ; AJDA 2009, p. 589, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ; RFDA 2009, p. 525, note B. Delaunay). Bien que l’on doute de la fréquence de ce cas de figure, il est encore loisible au président de se désigner rapporteur dans une affaire (CE, 23 janv. 1931, Elections de la municipalité de Koléa, requête numéro 20215, Rec., p. 89). Garantie de l’indépendance du magistrat, le rapporteur désigné ne peut être dessaisi d’un dossier que sur sa demande et avec l’accord du président du tribunal administratif, ou par décision du président du tribunal administratif (pour les TA, CJA, art. R. 611-9 ; pour les CAA, CJA, art. R. 611-9).
La fixation possible d’une date de clôture de l’instruction. Lorsque les circonstances de l’affaire le justifient, le président de la formation de jugement peut immédiatement décider de la date à laquelle l’instruction sera close (CJA, art. R. 611-11 pour les TA ; art. R. 611-18 pour les CAA).
-La communication de la requête. Sauf à ce qu’une dispense d’instruction ait été décidée ou que la saisine de la juridiction ait été faite au moyen d’une requête sommaire, la requête est communiquée sans délai à la partie adverse (CJA, art. R. 611-1 pour les TA et les CAA ; art. R. 611-21 pour le CE). Reste alors à déterminer la ou les personnes ayant la qualité de défenderesse. Il faut ici distinguer. En excès de pouvoir, il appartient à la juridiction d’adresser la requête à l’autorité intéressée, c’est-à-dire celle à laquelle appartient l’agent ou l’organe à l’origine de l’acte litigieux, indépendamment de la désignation du défendeur faite par le requérant (CE, Sect., 15 févr. 1963, Ministre de l’Education nationale c. Association Les amis de Chiberta, Chambre d’Amour, Cinq cantons et Fontaine Laborde, requête numéro 49806, Rec., p. 92 ; RDP 1963, p. 567, note M. Waline). En pleine juridiction intégrale, la juridiction, comme il se doit, se trouve liée par la désignation du défendeur faite par le requérant (CE, 14 mai 1952, Auzolle, Bonnello et consorts, requêtes numéros 77996 et 77997, Rec., p. 253).
-En cas d’annonce d’un mémoire complémentaire. Le requérant peut également avoir annoncé la production d’un mémoire complémentaire. Devant le Conseil d’Etat, le requérant dispose d’un délai de trois mois en principe pour le produire, à peine de désistement d’office, même si ce mémoire complémentaire a été postérieurement produit (CJA, art. R. 611-22). Le délai de production peut être plus court. Il est ainsi d’un mois en matière électorale et pour les recours sur renvoi de l’autorité judiciaire (CJA, art. R. 611-23 al. 1er). Devant les juridictions du fond, une mise en demeure doit être adressée au requérant (CJA, art. R. 612-5) alors tenu de se conformer au délai imparti (Conseil d´Etat, Section, 19 novembre 1993, Société Le Noroit, requête numéro 119389, Rec., p. 326), même si le contenu du mémoire complémentaire peut être identique à celui de la requête (Conseil d´Etat, 8ème et 9ème SSR, 9 juillet 1997, Société Simecsol, requête numéro 179047CE, 9 juill. 1997, Sté Simecsol, requête numéro 179047, Rec., T., p. 1009). En principe, l’instruction ne commence qu’à compter de cette production. Mais le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut également décider d’engager l’instruction sans attendre, sous réserve de communiquer au demandeur le mémoire en défense qui serait éventuellement adressé avant la production du mémoire complémentaire (Conseil d´Etat, 9ème et 10ème SSR, 25 octobre 2010, Société civile d´exploitation agricole du domaine de Haut-Grée, requête numéro 308697, Rec., T., p. 910).
II. Le cours de l’instruction
-Les échanges de mémoires. Au cours de l’instruction, les parties peuvent se répondre autant de fois que nécessaire. A la requête, le défendeur répond par un premier mémoire en défense qui donne lieu, le cas échéant, à la production d’un mémoire en réplique. S’ensuit éventuellement un deuxième mémoire en défense et un deuxième mémoire en réplique, etc… Ces mémoires postérieurs au premier mémoire en défense ne sont communiqués à la partie adverse que pour autant qu’ils contiennent des éléments nouveaux (CJA, art. R. 611-1). C’est le rapporteur qui fixe, eu égard aux circonstances de l’affaire, le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires (CJA, art. R. 611-10 pour les TA ; art. R. 611-17 pour les CAA).
-Les invitations à régulariser. Toutes les fois où une requête est entachée d’une irrecevabilité régularisable après l’expiration du délai de recours – c’est bien la majorité du genre ! – la juridiction ne peut en principe la rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité qu’après avoir invité le requérant à la régulariser (CJA, art. R. 612-1 al. 1er). Une telle condition n’est cependant pas applicable en appel et en cassation si la notification du jugement ou de l’arrêt mentionnait la règle (CJA, art. R. 612-1 al. 2), ni en matière de référé urgence (CJA, art. R. 522-2). La rigueur du code de justice administrative est parfois tempérée par le Conseil d’Etat qui fait œuvre de conciliation entre les différents impératifs. Ainsi a-t-il jugé que si une cour administrative d’appel peut rejeter une requête entachée d’un défaut de ministère d’avocat, l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle n’ayant pas produit lui-même de mémoire en temps utile doit être mis en demeure d’accomplir, dans un délai déterminé, les diligences qui lui incombent en même temps que cette carence est portée à la connaissance du requérant afin de le mettre en mesure, le cas échéant, de choisir un autre représentant (Conseil d´Etat, 6ème et 1ère SSR, 28 décembre 2012, M. Hamlat, requête numéro 348472, Rec., T., p. 927). En règle générale, l’invitation à régulariser doit être adressée au moyen de lettre remise contre signature ou de tout autre dispositif permettant d’attester la date de réception (CJA, art. R. 611-3). La communication, par lettre simple, d’un mémoire en défense opposant une fin de non-recevoir ne saurait dispenser la juridiction de son obligation, sauf à démontrer que le requérant a bien reçu ledit mémoire (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 14 novembre 2011, Alloune, requête numéro 334764, Rec., T., p. 1084).
-Les moyens soulevés d’office. Suivant l’article R. 611-7 du code de justice administrative, « lorsque la décision lui parait susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, la chambre chargée de l’instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu’y fasse obstacle la clôture éventuelle de l’instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ». Il s’agit d’une condition de régularité du jugement (Conseil d´Etat, 29 avril 1998, Comme de Hannappes, requête numéro 164012, Rec., p. 185). Ce moyen d’ordre public ne peut être soulevé que pour autant que la requête est recevable (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 15 mai 2012,Sté du Bourdeau, Commune de Cregy-les-Meaux, requêtes numéros 331362 et 331449, Rec., T.). Par delà, il n’est réellement livré à la contradiction que pour autant qu’il est communiqué dans des termes suffisamment précis aux parties. Ainsi le juge ne peut-il pas se contenter d’indiquer qu’il envisage de retenir une irrecevabilité, sans préciser laquelle (Conseil d´État, 10ème et 7ème SSR, 25 septembre 1995,Association des licenciés sans procédure de la régie départementale des passages d’eau de la Gironde, requête numéro 153191, Rec., T., p. 976). Ainsi encore, le juge doit indiquer le délai laissé aux parties pour présenter leurs observations ou, à défaut, d’indiquer la date d’audience (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 4 juillet 2012, Département de Saône et Loire, requête numéro 356168, Rec., T., p. 920). Toute considération sur laquelle s’appuie le juge pour statuer n’est pas nécessairement un moyen soulevé d’office. Notamment, la déduction faite par le juge que l’administration était en situation de compétence liée, qui la conduit à écarter les moyens dirigés contre la décision comme inopérants, relève de l’office du juge et n’est pas un moyen d’office (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 22 octobre 2014, Mme Guessas, requête numéro 364000, Rec., T., pp. 729, 800 et 817). N’étant pas non plus un moyen soulevé d’office, la décision de faire application de la jurisprudence Danthony n’est pas davantage soumise à la contradiction (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 17 février 2012, Société Chiesi SA, requête numéro 332509, Rec., p. 43).
-Les moyens inopérants. Parce qu’ils n’ont aucune chance de prospérer, les moyens inopérants n’ont pas à être livrés à la contradiction. La décision du juge de les qualifier ainsi n’a pas davantage à être précédée d’une communication aux parties (Conseil d´Etat, 5ème et 7ème SSR, 14 mars 2001, Consorts Bureau et a., requête numéro 204073, Rec., T., p. 1138). C’est discutable et c’est discuté (sur ce point, voir M. Revert, « Les moyens inopérants sont-ils vraiment tous inoffensifs », AJDA 2011, pp. 771 et s.) et la jurisprudence peut même manifester quelques signes d’hésitation sur cette question (pour une censure procédant de la non communication du moyen tiré de la compétence liée de l’autorité signataire de l’acte, rendant le moyen du requérant inopérant : Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 16 novembre 2001, Mme Lavillaureix, requête numéro 214638).
-La question des délais de réponse des parties. La procédure administrative juridictionnelle gagnerait à plus de sévérité. Pour l’heure, les délais accordés aux parties ne sont pas réellement prescrits à peine de sanction. Ils doivent au contraire être vus comme des délais durant lesquels les parties sont à l’abri de toute mauvaise surprise. Au reste, si l’intéressé n’est pas averti des conséquences de l’irrespect des délais qui lui sont impartis, lesdits délais lui restent inopposables, quand bien même une fin de non-recevoir aurait été formulée par le défendeur (Cour administrative d´appel de Douai, 22 novembre 2012, Association Bois-Guillaume Réflexion, requête numéro 12DA00510; AJDA 2013, p. 182, concl. D. Moreau). La quiétude est certes un facteur de qualité des écritures. Mais il faut bien convenir de ce que les parties abusent des largesses des juridictions. La durée moyenne des jugements serait assurément raccourcie si les délais étaient fixés à peine d’inscription au rôle. Une expérimentation en ce sens a d’ailleurs été lancée au Conseil d’Etat. On devine que l’encombrement des juridictions a eu pour effet de reléguer cette question des délais de réponse au second plan. La réduction des stocks pourrait bien induire une discipline accrue au sein de la juridiction administrative. A tout prendre, ce sera une bonne chose.
-La question des mémoires récapitulatifs. La procédure civile fait du mémoire récapitulatif le principe, en sorte que les moyens non repris dans les dernières écritures sont réputés abandonnés. Il en va différemment en contentieux administratif. C’est le juge qui opère la synthèse des différentes argumentations sans qu’il y ait lieu de conclure à la renonciation implicite à certains moyens. Deux précisions s’imposent toutefois. D’une part, un gentlemen agreement passé entre le Conseil d’Etat et l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation veut que les moyens soulevés dans la requête sommaire sont effacés par le mémoire complémentaire. Cette règle ne vaut bien-sûr que pour les requêtes rédigées par des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. D’autre part, issu du décret n° 2010-64 du 22 février 2010, l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative donne la possibilité au président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, au président de la chambre chargée de l’instruction, de demander à l’une des parties de reprendre, dans un mémoire récapitulatif, les conclusions et moyens précédemment présentés dans le cadre de l’instance en cours, en lui indiquant que, si elle donne suite à cette invitation – le juge s’excuserait presque ici ! – les conclusions et moyens non repris seront réputés abandonnés. En appel, le juge peut également demander des conclusions récapitulatives, non seulement pour l’instance en cours, mais également en ce qui concerne les conclusions et moyens présentés en première instance que la partie entend maintenir.
-La séance d’instruction. La juridiction n’attend pas la clôture de l’instruction pour entamer son examen de l’affaire. Dès lors que le dossier est suffisamment étayé pour initier la réflexion, la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, la chambre chargée de l’instruction, se réunit en présence du rapporteur public, afin de discuter de l’affaire. Le rapporteur joue ici un rôle fondamental, étant le plus au fait du dossier. Le réviseur joue un rôle non moins important en livrant une seconde opinion susceptible de confirmer, infirmer ou seulement modifier celle du rapporteur. Il s’agit indéniablement d’un moment où la solution peut se dessiner, l’opinion du rapporteur pouvant évoluer à la suite de la discussion.
III. La clôture de l’instruction
-Un moment déterminant. La clôture de l’instruction est un moment charnière de l’instance. A compter du moment où l’instruction est close, il n’est en principe plus permis au requérant de régulariser sa requête. Conformément à l’article R. 613-3 du code de justice administrative, les mémoires produits, bien que devant être visés dans la décision (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 27 juillet 2005, Berreville, requête numéro 258164C, Rec., T., p. 1041), ne sont pas pris en compte par la juridiction (Conseil d´Etat, Section, 5 janvier 1966, Hawezack, requête numéro 58623, Rec., p. 6), sauf à ce qu’une réouverture de l’instruction soit ordonnée (Conseil d´Etat, Section, 27 février 2004, Préfet des Pyrénées-Orientales c. Abounkhila, requête numéro 252988, Rec., p. 93). Il n’est pas même permis à la juridiction de donner acte d’un désistement adressé après la clôture (Conseil d´Etat, 3ème et 5ème SSR, 5 novembre 1984, Lefèvre, requête numéro 54637, Rec., T., p. 708).
-Les modalités de la clôture. Devant le Conseil d’Etat, l’instruction est close soit après que les avocats au Conseil d’Etat aient formulé leurs observations orales, soit après l’appel de l’affaire à l’audience s’ils sont absents (CJA, art. R. 613-5). Dans les autres cas, il existe deux manières de procéder à la clôture de l’instruction. Première possibilité : le président de la formation de jugement, par ordonnance non motivée et insusceptible de recours, fixe la date de clôture (CJA, art. R. 613-1). Les parties reçoivent notification de cette ordonnance de clôture. Le juge administratif retient cette manière de faire essentiellement dans les cas où le litige est complexe, reposant sur un volume de mémoires et de pièces justifiant qu’il soit mis fin à la discussion contradictoire afin qu’il puisse être réfléchi sereinement à l’affaire avant son enrôlement. Seconde possibilité : le président de la formation de jugement n’a pas pris d’ordonnance de clôture. Dans ce cas, la clôture intervient trois jours francs avant la date de l’audience indiquée dans l’avis d’audience adressé aux parties (CJA, art. R. 613-2). C’est de loin le cas le plus fréquent.
-La réouverture de l’instruction. Une réouverture de l’instruction peut intervenir, expressément ou implicitement.
Expressément : la décision de rouvrir l’instruction peut être prise par le président de la formation de jugement par une décision non motivée et insusceptible de recours, notifiée aux parties (CJA, art. R. 613-4 al. 1er) ou à la suite d’un jugement ou d’une mesure d’investigation ordonnant un supplément d’instruction (CJA, art. R. 613-4 al. 2).
Implicitement : la communication d’un mémoire à la partie adverse alors que la clôture était intervenue emporte réouverture de l’instruction (Conseil d´état, 6ème et 1ère SSR, 4 mars 2009, élections cantonales de Belle-Ile-en-mer, requête numéros 317473 et 317735, Rec., T., p. 896 ; AJDA 2009, p. 1054, concl. M. Guyomar ; Conseil d´Etat, 23 juin 2014, Société Deny All, requete numéro 352504, Rec., T., p. 799).
