CHAPITRE II – LES RÉFÉRÉS ORDINAIRES
La distinction du général et du particulier. Tous les référés ne sont pas des référés urgence. Toutefois, l’idée de célérité qui procède de celle d’efficacité de la juridiction est commune à tous les référés. Les référés urgence ne sont à cet égard qu’une catégorie de référés qui ne remettent pas en cause, par leur existence, l’intérêt des référés ordinaires. Les référés ordinaires sont dits généraux lorsqu’ils ne visent aucune matière en particulier (Section 1). D’autres sont dits spéciaux parce qu’ils visent à la résolution, fût-elle provisoire, d’un litige dans une matière précise (Section 2).
Section 1 – Les référés ordinaires généraux
Des outils précieux. L’ensemble des référés ordinaires généraux gagnerait à être mieux connu tant ceux-ci peuvent être utiles, en permettant à leur auteur de se prémunir des lenteurs et des difficultés inhérentes au déroulement d’une instance au fond. Il s’agit du référé constat (Sous-section 1), du référé instruction (Sous-section 2) et du référé provision (Sous-section 3).
Sous-section 1 – Le référé constat
Le plus ancien des référés en contentieux administratif. Institué par la loi du 22 juillet 1889 – on parlait alors de constat d’urgence – le référé constat passe pour être la doyenne des procédures de référé existant en contentieux administratif. Et encore doit-on souligner ici que cette loi n’a fait que consacrer textuellement une pratique déjà admise au sein des conseils de préfecture, avec l’assentiment du Conseil d’Etat (CE, 26 déc. 1873, Ville d’Alger, Rec., p. 966). Il est aujourd’hui organisé à l’article R. 531-1 du code de justice administrative.
L’article R. 531-1 du code de justice administrative. Le référé constat est essentiellement régi par une disposition. Aux termes de R. 531-1 al. 1er du code de justice administrative, « s’il n’est rien demandé de plus que la constatation de faits, le juge des référés peut, sur simple requête qui peut être présenté sans ministère d’avocat et même en l’absence d’une décision administrative préalable, désigner un expert pour constater sans délai les faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction ». Ce référé a pour seule fonction d’établir la matérialité de certains faits, ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’interrompre le cours de la prescription quadriennale (CE, 8 déc. 1995, Sté Sogéa, requête numéro 138873, Rec., p. 434). Ce n’est déjà pas si mal. Et l’intérêt de ce référé est encore plus net dès lors que les conditions qui président à son admission sont relativement faciles à satisfaire (§ 1) et que la procédure n’est pas contraignante (§ 2). L’ordonnance rendue en référé constat est évidemment susceptible de recours (§ 3)
1 : Les conditions d’admission du référé constat
L’objet de la demande. Le référé constat ne permet rien d’autre que la constatation des faits. Ainsi, est recevable une demande tendant à ce qu’il soit constaté l’état matériel d’un lieu ou d’un bien (CE, 18 nov. 1959, Département de Constantine, requête numéro 32892, Rec., p. 610), de constater les conditions d’hospitalisation d’un malade (CE, Sect., 7 févr. 1969, M’Barek, requête numéro 67774, Rec., p. 87 ; AJDA 1969, p. 163, chron. J.-L. Dewost et R. Denoix de Saint Marc) ou encore de décrire les conditions de vie dans un établissement pénitentiaire (CE, 28 sept 2011, Garde des sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés c. Gallois et Lévêque, requêtes numéros 345309 et 347585, Rec., T., pp. 998, 1076 et 1110). Est en revanche irrecevable la demande tendant à ce que soient déterminées les conséquences qui pourraient, par exemple, résulter de l’existence d’un barrage (CE, 6 juill. 1966, Ministre de l’Equipement c. Sté Soustre et Cie, requête numéro 69782, Rec., p. 453).
Mais il y a plus, en ce que les faits concernés doivent être susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction saisie. Il en résulte que le requérant n’est pas fondé à demander que des faits soient constatés lorsqu’il est manifeste que ces faits ne peuvent donner lieu à un litige devant la juridiction administrative (CE, 31 oct. 1986, Roland, requête numéro 74378). Il en va différemment si la juridiction administrative serait compétente pour connaître d’un éventuel en lien avec l’objet du référé constat (CAA Lyon, 14 oct. 2004, Institut de formation Rhône-Alpes, requête numéro 04LY00494). Le lien entretenu par les questions de compétence et d’utilité de la demande est assez net ici.
L’utilité de la demande. Si l’article R. 531-1 du code de justice administrative n’énonce pas cette condition, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence conditionne le prononcé d’une mesure à son utilité. Ainsi, l’existence de documents attestant la matérialité des faits rend la demande superflue, conduisant à son rejet (CE, 8 déc. 1954, Sté des établissements Thibout, Rec., T., p. 867). La faculté pour le demandeur de recourir à un huissier de justice afin de faire constater les faits peut également suffire à priver la demande de toute utilité (CE, 26 juill. 1982, SA Sous-traitants associés de l’électronique, requête numéro 40701, Rec., p. 312). Une demande se rapportant à des faits dont les conséquences ne peuvent plus être appréciées à la date du constat prive encore la demande de toute utilité (CE, 28 sept. 2011, Garde des sceaux, ministre de la Justice et des Libertés c. Gallois, préc.). En revanche, et contrairement à la logique présidant au référé mesures utiles, la circonstance que le juge du fond ait été saisi du litige ne fait pas obstacle à l’exercice d’un référé constat (CE, 21 mars 1962, Vivien, requête numéro 53339, Rec., T., p. 1065). Et, preuve qu’urgence et utilité sont deux notions bien distinctes, il n’y a plus de condition d’urgence à l’exercice du référé constat depuis le décret du 22 novembre 2000.
Les autres questions de recevabilité. Les conditions de recevabilité du référé constat sont réduites à leur plus strict minimum. Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire, pas plus qu’il n’est imposé l’existence d’une décision préalable.
§ 2 : La procédure du référé constat
Une contradiction tempérée. L’article R. 531-1 al. 2 dispose que avis de l’enregistrement de la requête doit être immédiatement donné aux « éventuels défendeurs ». A bien lire cette disposition, les personnes intéressées sont certes informées de l’existence du référé mais elles ne sont pas mises en mesure d’y répondre. Il n’y a en outre pas, en principe, d’audience publique en référé constat. Il en résulte que le juge est fondé par le pouvoir réglementaire à statuer sur la demande sans débat contradictoire préalable. Rien n’empêche cependant le juge des référés d’organiser la contradiction (CE, 9 janv. 1985, Sté manufacture du Val de Vienne, requête numéro 58067, Rec., p. 8 ; AJDA 2005, p. 235, note J. Moreau ; JCP gén. 1986, n° 20549, note O. Gohin). On ne saurait se surprendre de ce que le souci de la contradiction soit si peu pris en considération. En effet, comme cela vient d’être esquissé, l’objet du référé constat est la désignation d’un expert afin de constater certains faits. Rares sont finalement les hypothèses qui nécessitent ou même qui méritent qu’une défense soit produite au débat. Au surplus, on doit souligner que toutes les personnes intéressées peuvent assister à l’expertise et formuler des observations à l’expert qui doit alors les consigner au dossier (CE, 21 déc. 1979, Commune d’Arnouville-les-Gonesse c. Miny et Morin, requête numéro 17362, Rec., p. 497).
