REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°), sous le n° 296845, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 août et 21 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, dont le siège est 22, rue de Londres à Paris (75009), la CONFERENCE DES BATONNIERS DE FRANCE ET D’OUTRE-MER, dont le siège est 12, place Dauphine à Paris (75001), l’ORDRE DES AVOCATS AU CONSEIL D’ETAT ET A LA COUR DE CASSATION, dont le siège est 5, quai de l’Horloge à Paris (75001) et l’ORDRE DES AVOCATS DE PARIS, dont le siège est 11, place Dauphine à Paris (75001) ; le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX et autres demandent au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir trois dispositions du décret du 26 juin 2006 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et modifiant le code monétaire et financier, codifiées aux articles R. 562-2, R. 563-3 et R. 563-4 de ce même code ;
Vu 2°), sous le n° 296907, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 28 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le CONSEIL DES BARREAUX EUROPEENS, dont le siège est 1-5, avenue de la Joyeuse Entrée à Bruxelles (1040), Belgique ; le CONSEIL DES BARREAUX EUROPEENS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir deux dispositions du décret du 26 juin 2006 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et modifiant le code monétaire et financier, codifiées aux articles R. 562-2 et R. 563-4 de ce même code ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le Traité sur l’Union européenne ;
Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la directive 91/308/CEE du 10 juin 1991 modifiée par la directive 2001/97/CE du 4 décembre 2001 ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu l’arrêt du 15 octobre 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes, Limburgs Vinyl Maatschappig ;
Vu l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophones et autres ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Auditeur,
– les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat du CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX et autres et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat du CONSEIL DES BARREAUX EUROPEENS,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes présentées, d’une part, sous le n° 296845, par le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, la CONFERENCE DES BATONNIERS DE FRANCE ET D’OUTRE-MER, l’ORDRE DES AVOCATS AU CONSEIL D’ETAT ET A LA COUR DE CASSATION et l’ORDRE DES AVOCATS DE PARIS et, d’autre part, sous le n° 296907, par le CONSEIL DES BARREAUX EUROPEENS, sont dirigées contre le même décret ; qu’il y a lieu de les joindre pour qu’il soit statué par une seule décision ;
Sur l’intervention de la Chambre nationale des avoués près les cours d’appel au soutien de la requête n° 296845 :
Considérant que la Chambre nationale des avoués près les cours d’appel a intérêt à l’annulation du décret attaqué ; qu’ainsi, son intervention est recevable ;
Sur les textes applicables :
Considérant que la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001 a modifié la directive 91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux afin, notamment, d’étendre les obligations qu’elle édicte en matière d’identification des clients, de conservation des enregistrements et de déclaration des transactions suspectes à certaines activités et professions ; qu’elle a inclus dans son champ d’application les notaires et les membres des professions juridiques indépendantes lorsqu’ils participent à certaines transactions ; qu’à cette fin, elle a introduit dans la directive du 10 juin 1991 un article 2bis, aux termes duquel les Etats membres veillent à ce que les obligations prévues par la présente directive soient imposées aux établissements suivants : (…) 5° notaires et autres membres de professions juridiques indépendantes lorsqu’ils participent, a) en assistant leur client dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant : i) l’achat et la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales ; ii) la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs, appartenant au client ; iii) l’ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou d’épargne ou de portefeuilles ; iv) l’organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés ; v) la constitution, la gestion ou la direction de fiducies, de sociétés ou de structures similaires ; b) ou en agissant au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute transaction financière ou immobilière ; qu’aux termes de l’article 6 de la directive, dans sa nouvelle rédaction : 1. Les Etats membres veillent à ce que les établissements et les personnes relevant de la présente directive, ainsi que leurs dirigeants et employés, coopèrent pleinement avec les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux : a) en informant, de leur propre initiative, ces autorités de tout fait qui pourrait être l’indice d’un blanchiment de capitaux ; b) en fournissant à ces autorités, à leur demande, toutes les informations nécessaires conformément aux procédures prévues par la législation applicable (…) ; 3. (…) Les Etats membres ne sont pas tenus d’imposer les obligations prévues au paragraphe I aux notaires, aux membres des professions juridiques indépendantes, aux commissaires aux comptes, aux experts-comptables externes et aux conseillers fiscaux pour ce qui concerne les informations reçues d’un de leurs clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure ; enfin, qu’aux termes du considérant n° 17 de la directive : (…) Il y a lieu d’exonérer de toute obligation de déclaration les informations obtenues avant, pendant et après une procédure judiciaire ou lors de l’évaluation de la situation juridique d’un client. Par conséquent, la consultation juridique demeure soumise à l’obligation de secret professionnel, sauf si le conseiller juridique prend part à des activités de blanchiment de capitaux, si la consultation juridique est fournie aux fins du blanchiment de capitaux ou si l’avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins du blanchiment de capitaux ;