La formulation de l’article R. 613-4 du code de justice administrative laisse à penser que la réouverture de l’instruction est une simple faculté pour le juge, ce que confirme au demeurant la jurisprudence (Conseil d´Etat, 5ème et 3ème SSR, 5 avril 1996, nouveau syndicat intercommunal pour l´aménagement de la vallée de l´Orge, requete numéro 141684, Rec., p. 121). Il faut cependant nuancer. La réouverture reste en effet une faculté pour le juge lorsque, par exemple, la production postérieure à la clôture contient des éléments certes pertinents mais que la partie qui en est à l’origine aurait pu produire auparavant (Conseil d´Etat, 19 décembre 2008, Montmeza et Mme Lancon, requete numéro 297716, Rec., T., pp. 841 et 973). Toutefois, en certaines hypothèses, la faculté laisse la place à l’obligation. Tel est – bien trop souvent – le cas, d’abord, lorsqu’une partie vient à produire un mémoire contenant un moyen nouveau auquel la partie adverse ne peut répondre utilement avant l’intervention de la clôture (Conseil d´Etat, 29 juillet 1998,Syndicat des avocats de France et a., requêtes numéros 188715, 189102, 189106, 189287, 189336, 189662, 189931, 189932 et 192004, Rec., p. 313 ; AJDA 1998, p. 1010, concl. R. Schwartz). Tel est le cas, ensuite, en pleine juridiction, lorsque se produisent des changements dans les circonstances de fait, entre l’audience et la lecture de la décision (Conseil d´Etat, Section, 19 novembre 1993, Mlle Brutus, requete numéro 100288, Rec., p. 321) ou plus généralement lorsque le mémoire contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit, susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire et dont la partie qui l’invoque ne pouvait légitimement faire état avant la survenance de la clôture (Conseil d´Etat, Section, 5 décembre 2014, Lassus, requete numéro 340943, Rec., p. 369 ; AJDA 2015, p. 211, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe). Tel est le cas, enfin, lorsque le juge est tenu de répondre à un moyen soulevé dans le mémoire postérieur à la clôture de l’instruction. Par exemple, il doit être statué sur la prescription quadriennale opposée par le défendeur, alors même que celle-ci serait soulevée dans une note en délibéré. Le juge doit, s’il entend y faire droit, rouvrir l’instruction et soumettre l’exception à la contradiction (Conseil d´Etat, 30 mai 2007, Commune de Saint-Denis c. Mme Dormeuil, requête numéro 282619, Rec., T., pp. 772, 1017). Dans tous les cas, si la réouverture de l’instruction est décidée, les mémoires qui auraient été enregistrés après la clôture initiale sont communiqués aux parties, à moins qu’ils ne contiennent aucun élément nouveau (Conseil d´Etat, 4éme et 5ème SSR, 19 mars 2008, Mme Mas, requete numéro 300335, Rec., T., p. 864).
Section 2 – Les évènements de l’instruction
-Par et malgré le juge. L’instruction est une période durant laquelle de nombreux évènements peuvent intervenir. Certains sont le fait du juge lui-même, à travers les mesures d’instruction qu’il peut ordonner (Sous-section 1). Certains sont étrangers au juge, mais influent cependant sur le cours de l’instruction, sinon de l’instance (Sous-section 2).
Sous-section 1 – Les mesures d’instruction
-Retour sur le régime de la preuve. Comme il a été dit (supra), la procédure administrative juridictionnelle est résolument inquisitoriale. Le juge administratif dispose de pouvoirs d’injonction étendus en matière de preuve. Seuls de tels pouvoirs peuvent maintenir un équilibre acceptable entre le requérant et l’administration qui, bien souvent, est la seule à détenir les éléments permettant de statuer sur la légalité de la décision litigieuse. Il serait cependant aventureux de considérer que le régime de la preuve, en contentieux administratif, est tout entier tourné vers l’administré par une forme plus ou moins affirmée de justice distributive. Bien qu’assortie d’exceptions, l’exclusion de tout principe de loyauté de la preuve en contentieux administratif en atteste. Par delà, et aussi aussi importants que ses pouvoirs d’injonctions peuvent être, le juge n’est pas toujours en mesure de trancher le litige au seul examen des éléments fournis par les parties, soit notamment que le domaine en cause s’avère par trop technique, soit que la décision juridictionnelle suppose la constatation préalable de faits objectifs, qui ne peut procéder des seules allégations des parties. Des mesures d’instruction supplémentaires s’imposent alors, qui peuvent être assumées par le juge lui-même (§ 1) ou confiées à un spécialiste (§ 2).
§ 1 : Les missions assumées par le juge
Trois mesures envisageables. Le code de justice administrative reconnaît la faculté au juge, en tant que besoin, de se transporter sur les lieux (I), de procéder à une enquête (II) et de se livrer à la vérification de documents administratifs (III).
I. La visite des lieux
-Lire c’est bien, voir c’est mieux. Aux termes de l’article R. 622-1 al. 1er du code de justice administrative, « la juridiction peut décider que l’un ou plusieurs de ses membres se transporteront sur les lieux pour y faire les constatations et vérifications déterminées par sa décision ». Il s’agit là d’une mesure d’instruction qui se révèle particulièrement utile, notamment dans les domaines où le contrôle de légalité dépend de la qualification juridique des faits. Par exemple, le juge a pu se transporter sur les lieux afin de déterminer si le terrain d’assiette d’un projet de zone d’aménagement concerté constituait un espace proche du rivage au sens de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme (Conseil d´Etat, 4ème et 5ème SSR, 5 avril 2006, Société les Hauts de Saint-Antoine, requete numéro 272004). Par exemple encore, la juridiction a pu procéder à une visite du centre en route de la navigation aérienne d’Athis-Mons, couvrant principalement les tours de contrôle des aéroports de Roissy-Charles de Gaulle, Orly et Le Bourget, afin de se prononcer, le cas échéant, sur la légalité du refus de maintien en en activité des intéressés dans le corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne au-delà de la limite d’âge de 57 ans (Conseil d´Etat, Ass., 4 avril 2014, Ministre de l´Ecologie, du Développement durable et de l´Energie, requête numéros362785, 362787, 362806, 362811, 362813, 362815, 362817, 362819 et 362821, Rec., p. 63). Par exemple enfin, la chambre chargée de l’instruction s’est déplacée sur les lieux afin de statuer sur la légalité de la déclaration d’utilité publique d’ouvrages d’énergie électrique devant, pour partie, traverser les gorges du Verdon (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 10 juillet 2006,Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon et a., requêtes numéros 288108, 289396, 289777, 289968, Rec., T., p. 909 ; CJEG 2006, p. 456, concl. C. Vérot et note Pilat ; RFDA 2006, p. 990, note M.-F. Delhoste ; JCP adm. 2006, 1256, note P. Billet). L’arrêté a finalement été annulé. Sans se livrer à un exercice de divination, l’on peut supposer, compte tenu de la réticence classique du juge à annuler les déclarations d’utilité publique en faisant jouer la théorie du bilan, que la visite des lieux a exercé une influence sur la solution retenue.
-Une mesure rarement décidée. La visite des lieux est une mesure d’instruction utile mais elle est également rarement mise en oeuvre par la juridiction administrative. Les raisons sont de deux ordres : d’ordre culturel, d’une part, le juge administratif étant traditionnellement versé dans l’examen des écritures desquelles est censée se dégager la vérité judiciaire ; d’ordre matériel, d’autre part, le juge administratif n’ayant ni le temps ni les moyens financiers de se livrer à un examen de chaque situation particulière au point de sacrifier le temps nécessaire au déplacement.
-Les conditions de mise en œuvre du déplacement. Il est toujours loisible au juge de se déplacer sur les lieux mais cette décision relève de l’appréciation souveraine de la juridiction et seule une visite frustratoire peut vicier la procédure (Conseil d´Etat, 1ère et 4ème SSR, 12 juin 1992, Durand, requete numéro 87411). La décision peut être prise par jugement avant dire droit ou au cours de l’instruction par le président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, par la chambre chargée de l’instruction (CJA, art. R. 622-1, al. 5). Il n’est cependant pas nécessaire que le « visiteur » soit membre de la formation de jugement (Conseil d´Etat, 3ème et 5ème SSR, 9 juillet 1997, Société Colombier associates et SCI Villa Colombier, requete numéro 122472, BJDU 1997, p. 255, concl. L. Touvet). Le juge peut, dans le cours de la visite, entendre à titre de renseignements les personnes qu’il désigne et faire faire en leur présence les opérations qu’il juge utiles (CJA, art. R. 622-1, al. 2). Les parties doivent être averties du jour et de l’heure auxquels la visite des lieux doit se faire (CJA, art. R. 622-1, al. 3) et il est dressé procès-verbal de l’opération (CJA, art. R. 622-1, al. 4), en sorte que le principe du contradictoire est préservé, les parties pouvant faire valoir leurs observations au cours et après la visite, à peine d’irrégularité de la décision juridictionnelle (Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 29 avril 1994, Association des Amis de Saint-Martin-de-Peille, requete numéro 134352, Rec., T., p. 1119).
II. L’enquête
-Le succès grandissant de l’enquête. Aux termes de l’article R. 623-1 du code de justice administrative, « la juridiction peut, soit sur la demande des parties, soit d’office, prescrire une enquête sur les faits dont la constatation lui paraît utile à l’instruction de l’affaire ». Il s’agit d’une mesure d’instruction mise en œuvre dans des affaires souvent complexes qui nécessitent l’audition des parties, qu’il s’agisse par exemple pour le juge de se prononcer sur la légalité des modalités de fixation d’une tarification (Conseil d´Etat, 1ère et 2ème SSR, 16 février 2001, Centre du Château de Gléteins et a., requete numéros 220118 et 220153, Rec., p. 71), ou sur la définition des déchets radiaoactifs et des matières nucléaires valorisables (CE, 30 juin 2010, Association Greenpeace France, requête numéro 315980, Rec., p. 522). L’enquête peut également autoriser l’audition de témoins, par exemple pour faire la lumière sur l’existence d’un système organisé de distribution d’argent à des électeurs susceptible d’avoir altéré la sincérité d’un scrutin (Conseil d´Etat, Section, 8 juin 2009, Elections de Corbeil-Essonne, requêtes numéros 322236 et 322237, Rec., p. 222 ; AJDA 2009, p. 1302, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi et p. 1725, note B. Maligner ; RFDA 2010, p. 280, concl. L. Derepas). On assiste à un regain d’intérêt des juridictions administratives pour cette technique d’investigation qui tranche avec la traditionnelle instruction écrite.
-Les conditions de régularité de l’enquête. La mise en œuvre et le déroulement de l’enquête sont minutieusement organisés par le code de justice administrative. La décision qui prescrit l’enquête indique les faits sur lesquels elle doit porter et précise, suivant les cas, si elle aura lieu devant une formation de jugement ou d’instruction, ou devant un de ses membres qui, le cas échéant, se transportera sur les lieux (CJA, art. R. 623-2). Les parties sont avisées par cette décision des jour et lieu de l’enquête, et invitées à y présenter leurs témoins (CJA, art. R. 623-3 al. 1er) qu’elles peuvent assigner à leurs frais par acte d’huissier (CJA, art. R. 623-3 al. 2). La formation de jugement ou d’instruction ou le magistrat qui procède à l’enquête peuvent également d’office convoquer ou entendre toute personne dont l’audition leur semble utile à la manifestation de la vérité (CJA, art. R. 623-3 al. 3). Toute personne peut être entendue comme témoin, sauf à ce qu’elle soit frappée d’une incapacité de témoigner en justice (CJA, art. R. 623-4). Dans ce cas, elle peut néanmoins être entendue sans avoir prêté le serment prévu à l’article R. 623-5 du code. Les auditions ont lieu séparément, les parties étant présentes ou dûment appelées, et la confrontation entre les témoins est possible dans un second temps (CJA, art. R. 623-5).
-Le procès-verbal de l’enquête. Un procès-verbal de l’enquête doit être visé par le président de la formation de jugement lorsque l’enquête a eu lieu lors de l’audience, et dressé par le membre de la formation de jugement chargé de l’enquête dans les autres cas (CJA, art. R. 623-6). Ce procès-verbal doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires : les jour, lieu et heure de l’enquête ; mention de la présence ou de l’absence des parties ; les noms, prénoms, professions et domiciles des témoins ; les serments prêtés ou les causes ayant fait obstacle à leur prestation ; les dépositions signées par les témoins ou indiquant que le témoin n’a pu ou n’a pas voulu la signer (CJA, art. R. 623-7).
III. La vérification de documents administratifs
-Une possibilité. La vérification de documents administratifs trouve son fondement dans l’article R. 626-1 du code de justice administrative, qui permet ainsi à un membre de la formation de jugement, généralement le rapporteur, de se déplacer dans une administration afin de vérifier la perfection d’un acte. Cette mesure est par exemple très utile pour s’assurer de la régularité des originaux des décrets dont on imagine mal qu’ils puissent être produits en cours d’instance (CE, Sect., 21 déc. 1945, Ministre des Finances, Rec., p. 264 ; RDP 1946, p. 175, note G. Jèze). Mais l’intérêt de cette mesure d’instruction s’évapore du fait de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui se contente, ce qui est au demeurant particulièrement critiquable, d’une attestation du secrétaire général du gouvernement certifiant la régularité formelle de l’acte (par ex., Conseil d´Etat, 2ème et 7ème SSR, 4 juillet 2012, M.Przemyslaw, requête numéro 354474 , Rec., T., p. 799).
§ 2 : Les missions confiées à un spécialiste
-Juria novit curia, rien de plus. Le juge connaît le droit. C’est bien le minimum. Il serait cependant illusoire de croire que le juge peut résoudre seul toutes les questions dont dépend la solution. Le juge doit parfois recourir à des spécialistes pouvant l’éclairer utilement sur certains aspects dont la prise en compte est nécessaire à la résolution du litige. L’expertise (I), la vérification administrative (II), la vérification d’écritures (III) et l’amicus curiae (IV) sont autant de missions pouvant être confiées à des spécialistes.
I. L’expertise
-La décision de recourir à l’expertise. L’expertise est une mesure d’instruction parmi les plus importantes, assurément la plus souvent mise en œuvre par le juge administratif, et indispensable à la résolution de nombreux types de litiges dont la complexité place le juge dans l’incapacité de trancher seul. Suivant l’article R. 621-1 du code de justice administrative, la juridiction peut ordonner avant dire droit, d’office ou à la demande d’une ou des parties, qu’il soit procédé à une expertise. Le juge n’est jamais tenu de faire droit à une demande d’expertise. Il est même parfois tenu de la rejeter, notamment lorsque la demande repose sur des allégations dépourvues de justifications suffisantes (Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 30 janvier 1980, Ministre de l´équipement c. Commune de Mortagne-sur-Gironde, requête numéro 00617, Rec., p. 56), lorsqu’il est suffisamment éclairé sur les circonstances ayant donné naissance au litige (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 24 octobre 1990, SCI Le Grand Large et a., requêtes numéros 52874 et 94276, Rec., T., p. 926), lorsque la requête qui lui est adressée est vouée au rejet, en raison de son irrecevabilité (Conseil d´Etat, 30 janvier 1970, Dame Veuve herbe, requête numéro 73006, Rec., p. 73) ou de la prescription de l’action (Conseil d´Etat, 3ème et 6ème SSR, 7 mars 1969, Faure et Grospierre, requête numéro 74203, Rec., p. 145).
-Les missions pouvant être confiées à l’expert. La délimitation de la mission de l’expert est de la seule compétence du juge. Cette mission doit porter sur des questions de fait et non de droit (CE, 12 févr. 1947, Ministre des Finances, requête numéro 74674, Rec., p. 671). L’expertise peut ainsi viser à établir l’étendue d’un préjudice (Conseil d´Etat, 1ère et 4ème SSR, 31 janvier 1990, District urbain du pays de Montbéliard, requête numéro 84898, Rec., T., pp. 563 et 1009), si une personne présente les aptitudes requises pour le pilotage d’un avion (Conseil d´Etat, Section, 3 avril 1998, Corderoy du Tiers, requete numéro 172554, Rec., p. 131), si les désordres affectant un ouvrage sont de nature à le rendre impropre à sa destination (Conseil d´Etat, 3ème et 6ème SSR, 5 mars 1969, Richemont et Lagneau, requete numéro 70032, Rec., p. 135). En revanche, l’expert ne saurait porter d’appréciation sur la qualification juridique des faits (CE, 17 févr. 1956, Secrétaire d’Etat à la Reconstruction c. Dubreuil, requête numéro 39002, Rec., p. 484). Ainsi, il n’est pas possible de le missionner afin de déterminer si un vin peut recevoir une appellation d’origine (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 11 mars 1996, SCI du domaine des Figuières, requête numéro 161112 , Rec., p. 71), si un immeuble a subi un dommage pouvant être qualifié de spécial et anormal (Conseil d´Etat, 10ème et 3ème SSR, 11 juillet 1980, Ministre des Transports c. Mme Veiller, requete numéro 16906), ou si les faits allégués par la requérante présentent effectivement les traits de la force majeure (Conseil d´Etat, 4ème et 1ère SSR, 10 décembre 1975, Société générale de construction industrielle dite « Cotraba » c. OPHLM de Marseille, requete numéro 94162, Rec., T., p. 1201).