§ 3 : Les voies de recours
Les voies de réformation ordinaires. Les ordonnances rendues en référé constat sont susceptibles d’appel dans les 15 jours suivant leur notification (CJA, art. R. 533-1). La faculté d’interjeter appel est reconnue au bénéfice de celui dont la demande a été rejetée et, mais le cas est fatalement moins fréquent compte tenu de ce que la procédure est rarement contradictoire, à celui du défendeur, c’est-à-dire celui invité à présenter ses observations (CE, 21 mars 2012, Garde des sceaux, ministre de la Justice et des Libertés c. Assafar, requête numéro 353511). L’appel est interjeté devant la cour administrative d’appel, quelle que soit la nature du litige auquel la mesure demandée peut se rattacher (CE, 16 juin 2004, Sté Sumo, requête numéro 266378, Rec., T., p. 812). Les ordonnances rendues par le juge d’appel sont susceptibles d’un recours en cassation, également dans la quinzaine de leur notification (CJA, art. R. 533-3).
La tierce opposition. L’article R. 531-1 al. 3 du code de justice administrative prévoit expressément la possibilité de former tierce opposition contre l’ordonnance prescrivant le constat, sous quinzaine. Il est ainsi jugé qu’une personne tierce à l’instance peut former tierce opposition contre l’ordonnance dès lors que, à la suite de l’exécution de celle-ci, sa responsabilité peut être mise en jeu (CE, 28 sept. 2011, Garde des sceaux, ministre de la Justice et des Libertés c. Gallois et Lévêque, requêtes numéros 345309 et 347585, préc.).
Sous-section 2 – Le référé instruction
Un référé récent. Le référé instruction n’existe formellement que depuis le décret n° 88-907 du 2 septembre 1988. Auparavant, la demande tendant à ce qu’il soit ordonné une mesure d’instruction relevait du référé administratif. Il est aujourd’hui régi par les articles R. 532-1 et suivants du code de justice administrative. Aux termes de l’article R. 532-1 al. 1er du code de justice administrative, « le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction ». Deux types de mesures peuvent donc être ordonnés par le juge des référés sur ce fondement : d’expertise ou d’instruction. Ce référé se présente donc comme une voie de droit complémentaire à la fois du référé constat mais également du référé mesures utiles, que les conditions d’admission (§ 1) ne contrarient pas. Pour leur part, la mise en œuvre du référé instruction (§ 2), les pouvoirs du juge (§ 3) et les voies de recours (§ 4) sont classiques.
§ 1 : Les conditions d’admission du référé instruction
La compétence. Le référé instruction ne tendant qu’à voir une mesure d’instruction ordonnée avant tout procès, et avant même que puisse être nécessairement déterminé l’ordre de juridiction compétent sur le fond du litige, le juge des référés est compétent si le fond du litige est de nature à relever, au moins pour partie, de sa compétence de la juridiction administrative (CE, 30 oct. 1989, Sté Omnium technique d’études et de coordination (OTHEC), requête numéro 55571, Rec., T., p. 543). Il en va autrement si le litige ne relève manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative (TC, 23 oct. 2000, Sté Capraro et a., requête numéro 3220, Rec., p. 774). En outre, le juge des référés devra rejeter la demande d’expertise qui lui est adressée si celle-ci concerne un litige dont le fond sera de la compétence d’une juridiction administrative spécialisée pour en connaître (CE, 18 févr. 1987, Ministre de la Défense c. Bales, requête numéro 81238, Rec., p. 62). S’agissant de la compétence territoriale, et bien que la jurisprudence soit pour le moins elliptique sur la question, il semble que le juge des référés territorialement compétent soit celui compétent pour statuer sur le fond du litige (en ce sens, CE, 30 nov. 2001, Ville de Chelles, requête numéro 231492).
L’utilité de la demande. L’article R. 532-1 du code de justice administrative prévoit expressément que l’intervention du juge du référé instruction n’est possible que pour autant que la mesure qu’il ordonne soit utile. On pourrait presque dire ici qu’elle doit être indispensable. Ainsi, suivant un raisonnement également tenu en référé constat, cette demande est inutile lorsque son auteur dispose d’autres moyens pour obtenir les informations attendues (CE, Sect., 11 févr. 2005, Organisme de gestion du cours du Sacré-Cœur et a., requête numéro 259290, Rec., p. 65 ; RFDA 2005, p. 546, concl. E. Glaser ; AJDA 2005, p. 652, chron. C. Landais et F. Lenica ; AJDA 2005, p. 1932, note N. Ach ; RJEP 2006, p. 21, note E. Crépey). Mais il faut aller plus loin encore et constater que l’utilité de la mesure est appréciée par le juge par rapport au litige susceptible d’être introduit.
Le Conseil d’Etat considère ainsi que l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’expertise « doit être appréciée dans la perspective d’un litige principal actuel ou éventuel relevant lui-même de la compétence de ce tribunal, et auquel la mesure se rattache » (CE, 30 déc. 2002, Office public d’habitations de Nice et des Alpes-Maritimes, requête numéro 241793, Rec., p. 509). Dès lors, la demande en référé sera par exemple inutile si l’action au principal n’a plus aucune chance de prospérer, en raison de la forclusion du requérant (CE, 7 juin 2004, Assistance publique à Marseille, requête numéro 252869, Rec., T., p. 810) ou en raison de l’expiration du délai de garantie décennale (CE, 30 déc. 2002, Office public d’habitations de Nice et des Alpes-Maritimes, requête numéro 241793, préc.), et le juge des référés ne peut considérer que la question devra être résolue par le juge du fond (CE, 19 déc. 2008, M. et Mme Marina, requête numéro 314505, Rec., T., p. 854). En revanche, le rejet définitif d’un recours indemnitaire dirigé contre un centre hospitalier ne prive pas d’utilité la mesure d’expertise ordonnée par le juge des référés dès lors que le requérant conserve la possibilité de saisir la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CE, 7 avr. 2010, Centre hospitalier régional et universitaire de Rouen c. M. et Mme Chéret, requête numéro 331551, Rec., T., p. 896). On notera encore que, si une affaire est en cours d’instruction au principal, il appartient au requérant de justifier devant le juge des référés de la nécessité qu’il ordonne une mesure avant que la juridiction saisie au principal ne se soit prononcée sur l’utilité d’une telle mesure (CE, 27 nov. 2014, Commune de Saint-André de Boëge et Commune de Boëge, requêtes numéros 385843 et 385844, Rec., T., p. 788).
Les questions de recevabilité du référé. Les conditions de recevabilité du référé instruction sont autant limitées en référé instruction qu’elles peuvent l’être en matière de référé constat. Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire si l’objet du référé se rattache à des litiges dispensés de ce ministère (CJA, art. R. 532-1 al. 3). Comme en référé constat, l’existence d’une décision préalable n’est pas imposée.
§ 2 : La mise en œuvre du référé instruction
Une procédure contradictoire. Conformément à l’article R. 532-2 du code de justice administrative, la requête présentée au juge des référés doit être immédiatement notifiée au défendeur éventuel, avec fixation d’un délai de réponse. Contrairement donc au référé constat, le référé instruction suppose que la décision du juge soit précédée d’un débat contradictoire.
Une procédure écrite. Si la contradiction doit avoir été organisée, comme en référé mesures utiles, le juge du référé instruction n’est pas tenu de statuer à la suite d’une audience publique (CE, 30 déc. 2002, Office public d’habitations de Nice et des Alpes-Maritimes, requête numéro 241793, préc.). La procédure est donc essentiellement écrite.