Considérant que la loi du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques, avait notamment pour objet de transposer la directive du 4 décembre 2001 ; que les dispositions contestées du décret du 26 juin 2006 ont pour objet de préciser les conditions dans lesquelles doivent satisfaire aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux les membres des professions que la directive du 4 décembre 2001 et la loi du 11 février 2004 prise pour sa transposition ont incluses dans le champ d’application du dispositif ;
Sur le cadre juridique du litige :
Considérant que les requérants soutiennent que la directive du 4 décembre 2001 et la loi du 11 février 2004 prise pour sa transposition méconnaîtraient les articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que des principes généraux du droit communautaire ;
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte tant de l’article 6 § 2 du Traité sur l’Union européenne que de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, notamment de son arrêt du 15 octobre 2002, que, dans l’ordre juridique communautaire, les droits fondamentaux garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont protégés en tant que principes généraux du droit communautaire ; qu’il appartient en conséquence au juge administratif, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance par une directive des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de rechercher si la directive est compatible avec les droits fondamentaux garantis par ces stipulations ; qu’il lui revient, en l’absence de difficulté sérieuse, d’écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ;
Considérant, en second lieu, que lorsque est invoqué devant le juge administratif un moyen tiré de ce qu’une loi transposant une directive serait elle-même incompatible avec un droit fondamental garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et protégé en tant que principe général du droit communautaire, il appartient au juge administratif de s’assurer d’abord que la loi procède à une exacte transposition des dispositions de la directive ; que si tel est le cas, le moyen tiré de la méconnaissance de ce droit fondamental par la loi de transposition ne peut être apprécié que selon la procédure de contrôle de la directive elle-même décrite ci-dessus ;
Sur les moyens mettant en cause la validité de la directive du 4 décembre 2001 :
Considérant qu’il résulte de l’interprétation de la directive du 4 décembre 2001 qui a été donnée par l’arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophones et autres , de la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par la Cour d’arbitrage de Belgique, que les dispositions de son article 6 qui, ainsi qu’il a été dit, permettent, dans certains cas, aux Etats membres de ne pas imposer aux avocats les obligations d’information et de coopération qu’il prévoit, doivent être regardées, à la lumière du considérant n° 17 de la directive, et afin de donner une interprétation du texte compatible avec les droits fondamentaux garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, comme excluant que de telles obligations puissent, dans les cas ainsi mentionnés, leur être imposées ;
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de ce qu’a jugé la Cour de justice des Communautés européennes que la directive, ainsi interprétée, ne méconnaît pas les exigences liées au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors qu’elle impose que soient exclues du champ des obligations d’information et de coopération les informations reçues ou obtenues par les avocats à l’occasion de leurs activités juridictionnelles ;
Considérant, en deuxième lieu, que si la Cour de justice des Communautés européennes, qui n’était saisie que de la question de la validité de la directive au regard de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne s’est pas explicitement prononcée en ce qui concerne les informations reçues ou obtenues par un avocat lors de l’évaluation de la situation juridique d’un client, il résulte de l’interprétation qu’elle a donnée de la directive que celles-ci doivent également, à la lumière du considérant n° 17, être exclues du champ des obligations d’information et de coopération à l’égard d’autorités publiques, sous les seules réserves des cas où le conseiller juridique prend part à des activités de blanchiment de capitaux, où la consultation juridique est fournie à des fins de blanchiment de capitaux et où l’avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment de capitaux ; que dans ces conditions, et eu égard à l’intérêt général qui s’attache à la lutte contre le blanchiment des capitaux, doit être écarté le moyen tiré de ce que la directive, ainsi interprétée en ce qu’elle concerne les activités d’évaluation par les avocats de la situation juridique de leur client, porterait une atteinte excessive au droit fondamental du secret professionnel protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel prévoit qu’il peut y avoir ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, notamment lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales ;
Considérant enfin que le moyen tiré de ce que la directive laisserait aux Etats membres le soin de déterminer eux-mêmes le niveau de protection à assurer aux informations détenues par les avocats ne peut, compte tenu de l’interprétation qu’il convient de donner à ce texte, qu’être écarté ; que la circonstance que la directive ne définit pas la notion de procédure judiciaire ne saurait être regardée comme entraînant une méconnaissance du principe de sécurité juridique, dès lors que la directive a eu recours, comme il lui appartenait de le faire, à une notion susceptible de s’appliquer aux différents systèmes juridiques des Etats membres ; qu’enfin, les requérants ne sauraient utilement invoquer la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle est dépourvue, en l’état applicable du droit, de force juridique ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle, que les moyens mettant en cause la validité de la directive du 4 décembre 2001 ne peuvent qu’être écartés ;