-La mission éventuelle de conciliation. Le décret n° 2010-64 du 22 février 2010, qui entérine la jurisprudence en matière de référé expertise (Conseil d´Etat, Section, 11 février 2005, Organisme de gestion du Cours du Sacré-Coeur et a., requete numéro 259290C, Rec., p. 65 ; RFDA 2005, p. 546, concl. E. Glaser ; AJDA 2005, p. 652, chron. C. Landais et F. Lenica ; AJDA 2005, p. 1932, note N. Ach ; RJEP 2006, p. 21, note E. Crépey), dispose que l’expert peut se voir reconnaître une mission de conciliation. Si une conciliation entre les parties survient, l’expert constate que sa mission est devenue sans objet et en informe sans délai le magistrat qui l’a commis (CJA, art. R. 621-7-2).
-La désignation de l’expert. Le président de la juridiction saisie désigne un seul expert, sauf à ce qu’il soit nécessaire d’en désigner plusieurs (CJA, art. R. 621-2), sur une liste établie chaque année par le président de la cour administrative d’appel dans les conditions déterminées aux articles R. 221-9 et suivants du code de justice administrative. La désignation est notifiée par le greffe, dans les dix jours, à la ou aux personnes désignées, ainsi que la mission qui est confiée (CJA, art. R. 621-3). L’expert dispose d’un délai de trois jours pour s’engager, par serment écrit déposé au greffe et joint au dossier, « à accomplir sa mission avec conscience, objectivité, impartialité et diligence » (CJA, art. R. 621-3). Il est en droit de refuser cette mission, auquel cas un autre expert sera commis (CJA, art. R. 621-4). Il en va de même s’il ne remplit pas sa mission dans le délai imparti, sans préjudice de son éventuelle condamnation à des dommages-intérêts (CJA, art. R. 621-4), la requête tendant à cette condamnation devant être portée devant la juridiction administrative (Conseil d´Etat, 5ème et 7ème SSR, 7 février 2003, Robert, requete numéro 224539, Rec., T., p. 936).
-Le sapiteur. L’expert lui-même n’est pas toujours en mesure de répondre à l’ensemble des questions qui lui sont posées. Il lui faut alors recourir à un sapiteur, véritable expert de l’expert. Cette décision n’est pas libre. L’expert doit préalablement en solliciter l’autorisation auprès du président de la juridiction (CJA, art. R. 621-2).
-Les garanties d’impartialité des experts et des sapiteurs. L’expertise doit être impartiale. C’est la raison pour laquelle les personnes qui ont eu à connaître de l’affaire à un titre quelconque doivent, avant d’être désignées comme expert ou sapiteur, en informer le président de la juridiction qui apprécie alors s’il y a une cause avérée d’empêchement (CJA, art. R. 621-5). En outre, suivant une procédure dont le caractère juridictionnel a été reconnu par le Conseil d’Etat (Conseil d´Etat, Section, avis, 23 mars 2012, Centre hospitalier d´Alès-Cévennes, requête numéro 355151, Rec., p. 118, concl. B. Dacosta ; AJDA 2012, p. 1397, chron. X. Domino et A. Bretonneau), expert et sapiteur peuvent être récusés par les parties, pour les mêmes causes que celles prévues pour les juges.
Sont par exemple de nature à justifier la récusation :
– les échanges publics de propos entre l’expert et l’une des parties, à l’occasion d’un autre litige, qui, par leur ton et leur contenu, ont excédé les limites des questions techniques en débat et traduisaient l’existence, entre leurs auteurs, une inimitié notoire (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 7 février 2003, De Luca, requete numéro 219923) ;
– la circonstance que l’expert commis dans une affaire de nuisances phoniques s’était lui-même plaint de ces nuisances auprès du défendeur (CAA Paris, 27 avril 2006, EDF Transports, requête numéro 06PA02982) ;
– les liens entretenus par l’expert et le chirurgien en cause, découlant d’activités communes, notamment la réalisation de travaux scientifiques ayant donné lieu à publication (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 30 mars 2011, Mme Dumont, requete numéro 330161, Rec., T., p. 1083) ;
– la circonstance que l’expert ait été, jusqu’à une date récente, adjoint au maire d’une commune membre de l’établissement public de coopération intercommunale et vice-président de cette intercommunalité, l’ayant amené à participer au lancement du projet dont l’exécution a donné lieu au litige (CAA Nancy, 9 juillet 2015, Société RFR SAS, requete numéro 15 NC00800).
En revanche, un médecin appartenant aux cadres de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris peut être désigné comme expert dans un litige auquel l’AP-HP est partie sans qu’un doute quant à son impartialité puisse justifier sa récusation, en raison des obligations déontologiques auxquelles sont soumis les médecins, d’une part, du nombre important d’établissements (37) et de médecins (plus de 20 000) relevant de l’AP-HP, d’autre part (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 23 juillet 2014, Kacem, requete numéro 352407, Rec., T., pp. 798, 801 et 853).
Les conclusions à fins de récusation doivent être présentées avant le début des opérations d’expertise ou dès la révélation de la cause de récusation (CJA, art. R. 621-6). Il en résulte que la demande de récusation peut être postérieure au dépôt du rapport d’expertise (Conseil d´Etat, 1ère et 4ème SSR, 28 juillet 1999, Société Beteralp, requête numéro 185390, Rec., T., p. 947). Cette demande, motivée, doit être présentée par la partie elle-même. Dans l’hypothèse où elle est formulée par son mandataire, un mandat exprès est requis (CJA, art. R. 621-6-1). L’expert visé dispose d’un délai de huit jours suivant communication pour acquiescer ou s’opposer à la demande de récusation (CJA, art. R. 621-6-3) et, jusqu’à ce qu’il soit statué, aucune opération d’expertise ne peut avoir lieu (CJA, art. R. 621-6-2). En cas d’opposition de l’expert à la demande de récusation, il appartient alors au juge de trancher. Cette décision est certes juridictionnelle, mais les exigences de motivation sont limitées à ce qui est nécessaire afin d’éviter qu’il soit porté atteinte à la réputation ou à la vie privée de l’expert (Conseil d´Etat, Section, 23 mars 2012, Centre hospitalier d´Alès – Cévennes, requete numéro 355151, préc.).
-La modification du périmètre de la mission. Les parties disposent de la faculté, en cours de procédure, de demander au juge une extension de la mission de l’expert. Cette extension peut être prononcée même en l’absence de circonstance nouvelle, pour peu seulement que les limites initialement fixées n’aient pas fait l’objet d’un débat expressément tranché par le juge (Conseil d´Etat, 1ère et 4ème SSR, 23 novembre 1977, Société française du tunnel routier de Fréjus, requêtes numéros 06504 et 06581, Rec., p. 462). L’expert peut également être à l’origine de la demande d’extension autant d’ailleurs qu’il peut demander au juge des précisions quant à la teneur de sa mission (pour une illustration en référé expertise, Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 6 décembre 2013, Société Michel Beauvais et associés et a., requete numéro 369460, Rec., T., pp. 761).
-Le déroulement de l’expertise. L’expertise doit être contradictoire et un jugement est irrégulier s’il repose sur un rapport contenant des conclusions contestées par la partie à l’égard de laquelle l’expertise n’a pas été contradictoire (Conseil d´Etat, 10ème et 1ère SSR, 10 juillet 1987, Société Lyonnaise des eaux et l´éclairage, requête numéro 67421, Rec., T., p. 884). Les parties doivent donc être averties par l’expert, quatre jours au moins à l’avance et par lettre recommandée, de la date et de l’heure de l’expertise (CJA, art. R. 621-7). Elles ne peuvent alors s’y soustraire et leur absence ne fait pas obstacle à l’expertise (Conseil d´Etat, 6 mars 2002, Elmira, requete numéro 219120). Lorsqu’un magistrat a été désigné et chargé des opérations et du suivi des opérations d’expertise, il peut alors y assister (CJA, art. R. 621-1-1). Des tiers peuvent également être invités à prendre part à l’expertise, si toutefois leurs droits et obligations à l’égard des parties peuvent donner lieu à un contentieux ultérieur (par ex., Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 9 février 1983, SA bureau Veritas, requête numéro 29017C, Rec., T., p. 824). Lors de l’expertise proprement dite, les parties peuvent formuler des observations qui doivent être consignées dans le rapport (CJA, art. R. 621-7).
-Le rapport. L’expert établit un rapport qui sera déposé au greffe en deux exemplaires et notifié par copie aux parties (CJA, art. R. 621-9). Même en cas de pluralité d’experts, un seul rapport est établi, sauf à ce qu’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord, auquel cas le rapport comprend l’avis motivé de chacun d’eux (CJA, art. R. 621-8). Les parties disposent d’un mois, prorogeable, pour produire leurs observations. La circonstance que le rapport ne reprenne pas l’intégralité des dires d’une partie n’entache pas la régularité de la procédure dès lors que les éléments ayant déterminé les conclusions de l’expert peuvent être discutés devant la juridiction (Conseil d´Etat, 6ème et 1ère SSR, 13 novembre 2009, Société SCREG Est, requête numéro 306061 et 306062). Ce rapport n’est qu’un élément permettant d’éclairer la juridiction. Le juge ne saurait, à peine d’irrégularité, se considérer comme lié par les conclusions de l’expert (CE, 30 janv. 1952, Sté industrielle des marbres, requête numéro 90951, Rec., p. 69). C’est du moins la règle. L’expérience montre le poids considérable exercé par le rapport d’expertise sur la conviction du juge, qui explique encore la déférence – pour ne pas dire la révérence – des avocats à l’égard de l’expert, notamment au cours de l’expertise qui, parfois, confine à la complaisance. Mais comment leur en faire grief ? L’intérêt bien compris explique qu’il faille tout mettre en œuvre pour éviter l’animosité toute humaine d’un expert, fût-il soucieux de rester impartial. La Cour européenne des droits de l’Homme se montre d’ailleurs vigilante quant à la régularité des opérations d’expertise, eu égard à l’influence qu’exerce le rapport sur l’issue du litige (CEDH, 18 mars 1997, Epoux Mantovanelli c. France, affaire numéro 21497/93 ; AJDA 1999, p. 173, note H. Muscat).
-En cas d’irrégularité de l’expertise. Sans qu’il s’agisse d’un moyen d’ordre public (CE, 27 oct. 1978, Œuvre générale de Craponne, requête numéro 99167), une expertise irrégulière ne peut être prise en considération par la juridiction, sauf à entacher la décision d’une illégalité de nature à fonder son annulation (Conseil d´Etat, 5ème et 3ème SSR, 19 mai 1983, Moudjahed, requête numéro 33587, Rec., T., p. 824). La rigueur du principe ainsi énoncé, il convient immédiatement de nuancer. En effet, la circonstance que l’expertise ait été conduite sans que le principe du contradictoire ait été pleinement respecté ne fait pas obstacle à ce que le juge prenne en considération les conclusions de l’expert, son rapport n’en restant pas moins une pièce du dossier et les éléments qu’ils contiennent tenant lieu d’éléments d’information (par ex., Conseil d´Etat, 7ème et 10ème SSR, 3 novembre 1999, requête numéro 178835), que la formation de jugement devra toutefois écarter s’ils se heurtent à une contestation sérieuse de la partie à l’égard de laquelle l’expertise n’a pas été contradictoire (Conseil d´Etat, 10ème et 2ème SSR, 26 juillet 1985, Seris et a., requête numéro 41567 et 41636, Rec., T., p. 731).
-La rémunération de l’expert. C’est le président de la juridiction qui détermine, par ordonnance, le montant des honoraires perçus par l’expert et le sapiteur. L’ordonnance de taxe rendue par le président de la juridiction est un acte administratif (Conseil d´Etat, Section, 17 juin 1983, Lassallette, requête numéro 24265, Rec., p. 260, concl. J.-F. Verny) susceptible de recours, dans le délai d’un mois à compter de sa notification, devant le tribunal administratif, sauf si le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat en est l’auteur (CJA, art. R. 761-5). Le président de la juridiction tient compte des difficultés des opérations, de l’importance, de l’utilité et de la nature du travail fourni, et des diligences mises en œuvre pour respecter le délai initialement fixé pour la remise du rapport (CJA, art. R. 621-11), sans être lié par un accord éventuel des parties quant au montant des honoraires (Conseil d´Etat, 10ème et 2ème SSR, 11 juillet 1991, Pisseau, requête numéro 82416, Rec., T., p. 1130). Le juge n’est pas davantage lié par le montant réclamé par l’expert. Ainsi, s’il n’est pas fondé à se prononcer sur la régularité des opérations de l’expertise (Conseil d´Etat, 7 octobre 2013, Société TP Ferro Concesionaria, requête numéro 356675, Rec., p. 246), il lui est possible d’écarter du calcul les investigations auxquelles l’expert a inutilement procédé (Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 24 mars 1989, Hours, requête numéro 72019, Rec., T., p. 834), de tenir compte de l’imprécision du rapport (CAA Douai, 3 octobre 2006, P. Dufromont, requête numéro 04DA00254) ou de son inutilité résultant de la tardiveté de son dépôt (CE, 21 janv. 1972, Epoux Minot, requête numéro 81542, Rec., T., p. 1193).
C’est en principe sur la partie qui succombe, ou sur celle qui se désiste (Conseil d´Etat, Section, 19 juin 1970, X, requête numéro 76515C, Rec., p. 418) sauf à ce que ce désistement procède de ce qu’elle a eu satisfaction (CE, 9 nov. 1966, Ministre de la Santé c. Dame Fabre, requête numéro 66477, Rec., T., p. 1056), que repose le poids de la rémunération. Mais celle qui a obtenu satisfaction peut être tenue de prendre à sa charge une partie des honoraires si elle a rendu plus difficile l’expertise (Conseil d´Etat, 5ème et 3ème SSR, 10 mai 1989, CHR de Lille c. Mme Giraldo Deblauwe, requêtes numéro 64651 et 81509, Rec., T., p. 861) et, en certaines circonstances particulières, peut tout simplement être tenue d’en régler la totalité (Conseil d´Etat, Section, 17 mars 1972, Sieur Auchier, requête numéro 77445, Rec., p. 231). En cas d’insolvabilité de la partie censée régler les honoraires, l’Etat en supporte alors la charge (Conseil d´Etat, Section, 26 février 1971, Ministre de l´Intérieur c. sieur Aragon, requête numéro 77459, Rec., p. 172 ; AJDA 1971, p. 156, chron. D. Labetoulle et P. Cabanes).
II. La vérification administrative
-Une mission confiée à l’administration. Variante plus souple de l’expertise, la vérification administrative consiste pour le juge à recourir à un agent de l’administration afin d’établir la réalité de certains faits. La liste des exemples de mise en œuvre de cette mesure d’instruction n’est pas pléthorique. On peut néanmoins évoquer la demande faite à une direction départementale de l’action sanitaire et sociale d’enquêter sur la moralité d’un candidat à un emploi réservé (Conseil d´Etat, 5ème et 3ème SSR, 18 novembre 1977, Da Costa, requête numéro 03586, RDP 1978, p. 929). Le Conseil de la concurrence a également pu être chargé d’examiner, dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article L. 430-6 du code de commerce, une opération de concentration telle que notifiée au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie (Conseil d´Etat, 3ème et 8ème SSR, 20 juillet 2005, Société Fiducial Informatique et Société Fiducial expertise, requête numéro 279180, Rec., p. 334 ; RFDA 2006, p. 692, concl. E. Glaser).
III. La vérification d’écritures
-Utile mais rare. Le juge administratif n’est pas toujours en mesure d’apprécier l’authenticité d’un acte. La juridiction peut alors charger un ou plusieurs experts en présence, le cas échéant, d’un de ses membres, de vérifier l’origine ou le contenu supposé de l’acte (CJA, art. R. 624-1). Cette mesure d’instruction est d’autant plus utile pour le juge que le Conseil d’Etat a refusé d’appliquer la procédure d’inscription de faux aux actes administratifs (infra). La vérification d’écritures reste cependant peu usuelle, le juge administratif restant libre d’apprécier par lui-même l’authenticité de l’acte qui lui est soumis. La décision de recourir à une vérification d’écritures doit être justifiée par les faits de l’espèce, et notamment par la différence manifeste entre deux signatures réputées pourtant émaner du même auteur (CAA Bordeaux, 12 février 2009, Société green idea, requête numéro 07BX01544).
