Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 15 juillet 1987 et 16 novembre 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Fabrice X…, M. Stéphane X… et Mme Yvette X…, demeurant au lieu-dit « Les Piffandais », à Quevert (22100), pour Mme Marie Y…, demeurant 85, Hent Lesveen, à Fouesnant (29170), pour Mme Christèle Z…, Mlle Danièle Z…, Mme Marie-Françoise Z… et M. Régis Z…, demeurant …, pour Mme Brigitte A…, demeurant …, Mme Marie-Anne B…, agissant tant en son nom personnel qu’au nom de sa fille mineure, Aulde B…, Mme Sandrine B… et M. Stéphane B…, demeurant …, pour Mlle Nadine C… et Mlle Noëlla C…, demeurant …, pour Mlle Marcelle D…, demeurant à La Gouriais à Pleslin (Côtes d’Armor), pour Mlle Chantal E…, M. Christian E…, Mme Janine E… et Mlle Martine E… demeurant … à Ploaré-en-Douarnenez ; M. X… et autres demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement en date du 14 mai 1987 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que l’Etat soit déclaré responsable du préjudice qu’ils ont subi du fait du naufrage du navire « François F… » le 14 février 1979 au large de Vigo (Espagne) et à la condamnation de l’Etat à verser aux veuves 40 000 F au titre de préjudice moral et 500 000 F au titre du préjudice matériel pour chacune d’elles, aux orphelins majeurs 25 000 F au titre du préjudice moral, aux orphelins mineurs 25 000 F au titre du préjudice moral et 150 000 F au titre du préjudice matériel pour chacun d’eux, lesdites sommes étant augmentées des intérêts et des intérêts des intérêts ;
2°) de déclarer l’Etat responsable de leur préjudice et prononcer contre l’Etat les condamnations demandées, augmentées des intérêts et des intérêts capitalisés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 67-405 du 20 mai 1967 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer et l’habitabilité à bord des navires ;
Vu le décret n° 65-545 du 25 mai 1965 portant publication de la convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer du 17 juin 1960 ;
Vu le décret n° 70-660 du 8 juillet 1970 portant organisation des recherches et du sauvetage des personnes en détresse en mer en temps de paix ;
Vu le décret n° 78-272 du 9 mars 1978 relatif à l’organisation des actions de l’Etat en mer ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Derepas, Auditeur,
– les observations de la SCP Boré, Xavier, avocat de M. Fabrice X… et autres,
– les conclusions de M. Touvet, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requérants demandent à l’Etat réparation des préjudices moral et matériel subis par eux du fait du naufrage du navire « François F… » survenu le 14 février 1979 à proximité de Vigo, au large des côtes espagnoles, qui a entraîné la mort ou la disparition de 23 personnes ;
Sur le moyen tiré d’un manquement des autorités maritimes françaises à leurs obligations légales en matière de sauvegarde de la vie humaine en mer :
Considérant que la sauvegarde de la vie humaine en mer était régie au moment du naufrage par la convention de Londres du 17 juin 1960, dite convention SOLAS (Safety of life at sea), ratifiée par la France et publiée par le décret susvisé du 25 mai 1965 ; qu’aux termes de la règle 15 de cette convention : « Tout gouvernement contractant s’engage à assurer que toutes les dispositions seront prises pour la veille sur côtes et pour le sauvetage des personnes en détresse en mer auprès des côtes. Ces dispositions doivent comprendre l’établissement, l’utilisation et l’entretien de toutes les installations de sécurité maritime jugées pratiquement réalisables et nécessaires, eu égard à l’intensité du trafic en mer et aux dangers de la navigation, et doivent, autant que possible, fournir des moyens adéquats pour repérer et sauver les personnes en détresse./ Chaque gouvernement contractant s’engage à fournir les renseignements concernant lesmoyens dont il dispose et, le cas échéant, les projets de modification auxdits moyens » ; qu’aux termes de l’article 1er du décret du 8 juillet 1970 portant organisation des recherches et du sauvetage des personnes en détresse en mer en temps de paix : « La direction des recherches et du sauvetage des personnes en détresse en mer incombe en temps de paix : au ministre d’Etat chargé de la défense nationale (Marine) dans la zone du large, au ministre des transports (marine marchande) à proximité des côtes (…) » ; que selon l’article 4 du même décret : « Pour l’application des dispositions de l’article 1er auprès des côtes, il est constitué trois zones couvrant les secteurs géographiques de la mer du Nord et de la Manche, de l’Atlantique ainsi que de la Méditerranée (…) » ; que l’article 5 dispose que : « Dans chacune des zones mentionnées à l’article 4, un centre assure une permanence opérationnelle./ Ce centre (…) tient à jour la liste de tous les moyens susceptibles d’intervenir dans sa zone, participe à la coordination des opérations de recherche et de sauvetage entre circonscriptions des affaires maritimes, administrations et organismes susceptibles de prêter leur concours lors d’une opération (…) » ;