§ 3 : Les pouvoirs du juge
Instruction et expertise. Les mesures ordonnées par le juge doivent rester cantonnées à l’instruction et à l’expertise. S’agissant de l’instruction, le juge des référés dispose ici de l’ensemble des pouvoirs dont dispose le juge pour instruire une affaire, et contenus au livre VI du code de justice administrative (vérification administrative, enquête, visite des lieux…). S’agissant de l’expertise – spécifiquement mentionnée mais qui n’est pourtant rien d’autre qu’une mesure particulière d’instruction – le juge des référés est compétent pour admettre la demande et définir l’étendue de la mission de l’expert, sans jamais lui confier comme il se doit le soin de régler des questions de droit. Il ne peut le désigner lui-même, cette prérogative étant dévolue au chef de juridiction (CE, Sect., 11 févr. 2005, Organisme de gestion du cours du Sacré-Cœur et a., requête numéro 259290, Rec., p. 65 ; RFDA 2005, p. 546, concl. E. Glaser ; AJDA 2005, p. 652, chron. C. Landais et F. Lenica ; AJDA 2005, p. 1932, note N. Ach ; RJEP 2006, p. 21, note E. Crépey). Le juge des référés peut encore appeler à l’expertise en qualité de sachant toute personne dont la présence est susceptible de l’éclairer (CE, 26 sept. 2008, Robert, requête numéro 312140, Rec., T., p. 854).
La conciliation. Le juge des référés peut ordonner à l’expert, même d’office, de concilier les parties si cela est possible (CE, Sect., 11 févr. 2005, Organisme de gestion du cours du Sacré-Cœur et a., requête numéro 259290, préc.). Cette nouvelle position jurisprudentielle procède d’un mouvement contemporain tendant au développement des modes alternatifs de règlement des litiges et prévue à l’article R. 621-1 du code de justice administrative dont on rappellera cependant qu’ils peinent à s’épanouir en contentieux administratif.
La modification de la mission de l’expert. Suivant l’article 33 du décret n° 2010-164 du 22 février 2010, le juge des référés peut, à la demande de l’une des parties formée dans le délai de deux mois qui suit la première réunion d’expertise, ou à la demande de l’expert à tout moment, étendre l’expertise à de nouvelles personnes ou en mettre hors de cause certaines déjà désignées (CJA, art. R. 432-3). En outre, et dans les mêmes conditions, le juge des référés peut décider d’étendre ou de réduire l’étendue de la mission de l’expert, suivant les nécessités de la cause. De telles décisions doivent être précédées d’un débat contradictoire (CJA, art. R. 532-4).
§ 4 : Les voies de recours
Des voies de réformation ordinaire. Comme en référé constat, les ordonnances rendues en référé constat sont susceptibles d’appel devant la cour administrative d’appel dans les 15 jours suivant leur notification (CJA, art. R. 533-1). Mais, particularité du référé instruction, le président de la cour administrative d’appel ou le magistrat qu’il a désigné peut « immédiatement et à titre provisoire suspendre l’exécution de cette ordonnance si celle-ci est de nature à préjudicier gravement à un intérêt public ou aux droits de l’appelant » (CJA, art. R. 533-2). Les ordonnances rendues par le juge d’appel sont susceptibles d’un recours en cassation, également dans la quinzaine de leur notification (CJA, art. R. 533-3).
Sous-section 3 – Le référé provision
Un référé transposé de la procédure civile. Le référé provision a d’abord été consacré en procédure civile par un décret du 17 décembre 1973. Son succès a incité certains juges des référés, sur le fondement de l’article R. 102 du code des tribunaux administratifs, à ordonner le versement de provisions aux demandeurs en tant qu’il s’agissait de « mesures utiles ». L’opposition du Conseil d’Etat a été sans nuance, lequel estimait qu’une telle application du référé conservatoire n’était pas possible parce que préjudiciant au principal (CE, Sect., 20 juin 1980, Sté Gaz de France, requête numéro 22496, Rec., p. 280, concl. M. Rougevin-Baville ; AJDA 1980, p. 555, chron. M.-A. Feffer et M. Pinault). Un texte s’avérait donc nécessaire si l’on voulait doter le juge administratif d’un tel pouvoir. C’est le décret n° 88-907 du 2 septembre 1988 qui a enfin permis aux créanciers d’obtenir une avance sur les sommes qu’ils réclament à l’administration, en attendant que le montant définitif de la créance ne soit fixé par un jugement au fond. En supprimant la condition de recevabilité du référé provision à l’existence d’une demande au fond, le décret du 22 novembre 2000 a renforcé l’intérêt pratique du référé provision, organisé depuis lors à l’article R. 541-1 du code de justice administrative.
L’article R. 541-1 du code de justice administrative. Aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, « le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ». L’intérêt du référé provision n’est plus à démontrer, des pans entiers de la pratique se prêtant réellement à la mise en œuvre de cette disposition en attendant que le litige soit réglé au fond, qu’il s’agisse par exemple du contentieux contractuel, du contentieux de la responsabilité, ou encore du contentieux de la fonction publique. Les conditions d’admission du référé provision (§ 1) ne compromettent pas une issue (§ 2) qui se veut rapide et la moins sévère qui puisse être pour le requérant.
§ 1 : Les conditions d’admission du référé provision
Trois conditions. Doivent être examinées la compétence du juge du référé provision (I), la recevabilité de la demande (II) et la condition de fond du référé provision (III).
I. La compétence du juge du référé provision
La compétence externe. Cela ne surprendra pas, le juge du référé provision n’est pas compétent pour connaître des demandes de provision qui ne ressortissent pas à la compétence de la juridiction administrative. Par exemple, le juge des référés doit décliner sa compétence lorsque la demande tend à l’allocation d’une provision sur une indemnité réclamée dans le cadre d’une action en réparation de préjudices imputés à des décisions prises par les juridictions de l’ordre judiciaire ou à des agissements de la police ou de la gendarmerie qui ne sont pas détachables de procédures judiciaires (CE, 30 mai 2003, Mathey, requête numéro 257309). C’est encore le cas lorsque le litige a trait aux rapports entre les agents publics et leurs employeurs, relatif à un régime complémentaire ou supplémentaire de retraite géré par une institution de prévoyance, ces rapports étant de droit privé (CE, 30 janv. 2008, Samson, requête numéro 304218, Rec., T., pp. 645, 854 et 942).
L’incompétence des juridictions administratives spécialisées. Le juge des référés ne peut allouer une provision au demandeur que pour autant que le litige sur lequel se fonde la demande soit de la compétence d’une juridiction administrative générale. Autrement dit, si le préjudice se rattache à un litige ressortissant à la compétence d’une juridiction spécialisée, le juge du référé provision sera incompétent et ce alors même qu’aucune procédure de référé provision n’existe devant cette juridiction spécialisée (CE, 11 janv. 2008, Association Les Parenteles, requête numéro 304476).
La compétence au sein des juridictions administratives générales. Le Conseil d’Etat peut être juge de premier et dernier ressort d’une demande de provision si le litige principal ressortit lui-même à sa compétence. Dans le cas contraire, c’est le juge des référés du tribunal administratif en premier ressort ou de la cour administrative d’appel si l’on se situe au stade de l’appel, qui est compétent pour connaître de la demande en référé. Compte tenu de la répartition des compétences entre les différents degrés de juridiction, une incompétence est toujours possible. Celle-ci se règle suivant le droit commun : la juridiction incompétente est tenue à une obligation de transmission, en application de l’article R. 351-1 du code de justice administrative (CE, 20 mai 2003, Jouandon, requête numéro 256744, Rec., T., p. 908).
II. La recevabilité du référé provision
Un référé autonome. Dès lors qu’il est présenté, instruit, et susceptible de recours suivant des règles différentes des référés urgence, le référé provision ne saurait être introduit dans une même requête que celle tendant à la suspension des effets d’une décision administrative (CE, 12 août 2004, Appiah, requête numéro 274877, Rec., T., p. 810) ou au prononcé d’une mesure utile (CE, 21 mai 2003, SARL Pico, requête numéro 249541, Rec., T., p. 911).