IV. Les amicii curiae
-Les précieux amis. Comme en atteste encore l’exemple de l’expertise, le juge administratif n’est pas toujours en mesure de déterminer avec une parfaite certitude le sens de la solution à retenir. Il peut lui être à cet égard précieux de recourir à des personnes dont les compétences peuvent concourir à une meilleure compréhension des enjeux. Issus du décret n° 2010-164 du 22 février 2010, les articles R. 625-2 et R. 625-3 du code de justice administrative fondent dorénavant la juridiction administrative à recourir à des amicii curiae afin de l’éclairer. A dire vrai, ce n’est que la consécration textuelle d’une pratique déjà observée devant la juridiction administrative. De manière officieuse, d’une part, et sans violer le secret de l’instruction, les membres d’une formation chargée de l’instruction pouvaient tout à fait engager la discussion avec toute personne dont l’éclairage pouvait être utile à une meilleure appréhension de l’affaire. Les références faites par les rapporteurs publics (par ex., M. Guyomar, concl. sur Conseil d´Etat, Ass, 29 avril 2010, M. et Mme Béligaud, requête numéro 323179, RFDA 2010, pp. 557 et s.) et les chroniqueurs du Conseil d’Etat (F. Lenica et J. Boucher, chron. sous Conseil d´Etat, Ass, 16 juillet 2007, Société Tropic signalisation, requête numéro 291545, AJDA 2007, pp. 1577 et s.) à des amici curiae officieux, en témoignent. De manière plus officielle, d’autre part, le Conseil d’Etat avait déjà, par exemple, demandé l’avis du Conseil de la concurrence sur l’existence d’éventuels abus de position dominante (Conseil d´Etat, Section, 26 mars 1999, Société EDA, requête numéro 202260, Rec., p. 107 ; AJDA 1999, p. 427 concl. J.-H. Stahl et note M. Bazex ; Conseil d´Etat, 1ère et 2ème SSR, 13 janvier 2003, Mutuelle générale des services publics, requête numéro 235176, AJDA 2003, p. 899, note J.-D. Dreyfus ; BJCP 2003, p. 135, concl. P. Fombeur).
-Les avis techniques. L’article R. 625-2 du code de justice administrative permet à la formation de jugement de solliciter l’avis d’un consultant sur une question technique ne requérant pas d’investigations complexes. Le Conseil d’Etat a fait application de cette disposition et a saisi un commissaire aux comptes afin de déterminer, d’une part, les modalités d’appréciation du coût moyen pondéré du capital lorsque les actifs d’une société comprennent des biens propriété du concédant et ont pour contrepartie, à son passif, non seulement des capitaux propres et des emprunts, mais également des comptes spécifiques aux concessions, notamment les droits des concédants, d’autre part, les retraitements à opérer en cas de passage d’une approche comptable des charges de capital à une approche économique, fondée sur le coût moyen pondéré du capital investi (Conseil d´Etat, 9ème et 10ème SSR, 28 mars 2012, Société anonyme Direct Energie et Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication (SIPPEREC), requêtes numéros 330548, 332639 et 332643, Rec., p. 918). On comprend ici que l’adoption de l’article R. 625-2 du code ait pu être, pour certains juges, source de réconfort… Le Conseil d’Etat a encore pu recourir à l’article R. 625-2 du code de justice administrative afin d’établir si la méthode retenue par le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour déterminer les populations desservies par un service de radio autorisé en mode analogique par voie hertzienne terrestre conduirait ou non à une sous-évaluation de ces populations (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 22 juillet 2015,Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes et a., requêtes numéros 374114, 374183 et 383009, Rec., T.). Conformément toujours à l’article R. 625-2 du code, la contradiction n’est pas organisée préalablement à la production de l’avis écrit qui, toutefois, sera communiqué aux parties une fois rendu.
-Les avis sur le fond. L’article R. 625-3 du code de justice administrative autorise pour sa part la formation chargée de l’instruction à « inviter toute personne dont les compétences ou les connaissances seraient de nature à l’éclairer utilement sur la solution à donner au litige, à produire des observations d’ordre général sur les points qu’elle détermine ». La première application de cette disposition a été faite à propos de la confrontation de deux traités internationaux (Conseil d´Etat, Ass., 23 décembre 2011, Kandyrine de Brito Païva, requête numéro 303678, Rec., p. 623, concl. J. Boucher ; AJDA 2012, p. 201, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; RFDA 2012, p. 1, concl. J. Boucher, p. 19, avis d’amicus curiae G. Guillaume, p. 26, note D. Alland). L’affaire « Lambert », bien plus sensible, a donné lieu à une autre application de l’article R. 625-3 du code de justice administrative où l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil national de l’ordre des médecins, et M. Leonetti ont été invités à donner leur avis sur les questions liées à l’obstination déraisonnable et au maintien artificiel de la vie au sens de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique (Conseil d´Etat, Ass, 24 juin 2014, Mme Lambert et a., requête numéro 375081, 375090, 375091, Rec., p. 135, concl. R. Keller ; AJDA 2014, p. 790, chron. A. Bretonneau et J. Lessi).
L’initiative de l’invitation est réservée à la formation chargée de l’instruction, en sorte qu’un tiers à l’instance, fût-il mû par la bonne foi, ne saurait se présenter spontanément comme amicus curiae (en ce sens, G. Dumortier, concl. sur Conseil d´Etat, Ass.,11 avr. 2012, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL), requête numéro 322326, RFDA 2012, p. 547). Rien de plus normal au demeurant. En effet, retenir la solution contraire conduirait à admettre qu’un avis puisse être présenté avec les atours de la neutralité tout en étant potentiellement acquis à l’une des parties.
Pour le reste, ici encore, l’avis est rendu sans soumission préalable à la contradiction. Consigné par écrit, et ne pouvant porter analyse ou appréciation des pièces du dossier (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 6 mai 2015, M. CAous, requête numéro 375036), il est néanmoins communiqué aux parties. Mais encore est-il possible à la formation chargée de l’instruction ou à la formation de jugement d’inviter toute personne à venir présenter des observations orales, les parties dûment convoquées (CJA, art. R. 625-3 al. 3). Il n’est pas certain qu’une telle faculté connaisse le même succès devant les juridictions administratives, eu égard à la préférence assumée pour l’écrit.
Sous-section 2 – Les incidents de l’instruction
-Incidents de l’instruction et poursuite de l’instance. Certains actes juridiques peuvent survenir en cours d’instruction qui influent sur son déroulement, voire sa poursuite. Ces actes juridiques ne sont pas tous organisés comme tels par le code de justice administrative, lequel n’énumère que la demande incidente, l’intervention, l’inscription de faux, les reprises d’instance et constitutions de nouvel avocat, le désaveu, et le désistement. Leur nombre est en réalité plus important et il est permis d’opposer ici ceux dont l’effet est d’interrompre (§ 1) et ceux dont l’effet n’est pas d’interrompre l’instance (§ 2).
§ 1 : Les incidents interruptifs d’instance
-Une instance devenue inutile. Il n’y aurait aucun sens à laisser perdurer une instance dépourvue d’une quelconque utilité. C’est en ce sens que le greffe est fondé à rayer des registres une affaire enregistrée plusieurs fois (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 9 avril 2014, Tenet, requêtes numéros 366200 et 366226), ou encore – ce qui revient au même juridiquement – celle portée devant une juridiction administrative matériellement incompétente quand, dans le même temps, une autre requête a été enregistrée par le greffe de la juridiction compétente (Conseil d´Etat, 7ème et 9ème SSR, 24 janvier 1979, Nivet, requête numéro 14283, Rec., T., p. 691). Deux incidents peuvent encore intervenir qui traduisent l’inutilité de poursuivre l’instance et qui, à ce titre, conduisent à l’interrompre : la renonciation (I) et le non-lieu (II).
I. La renonciation
-Le choix du requérant. Pour l’une ou l’autre partie, parfois les deux, il n’est pas toujours pertinent de laisser perdurer l’instance. L’intérêt de l’administration peut être de donner satisfaction au requérant afin de mettre un terme à un litige, convaincue par son argumentation ou désireuse de mettre fin à une situation contentieuse préjudiciable. L’intérêt du requérant peut être de convenir d’une solution amiable dont les termes lui seraient suffisamment profitables. Deux hypothèses de renonciation à l’instance sont donc envisageables. La première – le désistement – est unilatérale (A), la seconde – la transaction – est contractuelle (B).
A. Le désistement
-Une renonciation unilatérale à l’instance. Le désistement est la première question préalable que le juge examine, ce qui signifie que le désistement prime l’incompétence, en sorte qu’une juridiction incompétente doit donner acte du désistement qui lui est adressé, à tout le moins lorsque celui-ci est volontaire. Tel n’est en effet pas le seul cas de désistement puisque, à l’hypothèse du désistement volontaire (1) s’ajoute celle du désistement forcé (2). Dans un cas comme dans l’autre, le désistement est le fait exclusif du requérant.
1. Le désistement volontaire
-La gravité du choix. Un requérant peut comprendre que son action est vouée à l’échec et qu’il est sans intérêt pour lui de laisser perdurer l’instance. Il peut également, en cours d’instance, trouver un terrain d’entente avec son adversaire et convenir de mettre fin au procès avant que celui n’aille à son terme. Qu’importe au fond la raison, le requérant peut renoncer à toutes ou partie de ses prétentions au cours de l’instruction (Conseil d´Etat, 5 novembre 1984, Lefèvre, requête numéro 54637, Rec., T., p. 708), en adressant un désistement au greffe de la juridiction (CJA, art. R. 636-1). Cette décision emporte des effets graves qui expliquent que le désistement doive être signé par la partie elle-même. Si, comme cela est permis par l’article R. 636-1 du code de justice administrative, le désistement est signé par son mandataire, un mandat exprès doit avoir été établi à cette fin (Conseil d´Etat, 11ème et 3ème SSR, 5 janvier 1968, Puy, requête numéro 65972, Rec., T., p. 894). Dans le cas d’une requête collective, le mandataire unique ne saurait, sous sa seule signature, engager l’ensemble des requérants dans un désistement, celui-ci devant être signé par chacun (CAA Lyon, 5 avril 2005, Pinget et a., requête numéro 04LY01719 , Rec., T., p. 1019). Il peut cependant se désister pour lui-même (Conseil d´Etat, 5ème sous-section jugeant seule, 15 juillet 2004, Ribeyrolles et a. requete numéro 265965). La gravité des effets explique encore que le désistement doive émaner d’une personne n’ayant pas ses facultés mentales altérées (CAA Lyon, plén., 30 mai 2002, Alves Martin da Rocha, requête numéro 99LY01847, Rec., T., p. 860) et être contenu dans un écrit (CE, 3 avr. 1940, Birac, requête numéro 36378, Rec., p. 121) dépourvu de toute équivoque. A l’évidence, cela ne prive pas le juge d’une marge d’appréciation quant aux termes retenus par le requérant et le Conseil d’Etat limite son contrôle en cassation à l’erreur de droit et à la dénaturation des faits (Conseil d´Etat, 14 février 2001, Vesque, requete numéro 199132). Il est ainsi possible de déduire le désistement de la demande tendant à « arrêter la procédure de recours » (Conseil d´Etat, 5ème sous section jugeant seule, 15 septembre 1995, Tarrade, requete numéro 161386), au « classement de l’affaire » (Conseil d´Etat, 6ème Sous section, 4 novembre 1994, association de défense des victimes et troubles de voisinage, requete numéro 135510) ou encore au « non lieu à statuer » (Conseil d´Etat, Section, 7 avril 1967, Ministre de l´Équipement c. Monscheim, requete numéro 70432, Rec., p. 152).
-L’étendue du désistement. Le désistement peut être total. Il peut également être partiel. Par exemple, le requérant ayant obtenu satisfaction en cours d’instance peut se désister de l’essentiel de ses prétentions tout en maintenant ses conclusions tendant à ce qu’il soit fait application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (Conseil d´Etat, 6ème sous section, 7 mars 1994, Mme Audoubert, requete numéro 105647, Rec., T., p. 1121).
-Désistement pur et simple et désistement conditionnel. Le requérant peut déclarer se désister de ses prétentions. A priori, ici, aucune raison ne s’oppose à ce qu’il soit donné acte du désistement. Il a ainsi été jugé que le juge est tenu de donner acte d’un désistement pur et simple auquel rien ne s’oppose (Conseil d´Etat, 9ème et 8ème SSR, Département des Deux-Sèvres, requête numéro 157056, Rec., T., p. 992). Mais le désistement peut également être conditionnel, le requérant déclarant qu’il se désistera en cas de survenance d’un évènement précis. Ce n’est qu’après avoir constaté que la condition posée par le désistement s’est réalisée qu’il peut en être donné acte (CE, 8 janv. 1969, Sieur Jacomet, requête numéro 52147, Rec., p. 14). Il en va ainsi, par exemple, lorsque le requérant se désiste à la condition qu’une juridiction statue dans un sens déterminé dans une autre instance (CAA Paris, 9 juin 2010, Bel requete numéro 07PA02545).
-L’acceptation du désistement. Les conséquences du désistement adressé à la juridiction diffèrent suivant que le contentieux est de l’excès de pouvoir ou de pleine juridiction. En pleine juridiction, le désistement doit être accepté par la partie adverse pour qu’il puisse en être donné acte. Cette acceptation au demeurant peut emprunter des formes diverses. Ainsi le juge administratif peut-il donner acte d’un désistement lorsque le défendeur produit aux débats un protocole transactionnel comportant une clause de renonciation à toute instance et action, dès lors que sa soumission à la contradiction n’a suscité aucune observation de la part du demandeur (Conseil d´Etat, 2ème et 7ème SSR, 18 novembre 2011, Ligue d´escrime du Languedoc- Roussillon, requête numéro 343117 , Rec., T., p. 1087). En toute hypothèse, dès lors que cette acceptation est donnée, le retrait du désistement n’est plus possible. Par ailleurs, et très logiquement, l’acceptation emporte désistement corrélatif des demandes incidentes, s’il en existe (Conseil d´Etat, 8ème et 9ème SSR, 10 novembre 1993, Ministre du budget c. Chanzy, requête numéro 80598, Rec., T., p. 961). Le contentieux de l’excès de pouvoir n’autorise pas les mêmes conséquences, dès lors que le recours est réputé être fait à un acte. Ainsi, le désistement n’a pas à être accepté par l’autre partie pour qu’il en soit donné acte (Conseil d´Etat, 10ème et 7ème SSR, 9 mars 1988, SA Sotraduig et Caliqua, requete numéro 81066 , Rec., p. 113). Mais, en contrepartie, son acceptation par la partie adverse ne fait pas obstacle à ce que le désistement soit retiré avant le donné acte (CE, Ass., 21 avr. 1944, Sté Dockès Frères, requête numéro 72642, Rec., p. 120).
-Les conséquences du désistement suivant qu’il est d’instance ou d’action. Le désistement peut être d’instance ou d’action. Le désistement d’instance ne vaut que pour l’instance en cours. Autrement dit, le requérant conserve la faculté d’introduire ultérieurement une nouvelle requête, nonobstant l’identité d’objet, de cause, et de parties. Le désistement d’action emporte des effets bien plus radicaux : le requérant renonce ici à toute action ultérieure. Il était classiquement jugé que, par défaut, le désistement était d’action (CE, Sect., 29 janv. 1932, Dame veuve Janson, requête numéro 97750, Rec., p. 128 ; D. 1933, 3, p. 11, concl. R. Latournerie). Une telle jurisprudence était loin d’échapper à la critique. En effet, c’était beaucoup attendre d’un requérant qui, le cas échéant, n’était pas représenté et qui était largement susceptible d’ignorer les conséquences de son silence quant à la portée qu’il assignait à son désistement. Certes, compte tenu de la brièveté des délais de recours, rares sont finalement les hypothèses en contentieux administratif où un désistement d’instance laisse la possibilité au requérant d’introduire une nouvelle requête, recevable. Mais ces hypothèses existent. En témoigne le contentieux des travaux publics. Il peut encore être fait état des recours en déclaration d’inexistence (CE, Sect., 3 févr. 1956, de Fontbonne, requête numéro 8035, Rec., p. 45 ; AJDA, 2, p. 93, chron. F. Gazier ; RDP 1956, p. 859, note M. Waline), ou des recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décisions implicites rendues par ou sur avis des organismes collégiaux (CJA, art. R. 421-3) qui peuvent être exercés sans condition de délai. Il faut encore mentionner l’hypothèse – certes rare – des relèvements de forclusion. Dans ces conditions, il faut se réjouir du revirement de la jurisprudence administrative : le Conseil d’Etat considère à présent que, dans le silence de son auteur, le désistement est réputé d’instance (Conseil d´Etat Section, 1 octobre 2010, M et Mme Rigat, requête numéro 314297 , Rec., p. 352 ; AJDA 2010, p. 2202, chron. D. Botteghi et A. Lallet). Encore faut-il souligner ici que la différence entre désistement d’instance et d’action n’a d’intérêt que pour autant que le donné acte soit revêtu de l’autorité de la chose jugée. Si tel n’est pas le cas – en référé notamment –, le donné acte du désistement ne prive pas le requérant d’introduire une nouvelle instance ultérieurement (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 28 décembre 2012, Mme Chakour et a., requête numéro 353459 , Rec., T., p. 923), sous réserve du respect des délais de recours éventuels.
