AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
M. A…B…a demandé au tribunal administratif d’Amiens d’annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental de l’Oise a rejeté sa demande, présentée le 26 septembre 2016, de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance en qualité de jeune majeur. Par un jugement n° 1603801 du 6 mars 2018, le tribunal administratif d’Amiens a annulé cette décision et enjoint au département de l’Oise de procéder au réexamen de la demande de M. B…dans un délai de deux mois.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 17 avril et 4 juillet 2018, le département de l’Oise demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande de M. B… ;
3°) de mettre à la charge de M. B…la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’action sociale et des familles ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sandrine Vérité, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat du département de l’Oise ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.B…, ressortissant pakistanais né le 24 décembre 1998, est entré sur le territoire français, selon ses déclarations, le 26 décembre 2015. Il a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance du département de l’Oise par une ordonnance de placement provisoire du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Compiègne du 30 décembre 2015, puis, jusqu’à sa majorité, par un jugement du juge des enfants de ce tribunal du 26 avril 2016. Le 26 septembre 2016, il a sollicité la poursuite de sa prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance au-delà de sa majorité, sur le fondement de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles. Il a ensuite demandé au tribunal administratif d’Amiens d’annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental de l’Oise a rejeté sa demande. Le département de l’Oise se pourvoit en cassation contre le jugement du 6 mars 2018 par lequel ce tribunal a annulé la décision attaquée et lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande de prise en charge de M. B…dans le cadre d’un » contrat jeune majeur « , dans un délai de deux mois.
2. Aux termes de l’article L. 221-1 du code de l’aide sociale et des familles : » Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu’aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (…) « . Aux termes du sixième alinéa de l’article L. 222-5 du même code : » Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants « .
3. Sous réserve de l’hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé au jeune pour lui permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée, le président du conseil départemental dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants et peut à ce titre, notamment, prendre en considération les perspectives d’insertion qu’ouvre une prise en charge par ce service.
4. Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner la situation de l’intéressé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l’article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d’annuler, s’il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l’intéressé s’il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, qu’un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l’action sociale et des familles relatives à la protection de l’enfance et en renvoyant l’intéressé devant l’administration afin qu’elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement.
5. Il résulte des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif d’Amiens a estimé que la demande formée par M. B… devant lui, dirigée contre le refus de prise en charge en qualité de jeune majeur par le service de l’aide sociale à l’enfance du département de l’Oise, relevait du contentieux de l’excès de pouvoir. En statuant ainsi, le tribunal a méconnu son office.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens du pourvoi, que le jugement attaqué doit être annulé.
7. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. D’une part, en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la 1ère chambre de la section du contentieux, M. B…a indiqué qu’il avait pu être pris en charge durant quelques semaines au-delà de sa majorité, qu’il résidait désormais dans le département du Val-de-Marne où il avait un emploi et que sa situation actuelle ne requérait plus l’assistance du service de l’aide sociale à l’enfance.
9. D’autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que M. B…ne peut utilement soutenir, à l’appui de son recours, que la décision rejetant sa demande de prise en charge serait insuffisamment motivée.
10. Il résulte de ce qui précède que la demande de M. B… doit être rejetée.
11. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions du département de l’Oise présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de l’avocat de M. B…présentées en première instance au titre des dispositions de cet article et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d’Amiens du 6 mars 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de prise en charge de M. B…est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du département de l’Oise présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et celles de l’avocat de M. B…présentées au titre des dispositions de cet article et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de l’Oise et à M. A…B….
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.
ECLI:FR:CESEC:2019:419903.20190603