L’existence d’un litige. Sauf l’hypothèse des travaux publics, une demande indemnitaire préalable adressée à l’administration est nécessaire à l’obtention de la somme réclamée. Par delà la simple hypothèse d’un litige indemnitaire, lorsqu’une procédure préalable devant l’administration est obligatoire, la demande de provision reste irrecevable tant que cette procédure n’a pas été entamée (CE, Sect., 10 juill. 2002, SARL Grey Diffusion, requête numéro 244411, Rec., p. 271 ; CJEG 2002, p. 670, concl. J. Courtial). Dans le même sens, il a été également jugé que la procédure, prévue au contrat, de recours préalable à la saisine du juge doit être mise en œuvre avant l’exercice d’un référé provision, sans toutefois qu’il soit nécessaire d’attendre son issue (CE, 10 juin 2009, Sté de cogénération et de production de Boe, requête numéro 322242, Rec., T., pp. 842 et 889).
L’absence de décision préalable. Si un litige doit déjà exister, il n’existe plus depuis le décret du 22 novembre 2000 d’obligation de faire précéder l’exercice du référé provision d’un recours juridictionnel au principal. Cet assouplissement des conditions de recevabilité est bienvenu en ce qu’il facilite l’exercice du référé provision. Mais il signifie également qu’une provision peut être accordée au demandeur sans certitude qu’il exerce un recours au fond. D’où la possibilité reconnue au défendeur de saisir le juge, par la suite, d’une demande tendant à ce qu’il soit statué au fond sur l’étendue de la créance (infra).
Les autres conditions de recevabilité. Le référé provision n’est pas dispensé du ministère d’avocat (CE, 11 oct. 2005, Linder, requête numéro 278283) sauf si la matière dans laquelle l’action s’inscrit écarte une telle obligation.
Les demandes de provision émanant des personnes publiques. Les personnes publiques ne sauraient recourir au référé provision pour contourner les règles qui président au recouvrement des créances qu’elles tiennent sur leurs débiteurs. Ainsi, la personne publique peut former un référé provision au titre d’une créance d’origine contractuelle (CE, 24 févr. 2016, Département de l’Eure, requête numéro 395194, Rec.). En revanche, et en application de la jurisprudence Préfet de l’Eure, est irrecevable une demande présentée par une personne publique tenue par ailleurs d’établir un état exécutoire susceptible de recouvrement forcé contre un usager avec qui elle n’était pas dans une situation contractuelle (CE, 3 févr. 2016, Hôpital de Prades, requête numéro 388643, Rec., T.). Est également irrecevable la demande de provision destinée à tenir en échec l’effet suspensif de l’opposition à un état exécutoire (CE, 1er oct. 1993, Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers, requête numéro 124987, Rec., T., p. 952). Mais lorsque la collectivité a émis un titre exécutoire et qu’aucune opposition n’a été formée contre ce titre, le référé provision est alors recevable (CE, 11 mars 2011, Syndicat mixte pour la valorisation touristique du Pic du midi, requête numéro 337428, Rec., T., p. 1075).
III. La condition de fond du référé provision
Une obligation non sérieusement contestable dans son principe. La seule condition posée par l’article R. 541-1 du code de justice administrative est finalement celle de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, étant immédiatement précisé que la seule circonstance que l’obligation est contestée ne la rend pas nécessairement sérieusement contestable (CE, 10 avr. 1992, Centre hospitalier général d’Hyères, requête numéro 108294, Rec., p. 169 ; RFDA 1993, p. 88, concl. D. Tabuteau). Cette condition de l’obligation non sérieusement contestable est de taille, qui conditionne les chances de succès du référé provision à la certitude que le demandeur détient réellement une créance sur l’administration.
Non sérieusement contestable, l’obligation doit l’être dans son principe. Le juge des référés fait ici montre d’un degré certain d’exigence au point que probabilité de l’existence d’une telle obligation « doit confiner à la certitude » (L. Vallée, concl. sur CE, Sect., 29 janv. 2003, Commune d’Annecy, AJDA 2003, p. 615), ce que confirme le Conseil d’Etat qui exige un « degré suffisant de certitude » (CE, Sect., 6 déc. 2013, Thévenot, requête numéro 363290, Rec., p. 309 ; AJDA 2014, p. 237, concl. D. Hedary). L’on comprend dans ces conditions que le juge du référé provision ne puisse adresser au Conseil d’Etat une demande d’avis contentieux (CE, 3 oct. 2012, Sté Colas Nord Picardie, requête numéro 360840, Rec., T., p. 907), une difficulté sérieuse traduisant l’existence d’une obligation contestable.
Il faut cependant distinguer question sérieuse et question nouvelle. En effet, l’existence d’une question nouvelle n’est pas, en elle-même, constitutive d’une contestation sérieuse (par ex., CE, 8 mars 2006, Bertein, requête numéro 273352, Rec., T., p. 1007). On précisera encore ici que, s’il apprécie le caractère non sérieusement contestable au jour où il statue, le juge doit également s’assurer que la situation restera inchangée par la suite, en prenant en compte une évolution prévisible des droits et obligations des parties (par ex., CE, 2 avr. 2004, Sté Imhoff, requête numéro 257392, Rec., p. 149). L’appréciation du juge des référés sur l’existence d’une obligation contestable est souveraine et le contrôle opéré par le juge de cassation est limité à la dénaturation (CE, Sect., 6 déc. 2013, M. T., requête numéro 363290, Rec., p. 309), mais l’appréciation qu’il porte sur le caractère non sérieusement contestable de cette obligation fait l’objet d’un contrôle de la qualification juridique (CE, 26 mars 2014, Communauté d’agglomération Côte Basque-Adour, requête numéro 374287, Rec., T., pp. 789, 790 et 832).
Illustrations jurisprudentielles. Se heurte à une contestation sérieuse au sens de l’article R. 541-1 du code de justice administrative :
– l’obligation dont se prévaut un agent public évincé du service par une décision annulée pour vice de forme mais néanmoins susceptible d’être justifiée au fond (CE, 4 avr. 1997, Ville de Marseille, requête numéro 171969, Rec., T., p. 1001) ;
– l’éventuelle inconventionnalité d’une loi validant une pratique administrative à l’origine du préjudice (CE, Sect., 29 janv. 2003, Commune d’Annecy, requête numéro 247909, Rec., p. 4 ; AJDA 2003, p. 613, concl. L. Vallée ; RFDA 2003, p. 972, note A. Potteau) ;
– la demande de provision formulée par le créancier quand l’accord donné par la commune à la conclusion d’un contrat d’association à durée indéterminée entre l’Etat et une école privée a été dénoncé par elle alors que le contrat d’association n’a été résilié par aucune des parties (CE, 22 oct. 2008, Commune de Plestin-les-Grèves, requête numéro 309956, Rec., T., p. 855).
N’est en revanche pas sérieusement contestable une demande tendant :
– au versement d’une provision sur la créance résultant du retrait d’un arrêté de détachement et replaçant rétroactivement l’agent dans son service initial, indépendamment des doutes quant à la légalité de l’arrêté prononçant le retrait de l’arrêté de détachement (CE, Sect., 16 déc. 2005, Lacroix, requête numéro 274545, Rec., p. 584 ; RFDA 2005, p. 513, concl. S. Verclytte ; AJDA 2006, p. 582, chron. C. Landais et F. Lenica ; Dr. adm. 2006, n° 5, p. 84, note P. Cassia ; JCP 2006, I, 12027, note C. Boiteau) ;
– à la mise en œuvre de la responsabilité du fait d’une transfusion sanguine (CE, 5 déc. 2005, Etablissement français du sang c. Lehongre veuve Benamou, requête numéro 275616, Rec., p. 549) ;
– à la réparation des conséquences du refus de concours de la force publique (CE, 21 janv. 2011, Sté nationale immobilière, requête numéro 339647).