-Le moment du désistement. Le juge doit donner acte du désistement avant la clôture de l’instruction. Lorsqu’un désistement survient postérieurement à celle-ci, il est loisible au juge – mais ce n’est qu’une faculté – de rouvrir l’instruction afin d’en donner acte (Conseil d´Etat, 5 avril 1996, Nouveau syndicat intercommunal pour l´aménagement de la vallée de l´Orge, requête numéro 141684, préc.). S’il n’a pas été donné acte par ordonnance du désistement durant la période de l’instruction, le désistement ne peut être prononcé que par la formation de jugement et l’intéressé doit alors avoir été régulièrement convoqué à l’audience publique (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, Abramoff, 4 février 1980, requête numéro 15372CE, 4 févr. 1981, Abramoff, requête numéro 15372, Rec., T., pp. 873 et 875).
2. Le désistement forcé
-Une sanction plus qu’une déduction. Lorsque le requérant annonce, dans sa requête introductive d’instance, son intention de produire un mémoire complémentaire et qu’il ne le fait pas dans le délai qui lui est imparti, sa carence prend la forme d’un désistement d’office. Il est toujours possible de voir dans ce silence gardé par le requérant la traduction d’une volonté de se désister. L’interprétation n’est pas séduisante, qui suppose que l’on admette le désistement tacite alors que le désistement ne se présume pas. En outre, le Conseil d’Etat écarte la possibilité de former une action en désaveu dans le cas du désistement d’office résultant de la carence de son avocat (Conseil d´Etat, Section, 4 février 2004, Frugier, requête numéro 255007, Rec., p. 47 ; AJDA 2004, p. 606, concl. F. Séners). L’explication la plus convaincante est en réalité la plus simple : le désistement d’office est une sanction à la légèreté du requérant qui, d’une part, ne se montre pas digne de la faculté qui lui a été reconnue de recourir initialement à une requête sommaire et, d’autre part, retarde le début de l’instruction, au moins devant le Conseil d’Etat.
-Requête sommaire et incompétence matérielle de la juridiction. Lorsque le requérant introduit une requête sommaire devant un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel, il lui appartient de produire un mémoire complémentaire dans un délai fixé par la juridiction (CJA, art. R. 612-5) et, au Conseil d’Etat, dans les trois mois suivant l’enregistrement de la requête sommaire et ce, à peine de désistement d’office, même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit (CJA, art. R. 611-22), sauf à ce que la défaillance soit celle des services postaux (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 11 décembre 2009, Roure, requete numéro 319162, Rec., T., p. 900). Compte tenu de l’ordre des questions préalables, la question du désistement prime celle de la compétence, en sorte que, par exemple, le Conseil d’Etat matériellement incompétent pour connaître du litige fait application de l’article R. 611-22 du code de justice administrative alors que la requête sommaire aurait bénéficié de règles moins périlleuses si elle avait été enregistrée (eu égard à la notification d’un délai pour produire le mémoire complémentaire, ce qui permet de connaître l’existence de l’obligation), comme elle aurait dû l’être, par une autre juridiction (Conseil d´Etat, Section, 28 février 1994, Ministre des départements et territoires d´outre mer, requete numéro 142456, Rec., p. 43 ; AJDA 1994, p. 389, concl. F. Scanvic).
-L’affaire Guillard c. France. Il a déjà été jugé que le requérant indiquant dans ses écritures « qu’il existe encore de nombreux autres motifs d’annulation, lesquels seront explicités ultérieurement » n’annonce pas un mémoire complémentaire (Conseil d´Etat, 10ème et 7ème SSR, 21 octobre 1994, Gultun et a., requete numéro 138078, Rec., T., p. 1121), pas plus que l’annonce de l’intention de produire un mémoire en réplique (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 20 novembre 1996, Elections municipales de Reims, requete numéro 176551, Rec., T., p. 1097). Mais la sévérité du juge est parfois plus nette, sinon excessive, qui voit des annonces de mémoires complémentaires là où il n’en y a pas, comme en témoigne l’affaire Guillard c. France jugée en 2009 par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 15 janv. 2009, Guillard c. France, affaire numéro 24488/04, AJDA 2009, p. 547, note B. Pacteau ; JCP adm. 2009, 2057, note D. Bailleul). Dans cette affaire, M. Guillard, capitaine de port, s’était réservé dans sa requête la possibilité « d’amplifier » ses conclusions par la suite. Le terme « amplifié » a été mal interprété qui, pour le marin, signifie autre chose que pour ce qui en a été déduit au Palais-Royal. En sorte que le silence par la suite gardé par le requérant a emporté son désistement d’office. Le juge de Strasbourg n’a pas apprécié… La Cour européenne des droits de l’Homme a souligné, d’abord, la relative complexité, pour un non professionnel du droit, de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur ce point. Ensuite, la Cour a observé les conséquences importantes pour le requérant qui se trouvait ainsi privé de la possibilité de défendre sa cause devant le Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. La Cour a relevé, enfin, que « l’objectif poursuivi, à savoir réduire le délai d’instruction des recours, peut être atteint par des moyens moins rigoureux, tels que l’envoi d’une mise en demeure, comme c’est le cas devant les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel ». Il y a bien là matière à réflexion… Et il semble bien que le Conseil d’Etat s’en soit saisi. Ainsi a-t-il jugé postérieurement qu’un mémoire motivé présenté par un requérant sans avocat, lequel mémoire contenait des conclusions « sous réserve de tous autres éléments de droit et de fait à produire ultérieurement par mémoire complémentaire, et sous réserve de tout autre recours », ne devait pas être regardé comme annonçant la production d’un mémoire complémentaire (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 5 juillet 2013, Solidaires Douanes, requête numéro 356660 , Rec., T., p. 775). Osons ici cette folie de suggérer que la mise en demeure de produire soit systématisée, qui mettrait un terme à ces aléas inutiles…
-Les formes du mémoire complémentaire. Le juge administratif se montre relativement souple quant aux actes pouvant tenir lieu de mémoires complémentaires. Ainsi, la production d’un mémoire au contenu identique à celui de la requête (Conseil d´Etat, 9 juillet 1997, Société Simescol, requête numéro 179047, préc.) ou d’un mémoire se référant aux mémoires de première instance joints en copie (Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 21 février 1997, Guerlin, requête numéro 118902, Rec., T., p. 1009) fait obstacle au prononcé du désistement d’office. Il en va de même pour la renonciation à déposer le mémoire complémentaire annoncé (Conseil d´Etat, Section, 26 juillet 1996, Société Entreprise parisienne, requête numéro 160269CE, Sect., 26 juill. 1996, Sté Entreprise parisienne, requête numéro 160269, Rec., p. 312).
-La portée du désistement forcé. Le désistement d’office est aujourd’hui considéré comme un désistement d’instance (Conseil d´Etat, Section, 1er octobre 2010, M et Mme Rigat, requête numéro 314297, préc.), ce qui atténue – mais atténue seulement – la rigueur du principe. Il est, comme tout désistement intervenu au principal, revêtu de l’autorité de la chose jugée (CE, 22 juin 1923, Hanna-Charley, requête numéro 74478, Rec., p. 521).
B. La transaction
-Le développement des modes alternatifs de règlement des litiges. Traditionnellement réfractaire aux modes alternatifs de règlement des litiges, le contentieux administratif s’ouvre progressivement à ces procédés permettant une résolution des situations contentieuses sans aller jusqu’au jugement, ce qui contribue par ailleurs à désencombrer la juridiction administrative. L’article L. 211-4 du code de justice administrative dispose ainsi que « dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, les chefs de juridiction peuvent, si les parties en sont d’accord, organiser une mission de conciliation ». Depuis la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, cette mission est dévolue à une ou plusieurs personnes – il faut entendre ici magistrats – que les chefs de juridiction désignent. En outre, depuis l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, l’article L. 771-3-1 du code de justice administrative prévoit la faculté pour les juridictions d’ordonner, avec l’accord des parties, une médiation, dans les cas prévus à l’article L. 771-3. Il s’agit ici de la résolution des différends transfrontaliers relevant de la compétence du juge administratif, à l’exclusion de ceux qui concernent la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique. L’article L. 311-6 du code de justice administrative, pour sa part, énumère les domaines dans lesquels il est possible, pour les personnes publiques, de recourir à l’arbitrage (supra).
-La transaction, accord de volontés entre les parties. On ne se surprendra dès lors pas que l’administration soit encouragée à recourir à la transaction (notamment, circulaire du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l’exécution des contrats de la commande publique, JORF 18 sept. 2009, p. 15230 ; circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits, JORF 8 avr. 2011, p. 6248). La transaction est définie à l’article 2044 du code civil, auquel renvoie l’article L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration, comme « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». Elle constitue le mode alternatif de règlement des litiges le plus accessible aux personnes publiques. Ainsi la transaction est-elle de longue date permise notamment en matière fiscale (ordonnances des 30 janvier et du 13 février 1822), en matière de marchés de travaux publics (CE, 9 mai 1884, Ville de Nîmes, Rec., p. 304) ou de dommages de travaux publics (TC 26 octobre 1981, Syndicat des copropriétaires de l´immeuble Armenonville c. Ville de Cannes, requête numéro 02197, Rec., p. 507).
-Les conditions de la transaction. La faculté de recourir à la transaction n’est pas entière. Elle suppose la satisfaction de certaines conditions.
En premier lieu, la transaction n’est pas possible dans le contentieux de l’excès de pouvoir, parce que « l’acquiescement ou la renonciation en matière de recours pour excès de pouvoir sont des contrats unilatéraux qui doivent être tenus pour nuls comme ayant un objet illicite » (R. Alibert, note sous CE, 2 mars 1934, Pérignon et a., S. 1936, 3, p. 97). L’administration ne saurait pas plus consentir à une action qui lui est interdite. Ainsi ne peut-elle renoncer au paiement des intérêts moratoires exigibles (Conseil d´Etat, 7ème et 5ème SSR, 17 octobre 2003, Ministre de l´Intérieur et Syndicat Intercommunal d´assainissement du Beausset, requête numéro 249822 , Rec., p. 411 ; BJCP 2004, p. 20, concl. G. Le Chatelier), aliéner une dépendance du domaine public (Cass. req., 7 nov. 1892, Veuve Dessales c. Veillas et Chamussy, D. 1893, I, p. 61) ni transiger aux fins de délimiter le domaine public (CE, 20 juin 1975, Sieur Leverrier, requête numéro 89785, Rec., p. 382). Ainsi encore, l’administration doit prendre garde de ne pas enfreindre le principe posé par la jurisprudence Mergui suivant lequel les personnes publiques ne doivent jamais être condamnées à payer des sommes qu’elles ne doivent pas (Conseil d´Etat, Section, 19 mars 1971, Mergui, requête numéro 79962, Rec., p. 235, concl. M. Rougevin-Baville ; AJDA 1971, p. 274, chron. D. Labetoulle et P. Cabanes ; RDP 1972, p. 234, note M. Waline), ni consentir irrégulièrement une libéralité (Conseil d´Etat, Assemblée, 11 juillet 2008, Société Krupp Hazemag, requête numéro 287354, Rec., p. 273 ; AJDA 2008, p. 1588, chron. E. Geffray et S.-J. Liéber).
En second lieu, l’autorité administrative doit avoir qualité pour transiger. Ainsi le ministre est-il en principe compétent pour engager l’Etat (CE, 23 déc. 1887, De Dreux-Brézé, Rec., p. 842), ce pouvoir pouvant faire l’objet d’une délégation de signature conformément au décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement. Si les établissements publics de l’Etat ne peuvent en principe transiger qu’avec l’autorisation du Premier ministre (Conseil d´Etat, 7ème et 10ème SSR, 14 décembre 1998, Chambre de l´agriculture de La Réunion, requête numéro 146351, Rec., T., p. 729), ce n’est que dans le silence de leurs statuts (Conseil d´Etat, 23 avril 2001, Ceccaldi-Raynaud, requête numéro 215552). S’agissant des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, le principe est celui de la liberté de transiger (CE, Sect. Tr. publ., 21 janv. 1997, avis numéro 359996), sous la double réserve du respect des limites matérielles énoncées plus haut et d’une habilitation préalable de l’autorité signataire par l’organe délibérant, laquelle doit se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à naître, « notamment, la contestation précise que la transaction a pour objet de prévenir ou de terminer et les concessions réciproques que les parties consentent à cette fin » (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 11 septembre 2006, Commune de Théoule-sur-Mer, requêtes numéros 255273 et 255757, Rec., p. 395). La transaction acceptée par un avocat au cours d’une procédure juridictionnelle ne peut intervenir que s’il a reçu mandat exprès pour ce faire (Conseil d´Etat, Section, 5 janvier 1966, Sieur Hawezack, requête numéro 58623, Rec., p. 6).
-L’absence de formalisme du juge. A suivre l’article 2044 du code civil, la transaction doit être contenue dans un acte écrit. Le juge administratif ne fait pourtant pas montre, sur ce point, d’un grand formalisme. Il admet ainsi, au cours de la procédure juridictionnelle, que la concordance des mémoires échangés puisse constituer la transaction (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 7 octobre 1981, Agence nationale pour l´Indemnisation des Francais d´outre mer c. Sahue, requête numéro 26488, Rec., p. 355). La circonstance qu’une partie ait adressé à l’autre partie une proposition de transaction et qu’elle se soit vu retourner le protocole de transaction signé suffit à caractériser la transaction, quand bien même elle n’aurait pas contresigné celui-ci (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 10 février 2014, SA Gecina, requête numéro 350265, Rec., T., pp. 737, 813 et 824).
-Les conséquences de la transaction. La transaction est exécutoire de plein droit (Conseil d´Etat, Ass., 6 décembre 2012,Syndicat intercommunal des établissements du second degré de l’Hay-les-Roses et Sté CDI 2000, requête numéro 249153, Rec., p. 433, concl. G. Le Chatelier ; RFDA 2003, p. 291, concl. G. Le Chatelier et note B. Pacteau ; AJDA 2003, p. 280, chron. F. Donnat et D. Casas). La conclusion d’une transaction met fin à l’instance pendante, soit par le donné acte d’un désistement (CE, 28 janv. 1994, Sté Raymond Camus et cie, requête numéro 49518, Rec., p. 1041), soit par le prononcé d’un non-lieu, et le juge ne peut s’opposer à la transaction (CE, Sect., 9 févr. 1934, Chemin de fer du Nord c. de Brigode, requête numéro 24919, Rec., p. 194). Elle fait en outre obstacle, sous réserve que chaque partie ait exécuté ses obligations, à tout recours juridictionnel ultérieur sur le même litige (CE, 31 mars 1971, Sieur Baysse, requête numéro 75241, Rec., T., p. 1116) qui comporterait identité de parties, de cause et d’objet, l’autorité de la transaction n’étant que relative (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 13 janvier 1984, OPHLM de la ville de Firminy, requête numéro 34135, Rec., p. 672).
