REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 23 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. A… B…, élisant domicile… ; M. B… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 12PA00066 du 5 juillet 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, sur recours du garde des sceaux, ministre de la justice, a réformé l’ordonnance n° 1104631 du 20 décembre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, a condamné l’Etat à lui verser une provision de 2 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention au sein de la maison d’arrêt de Fresnes, ramenant cette provision à 300 euros ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel formé par le garde des sceaux, ministre de la justice, contre cette ordonnance ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros à verser à Me Spinosi, avocat de M. B…, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Anne Iljic, Auditeur,
– les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Spinosi, avocat de M. B… ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges des référés que M. B…, qui ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant, a été détenu à… ; que durant cette période il a d’abord occupé une cellule ordinaire avant d’être affecté pour une période de quatre mois dans une cellule médicalisée située dans un quartier spécialement aménagé pour les détenus handicapés ; qu’estimant ses conditions de détention contraires au respect de la dignité de la personne humaine, il a, sur la base des constats préalablement établis dans un rapport d’expertise, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun d’une demande tendant au versement d’une provision de 9 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention ; que, par une ordonnance du 20 décembre 2011, ce dernier a condamné l’Etat à lui verser une provision de 2 000 euros ; que le requérant se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 juillet 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a ramené cette provision à 300 euros en limitant son bénéfice au préjudice subi du fait de sa détention en cellule ordinaire ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : » Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie. » ; qu’il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s’assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l’existence avec un degré suffisant de certitude ; que, dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n’a d’autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l’obligation dont les parties font état ; que, dans l’hypothèse où l’évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d’une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant ; qu’outre l’appel ouvert aux parties contre sa décision, le demandeur peut introduire une requête au fond ; que le débiteur de la provision dispose, en l’absence d’une telle requête, de la faculté de saisir le juge du fond d’une demande tendant à la fixation définitive du montant de sa dette en application des dispositions de l’article R. 541-4 du code de justice administrative ; que la qualification juridique opérée par le juge des référés lorsqu’il se prononce sur le caractère non sérieusement contestable de l’obligation invoquée devant lui peut être contestée devant le juge de cassation tandis que l’évaluation du montant de la provision correspondant à cette obligation relève, en l’absence de dénaturation, de son appréciation souveraine ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : » Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; qu’il en résulte, comme en dispose l’article D. 189 du code de procédure pénale dans sa version applicable au litige et comme le rappelle désormais l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009, que tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d’exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; qu’en raison de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, l’appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu’impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l’intérêt des victimes ; que des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l’aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351, révèleraient l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ;
4. Considérant, d’une part, que si M. B… soutient que la cour a sous-évalué le montant de la provision qui lui a été allouée en raison du préjudice moral qu’il a subi du fait de ses conditions de détention en cellule ordinaire, il n’apporte au soutien de ses conclusions sur ce point aucun élément qui permettrait de regarder comme entachée de dénaturation l’appréciation souveraine à laquelle s’est livrée la cour ;
5. Considérant, d’autre part, que la cour, après avoir relevé, au terme d’une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que les cellules médicalisées étaient spécialement aménagées pour accueillir des personnes handicapées, a pris en considération les conditions défectueuses de fonctionnement des équipements, les difficultés de circulation et l’humidité régnant dans ces cellules ; qu’en jugeant que, dans les circonstances de l’espèce, ces conditions de détention n’atteignaient pas un degré de gravité tel que l’obligation invoquée puisse être regardée comme non sérieusement contestable, elle n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits soumis à son examen ;
6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. B… doit être rejeté, y compris les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 par Me Spinosi, son avocat ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B… est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B…et à la garde des sceaux, ministre de la justice.