La circonstance que l’obligation soit solidaire et qu’il ne soit pas encore possible de déterminer la répartition finale de la dette n’est également pas constitutive d’une obligation sérieusement contestable (CE, 19 nov. 1993, Port autonome de Marseille, requête numéro 135772, Rec., p. 324), pas plus que l’éventuelle créance distincte que le défendeur détiendrait sur le demandeur (CE, 18 juin 2014, Electricité de France, requête numéro 372803, Rec., T., p. 789).
La question de l’étendue de la créance. Contestable, l’obligation peut l’être sur son quantum, sans que le référé provision ne soit rejeté. Certains préjudices ne sont pas susceptibles, en l’état de l’instruction, d’être fidèlement évalués et, à cet égard, peu importe notamment qu’une expertise soit nécessaire pour la détermination finale de l’étendue du préjudice (CE, 15 févr. 2008, Héliot, requête numéro 303863, Rec., T., pp. 855 et 936). Lorsqu’il est certain que le préjudice existe, et qu’il ne fait pas de doute que celui-ci excède un certain seuil, le juge du référé provision sera tenu d’allouer la provision demandée, à tout le moins la fraction du montant de la créance qui revêt un caractère de certitude suffisant (CE, Sect., 6 déc. 2013, M. T., requête numéro 363290, préc.). Mais il faut cependant prendre garde aux hésitations du juge. Le doute quant au montant de la créance peut faire naitre une difficulté, et il a déjà été jugé, en certaines espèces, que l’incertitude quant au montant de l’obligation pouvait rendre celle-ci sérieusement contestable (TA Lyon, réf., 24 févr. 2005, Compagnie nationale du Rhône, AJDA 2005, p. 1678, note P. Subra de Bieusses). Le requérant ne doit donc nullement sous-estimer l’importance qu’il y a à minimiser le doute quant au quantum de la créance.
§ 2 : L’issue du référé provision
Quatre questions à observer. S’interroger sur l’issue du référé provision conduit à appréhender chronologiquement quatre questions complémentaires : la procédure du référé provision (I), les pouvoirs du juge (II), les voies de recours (III) et les conséquences de l’allocation d’une provision (IV).
I. La procédure du référé provision
Une procédure essentiellement écrite. La requête en référé provision doit être immédiatement notifiée par le greffe au défendeur éventuel, avec fixation d’un délai de réponse (CJA, art. R. 541-2). Très classiquement, à l’image de ce que permet l’article L. 522-3 du code de justice administrative qui ne lui est cependant pas applicable, le juge du référé provision peut décider de rejeter, sans instruction contradictoire, les conclusions qui lui ont été adressées dès lors qu’il n’existe pas d’obligation non sérieusement contestable (sol. impl. : CE, 26 févr. 2007, Riche, requête numéro 301893, Rec., T., p. 1006). Lorsque l’instruction a été mise en œuvre, le juge du référé n’est pas tenu d’entendre les parties à l’occasion d’une audience publique avant de statuer (CE, 25 oct. 2002, Centre hospitalier de Colson, requête numéro 244729, Rec., p. 849 ; AJDA 2003, p. 183, concl. C. Maugüé).
Une procédure réputée contradictoire. Si le principe de la contradiction doit être respecté en référé provision, il y a lieu de souligner que le juge l’appréhende avec une certaine souplesse et que le poids du principe varie suivant qu’il bénéficie au demandeur ou au défendeur. Ainsi, les exigences de la contradiction emportent obligation, avant de faire droit à la demande, de communiquer la requête au défendeur (CE, 15 sept. 2004, Sté Téléservice santé, requête numéro 258117, Rec., T., p. 811) autant que de communiquer au défendeur un mémoire en réplique qui contiendrait une demande nouvelle (CE, 16 nov. 2005, M. Auguste et commune de Nogent-sur-Marne, requêtes numéros 262360 et 263709, Rec., p. 507 ; JCP adm. 2006, p. 1038, note F. Linditch). Par delà, dès lors que le litige présente les traits de gravité à laquelle l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique subordonne le droit à réparation au titre de la solidarité nationale, il appartient au juge des référés d’appeler dans la cause l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au besoin d’office (CE, 5 févr. 2014, Centre hospitalier de Cambrai, requête numéro 362351, Rec., T., pp. 789, 855 et 861). Mais le juge n’est pas tenu de communiquer au demandeur le mémoire en défense produit à l’instance et, s’il décide néanmoins de le faire, le délai de réponse peut alors être bref, sans que cela n’entache la procédure (CE, 22 mars 1999, Soudain, requête numéro 186336, Rec., p. 87). Rien ne s’oppose, par principe, à ce que le juge du référé provision statue sur la demande trois jours seulement après avoir communiqué ce mémoire au demandeur (CE, Sect., 29 janv. 2003, Commune d’Annecy, requête numéro 247909, préc.). Il y a là matière à réflexion. Sans doute l’article L. 5 du code de justice administrative dispose que les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence. Pour autant, le référé provision n’est précisément pas un référé urgence. On imagine mal ici l’urgence qui peut justifier qu’il soit statué sur la demande, en urgence et donc dans l’intérêt du demandeur, sans que celui-ci ne soit mis en mesure de formuler, dans un délai raisonnable, ses observations en réplique, sauf à ce que l’issue du litige lui soit favorable. Mais alors, à quoi bon lui communiquer le mémoire en défense ?
II. Les pouvoirs du juge du référé provision
L’étendue de l’allocation. Le juge des référés peut, c’est l’évidence, rejeter la demande qui lui est adressée en tant que celle-ci concerne une obligation sérieusement contestable. Mais il peut également, cela est tout aussi évident, faire droit à la demande. Dans ce cas, c’est à lui, d’une part, de déterminer le montant de la provision qui ne saurait excéder celui de la créance dont se prévaut le requérant. Il peut être ordonné le versement de tout ou partie de ce qui a été demandé. Sans doute est-il possible de concevoir que l’allocation de tout ou presque de ce qui a été demandé est un moyen d’éteindre certains contentieux, le requérant ayant obtenu satisfaction et le défendeur pouvant avoir été convaincu par le raisonnement du juge. En soi, une telle solution peut être approuvée et le juge peut être enclin de la retenir. Mais rien ne l’oblige à le faire, les textes autant que la jurisprudence restant muets sur ce point. Sauf à concevoir une extension du contrôle de cassation à la qualification juridique des faits, le juge du référé provision reste souverain quant au montant de l’allocation. En toute hypothèse, le juge des référés peut assortir le paiement d’une provision d’intérêts moratoires (CE, 2 avr. 2004, Sté Alstom power turbomachines, requête numéro 256504, Rec., p. 150).
La constitution de garanties. Il est concevable que le juge saisi de l’affaire au principal retienne une solution différente, voire contraire, de celle du juge des référés. Dans ce cas, le bénéficiaire de la provision devra reverser toute ou partie de la somme qui lui aura été allouée par provision. Il y a un risque ici que l’administration se trouve confrontée à une personne insolvable et ne puisse recouvrer la somme dont elle avait été initialement contrainte au paiement. Pour éviter une telle situation, l’article R. 541-1 du code de justice administrative autorise le juge des référés à subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie. Le juge peut ordonner cette garantie même d’office, à condition toutefois qu’elle soit justifiée par le montant de la provision et qu’il existe des éléments sur lesquels se fonder pour douter de la solvabilité du demandeur (CAA Nantes, 18 mai 1995, Renoult, requête numéro 94NT01278, Rec., T., p. 970).