-Les suites de la transaction. Il est parfois possible à l’une des parties, sinon aux deux, d’adresser au juge une demande d’homologation de la transaction conclue. Une telle demande est possible même en cassation (Conseil d´Etat, Ass, 11 juillet 2008, Société Krupp Hazemag, requête numéro 287354, préc.). Aucun texte ne prévoyant de procédure d’homologation devant le juge administratif, c’est de manière prétorienne que le Conseil d’Etat en a organisé les conditions, dans son avis d’assemblée Syndicat intercommunal des établissements du second degré de l’Hay-les-Roses et Sté CDI 2000, précité, du 6 décembre 2002. Sont ainsi recevables les conclusions à fins d’homologation d’une transaction intervenue en cours d’instance, sous réserve que « la conclusion de la transaction vise à remédier à une situation telle que créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui peuvent donner lieu à régularisation » ou que « son exécution se heurte à des difficultés particulières », notamment en matière de marchés publics et de délégations de service public. Lorsque le juge est saisi d’une telle demande, il « vérifie que les parties consentent effectivement à la transaction, que l’objet de cette transaction est licite, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu’elle ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public ». En d’autres termes, de deux choses l’une : soit la transaction soumise à homologation ne passe pas le crible du contrôle et elle est alors annulée ; soit la transaction est homologuée et elle sera alors revêtue de l’autorité relative de la chose jugée (sur l’ensemble de la question, A. Zarca, « Questions sur l’annulation des transactions », AJDA 2015, pp. 506 et s.).
II. Le non-lieu
-Signification du non-lieu. Après le désistement et la compétence, le non-lieu est la troisième des quatre questions préalables que se pose le juge avant de se prononcer sur le fond. Le constat du non-lieu par le juge, qui n’est pas revêtu de l’autorité de la chose jugée, conduit à la fin de l’instance. Même s’il n’est pas toujours aisé de déterminer en pratique le départ entre désistement et non-lieu, contrairement au désistement, le non-lieu suppose en principe la survenance d’un évènement extérieur à la volonté du requérant, qui doit mettre fin à l’instance. Il s’agit d’un moyen d’ordre public et le juge est tenu de soulever d’office le non-lieu, toutes les fois où il se présente (Conseil d´Etat, 4ème et 5ème SSR, 24 février 2006, Caisse primaire d´assurance maladie de la Gironde, requête numero 271595 , Rec., p. 86), sous réserve, comme il se doit, de la communication du moyen aux parties (Conseil d´Etat, 29 avril 1998, Commune de Hannappes, requête numéro 164012, préc.).
-Les non-lieu législatifs. Dans deux hypothèses, le prononcé d’un non-lieu peut résulter de l’intervention du pouvoir législatif. D’une part, une loi d’amnistie peut intervenir en cours d’instance, qui prive le contentieux de son objet. Tel est le cas, par exemple, en matière de contravention de grande voirie (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 30 septembre 2005, Cacheux, requête numéro 263442, Rec., p. 406 ; AJDA 2005, p. 2469, concl. P. Collin). D’autre part, une loi de validation (par ex., Conseil d´Etat, Section, 10 novembre 2010, Commune de Palavas-les-Flots et commune de Lattes, requêtes numéros 314449 et 314580, Rec., p. 429 ; RFDA 2011, p. 124, concl. N. Boulouis ; AJDA 2010, p. 2416, chron. D. Botteghi et A. Lallet) ou de ratification (pour une ordonnance prise en application de l’article 38 de la Constitution : Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 8 décembre 2000, Hoffer, requêtes numéros 199072, 199135, 199761, Rec., p. 584 ; RFDA 2001, p. 454, concl. C. Maugüé ; AJDA 2000, p. 985, chron. M. Guyomar et P. Collin ; pour le cas particulier de la ratification législative d’un décret instituant l’état d’urgence : Conseil d´Etat, Ass, 24 mars 2006, Rolin et Boisvert, requête numéro 286834, Rec., p. 171 ; AJDA 2006, p. 1033, chron. C. Landais et F. Lenica ; JCP 2006, I., obs. B. Plessix) peut être promulguée, qui requalifie l’acte administratif en acte législatif, lequel échappe dès lors à la compétence de la juridiction administrative, sauf à ce que la loi en question soit entachée d’une inconventionalité. En dehors des cas de non-lieu législatifs, il faut distinguer suivant que l’on se situe dans le cadre d’un contentieux en excès de pouvoir (A) ou d’un contentieux de pleine juridiction (B).
A. Le non-lieu en excès de pouvoir
-La disparition de l’objet du litige. Il arrive parfois qu’une chambres réunies offre une clarification du droit par la systématisation des règles applicables. La décision Borusz du 19 avril 2000 en est une illustration (Conseil d´Etat, 19 avril 2000, Borusz, requête numéro 207469, Rec., p. 157), laquelle participe de la volonté de permettre aux juridictions de mettre plus facilement un terme aux contentieux. Ainsi le Conseil d’Etat a-t-il jugé que le non-lieu s’impose lorsque l’administration a retiré la décision dont l’annulation était demandée, même si la décision litigieuse a reçu exécution, la seule condition étant que le retrait soit définitif, c’est-à-dire que la décision de rapporter l’acte n’ait pas fait elle-même l’objet d’un recours en annulation dans les délais. Le non-lieu s’impose également en cas d’abrogation de l’acte, pour autant toutefois que celui-ci n’ait pas reçu d’exécution et que cette abrogation soit devenue définitive.
-La disparition de l’intérêt du litige. Il ne faut pas commettre de confusion avec ce qui vient d’être dit. Le Conseil d’Etat réserve en effet l’hypothèse du refus d’abroger une décision réglementaire sur laquelle l’administration reviendrait en cours d’instance. Dans ce cas, le Conseil d’Etat juge que le non-lieu s’impose, même si l’acte a reçu exécution durant la période pendant laquelle il était en vigueur. La justification est donnée par la Haute juridiction elle-même, suivant une motivation qui ne manquerait pas de jeter le trouble sur ce que la théorie s’échine à faire passer pour vrai depuis deux siècles : l’abrogation devenue définitive, ici, « emporte des effets identiques à ceux qu’aurait l’annulation par le juge du refus initial » (Conseil d´Etat, 1ère et 2ème SSR, 30 décembre 2002, Confédération nationale des syndicats dentaires, requête numéro 238032, Rec., T., p. 881). Il n’est même plus requis par la jurisprudence que l’abrogation soit définitive (Conseil d´Etat, 2ème et 7ème SSR, 30 mai 2005, Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications, requete numéro 250516, Rec., T., p. 1047). Mais faut-il cependant que, entre le refus initial d’abroger et l’abrogation en cours d’instance, aucune modification de l’acte n’ait été observée (Conseil d´Etat, 24 janvier 2007, GISTI, requete numéro 243976, Rec., p. 17). Suivant la même logique, la publication d’un décret d’application d’une loi avant que le juge n’ait statué sur le refus initial de prendre un tel décret conduit au non-lieu (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 27 juillet 2005, Association Bretagne Ateliers, requête numéro 261694, Rec., p. 350 ; AJDA 2005, p. 2172, chron. C. Landais et F. Lenica).
B. Le non-lieu en pleine juridiction
-La disparition de l’objet du litige. Le retrait de l’acte litigieux dont il était demandé l’annulation entraîne nécessairement le non-lieu (Conseil d´Etat, 6ème et 1ère SSR, 5 juillet 2006, SARL Entreprise H.Olivo, requete numéro 259061, Rec., p. 324 ; AJDA 2006, p. 1728, concl. M. Guyomar). L’essentiel du contentieux de pleine juridiction donne cependant lieu à d’autres demandes que celle de l’annulation de l’acte. Et la satisfaction du requérant justifie le non-lieu. Ainsi, il y a non-lieu à statuer lorsque l’administration consent à octroyer au demandeur le paiement de la somme qu’il réclamait (CE, 29 févr. 1956, Dlle Gouy, requêtes numéros 91354 et 2459, Rec., p. 95) même si, dans le même temps, elle se refuse à reconnaître sa responsabilité (Conseil d´Etat, 3ème et 8ème SSR, 29 décembre 2004, Caberia, requête numéro 261783, Rec., p. 833 ; AJDA 2005, p. 443, concl. F. Séners). Il y a encore non-lieu lorsque la base légale de l’acte litigieux a été modifiée dans le sens souhaité par le requérant (par ex., CE, 26 nov. 1980, Ministre de l’Environnement et du Cadre de vie c. Bouvier, requête numéro 16990).
-La disparition de l’utilité du litige. L’hypothèse de non-lieu pour inutilité de la poursuite de l’action concerne essentiellement le contentieux des élections. Il est en effet jugé que le renouvellement de l’assemblée délibérante dont l’élection faisait l’objet d’un recours prive celui-ci de son intérêt et conduit au non-lieu (Conseil d´Etat, Section, 27 juillet 1990, Elections municipales de Sainte-Suzanne, requête numéro 108693, Rec., p. 237 ; RFDA 1991, p. 928, concl. R. Abraham). Le même principe vaut pour les scrutins à caractère uninominal lorsque la protestation vise l’annulation de l’élection d’un candidat qui a démissionné postérieurement à l’enregistrement de la requête (Conseil d´Etat, Section, 10 mai 1991, Elections cantonales de Marseille, requête numéro 104698, Rec., p. 174). En revanche, et c’est logique, le non-lieu ne saurait être prononcé en cas de renouvellement partiel d’une assemblée si la protestation concerne l’élection de membres issus du précédent scrutin mais continuant de siéger (Conseil d´Etat, 4ème et 1ère SSR, 22 décembre 1972, Elections municipales de Vico, requête numéro 84264 et 85641, Rec., p. 825).
§ 2 : Les incidents non interruptifs de l’instance
-Interruption et suspension. Une confusion ne doit pas être commise entre interruption et suspension de l’instance, la suspension restant provisoire là où l’interruption est définitive. Précisément, il existe des hypothèses où, sans être interrompue, l’instance peut être suspendue en raison de la survenance d’un incident (II). Encore faut-il souligner que tout incident non-interruptif d’instance ne conduit pas nécessairement à une suspension (I).
I. Les incidents non suspensifs de l’instance
-De nouvelles conclusions. Les incidents non suspensifs de l’instance ont un trait commun en ce qu’ils consistent dans l’enregistrement, au cours de l’instruction, de nouvelles conclusions, attestant en cela le caractère tout relatif de l’immutabilité de l’instance. Ces conclusions peuvent être le fait de tiers initiaux à l’instance (A) ou des parties (B).
A. L’intervention
-L’entrée d’un nouvel acteur dans le procès. L’intervention ne fait pas l’objet d’une définition par le code de justice administrative. On ne saurait pleinement se satisfaire de l’article 66 du code de procédure civile suivant lequel l’intervention est le fait de « rendre un tiers partie au procès engagé entre des parties originaires ». En effet, si l’intervenant contraint par le juge (2) a la qualité de partie, il en va différemment de celui qui s’engage volontairement (1), lequel reste seulement un participant à l’instance.
1. L’intervention volontaire
-Les conditions de l’intervention volontaire. Le statut de l’intervenant volontaire ayant déjà été étudié (supra), l’on se contentera ici de rappeler que l’intervention est recevable, à l’exception des questions de droit nouvelles posées au Conseil d’Etat en application de l’article L. 113-1 du code de justice administrative (Conseil d´Etat, Section, 22 novembre 2000, Société L&P Publicité SARL, requête numéro 223645, Rec., p. 525 ; RFDA 2001, p. 872, concl. S. Austry), dans toutes les branches du contentieux administratif et devant toute juridiction administrative dès lors que la publicité des audiences y est organisée (CE, 27 janv. 1933, Cie des conseils juridiques défenseurs près les tribunaux, requêtes numéros 4362, 6825, 24057 à 24059, Rec., p. 128). L’intervention peut être formée à tout moment de l’instruction (CE, 20 oct. 1965, Ministre de la Construction c. Sieurs Gonidec et a., requête numéro 64915, Rec., p. 538) sans pouvoir, toutefois, retarder le jugement de l’affaire (CJA, art. R. 632-1). Elle doit être formée par mémoire distinct (CJA, art. R. 632-1), à peine d’irrecevabilité non régularisable (Conseil d´Etat, 2ème et 1ère SSR, 12 décembre 2003, Ammouche et Mme Bangue Nambea, requête numéro 235234, Rec., T., p. 937), mémoire devant être motivé (Conseil d´Etat, section, 12 juin 1981, Grimbichler et a., requête numéros 13173 et 13175, Rec., p. 256) et contenir des conclusions (Conseil d´Etat, Section, 14 juin 1968, Syndicat national des médecins des hôpitaux privés à but non lucratif et Fiat, requête numéro 60870, Rec., p. 362).
-Les conséquences de l’intervention volontaire. L’intervenant reste dans une situation précaire. Ainsi, le désistement du requérant met fin au litige sans que l’intervenant puisse s’y opposer en maintenant ses prétentions, lesquelles deviennent sans objet (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 20 avril 2005, Syndicat national des entreprises artistiques et a., requêtes numéros 264348, 264349, 264601 et 266449, Rec., T., p. 1045). L’incompétence de la juridiction (Conseil d´Etat, 5ème et 3ème SSR, 1er décembre 1993, Coz et a., requete numéro 70199, Rec., p. 960) comme l’irrecevabilité de la requête (Conseil d´Etat, 6 juillet 1977, Guinard et a., requete numéro 00904, Rec., T., p. 929) emporte l’irrecevabilité de l’intervention. Si, par ailleurs, la requête introductive d’instance est dépourvue de conclusions à l’expiration du délai de recours, l’intervention sera irrecevable au même titre que la demande principale, et, à défaut de mémoire en défense produit, l’intervention en défense ne saurait être admise (Conseil d´Etat, 26 mars 1996, SARL Pub Espace, requete numéro 157678, Rec., T., p. 1096). En outre, les conclusions contenues dans le mémoire en intervention doivent présenter un objet identique à celles de la partie (Conseil d´Etat, Section, 10 juillet 1970, Société civile du domaine de Suroit, requete numéro 74606, Rec., p. 480). Dans le cas où l’intervention serait recevable, rien ne s’oppose alors à ce que l’intervenant formule certaines conclusions additionnelles, comme par exemple de demander à la juridiction la modulation des effets d’une annulation contentieuse (Conseil d´Etat, 28 avril 2006, Dellas et a., requête numéro 242727). Les moyens contenus dans la requête en intervention peuvent être distincts de ceux invoqués par la partie à laquelle l’intervenant s’associe à condition que les moyens procèdent d’une cause juridique ouverte durant le délai de recours (Conseil d´Etat, 6 juillet 1977, Syndicat national des ingénieurs et techniciens agréés (SNITA), requête numéro 87539, Rec., p. 306). N’étant pas partie à l’instance, l’intervenant volontaire ne peut prétendre au bénéfice du principe du contradictoire (Conseil d´Etat, Section, 25 juillet 2013, Office français de protection des réfugiés et apatrides, requête numéro 350661 , Rec., p. 224 ; AJDA 2013, p. 1689, chron. X. Domino et A. Bretonneau).
2. Les interventions forcées
-Rappel des trois catégories d’interventions forcées. Il existe trois cas d’interventions forcées, dont les deux premières ne sont possibles qu’en pleine juridiction (supra) : l’appel en cause, à l’initiative du demandeur, l’appel en garantie, à l’initiative du défendeur, l’appel en déclaration de jugement commun, à l’initiative de l’une et l’autre partie. A la différence des intervenants volontaires, les intervenants forcés ont la qualité de partie à l’instance avec toutes les conséquences qui en découlent.
B. Les conclusions des parties
-Des conclusions incidentes. Les parties peuvent formuler des conclusions en cours d’instance qui constituent alors des incidents n’ayant pour effet ni de l’interrompre ni de la suspendre. Il peut s’agir ici de conclusions reconventionnelles (1) ou de conclusions en désaveu d’avocat (2).
1. Les conclusions reconventionnelles
-Les conditions de recevabilité des conclusions reconventionnelles. Le régime des conclusions reconventionnelles est relativement simple à appréhender. L’article R. 631-1 du code de justice administrative dispose ainsi que « les demandes incidentes sont introduites et instruites dans les mêmes formes que la requête. Elles sont jointes au principal pour y être statué par la même décision ». Il en va des conclusions reconventionnelles comme des interventions : elles sont précaires, au moins en première instance, en ce qu’elles dépendent intimement de la requête, et elles ne peuvent au demeurant porter sur un litige distinct (Conseil d´Etat, 5 mars 1969, Richemont et Lagneau, requête numéro 70032, Rec., p. 135), la notion de litige distinct étant analogue à celle prévalant en matière d’appel incident (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR,26 oct. 2011, Sté d’architecture Bical-Courcier-Martinelli et Sté Michel Forgue, requête numéro 334098, Rec., T., p. 1094). L’irrecevabilité de la requête fait obstacle au jugement du litige, y compris en ce qui concerne les demandes incidentes (CE, 7 juill. 1965, Ministre de la Construction c. Sté Wolff et Rebrion, requête numéro 51070, Rec., p. 416) et l’acceptation par un défendeur du désistement du demandeur conduit au désistement des conclusions incidentes (Conseil d´Etat, 10 novembre 1993, Ministre du Budget c. Chanzy, requête numéro 80598, Rec., T., p. 961).
