AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
L’Union des professionnels de la location touristique (UPLT) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du maire de Nice du 25 janvier 2021 portant interdiction pour les logements de particuliers proposant des hébergements payants temporaires de courtes à moyennes durées, d’accueillir, de recevoir, d’héberger des vacanciers, des touristes ou toute autre personne se déplaçant aux motifs de vacances, villégiatures, tourisme, visites dans la famille ou tout autre motif similaire durant la période du 6 au 20 février 2021. Par une ordonnance n° 2100601 du 8 février 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 14 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Nice demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance de l’UPLT ;
3°) de mettre à la charge de l’UPLT la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le juge des référés a admis à tort l’existence d’une situation d’urgence pour l’association requérante alors que, en premier lieu, l’absence de toute autre voie de recours permettant d’obtenir la suspension de l’arrêté du 25 janvier 2021 avant le 20 février prochain, date à laquelle l’interdiction prévue prend fin, n’est pas de nature à caractériser une situation d’urgence, en deuxième lieu, compte tenu du fait que le droit de propriété n’est pas une liberté fondamentale de l’association requérante elle-même mais de ses membres, cette dernière ne peut pas se prévaloir d’une atteinte grave et immédiate à cette liberté, en troisième lieu, elle ne peut pas non plus se prévaloir d’une atteinte à la liberté de commerce et d’industrie, laquelle est purement morale et théorique, en quatrième lieu, le délai entre la publication de l’arrêté litigieux et l’introduction du recours atteste de l’absence d’urgence ;
– l’ordonnance attaquée a considéré à tort qu’aucun intérêt public suffisant ne justifiait le maintien de l’arrêté contesté alors que, en premier lieu, l’ordonnance attaquée n’a pas procédé à une véritable analyse des intérêts en présence, en deuxième lieu, elle n’a pas tiré toutes les conséquences utiles du constat opéré sur l’existence d’une situation sanitaire très dégradée à Nice, en troisième lieu, elle ne pouvait se fonder sur les élément factuels énoncés dans son considérant 7 sans reconnaître l’urgence à ne pas suspendre l’arrêté ;
– le juge des référés a considéré à tort que l’arrêté litigieux a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, à la liberté de commerce et de l’industrie ;
– la gravité de l’atteinte n’est pas démontrée dès lors que, d’une part, le droit de propriété n’est pas celui de l’association requérante ni de ses membres, d’autre part, si la liberté de commerce et de l’industrie se rattache aux intérêts défendus par l’association, le préjudice qui découle de l’atteinte à cette liberté est essentiellement moral ;
– l’illégalité manifeste de l’atteinte à ces libertés n’est pas caractérisée dès lors que, en premier lieu, le juge des référés a entaché son raisonnement d’erreur de droit en considérant que le maire ne pouvait agir faute d’intervention du préfet et ce alors même que le maire est intervenu non en qualité d’autorité de police spéciale mais au titre de ses pouvoirs de police générale, en deuxième lieu, la mesure prise est nécessaire, adaptée et proportionnée en ce qu’elle prévoit certaines limitations temporelles et matérielles, en troisième lieu, l’ordonnance ne pouvait identifier une rupture d’égalité entre les locations de particuliers et les locations hôtelières dès lors que, d’une part, à supposer qu’elle existe, cette rupture d’égalité ne constitue pas, en elle-même, une atteinte aux libertés fondamentales invoquées et, d’autre part, il existe une différence objective entre les deux catégories de locations.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 et 14 février 2021, l’UPLT conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de la commune de Nice la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Le ministre de l’intérieur a présenté des observations, enregistrées le 13 février 2020. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la ministre de la transition écologique qui n’a pas produit d’observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la santé publique ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2021-152 du 12 février 2021 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la commune de Nice, et d’autre part, l’Union des professionnels de la location touristique (UPLT), le ministre de l’intérieur et la ministre de la transition écologique ;
Ont été entendus lors de l’audience publique du 15 février 2021, à 10 heures :
– Me Ricard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Nice ;
– le représentant de la commune de Nice ;
– Me Sebagh, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’UPLT ;
– les représentants de l’UPLT ;
à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .
2. Par un arrêté du 25 janvier 2021, le maire de Nice a interdit, pour les logements de particuliers, les hébergements payants temporaires de courtes à moyennes durées, destinés à accueillir des vacanciers, des touristes ou toute autre personne se déplaçant aux motifs de vacances, villégiatures, tourisme, visites dans la famille ou tout autre motif similaire, durant la période du 6 au 20 février 2021, afin de prévenir la propagation du virus covid-19. Le juge des référés du tribunal administratif de Nice, saisi par l’Union des professionnels de la location touristique (UPLT) sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l’exécution de cet arrêté par une ordonnance du 8 février 2021, dont la commune de Nice relève appel.
Sur le cadre juridique :
3. D’une part, aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 : » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code dispose que : » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes du I de l’article L. 3131-15 du même code : » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public (…), en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité (…) « . Ce même article précise à son III que les mesures ainsi prises » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu » et qu’il » y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires « .
4. Une nouvelle progression de l’épidémie de covid-19 sur le territoire national a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l’ensemble du territoire de la République. L’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié en dernier lieu par un décret du 13 février 2021.
5. D’autre part, aux termes de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : » Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale (…) « . Aux termes de l’article L. 2122-2 du même code : » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (…) ; 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure (…). » Par ailleurs, l’article L. 2215-1 du même code dispose que le représentant de l’Etat dans le département » peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publique « , sous réserve, lorsque ce droit est exercé à l’égard d’une seule commune, d’une mise en demeure préalable restée sans résultat et qu’il est » seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune et peut se substituer au maire. »
6. Par les dispositions citées au point 3, le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du code de la santé publique la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation.
7. Les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat.
Sur la demande en référé :
En ce qui concerne la condition tenant à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
8. La commune de Nice soutient que le maire a pris l’arrêté contesté au titre son pouvoir de police générale aux fins de renforcer l’efficacité de la lutte contre l’épidémie de covid-19 compte tenu de la situation sanitaire particulièrement dégradée sur le territoire de la ville. Elle fait notamment valoir que, durant la période du 18 au 24 janvier 2021, la situation du département des Alpes-Maritimes était plus défavorable que la situation nationale, notamment en termes de taux de » positivité » de la maladie (9,1% par rapport à la moyenne nationale de 6,7%), de présence du virus dans les eaux usées, de nombre de clusters et de présence de variants. Elle souligne également la proportion importante de personnes de plus de 75 ans et la saturation des hôpitaux de la ville.
9. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction qu’il existerait un risque d’afflux significatif de touristes à Nice dans la période couverte par l’arrêté en litige, compte tenu notamment de la saison hivernale et du report des festivités liées aux carnavals. Il n’en résulte pas non plus que l’interdiction des locations touristiques serait susceptible d’avoir un impact notable sur la propagation du virus. En outre, en se bornant, pour l’essentiel, à faire valoir qu’une grande partie des hôtels est fermée et que la contenance des chambres de ceux-ci est moins importante que celle des logements touristiques, la commune ne justifie pas la différence de traitement entre les locations et les hôtels, dont l’ouverture demeure autorisée. Enfin, la commune ne justifie pas davantage que les spécificités de la situation sanitaire sur son territoire nécessiteraient l’interdiction des locations touristiques, alors, au demeurant, qu’une telle mesure n’a été jugée appropriée ni par le préfet des Alpes-Maritimes, ni par les maires des communes voisines. Dans ces conditions, la commune ne démontre pas l’existence de raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à la ville de Nice rendant indispensable l’édiction de l’arrêté du 25 janvier 2021. Il suit de là que cet arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l’industrie.
En ce qui concerne la condition d’urgence :
10. Il résulte de l’instruction que l’interdiction édictée par l’arrêté contesté porte une atteinte grave et immédiate au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l’industrie des professionnels représentés par l’UPLT, dont l’activité porte sur les locations saisonnières sur le territoire de la commune de Nice. En outre, il n’apparaît pas, notamment pour les motifs exposés au point 9, qu’un intérêt public suffisant s’attache au maintien de cet arrêté. La condition d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est, par suite, également remplie.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Nice n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l’exécution de l’arrêté du 25 janvier 2021. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Nice le versement à l’UPLT d’une somme de 3 000 euros au titre du même article.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la commune de Nice est rejetée.
Article 2 : La commune de Nice versera à l’Union des professionnels de la location touristique une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Nice et à l’Union des professionnels de la location touristique.
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur et à la ministre de la transition écologique.