La motivation de l’ordonnance du juge du référé provision. Suivant que l’ordonnance fait droit ou non à la demande de provision, l’obligation de motiver diffère. Lorsqu’il alloue une provision, le juge doit indiquer dans son ordonnance les motifs de fait et de droit sur lesquels il se fonde pour en déduire que l’obligation n’est pas sérieusement contestable (CE, 27 juin 1997, Centre hospitalier de Lagny, requête numéro 163496, Rec., p. 266). Cela conduit, en référé provision, à une motivation en général plus importante que dans les autres référés. Ceci ne saurait surprendre pour deux raisons :
– d’une part, il revient au juge de démontrer que la créance n’est pas sérieusement contestable, ce qui le conduit en pratique à opérer un contrôle de légalité qui s’apparente à celui mis en œuvre par le juge du fond ;
– d’autre part, l’allocation d’une provision n’est pas neutre. Elle emporte des conséquences parfois importantes pour le défendeur qui va être logiquement conduit à engager une action au fond là où il devrait ne pas avoir l’initiative. Il est dès lors normal que le juge de cassation soit mis en mesure de contrôler la régularité de l’ordonnance.
Ces arguments ne sauraient jouer dans les hypothèses de rejet et c’est en partie ce qui peut expliquer que, alors, le Conseil d’Etat se contente d’une motivation succincte, voire stéréotypée. Il suffit au juge des référés d’indiquer dans sa décision que l’obligation dont se prévaut le demandeur est « sérieusement contestable » (CE, 20 déc. 2000, Sté des Autoroutes du sud de la France, requête numéro 212293). Il n’est pas certain qu’une telle jurisprudence – qui diffère de celle auparavant en vigueur (CE, 22 mars 1999, Soudain, requête numéro 186336, préc.) – doive être approuvée. Le rejet ne modifie certes pas la situation des parties, mais il préjudicie au demandeur en tant qu’il ne lui permet pas d’obtenir, à titre provisoire, une somme dont il peut avoir besoin (de là notamment l’intérêt de montrer au juge l’existence d’une situation d’urgence alors même qu’elle n’est pas dictée par les textes). En outre, il y a une inconséquence à organiser dans tous les cas le même contrôle de l’erreur de droit sans permettre au juge de cassation de disposer, en tout litige, de la même motivation pour se forger sa conviction.
III. Les voies de recours
Un ou deux degrés de juridiction. Sauf à ce quelle soit rendue en dernier ressort, l’ordonnance rendue par le président du tribunal administratif est susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel dans les 15 jours suivants sa notification (CJA, art. R. 541-3).
L’ordonnance est rendue en dernier ressort lorsqu’elle porte sur un litige relevant des cas prévus aux 1° à 7° de l’article R. 811-1 du code de justice administrative (infra). En dehors de ces hypothèses, le montant de l’obligation en cause doit être regardé comme excédant celui au dessus duquel l’appel est possible, lorsque les conclusions adressées au juge du référé provision tendent au versement d’une somme supérieure à 10 000 euros. Dans le cas contraire, l’étendue de l’obligation doit être appréciée au vu de ce qui est contenu dans la requête et, le cas échéant, de l’existence d’une demande d’expertise. Notamment, lorsque le requérant se réserve la faculté de fixer le montant de la provision qu’il réclame en considération des conclusions de l’expert, le montant doit être tenu pour supérieur au seuil des 10 000 euros et l’ordonnance à intervenir sera dès lors susceptible d’appel (CE, 9 déc. 2015, Commune du Cannet et Cie Areas Dommages, requête numéro 391626, Rec.).
L’ordonnance rendue en dernier ressort est susceptible d’un recours en cassation, dans les 15 jours qui suivent sa notification (CJA, art. R. 541-5). Il y a cependant non lieu à statuer si, postérieurement à l’introduction du pourvoi, la juridiction s’est prononcée sur la demande indemnitaire et ce alors même que le jugement serait frappé d’appel. L’intervention du jugement est considérée comme ayant privé l’ordonnance de son caractère exécutoire (CE, 4 avr. 2005, Commune de Sainte-Geneviève-des-Bois, requête numéro 267325, Rec., T., p. 1020). Si le pourvoi est admis, et s’il conserve son objet, le Conseil d’Etat exercera un contrôle de la qualification juridique sur l’appréciation du caractère non contestable de l’obligation (CE, Sect., 6 déc. 2013, Thévenot, requête numéro 363290, préc.).
IV. Les conséquences de l’allocation d’une provision
Du provisoire pouvant durer… Le décret n° 2000-1115 du 22 novembre 2000 pris pour l’application de la loi du 30 juin 2000 a supprimé la condition suivant laquelle l’introduction d’un référé provision devait être précédée ou au moins accompagnée d’une demande au principal. La conséquence de cette suppression est d’autoriser des situations où l’allocation d’une provision au demandeur restera sans réponse au fond. Ceci explique l’article R. 541-4 du code de justice administrative, aux termes duquel, « si le créancier n’a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d’une provision peut saisir le juge du fond d’une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel ». Ainsi formulé, l’article R. 541-4 laisse le choix à la personne condamnée au paiement de la provision de saisir ou de ne pas saisir le juge au fond. C’est la faiblesse de cette disposition qui s’accorde mal avec le principe suivant lequel l’administration ne doit jamais être condamnée au paiement d’une somme qu’elle ne doit pas (CE, Sect., 19 mars 1971, Mergui, requête numéro 79962, Rec., p. 235, concl. M. Rougevin-Baville ; AJDA 1971, p. 274, chron. D. Labetoulle et P. Cabanes ; RDP 1972, p. 234, note M. Waline). L’ordonnance du juge des référés n’emportant que des effets provisoires, et n’étant pas à ce titre revêtu de l’autorité de la chose jugée, ce que rappelle le Conseil d’Etat (CE, 11 déc. 2015, Commune de Colmar, requête numéro 383625, Rec.), on ne peut se satisfaire de ce qu’une personne publique puisse, en opportunité, ne pas saisir le juge alors même qu’elle le devrait. Il serait nettement plus satisfaisant que la saisine du juge au fond procède automatiquement de la condamnation au paiement prononcée par le juge du référé provision.
Bibliographie indicative.
L. Abramowitch, « Un Janus procédural : le référé-constat », AJDA 2013, pp. 448 et s.
Ph. Delelis, « Les insuffisances des procédures de référé », AJDA 2011, pp. 320 et s.
C.-A. Dubreuil, « Le référé-provision, référé administratif au fond ?, RFDA 2007, pp. 1005 et s.
S. Platon, « Le référé-provision administratif », Dr. adm. 2008, étude 1.
Y. Strickler, « Regard d’un privatiste sur le référé administratif », RFDA 2007, pp. 86 et s.
Section 2 – Les référés ordinaires spécifiques
Un succès inégal suivant les matières. Certains référés ordinaires sont spécifiques en ce qu’ils sont organisés pour des matières déterminées. Les référés en matière de passation des contrats (Sous-section 1) sont de loin ceux qui connaissent le succès le plus important. D’autres existent, dont la rareté de leur mise en œuvre ne justifierait cependant pas qu’on les ignore (Sous-section 2).