-L’exclusion des conclusions reconventionnelles pour certains contentieux. La faculté de formuler des conclusions reconventionnelles n’existe que dans certains types de contentieux. De jurisprudence constante, il n’est ainsi pas possible de formuler de conclusions reconventionnelles dans le contentieux de l’excès de pouvoir (CE, Sect., 22 janv. 1954, Pacha, requête numéro 256, Rec., p. 46 ; Conseil d´Etat, Section, 24 novembre 1967, Noble, requête numéro 66271, Rec., p. 443 ; Conseil d´Etat, 1ère et 2ème SSR, 27 juin 2001, CPAM de Haute Garonne c. Mme Sutra, requete numéro 224115, Rec., T., p. 1149), ni dans le contentieux disciplinaire (Conseil d´Etat, 4ème et 6ème SSR, 5 mars 2003, Gaudinat, requête numéro 221643) sauf devant les juridictions administratives spécialisées (Conseil d´Etat, Section,6 juin 2008, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Paris c. Banon, requête numéro 283141, Rec., p. 204 ; RFDA 2008, p. 689, concl. J.-P. Thiellay ; RFDA 2008, p. 964, note B. Pacteau ; Dr. adm. août 2008, comm. 118, note F. Melleray), pas plus que dans celui de grande voirie (CE, 17 avr. 1959, Sté d’armement Hardy et Fourgassié et a, requêtes numéros 37682 à 37686, Rec., p. 247), et électoral (Conseil d´Etat, 4ème et 1ère SSR, 21 décembre 1977, Elections municipales de Crolles, requête numéro 08374, Rec., p. 525) notamment.
2. Le désaveu d’avocat
-Oublions ce qui s’est passé… Les actes ou procédures accomplis par un avocat peuvent être désavoués par la partie représentée, toutes les fois où ils sont susceptibles d’influer sur le sens du jugement (CJA, art. 635-1 al. 1er) et, lorsqu’elle est déjà intervenue, la décision juridictionnelle n’est pas devenue irrévocable (CE, 17 nov. 2010, Mme Layus-Coustet, requête numéro 312594, Rec., p. 441). La finalité de l’action en désaveu est de mettre les justiciables à l’abri des conséquences dommageables de leurs avocats, lorsque ceux-ci ne se sont pas conformés au mandat qui leur a été confié (Conseil d´Etat, 5 janvier 1968, Puy, requete numéro 65872, Rec., T., p. 894). Cette demande est livrée à la contradiction (CJA, art. R. 635-1 al. 2). Il s’agit d’une action, rarement exercée, susceptible d’être formée devant toute juridiction administrative (Conseil d´Etat, Section, 5 juin 1992, Office public d´aménagement et de construction de Seine-Maritime, requete numéro 66193, Rec., p. 223) et plus précisément celle qui a instruit l’acte ou la procédure faisant l’objet du désaveu (Conseil d´Etat, 1ère et 2ème SSR, 13 novembre 2002, Gidrol, requête numéro 225232 , Rec., T., p. 880). Lorsque l’action prospère, elle entraîne l’annulation de tous les actes et procédures visés et la procédure reprend au stade de l’acte annulé (Conseil d´Etat, 1ère et 4ème SSR, Société Caillol et Cie, requêtes numéros 95062 et 95064, Rec., p. 513).
II. Les incidents suspensifs de l’instance
-Une décision différée. L’instance peut être suspendue sans être pour autant interrompue. Elle reste pendante mais un incident conduit le juge à, provisoirement, ne pas statuer. Tel est le cas, une fois de plus en contentieux de l’urbanisme, l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme disposant que « le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ». Tel est le cas également lorsqu’une demande d’aide juridictionnelle a été adressée au bureau d’aide juridictionnelle ou directement à la juridiction (Conseil d´Etat, avis, 6 mai 2009, Khan, requête numéro 322713, Rec., p. 187). Tel est le cas encore lorsque le juge doit saisir une autre juridiction (A) ou lorsqu’il n’y a pas lieu de statuer en l’état (B).
A. La saisine d’une autre juridiction
-Quatre saisines différentes. Quatre hypothèses de saisine sont ici concevables : la question prioritaire de constitutionnalité (1) qui, voulue prioritaire par le pouvoir constituant, se distingue des autres questions préjudicielles (2) auxquelles elle n’est pas assimilée, ni l’inscription de faux (3) ni la saisine du Tribunal des conflits (4).
1. La question prioritaire de constitutionnalité
-Le fruit d’une longue attente. C’est l’une des innovations majeures de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 que d’avoir enfin permis l’avènement d’un contrôle de constitutionnalité par voie d’exception en droit français, même si l’article 61-1 de la Constitution limite l’exercice de la question prioritaire de constitutionnalité aux cas d’atteintes aux droits et libertés constitutionnellement garantis. Jusqu’alors, il n’était pas possible au requérant de se prévaloir de la Constitution à l’encontre d’une loi servant de fondement à un acte administratif, le Conseil d’Etat refusant, de jurisprudence constante, d’exercer un quelconque contrôle de constitutionnalité des lois (CE, Sect., 6 nov. 1936, Arrighi, requête numéro 41221, Rec., p. 966). La situation était d’autant plus insatisfaisante que l’application de la loi était susceptible d’être écartée en cas de contrariété à un traité ou une convention internationale (Conseil d´Etat, Ass, 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243, Rec., p. 190, concl. P. Frydman ; AJDA 1989, p. 756, chron. E. Honorat et R. Schwartz), autant qu’à un acte communautaire de droit dérivé (Conseil d´Etat, 24 septembre 1990, Boisdet, requête numéro 58657, Rec., p. 251 ; LPA 1990, n° 123, concl. M. Laroque ; AJDA 1990, p. 863, chron. E. Honorat et R. Schwartz). Il s’agit donc bien ici d’un progrès et d’une cohérence enfin retrouvée.
-Les juridictions administratives concernées. La question prioritaire de constitutionnalité peut être adressée à toute juridiction administrative. Peuvent en effet être destinataires d’une question aussi bien les juridictions administratives générales que les juridictions administratives spécialisées relevant du Conseil d’Etat, qu’il s’agisse, par exemple, des juridictions financières (Conseil d´Etat, 6ème et 1ère SSR, 4 mars 2011, Clark, requête numéro 344766, Rec., T., p. 1113 ; Conseil d´état, 6ème sous section jugeant seule, Cupillard et Faure, requête numéro 349168), ordinales (Conseil d´Etat, 4ème sous-section jugeant seule, 24 septembre 2010, Mme Pétarnaud, requête numéro 341548 ; Conseil d´Etat, 4éme et 5ème SSR, 1er février 2012, Mme Gonzalez, requête numéro 353829 ) ou compétentes en matière d’aide sociale (Conseil d´Etat, 1ère sous-section jugeant seule, 30 décembre 2010, Bresson Vigier, requête numéro 343682 ; CE, 13 févr. 2013, Moravi et a., requête numéro 363928).
-Les conditions de forme de la QPC. La loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, entrée en vigueur le 1er mars 2010, définit les modalités de mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité (CJA, art. LO 771-1 et LO 771-2). La question prioritaire de constitutionnalité doit être contenue dans une requête distincte et motivée (Conseil d´Etat, 6ème et 1ère SSR, 12 juillet 2013, Mme Bertella-Geffroy, requête numéro 367568, Rec., T., p. 756) qui, autant que l’enveloppe qui la contient, doit porter la mention « question prioritaire de constitutionnalité » (CJA, art. R. 771-3). L’obligation de mentionner, dans ce mémoire distinct et motivé, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est prescrite à peine d’irrecevabilité (CJA, art. R. 771-3) que le juge n’est pas tenu d’inviter à régulariser (CJA, art. R. 771-4), le Conseil d’Etat se prononçant sur la question telle qu’elle aura été soulevée dans le mémoire (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 10 septembre 2010, M.Decurey, requête numéro 341585, Rec., T., p. 952) et au vu des seuls moyens qu’il contient (Conseil d´Etat, 8ème et 3ème SSR, 10 septembre 2010, SCI Benoit du Loroux, requête numéro 341063, Rec., T., p. 940).
Les conditions de fond de la QPC. La question prioritaire de constitutionnalité doit être posée à l’appui d’une requête recevable (Conseil d´Etat, 9ème et 10ème SSR, 28 septembre 2011, Société Alsass, requête numéro 349820). En outre, elle doit satisfaire trois conditions cumulatives : elle doit être nouvelle, sérieuse et porter sur une disposition législative applicable au litige.
La question doit d’abord être nouvelle, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas avoir déjà été jugée par le Conseil constitutionnel, sauf à ce qu’un changement de circonstances soit intervenu depuis lors. Le Conseil constitutionnel a pu préciser qu’une question n’est pas nouvelle à la triple condition que la disposition a déjà été expressément contestée à l’occasion d’une précédente saisine, que le Conseil constitutionnel l’a spécialement examinée et qu’elle ait été déclarée conforme dans le dispositif de la décision rendue (Cons. const., décision numéro 2010-9 QPC du 2 juillet 2010, Observatoire des prisons, Rec. Cons. const., p. 128).
La question doit ensuite être sérieuse ou, si l’on préfère, non dépourvue de caractère sérieux. Le rôle de la juridiction administrative saisie et, le cas échéant, du Conseil d’Etat est autant ici de prévenir l’engorgement du Conseil constitutionnel que d’éviter les allongements inutiles des délais de jugement des affaires. L’on peut rester à certains égards dubitatif quant à la question de l’examen par le Conseil d’Etat de dispositions sur lesquelles il s’est précédemment prononcé sur l’interprétation à en donner. La Haute juridiction considère que cette circonstance ne heurte pas les articles 6 §1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 12 septembre 2011, M et Mme Dion, requête numéro 347444, Rec., T., p. 1112).
La question doit enfin viser une disposition législative applicable au litige. Le Conseil constitutionnel se refuse à se prononcer sur la pertinence des renvois, considérant qu’il appartient aux seuls Conseil d’Etat et Cour de cassation de déterminer quelles sont, pour chaque litige, les dispositions dont la conformité à la Constitution détermine l’issue du litige (Cons. const., décision numéro 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts L., Rec. Cons. const., p. 91).
-Le déroulement de la procédure. La juridiction peut estimer qu’une des conditions manque et, pour cette raison, refuser de transmettre la question au Conseil d’Etat. Ce dernier opère un contrôle de la qualification juridique sur les refus de transmission (Conseil d´Etat, 5ème sous-section jugeant seule, 4 octobre 2010, M et Mme de Keguelin, requête numéro 328505, Rec., T., p. 940). Lorsqu’elle estime que les conditions sont réunies, la juridiction saisie de la question la transmet au Conseil d’Etat qui dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer sur son renvoi au Conseil constitutionnel. Passé ce délai, le Conseil constitutionnel est automatiquement saisi. La juridiction peut également décider de ne pas transmettre la question lorsque le Conseil d’Etat est déjà saisi d’une demande de renvoi dirigée contre la même disposition législative, et pour les mêmes motifs, par une autre juridiction (CJA, art. R. 771-6), le demandeur pouvant dans cette hypothèse régulièrement intervenir devant le Conseil d’Etat (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 4 avril 2011, mme Moussa, requête numéro 345661, Rec., p. 152). Dans un cas comme dans l’autre, il est sursis à statuer jusqu’à la décision du Conseil d’Etat de ne pas transmettre la question ou jusqu’à l’intervention de la décision du Conseil constitutionnel, sauf à ce que le litige au principal doive être jugé dans un délai fixé par la loi ou un règlement, ou si le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction pouvant alors statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés. En toute hypothèse, l’instruction n’est pas interrompue.
2. Les autres questions préjudicielles
-La demande d’avis sur une question de droit. Il n’existe pas, en principe, de questions préjudicielles entre juridictions administratives. Une juridiction administrative générale est compétente pour connaître de questions qui ressortissent, à titre principal, d’une juridiction administrative spécialisée (CE, Sect., 2 nov. 1957, Ministre des anciens combattants et Victimes de la guerre c. Dupont, requête numéro 36136, Rec., p. 576 ; RDP 1958, p. 523, concl. C. Mosset ; CE, Sect., 9 nov. 1966, Tombouros, requête numéro 58903, Rec., p. 593 ; D. 1967, p. 696, concl. G. Braibant). Inversement, une juridiction administrative spécialisée a compétence pour statuer sur la légalité d’un acte administratif si la solution du litige porté devant elle en dépend (CE, Sect., 1er juill. 1955, Caisse de compensation de l’Organic, requête numéro 23733, Rec., p. 381).
On doit cependant réserver ici l’hypothèse de l’article L. 113-1 du code de justice administrative relatif à l’avis sur une question de droit. Théoriquement limitée aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel, cette faculté peut également être reconnue par la loi à certaines juridictions administratives spécialisées. C’est ainsi que la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale et les tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale peuvent faire application de l’article L. 113-1 du code de justice administrative (CASF, art. L. 351-7).
La décision de transmettre l’affaire au Conseil d’Etat est insusceptible de recours (CJA, art. L. 113-1). Elle ne doit intervenir qu’à la condition que la solution du litige dépende de la résolution d’une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Cette question peut résulter, par exemple, du désaccord manifesté par des arrêts de deux cours administratives d’appel (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 26 février 2003, Courson, requête numéro 251172, Rec., T., p. 950). En revanche, le doute d’une juridiction quant à la question de savoir si un moyen doit être soulevé d’office ou si, dans certaines situations, il est possible de procéder à une substitution de base légale ne sont pas des questions nouvelles au sens de l’article L. 113-1 du code de justice administrative (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 5 juillet 2013, Houeto, requête numéro 367908, Rec., T., p. 794). Toutes les fois où la demande d’avis est recevable, le Conseil d’Etat doit examiner la question posée dans un délai de trois mois durant lesquels il est sursis à statuer.
-Le renvoi préjudiciel au juge de l’Union européenne. Le juge administratif est conduit à faire application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne lorsqu’il est confronté à une difficulté sérieuse relative à l’interprétation d’un acte de droit de l’Union européenne ou à l’appréciation de sa validité. Dans ce cas, il lui appartient de surseoir à statuer et d’adresser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Plus exactement, il s’agit d’une faculté pour les juridictions inférieures, l’obligation ne pesant que sur le Conseil d’Etat, étant rappelé :
– que cette obligation s’efface en cas d’acte clair, hypothèse qui, en dépit des apparences, consiste bien en une forme de collaboration avec la Cour de justice (en ce sens, J. Sirinelli, Les transformations du droit administratif par le droit de l’Union européenne. Une contribution à l’étude du droit administratif européen, Paris, LGDJ, 2011) ;
– que la question préjudicielle peut être retirée dès lors que le requérant se désiste de l’instance et que la question posée n’est par conséquent plus nécessaire à la résolution du litige (Conseil d´Etat, 9ème et 10ème SSR, 16 mars 2016, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, requête numéro 369417 , Rec., T.) ;
– qu’il est encore possible au juge de se contenter de surseoir à statuer sans renvoyer la question à la juridiction de l’Union européenne lorsque la question a déjà été posée par une autre juridiction et qu’elle est en cours d’instruction (Conseil d´Etat, 6ème et 1ère SSR, 1er octobre 2015, Société Melitta France et a., requête numéro 373018, Rec., T.).