Sur les moyens relatifs à la loi du 11 février 2004 :
Considérant, en premier lieu, que la loi du 11 février 2004 a introduit dans le code monétaire et financier un article L. 562-2-1 relatif aux modalités d’application de l’obligation de déclaration de soupçon aux personnes mentionnées au 12 de l’article L. 562-1, c’est-à-dire aux notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ainsi qu’aux avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, aux avocats et aux avoués près les cours d’appel ; qu’aux termes de l’article L. 562-2-1, ces personnes sont tenues de procéder à la déclaration de soupçon prévue à l’article L. 562-2 lorsque, dans le cadre de leur activité professionnelle, elles réalisent au nom et pour le compte de leur client toute transaction financière ou immobilière ou lorsqu’elles participent en assistant leur client à la préparation ou à la réalisation des transactions concernant : 1° L’achat et la vente de biens immeubles ou de fonds de commerce ; 2° La gestion de fonds, titres ou autres actifs appartenant au client ; 3° L’ouverture de comptes bancaires, d’épargne ou de titres ; 4° L’organisation des apports nécessaires à la création de sociétés ; 5° La constitution, la gestion ou la direction des sociétés ; 6° La constitution, la gestion ou la direction de fiducies de droit étranger ou de toute autre structure similaire ; que, toutefois, aux termes du même article, ces personnes ne sont pas tenues de procéder à la déclaration de soupçon lorsque les informations ont été reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur l’un d’eux, soit dans le cadre d’une consultation juridique sauf si celle-ci est fournie aux fins de blanchiment de capitaux ou si ces personnes y procèdent en sachant que leur client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment de capitaux, soit dans l’exercice de leur activité dans l’intérêt de ce client lorsque cette activité se rattache à une procédure juridictionnelle, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une telle procédure ; qu’enfin, l’article L. 562-2 prévoit que la déclaration de soupçon, par dérogation au régime de droit commun, est communiquée par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, l’avocat ou l’avoué près la cour d’appel, selon le cas, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit ou au président de la compagnie dont relève l’avoué, à charge pour ces autorités de transmettre à la cellule dite TRACFIN la déclaration qui leur a été remise, sauf si elles considèrent qu’il n’existe pas de soupçon de blanchiment de capitaux ; qu’en tous ces points, la loi du 11 février 2004 a fait une exacte transposition des dispositions de la directive du 4 décembre 2001 ;
Considérant, en second lieu, que pour définir le champ d’application du chapitre III du titre VI du livre V du code monétaire et financier relatif aux obligations de vigilance, la loi renvoie aux personnes mentionnées à l’article L. 562-1 du même code ; que les dispositions du 12 de cet article font mention des notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ainsi que des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, des avocats et des avoués près les cours d’appel, dans les conditions prévues à l’article L. 562-2-1 ; qu’il résulte de la combinaison de l’ensemble des dispositions législatives applicables que les personnes mentionnées au 12 de l’article L. 562-1 ne sont soumises aux obligations de vigilance prévues au chapitre III que dans les limites et conditions posées à l’article L. 562-2-1 rappelées ci-dessus, qui réservent les seuls cas où la personne concernée prend part à des activités de blanchiment de capitaux, où la consultation juridique est fournie aux fins de blanchiment de capitaux et où la personne qui y procède sait que son client souhaite obtenir des conseils à cette fin ; que, dans ces conditions, la loi a procédé, s’agissant des obligations de vigilance, à une exacte transposition des dispositions de la directive ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que la loi du 11 février 2004 serait incompatible avec les droits fondamentaux garantis par les stipulations des articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu’être écartés ;
Sur les moyens dirigés contre le décret du 26 juin 2006 :
En ce qui concerne l’article R. 562-2 du code monétaire et financier :
Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article R. 562-2 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue du décret attaqué : Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 562-2-2, les commissaires aux comptes, les notaires, les huissiers de justice, les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, les avocats et les avoués près les cours d’appel et les commissaires-priseurs judiciaires sont chargés, à titre individuel, de répondre aux demandes de la cellule TRACFIN et de recevoir les accusés de réception, quelles que soient les modalités de leur exercice professionnel ; que, toutefois, il résulte des dispositions de l’article L. 562-1 telles qu’interprétées ci-dessus que les personnes mentionnées au 12 de cet article ne sont soumises aux obligations de déclaration de soupçon et aux autres obligations de vigilance que dans les conditions posées aux huitième et neuvième alinéas de l’article L. 562-2-1, qui prévoient, pour la communication entre les intéressés et la cellule TRACFIN, un dispositif de filtre, selon les cas, du président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, du bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit ou du président de la compagnie dont relève l’avoué ; qu’il en résulte que les requérants sont fondés à soutenir qu’en imposant une relation directe entre les intéressés et la cellule TRACFIN dans les cas où ils répondent aux demandes de cette dernière, le décret attaqué a méconnu les dispositions de la loi et doit, dans cette mesure, être annulé ;