Sous-section 1 – Les référés en matière de passation de contrats
L’influence du droit de l’Union européenne. Le droit de l’Union européenne repose sur l’idée que les contrats d’une certaine ampleur visant la satisfaction des besoins des personnes publiques doivent être passés suivant des procédures non discriminatoires garantissant les principes de transparence et de mise en concurrence. Ces principes doivent être respectés même en dehors du champ d’application des directives régissant la matière (CJCE, aff. C-324/98, 7 déc. 2000, Telaustria Verlags GmbH ; Contrats-March. pub. 2001, n° 2, p. 24, note F. Llorens ; LPA 2001, n° 85, p. 13, note B. Cantier et A. Troizier ; Europe 2001, n° 2, p. 20, note F. Kauff-Gazin). Cette contrainte serait illusoire si les procédures de passation devaient rester à l’abri de toute contestation efficace de la part des concurrents non retenus. Les directives du 21 décembre 1989 (directive 89/665/CEE du Conseil du 21 sept. 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, JOCE L 395 du 30 déc. 1989) et du 25 février 1992 (directive 92/13/CEE du Conseil du 25 févr. 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, JOCE L 76 du 23 mars 1992) ont ainsi eu pour effet de contraindre les Etats membres de la communauté à organiser des mécanismes de recours propres à garantir le respect des règles de passation des marchés publics telles qu’organisées par le droit communautaire. De là l’avènement du référé précontractuel en contentieux administratif français (loi n° 92-10 du 4 janvier 1992 relative aux recours en matière de contrats et marchés, JORF 7 janv. 1992). Les insuffisances constatées dans les droits internes ont incité le législateur communautaire à adopter une directive, dite « recours », renforçant l’efficacité des procédures de recours en la matière (directive 2007/66/CE du 11 déc. 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, JOUE L335/31 du 20 déc. 2007).
L’essor d’un droit interne de la commande publique. Par un phénomène remarquable d’assimilation et à certains égards même d’acculturation, les juridictions nationales ont totalement intégré les exigences du droit de l’Union européenne, au point même qu’il y a parfois lieu de se demander si celui-ci n’est pas devenu accessoire. Le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à reconnaître la valeur constitutionnelle des principes directeurs de la commande publique (Cons. const., décision numéro 2003-473 DC du 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, Rec. Cons. const., p. 382 ; AJDA 2003, p. 2348, note E. Fatôme et L. Richer ; RFDC 2003, p. 772, note E. Fatôme et L. Richer ; JCP adm. 2004, n° 14, p. 449, note F. Linditch), et le Conseil d’Etat d’en prendre acte sans difficulté au point de censurer certaines tentatives du pouvoir réglementaire de desserrer l’étau procédural, notamment celle élevant de 4000 euros à 20000 euros le seuil en dessous duquel les marchés publics pouvaient être conclus de gré à gré (CE, 10 févr. 2010, M. Perez, requête numéro 329100, Rec., p. 17). Une telle rigueur n’a pas été sans générer des difficultés, notamment pour les acheteurs publics. En effet, la jurisprudence administrative était sans nuance, qui sanctionnait toute atteinte aux obligations de transparence et de mise en concurrence, alors même que celle-ci n’aurait pas affecté la situation du requérant.
Un contentieux de la passation rationalisé. Cette jurisprudence est révolue, la décision Smirgeones du Conseil d’Etat du 3 octobre 2008 ayant contribué à la subjectivisation du contentieux précontractuel (CE, Sect., 3 oct. 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe, requête numéro 305420, Rec., p. 324, concl. B. Dacosta ; AJDA 2008, p. 2161, chron. E. Geffray et S.-J. Liéber ; JCP adm. 2008, n° 47, p. 27, note F. Linditch ; RDI 2008, n° 10, p. 499, note S. Braconnier ; RFDA 2008, p. 1128, concl. B. Dacosta et note P. Delvolvé). En outre, la directive recours n’a pas seulement incité le Conseil d’Etat, par anticipation, à adopter sa jurisprudence Tropic (CE, Ass., 16 juill. 2007, Société Tropic travaux signalisation, requête numéro 291545, Rec., p. 360 ; RFDA 2007, p. 696, concl. D. Casas ; AJDA 2007, p. 1577, chron. F. Lenica et J. Boucher ; JCP gén. 2007, II, 10156, note M. Ubaud-Bergeron et 10160, note B. Sellier ; JCP adm. 2007, 2212, note F. Linditch et 2221, note M.-C. Rouault). Elle a également conduit, avec l’ordonnance du 7 mai 2009 (ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, JORF 8 mai 2009, p. 7796 ; Dr. adm. juin 2009, note T. Pez ; Contrats.-March. pub. juill. 2009, note J.-F. Lafaix), à la réécriture partielle des règles présidant au référé précontractuel (§ 1) et à la création du référé contractuel (§ 2).
§ 1 : Le référé précontractuel
Les articles L. 551-1 et L. 551-5 du code de justice administrative. Le référé précontractuel est la voie de recours permettant d’obtenir la sanction de la passation d’un contrat dont la procédure se déroule ou s’est déroulée au mépris des obligations de publicité et de mise en concurrence. Il doit être exercé avant la conclusion du contrat. Le code de justice administrative distingue deux référés précontractuels : ceux conclus par un pouvoir adjudicateur (CJA, art. L. 551-1) et ceux conclus par une entité adjudicatrice (CJA, art. L. 551-5). Cette distinction procède de la distinction faite par le droit de l’Union européenne en fonction de l’activité donnant lieu à la conclusion du contrat. Mais la définition du référé précontractuel reste la même. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, « le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». L’article L. 551-5 du code de justice administrative prévoit les mêmes dispositions pour les contrats passés par les entités adjudicatrices. L’article L. 551-1 du code dispose encore, en son deuxième alinéa, que le juge des référés peut également être saisi « en cas de manquement aux mêmes obligations auxquelles sont soumises, en application de l’article L. 521-20 du code de l’énergie, la sélection de l’actionnaire opérateur d’une société d’économie mixte hydroélectrique et la désignation de l’attributaire de la concession ». Peu ou prou, les conditions d’admission du référé précontractuel (I), la procédure (II), les pouvoirs du juge (III) et les voies de recours (IV) sont les mêmes.
I. Les conditions d’admission du référé précontractuel
Des conditions d’admission contraignantes. Le requérant doit prendre garde. Le référé précontractuel n’est pas ouvert à l’encontre de toute procédure de passation (A) et sa requête ne peut se contenter d’être sommaire. Même si, en effet, il s’agit d’une procédure de référé, un grand soin doit être apporté par le requérant à démontrer que les conditions d’admission du référé précontractuel qu’il intente sont réunies (B), la tendance contemporaine de la juridiction administrative étant de durcir son degré d’exigence.
A. Les procédures concernées
Les procédures prévues par un texte. La passation de certaines catégories de contrats est plus ou moins formalisée par un texte. C’est le cas des marchés publics et des délégations de service public mais également lorsqu’ils répondent à la définition donnée aux articles L. 551-1 ou L 551-5 du code de justice administrative, les contrats de partenariats, les baux emphytéotiques administratifs, les sous-concessions de plage. Le juge du référé précontractuel est compétent pour connaître des manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence affectant la procédure de passation de ces contrats, même si, compte tenu des modalités de la procédure choisie, il n’est pas certain qu’un contrat de ce type soit finalement conclu (CE, 10 juin 2009, Port autonome de Marseille, requête numéro 317671, Rec., T., p. 840 ; RJEP 2010, comm. 7, note C. Chamard-Heim).