-Les questions préjudicielles au juge civil. La juridiction administrative doit encore saisir le juge civil de certaines questions préjudicielles, hors l’hypothèse où il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal (Conseil d´Etat, Section, 23 mars 2012,Fédération Sud Santé sociaux, requête numéro 331805, Rec., p. 102 ; RFDA 2012, p. 429, concl. C. Landais ; AJDA 2012, p. 1583, note E. Marc ; Dr. adm. 2012, comm. 56, note F. Melleray). Tel est le cas lorsque la question échappe, par nature, à la compétence de la juridiction administrative tout en étant indispensable à la résolution du litige. Il en va ainsi de l’état des personnes et notamment des questions de nationalité dont l’article 29 du code civil dispose qu’ils sont de la compétence de la seule juridiction civile (CE, Ass., 4 févr. 1966, Godek, requête numéro 58080, Rec., p. 79, concl. J. Fournier), ou de l’existence d’une servitude de droit privé, cette question touchant à l’existence d’un droit de propriété (CE, Sect., 16 nov. 1960, Commune du Bugue, requête numéro 44537, Rec., p. 627 ; AJDA 1960, I, p. 184, chron. J.-M. Galabert et M. Gentot ; D. 1961, p. 173, concl. J.-F. Henry). Lorsque le juge administratif est confronté à cette difficulté, il doit surseoir à statuer jusqu’à l’intervention du juge civil. Classiquement, c’était à la partie la plus diligente qu’il appartenait de saisir l’autre ordre de juridiction, le juge administratif n’adressant pas directement la question. Le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles a heureusement modernisé la procédure et c’est depuis au juge administratif de transmettre la question à la juridiction judiciaire compétente (CJA, art. R. 771-2).
3. L’inscription de faux
-L’article R. 633-1 du code de justice administrative. Formellement organisée aux articles 303 et suivants du code de procédure civile, la procédure d’inscription de faux est spécifiquement destinée à contester l’origine et la sincérité des actes authentiques. Elle peut avoir lieu à titre principal ou à titre incident. Le juge de droit commun de l’inscription de faux étant le tribunal de grande instance, l’inscription de faux devant le juge administratif ne peut avoir lieu qu’à titre incident. C’est ainsi que l’article R. 633-1 du code de justice administrative dispose que, si une demande d’inscription de faux est adressée au juge contre une pièce produite, celui-ci doit inviter la partie qui l’a produite à indiquer, dans un délai déterminé, si elle entend s’en servir. Dans la négative, ou dans le silence de l’intéressé, la pièce est rejetée. Dans l’affirmative, la juridiction doit surseoir à statuer sur l’instance principale jusqu’après le jugement du faux rendu par le tribunal compétent, sauf à ce que la solution du litige principal ne dépende pas de la pièce arguée de faux.
-Une disposition largement neutralisée. Dans un premier temps de sa jurisprudence, le Conseil d’Etat admettait largement la procédure d’inscription de faux contre les actes administratifs (par ex., CE, 23 juin 1902, Olive, requête numéro 5127, Rec., 465 ; CE, 7 sept. 1945, Horrie, Rec., p. 186 ; CE, 26 févr. 1947, Jammes, requête numéro 85784, Rec., p. 82). La difficulté devait cependant survenir : en principe, l’inscription de faux doit indéniablement trouver à être mise en œuvre fréquemment devant les juridictions administratives, étant acquis que « les actes en forme administrative passés par les autorités publiques agissant dans le cadre de leur compétence » répondent à la définition des actes authentiques telle qu’elle découle de l’article 1369 du code civil (CE, avis, Section de l’Intérieur, 26 juin 1975, GACE, 1ère éd., 1997, T., p. 444). Et c’est certainement ce qui a pu poser une difficulté au Conseil d’Etat dès lors que toute contestation sur une pièce produite pouvait conduire au sursis à statuer. Mais, officiellement, l’objection du Conseil d’Etat s’est cristallisée sur une autre considération. Selon lui, la reconnaissance de la compétence du tribunal de grande instance pour connaître de l’authenticité des actes administratifs produits aux débats achoppe sur le principe des autorités administratives et judiciaires. Pour cette raison, la Haute assemblée refuse en principe d’appliquer l’article R. 633-1 du code de justice administrative aux décisions juridictionnelles de l’ordre administratif (CE, Ass., 4 mars 1955, Athias, requête numéro 22819 bis, Rec., p. 129 ; RDP 1955, p. 745, concl. A. Jacomet), aux décisions prises par l’administration active (CE, 13 janv. 1954, Syndicat des pharmaciens du Gard, requête numéro 99320, Rec., p. 25 ; CE, Sect., 1er avr. 1955, Delarue, requête numéro 6051, Rec., p. 195 ; RDP 1955, p. 986, note M. Waline), aux contrats administratifs (Conseil d´Etat, 6ème et 10ème SSR, 2 février 1990, Weber, requête numéro 75541, Rec., T., p. 875), et même aux mentions apposées sur les documents postaux attestant l’acheminement des actes s’inscrivant dans une procédure juridictionnelle (Conseil d´Etat, Section, 30 novembre 2007, Pucci, requête numéro 266500, Rec., p. 462 ; RFDA 2008, p. 504, concl. C. Landais ; RJEP 2008, n° 650, p. 24, concl. C. Landais ; Dr. adm. 2008, n° 2, p. 36, note F. Melleray). Les mentions contenues dans ces actes ne font plus que foi jusqu’à preuve du contraire, dans le silence de la loi. Certains actes n’échappent cependant pas à la procédure d’inscription de faux. Il s’agit évidemment, en premier lieu, des actes de droit privé (CE, 22 févr. 1967, SARL X, requêtes numéros 63620 et 69075, Rec., p. IX). Il s’agit, en second lieu, des actes dont le législateur prévoit expressément qu’ils font foi jusqu’à inscription de faux comme, par exemple, les procès-verbaux établis conjointement par deux agents des douanes, des constatations matérielles qu’ils relatent (C. des douanes, art. 336).
L’équivalence du contrôle substitué. La neutralisation de l’article R. 633-1 du code de justice administrative – hypothèse statistiquement de très loin la plus fréquente – pourrait laisser croire en un affaiblissement du contrôle opéré par le juge administratif. Il n’en est rien. Celui-ci, en réalité, témoigne d’une rigueur équivalente à celle dont fait preuve le juge civil en matière d’inscription de faux (en ce sens, déjà à cette époque : P. Landron, concl. sur CE, Sect., 20 sept. 1955, Leroux, RDPA 1956, p. 84). Par exemple, la présomption de faux résultant de la comparaison d’écritures doit résulter d’une « différence significative » (CAA Nancy, 5 novembre 1998, SARL B.E.T.M, requête numéro 95NC00824). En outre, rien ne s’oppose à ce que le juge administratif ordonne une vérification d’écritures sur le fondement de l’article R. 624-1 du code de justice administrative.
4. La saisine du Tribunal des conflits
-Les difficultés de compétence entre les deux ordres de juridiction. En application de l’article 45 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, « les difficultés de compétence entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire sont réglées par le Tribunal des conflits conformément aux dispositions de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits et du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 » (CJA, art. R. 771-1). Les hypothèses de prévention de conflit négatif sont les seules qui, ici doivent retenir l’attention (pour les autres cas d’élévation du conflit, supra) : soit la juridiction administrative est saisie en première intention et estime que se pose une question sérieuse mettant en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, soit la juridiction est saisie à la suite d’une décision d’incompétence d’une juridiction judiciaire. Dans les deux cas, la juridiction administrative peut renvoyer cette question, par une décision motivée, au Tribunal des conflits afin qu’il statue sur la compétence (décret du 27 février 2015, art. 32 et 35). Le Tribunal des conflits détermine l’ordre de juridiction compétent et déclare nuls et non avenus les jugements et actes de procédure pris par la ou les juridictions de l’ordre incompétent (décret du 27 février 2015, art. 34). Le Tribunal des conflits se prononce dans les deux cas dans un délai de trois mois, lequel pourra être porté à cinq mois, en cas de nécessité ou en cas de réouverture des débats et de renvoi (décret du 27 février 2015, art. 36).
B. Le non-lieu en l’état
-Il faudra attendre… Le non-lieu en l’état ne doit pas être confondu avec le non-lieu pur et simple. La juridiction prononçant un non-lieu en l’état ne fait qu’exprimer le fait que, en l’état de l’instruction, il ne lui est pas possible de poursuivre l’instance. Mais une fois la difficulté surmontée – si tant est qu’elle puisse l’être – l’instance pourra reprendre son cours et l’affaire être jugée. Il en va ainsi des cas de reprises d’instance et de constitutions de nouvel avocat (1), auxquels s’ajoutent ceux, encore plus rares, des dossiers adirés (2).
1. Les reprises d’instance et constitutions de nouvel avocat
-L’article R. 634-1 du code de justice administrative. On peut s’en satisfaire, les cas de figure ne sont pas fréquents, mais l’article R. 634-1 du code de justice administrative dispose que dans les affaires qui ne sont pas en état d’être jugées, la notification du décès de l’une des parties ou le décès, la démission, l’interdiction d’exercer ou la destitution de l’avocat de l’une d’elles ont pour effet de suspendre la procédure jusqu’à la mise en demeure de reprendre l’instance ou de constituer avocat. Deux hypothèses doivent donc ici être distinguées : la reprise d’instance (a) et la constitution de nouvel avocat (b).
a. la reprise d’instance
-La disparition d’une des parties. Le décès d’une personne physique n’entraine le non-lieu pur et simple que pour autant que l’extinction du requérant entraine l’extinction de l’action, c’est-à-dire lorsque l’action a un caractère personnel. Tel est le cas, par exemple, dans le contentieux des poursuites (Conseil d´Etat, 6ème sous section, 24 février 1989, Secrétaire d´Etat à la Mer c. Alix, requête numéro 92525, Rec., p. 677) ou en matière électorale (Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 26 juin 1996, Elections municipales d´Anse, requête numéro 172002, Rec., p. 250). Dans un certain nombre de cas en revanche, le recours conserve son objet et le juge ne saurait aller au-delà du prononcé d’un non-lieu en l’état (CE, 22 nov. 1967, Balin, requête numéro 70581, Rec., T., p. 894). Contrairement à la disparition des personnes physiques, la disparition d’une personne morale peut procéder de plusieurs causes, lesquelles influent, le cas échéant, sur le sort à réserver à l’instance. Lorsque la disparition de la personne morale procède d’une dissolution forcée, les règles applicables aux personnes physiques s’appliquent également (CAA Lyon, 14 nov. 2002, SARL Hôtel de Paris, requête numéro 00LY01187, Rec., p. 882). Il en va différemment s’agissant des dissolutions volontaires, lesquelles ne conduisent jamais au non-lieu en l’état (CE, Sect., 6 mai 1970, SCI Résidence « Reine Mathilde », requête numéro 72946, Rec., p. 308, concl. G. Guillaume ; RDP 1971, p. 232, note M. Waline).
-L’information de la juridiction. Suivant l’article R. 634-1 du code de justice administrative, la disparition de l’une des parties ne suffit pas. Il est encore nécessaire que le décès ou la dissolution soient notifiés à la juridiction. La formulation du code ne rend pas parfaitement compte de la jurisprudence, laquelle se montre moins exigeante que le texte. Ainsi suffit-il que la juridiction ait été informée du décès de la partie, par le défendeur (CE, 29 déc. 2006, Szames, requête numéro 273546), ou par les services postaux (CE, 17 janv. 2007, Ministre de la défense, requête numéro 261274).
Le cas des affaires en état d’être jugées. Sauf en ce qui concerne les pourvois en cassation (Conseil d´Etat, 9ème et 10ème SSR,Ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat c. M. Bouzioux, requête numéro 356022, Rec., T., p. 803), il ne saurait y avoir de poursuite de l’instance en cas de disparition d’une des parties, lorsque le défendeur n’a pas produit de mémoire en défense (Conseil d´Etat, 3ème et 11ème SSR, 19 juin 1968, Berthollet, requête numéro 67345, Rec., T., p. 1060) ou que le demandeur n’a pas eu le temps de répliquer (CAA Lyon, 19 nov. 1998, Saddier, requête numéro 95LY02264, Rec., T., p. 1105). Peu importe que l’affaire puisse, le cas échéant, être tranchée au bénéfice d’un moyen d’ordre public (TA Rennes, 7 févr. 1996, Jannet, requête numéro 91275, Rec., T., p. 1096). Dans tous les cas, le jugement de l’affaire ne peut intervenir au mépris du principe de la contradiction. Il n’y a en revanche pas matière à non-lieu en l’état lorsque le juge est suffisamment éclairé. La reprise de l’instance n’apporterait rien de plus. Dans ces conditions, la clôture de l’instruction et le règlement du litige peuvent intervenir (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 17 janvier 2011, Commune de Massels, requête numéro 334156) sauf à ce que la reprise d’instance s’accompagne d’un désistement pur et simple (CE, 30 mars 1966, Sieur Casati, requête numéro 57218, Rec., p. 256).
-La durée de la suspension de l’instance. La durée de la suspension est indéterminée et peut être infinie. En effet, il est nécessaire qu’une reprise d’instance intervienne. Deux cas de figure sont possibles ici. Soit les ayants droit, de leur propre initiative, décident de reprendre l’instance. Soit une mise en demeure leur est adressée par la juridiction ou l’autre partie. En pratique cependant, la mise en demeure semble devoir être essentiellement l’affaire des parties (CE, 13 janv. 2003, Ministre de l’Emploi et de Solidarité c. Mme Chalvidal, requête numéro 244844, Rec., T., p. 938).
b. la constitution de nouvel avocat
-Le changement de mandataire subi. Parce qu’il peut décéder, démissionner, être interdit d’exercice de la profession, ou encore être radié du barreau, un avocat peut ne plus être en mesure de défendre les intérêts de son client en cours d’instance. Pour l’essentiel, les règles applicables ici sont les mêmes que celles présidant à la reprise d’instance, à cette nuance près que la suspension de la procédure ne dépend pas ici de la notification de l’évènement à la juridiction (CJA, art. R. 634-1).
-La question du changement voulu de mandataire. Le code de justice administrative reste incertain quant à la question de savoir si un changement d’avocat opéré en cours d’instance par le mandant est de nature à en interrompre le cours. La jurisprudence est étonnamment silencieuse sur cette question. Certains auteurs inclinent à dénier cet effet à un tel évènement (L. Boré, « La suspension de l’instance devant le juge administratif », Dr. adm. 2005, n°11, étude 17). Cette position repose sur des arguments convaincants, notamment celui tiré de ce que des considérations d’opportunité conduisent à exclure ce genre de comportement dilatoire. Mais c’est toutefois oublier qu’il est possible pour une partie de se défier, pour de bonnes raisons, de son avocat et le bon sens commande parfois de ne pas forcer le maintien d’un lien de confiance qui se délite. Le code de justice administrative n’ignore d’ailleurs pas cette hypothèse, reconnaissant la faculté à une partie de désavouer les actes ou procédures faits en son nom par son mandataire (CJA, art. R. 635-1). En outre, l’article R. 634-2 du code de justice administrative dispose clairement que l’acte de révocation d’un avocat par la partie qu’il représentait, devant le Conseil d’Etat, reste sans effet pour la partie adverse s’il ne contient pas la constitution d’un autre avocat, en sorte que la procédure ne saurait être suspendue. A contrario, il serait permis d’en déduire que le pouvoir réglementaire reconnait la possibilité de suspendre l’instance jusqu’à la constitution d’un nouvel avocat.
2. Les dossiers adirés
-De l’intérêt pour chaque partie de conserver les pièces du dossier. Si, pour reprendre un mot fameux, « quand l’administration perd ses dossiers, elle perd ses procès » (M. Waline, note sous CE, 11 mai 1973, Sanglier, RDP 1973, p. 1747), quand la juridiction administrative perd un dossier, elle en retarde seulement le jugement. L’hypothèse n’est pas fréquente mais elle s’est déjà réalisée. La solution est simple quoique désagréable pour le requérant : le dossier doit être retrouvé ou reconstitué, au besoin avec le concours des parties (CE, 3 mars 1948, Mallet requête numéro 78247, Rec., p. 662), au moins sommairement (CE, 16 déc. 1959, Buza, requête numéro 45441, Rec., p. 1068). Mais lorsque les démarches entreprises restent infructueuses, le non-lieu en l’état est prononcé (Conseil d´Etat, 10ème sous section, 23 novembre 1994,Association culturelle arabe Al Ourwa Al Wouthka, requête numéro 54485), ce qui par ailleurs peut être de nature à engager la responsabilité de l’Etat (CE, Sect., 28 nov. 1958, Blondet, requête numéro 38638, Rec., p. 600 ; RDP 1959, p. 982, note M. Waline). Ceci rappelle néanmoins toute l’importance qu’il y a pour les parties de conserver des copies de l’ensemble des pièces qu’elles produisent à l’appui de leurs mémoires.
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