En ce qui concerne l’article R. 563-3 du code monétaire et financier :
Considérant qu’en vertu de l’article R. 563-3 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue du décret attaqué, il appartient aux organismes financiers et aux personnes mentionnés à l’article L. 562-1 d’adopter des procédures internes destinées à mettre en oeuvre les obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, ainsi qu’un dispositif de contrôle interne destiné à assurer le respect des procédures ; que si le deuxième alinéa du même article prévoit que ces procédures sont définies le cas échéant soit par arrêté du ministre compétent, soit par des règlements professionnels homologués par le ministre compétent, soit par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers , ces dispositions n’ont eu pour objet et ne pouvaient avoir légalement pour effet que de soumettre l’adoption des procédures en cause aux règles définies par les dispositions législatives qui déterminent l’organisation générale de la profession concernée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l’article R. 563-3 donnerait compétence au ministre pour homologuer les procédures internes dont doivent se doter les avocats en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme doit être écarté ;
En ce qui concerne l’article R. 563-4 du code monétaire et financier :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 563-4 du code monétaire et financier : Les personnes mentionnées au 12 de l’article L. 562-1 n’appliquent les dispositions du présent chapitre que lorsque, dans le cadre de leur activité non juridictionnelle, elles réalisent au nom et pour le compte de leur client toute transaction financière ou immobilière ou lorsqu’elles participent en assistant leur client à la préparation ou à la réalisation des transactions concernant : 1° L’achat et la vente de biens immeubles ou de fonds de commerce ; 2° La gestion de fonds, titres ou autres actifs appartenant au client ; 3° L’ouverture de comptes bancaires, d’épargne ou de titres ; 4° L’organisation des apports nécessaires à la création de sociétés ; 5° La constitution, la gestion ou la direction de sociétés ; 6° La constitution, la gestion ou la direction de fiducies de droit étranger ou de toute autre structure similaire ;
Considérant que les requérants soutiennent qu’en s’abstenant de prévoir une dérogation aux obligations fixées par le chapitre III, pour les personnes mentionnées au 12 de l’article L. 562-1, en ce qui concerne les informations qu’elles détiennent ou reçoivent dans le cadre d’une consultation juridique, et sous réserve des seuls cas où la personne concernée prend part à des activités de blanchiment de capitaux, où la consultation juridique est fournie aux fins de blanchiment de capitaux et où la personne qui y procède sait que son client souhaite obtenir des conseils à cette fin, l’article R. 563-4, introduit par le III de l’article 2 du décret attaqué, est entaché d’illégalité ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, la loi n’a soumis aux obligations de vigilance définies par le chapitre III les personnes visées au 12 de l’article L. 562-1 que dans les limites posées par l’article L. 562-2-1 citées ci-dessus ; qu’en se bornant à rappeler les dérogations propres aux procédures juridictionnelles, sans mentionner celles correspondant aux consultations juridiques, l’article R. 563-4 a méconnu le champ d’application de la loi ; que les requérants sont fondés à en demander, dans cette mesure, l’annulation ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par le Conseil des barreaux européens :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat le versement au Conseil des barreaux européens d’une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention de la Chambre nationale des avoués près les cours d’appel au soutien de la requête n° 296845 est admise.
Article 2 : L’article 1er du décret du 26 juin 2006 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et modifiant le code monétaire et financier est annulé en tant qu’il introduit, au troisième alinéa de l’article R. 562-2 du code monétaire et financier, des dispositions qui prévoient une relation directe entre les personnes mentionnées au 12 de l’article L. 562-1 et la cellule TRACFIN dans les cas où ces personnes répondent aux demandes de cette dernière.
Article 3 : Le III de l’article 2 du décret du 26 juin 2006 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et modifiant le code monétaire et financier, qui introduit un article R. 563-4 rappelant les obligations imposées par le chapitre III au personnes mentionnées au 12 de l’article L. 562-1, est annulé en tant qu’il n’a pas assorti ce rappel des réserves relatives aux informations que ces personnes détiennent ou reçoivent dans le cadre d’une consultation juridique.
Article 4 : L’Etat versera au Conseil des barreaux européens une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, à la CONFERENCE DES BATONNIERS DE FRANCE ET D’OUTRE-MER, à l’ORDRE DES AVOCATS AU CONSEIL D’ETAT ET A LA COUR DE CASSATION, à l’ORDRE DES AVOCATS DE PARIS, au CONSEIL DES BARREAUX EUROPEENS, à la Chambre nationale des avoués près les cours d’appel, au Premier ministre, au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Une copie en sera adressée au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et au ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.