Considérant qu’il résulte tant des stipulations de la convention précitée du 17 juin 1960 que des dispositions réglementaires prises pour son application qu’à la date à laquelle s’est produit le naufrage du cargo « François F… », les autorités françaises étaient seulement tenues par ces stipulations et dispositions de prévoir et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la veille et au sauvetage des personnes en détresse auprès des côtes françaises ; que le naufrage s’est produit ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus au large des côtes espagnoles, soit à 800 kilomètres de la côte française la plus proche ; qu’il ne saurait, dès lors, être reproché aux autorités maritimes françaises aucun manquement à leurs obligations résultant des textes précités ;
Sur le moyen tiré du retard dans la mise en oeuvre des secours :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que le premier message en provenance de la station maritime de Vigo signalant les difficultés du navire a été capté par la station maritime du Conquet le 14 février 1979 à 10h 49 ; qu’à la suite de la réception de ce message, alors même que le navire n’était qu’à 30 milles nautiques du port de Vigo et que le message indiquait qu’un remorqueur espagnol rejoignait la zone de détresse, les autorités maritimes françaises ont successivement, à 11h 18, donné l’ordre au remorqueur de haute mer « Abeille Normandie » de rallier la zone, à 13h 05, demandé à un avion de surveillance britannique de se détourner pour porter secours au navire et, alors qu’elles n’étaient pas informées que le cargo avait sombré depuis une heure environ, donné l’ordre de décollage à un avion de la patrouille maritime muni du matériel de sauvetage adéquat ; que, compte tenu de l’imprécision des messages en provenance du cargo, de l’éloignement des côtes françaises du lieu du sinistre, proche des côtes de l’Espagne dont les autorités semblaient avoir mis en oeuvre des moyens de secours appropriés, de l’importance des moyens de sauvetage mis en oeuvre, les conditions dans lesquelles les autorités françaises ont réagi aux messages reçus et organisé des secours ne révèlent, en tout état de cause, aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;
Sur le moyen tiré d’une responsabilité pour risque de l’Etat :
Considérant que la responsabilité de l’Etat ne saurait être engagée sur le fondement du risque à raison des conséquences de l’application d’une convention mettant l’obligation d’assistance à la charge des autorités côtières des eaux où se trouve le navire en détresse ;
Sur le moyen tiré de fautes commises dans le contrôle technique du navire :
Considérant qu’il résulte des stipulations de la convention du 17 juin 1960, de la loi du 20 mai 1967 et du décret du 17 février 1968 pris pour son application que tout navire français doit être muni de titres de sécurité délivrés au nom de l’Etat par des commissions de sécurité ou par une société de classification reconnue ; que la conformité du navire aux règlements de sécurité est contrôlée lors d’une visite de service qui précède obligatoirement la délivrance du permis de navigation et à l’occasion de visites périodiques destinées à s’assurer que le navire demeure en l’état prescrit ; que les requérants soutiennent que la responsabilité de l’Etat serait engagée du fait que les services chargés de la délivrance des certificats de sécurité n’ont pas relevé le caractère défectueux de l’aménagement des panneaux, ont admis un abaissement des surbaux qui menaçait la sécurité du navire ainsi qu’une dérogation pour remplacer une porte métallique par une porte en bois ;
Considérant, en premier lieu, qu’en admettant même que des défauts d’étanchéité des panneaux latéraux aient pu jouer un rôle dans la rapidité du naufrage, il ne résulte pas de l’instruction que le cargo « François F… » ait fait l’objet, après sa mise en service en 1973 et la délivrance d’un premier certificat de franc-bord, de travaux importants justifiant la mise en oeuvre de nouveaux essais d’étanchéité ; qu’il ne saurait être reproché à l’administration de ne pas avoir pris l’initiative de ces contrôles que l’armateur n’avait pas sollicités ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’en accordant à la demande de l’armateur, ainsi qu’il résulte du procès-verbal de la commission n° 377/12 du 16 octobre 1969, une dérogation en ce qui concerne la hauteur des surbaux d’écoutilles, la commission centrale de sécurité ait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;
Considérant, enfin, qu’il ne résulte pas davantage de l’instruction que le remplacement d’une porte en acier par une porte en bois ait joué un rôle quelconque dans le naufrage du « François F… » ; que les requérants ne sauraient donc, en tout état de cause, soutenir qu’en autorisant cette modification la commission de sécurité aurait commis une faute engageant la responsabilité de l’Etat ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. X… et autres ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions de M. Fabrice X… et autres tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à M. X… et autres le remboursement des sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : La requête de M. Fabrice X… et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Fabrice X…, à M. Stéphane X…, à Mme Yvette X…, à Mme Marie Y…, à Mme Christèle Z…, à Mlle Danièle Z…, à Mme Marie-Françoise Z…, à M. Régis Z…, à MmeBrigitte LE GAC, à Mme Marie-Anne B…, à Mlle Aulde B…, à Mme Sandrine B…, à M. Stéphane B…, à Mlle Nadine C…, à Mlle Noëlla C…, à Mlle Marcelle D…, à Mlle Chantal E…, à M. Christian E…, à Mme Janine E…, à Mlle Martine E… et au ministre de l’équipement, des transports et du logement.