VU LA REQUÊTE présentée pour le sieur X…, sous-chef de bureau des services civils de l’Indochine…, et tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler un arrêté, en date du 4 juin 1924, par lequel le conseil du contentieux administratif de l’Indochine siégeant à Hanoï a rejeté sa demande d’indemnité en réparation du préjudice que lui aurait causé le gouverneur général de l’Indochine en écartant sa candidature au grade d’administrateur de 5e classe;
Vu les décrets des 31 janv. 1919, 24 juin 1912; les arrêtés du gouverneur général de l’Indochine du 5 nov. 1912 et du 31 déc. 1916; les décrets des 5 août et 12 sept. 1881 ; la loi du 24 mai 1872;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le conseil du contentieux administratif à la demande du requérant : — Cons. que la circonstance que le sieur X… n’avait pas demandé l’annulation de la décision écartant sa candidature à un poste d’administrateur de 5e classe ne faisait pas obstacle à ce qu’il réclamât une indemnité en se fondant sur l’irrégularité de cette mesure ; que, dès lors, c‘est à tort que le conseil du contentieux administratif a rejeté, comme n’ayant pas été précédée d‘un recours pour excès de pouvoir introduit devant le Conseil d’Etat, la demande a fin d‘allocation de dommages-intérêts formée par le requérant;
Au fond : — Sur le droit à indemnité : — Cons. qu‘il résulte de la lettre adressée le 3 juin 1922 par le gouverneur général de l‘Indochine au ministre des Colonies et versée au dossier que la commission de classement, lors de l’établissement du tableau d‘avancement de 1919 concernant la nomination de commis des services civils à l‘emploi d’administrateur de 5e classe, a refusé de prendre en considération la candidature du Sieur X… par le motif que cet agent n‘était pas en droit de bénéficier de la dispense de brevet de connaissance de langues orientales et d’examen d‘aptitude professionnelle qui avait été prévue,en faveur des fonctionnaires mobilisés, par le décret du 31 janv. 1919;
Cons. que d’après l’art. 4 du décret précité, les dispenses instituées à titre exceptionnel, pendant l’année 1918, à l’avantage des fonctionnaires et agents « qui ont été mobilisés ou qui se sont engagés pendant la durée de la guerre », ne sont pas accordées à ceux d’entre eux qui ont été, dans la suite, renvoyés dans leurs foyers et « se trouvent présents en Indochine depuis le 1er janv. 1918 » ; qu’il résulte tant des termes de cet article que du rapport au président de la République, qui précède au Journal officiel le décret du 17 nov. 1916, dont les prescriptions ont été simplement prorogées par des actes réglementaires ultérieurs, que la disposition ci-dessus mentionnée n’a entendu exclure du bénéfice de la dispense de brevet de langues orientales et d’examen professionnel que les fonctionnaires qui, rentrés en Indochine au plus tard le 1er janv. 1918 et ayant passé toute l’année 1918 dans la colonie, ont été à même de préparer, dans des conditions normales, les examens dont s’agit et d’en subir les épreuves;
Cons. que le sieur X… n’était revenu en Indochine que le 4 mai 1918; que, dès lors, c’est par une fausse interprétation de la réglementation en vigueur que la commission de classement a estimé que l’art. 4 du décret du 31 janv. 1919 le privait de la dispense d’examen à laquelle il avait droit en sa qualité de fonctionnaire mobilisé;
Cons. que le gouverneur général de l’Indochine fait valoir, pour dénier au requérant tout droit à indemnité, que la circonstance que ce commis des services civils aurait rempli les conditions fixées par l’art. 9 du décret du 24 juin 1912 pour pouvoir être nominé administrateur de 5e classe lui conférait simplement aptitude à cet emploi et non un droit acquis à obtenir un poste de ce grade pendant l’année 1919;
Cons. que s’il ressort des dispositions réglementaires alors en vigueur que la nomination dans le cadre des administrateurs des commis des services civils avait lieu au choix, dans les conditions déterminées par les arrêtés du gouverneur général en date des 5 nov. 1912 et 31 déc. 1916, l’irrégularité commise par la commission de classement a privé le sieur X…, qui avait fait l’objet, le 25 sept. 1918, d’une proposition de sous-chef d’administration et qui, à raison de la durée de ses services civils et militaires ainsi que de ses blessures de guerre et citations, bénéficiait de majorations de points importantes, des chances d’avancement sur lesquelles il pouvait légitimement compter à cette époque; que, dans ces conditions, le requérant est fondé à demander réparation du préjudice que lui a causé la faute imputable à l’administration;
Sur la fixation du montant de l’indemnité : — Cons. que le requérant, qui n’était pas atteint par la limite d’âge, aurait pu, en passant au cours de l’année 1919 les examens prévus par le décret du 24 juin 1912, poser à nouveau sa candidature lors de l’établissement du tableau de 1920 et retrouver ainsi le bénéfice des chances d’avancement dont il avait été privé l’année précédente par la faute de l’administration, mais qu’il ne s’est présenté qu’en juillet 1921 à l’examen d’aptitude professionnelle et y a échoué;
Cons., d’autre part, qu’il y a lieu de tenir compte du retard important apporté par le sieur X… à introduire son action en justice;
Cons. que, dans les circonstances de l’affaire, il sera fait une juste appréciation de l’indemnité à allouer au requérant en la fixant à 5.000 francs;
Sur les intérêts :— Cons. que le point de départ des intérêts doit être fixé à la date de la présentation au conseil du contentieux administratif du mémoire introductif d’instance, c’est-à-dire au 8 oct. 1923 ;…
(Arrêté du conseil du contentieux administratif annulé; gouverneur général de l’Indochine paiera au sieur X… une indemnité de 5.000 francs; cette somme portera intérêts, au profit du sieur X…, à compter du 8 oct. 1923; surplus des conclusions rejeté; dépens exposés tant devant le conseil du contentieux administratif que devant le Conseil d’Etat mis à la charge du gouvernement général de l’Indochine).