A propos des marchés publics passés des personnes privées. Tous les marchés publics ne sont pas connus du juge administratif. Aux termes de l’article 3 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, « les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ». A contrario, les marchés publics passés par des personnes privées – l’hypothèse n’est pas d’école – restent des contrats de droit privé sauf s’ils remplissent les critères jurisprudentiels du contrat administratif, comme c’était déjà le cas sous l’empire de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005. Lorsque ces marchés sont des contrats de droit privé, c’est alors au juge civil de connaître de leur passation en application de l’article 1441-1 du code de procédure civile. Sans doute peut-on se satisfaire de ce qu’il a été mis fin, depuis quelques années déjà, à la concurrence de compétence entre juridictions civiles et juridictions commerciales, au profit d’une douzaine de tribunaux de grande instance (décret n° 2009-1455 du 27 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations concernant les obligations de publicité et de mise en concurrence des contrats de droit privé relevant de la commande publique, J.O.R.F. 28 novembre 2009, p. 20565). Il n’en demeure pas moins regrettable que le législateur délégué n’ait pas tordu le coup une bonne fois pour toutes à ce dualisme juridictionnel, facteur sans raison convaincante de complications, quand on sait le bénéfice qui pourrait être tiré de l’organisation d’un bloc de compétence au profit du juge administratif, bloc qui faciliterait la vie des requérants et qui éviterait notamment les divergences de jurisprudences entre les deux ordres de juridiction (sur cette question, P. Caille, « Les particularités contentieuses des marchés de droit privé de l’administration en France », Dr. et ville 2010, pp. 253 et s.).
Sur les contrats innommés. L’imagination féconde des acheteurs publics peut être sans limite lorsqu’il s’agit d’éviter les contraintes procédurales. Certains montages échappaient ainsi au contrôle du juge des référés parce que n’entrant pas précisément dans l’une des catégories de contrats nommés. C’est la raison pour laquelle les articles L. 551-1 et L. 551-5 du code de justice administrative prévoient une formule plus large depuis l’ordonnance du 7 mai 2009 : lorsque le contrat vise la satisfaction d’un besoin de l’administration en matière de travaux, de fournitures ou de services avec un droit d’exploitation pour contrepartie, celui-ci peut faire l’objet d’un référé précontractuel.
L’exclusion des conventions domaniales. La question de la soumission des conventions portant occupation du domaine public aux règles de publicité et de mise en concurrence s’est longtemps posée. Le Conseil d’Etat a finalement tranché. Si l’autorité gestionnaire d’une dépendance domaniale est libre de mettre en concurrence la délivrance du titre d’occupation, elle n’est jamais tenue de le faire (CE, Sect., 3 déc. 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, requêtes numéros 338272 et 338527, Rec., p. 472 ; AJDA 2010, p. 2011, p. 18, étude S. Nicinski et E. Glaser ; AJCT 2011, p. 37, obs. J.-D. Dreyfus ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. n° 25, note G. Eckert ; Dr. adm. 2011, comm. n° 17, note F. Brenet et F. Melleray ; RDI 2011, p. 162, obs. S. Braconnier et R. Noguellou), sauf à ce que la convention soit également constitutive d’un contrat dont la passation est soumise à une procédure de mise en concurrence prévue par un texte, qu’il s’agisse d’un marché public (CE, Ass., 4 nov. 2005, Sté J-C. Decaux, requêtes numéros 247298 et 247299, Rec., p. 476 ; AJDA 2006, p. 120, note A. Ménéménis ; BJCP 2006, n° 44, p. 27, concl. D. Casas ; JCP adm. 2005, n° 50, p. 1825, note F. Linditch) ou une concession de service public (CE, 20 déc. 2000, CCI du Var, requête numéro 217639) par exemple. En dehors de cette hypothèse, la soumission volontaire à une procédure de passation n’ouvre pas la faculté aux concurrents évincés de mettre en œuvre le référé précontractuel (CE, 19 janv. 2011, CCI Pointe-à-Pitre, requête numéro 341669, Rec., T., p. 1021 ; BJCP 2011, p. 101, concl. N. Boulouis ; AJDA 2011, p. 1330, note P. Caille ; Contrats-March. publ. mars 2011, comm. 86), même si la personne publique a expressément fait application du code des marchés publics (CE, 3 déc. 2014, Établissement public Tisséo et Société Métrobus, requête numéro 384170, Rec., T., p. 748 ; BJCP 2015, p. 128, concl. G. Pellissier).
B. La requête
Le juge compétent. Le juge compétent pour connaître du référé précontractuel est le président du tribunal administratif, ou un magistrat qu’il délègue, compétent pour connaître du litige au fond, c’est-à-dire celui dans le ressort duquel le contrat doit être exécuté (CJA, art. R. 312-11). Dans l’hypothèse où l’exécution du contrat a vocation à excéder le ressort d’un seul tribunal ou si le lieu d’exécution n’est pas précisé, il s’agira du tribunal administratif dans le ressort duquel l’autorité publique contractante ou la première dénommée parmi elles se situe (CJA, art. R. 312-11). Conformément à l’article R. 312-19 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Paris est compétent dans le cas d’un marché public passé et exécuté à l’étranger (CE, 29 juin 2012, Sté Pro 2C, requête numéro 357976, Rec., p. 258).
L’enregistrement de la requête. Le référé précontractuel ne peut prospérer que si le contrat n’a pas encore été signé. De jurisprudence constante, la requête doit ainsi être enregistrée avant la signature du contrat (CE, Sect., 3 nov. 1995, CCI de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, requête numéro 157304, Rec., p. 394, concl. C. Chantepy ; RFDA 1995, p. 1077, concl. C. Chantepy ; AJDA 1995, p. 888, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux). Conséquence de la directive recours, l’enregistrement de la requête emporte automatiquement suspension de la signature jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice de la décision juridictionnelle (CJA, art. L. 551-4 et L. 551-9). Afin d’éviter que l’acheteur public signe de bonne foi le contrat alors que le juge des référés aurait déjà été saisi, les articles R. 551-1 et R. 551-2 du code de justice administrative font obligation à l’auteur du recours de notifier celui-ci, respectivement au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice. Cette obligation faite de notifier le recours n’emporte cependant pas les mêmes effets qu’en contentieux de l’urbanisme. Il ne s’agit ici que d’une mesure permettant de prémunir le requérant d’une situation de non-lieu, dans le cas où le contrat serait signé. C’est la raison pour laquelle cette notification n’est pas organisée à peine d’irrecevabilité de la requête (CE, 10 nov. 2010, Ministre de la Défense, requête numéro 341132, Rec., T., p. 885 ; Contrats-March. publ. 2011, n° 1, p. 43, note F. Llorens). Mais à défaut de notification, la signature du contrat n’est pas fautive (CE, 30 sept. 2011, Commune de Maizières-Les-Metz, requête numéro 350148, Rec., p. 450 ; BJCP 2011, p. 465, concl. B. Dacosta), sauf à ce que le greffe de la juridiction ait pallié la carence du requérant en communiquant la requête au pouvoir adjudicateur avant la signature du contrat (CE, 1er mars 2012, OPAC du Rhône, requête numéro 355560, Rec., T., p. 859).
L’intérêt à agir. Aux termes de l’article L. 551-10 du code de justice administrative, les personnes habilitées à engager un référé précontractuel « sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local ». Il en résulte que les personnes n’ayant pas vocation à conclure le contrat ne sont pas recevables à le contester par la voie du référé précontractuel. La spécialité d’une société suffit à établir son intérêt à conclure le contrat et la rend donc recevable en référé précontractuel (CE, 8 août 2008, Région de Bourgogne, requête numéro 307143, Rec., T., p. 819 ; JCP adm. 2008, n° 40, p. 24, note F. Linditch ; RDI 2008, p. 503, note R. Noguellou). Mais encore faut-il rappeler ici que l’intérêt du requérant doit être lésé. Ainsi, l’attributaire du marché n’a pas d’intérêt à agir devant le juge du référé précontractuel (CE, 23 déc. 2011, Département de la Guadeloupe, requête numéro 350231, Rec., T., p. 1021 ; AJDA 2012, p. 442, note P. Cassia). Le requérant n’est par ailleurs recevable à intenter un référé que pour autant qu’il a été régulièrement candidat (CE, 11 avr. 2012, Syndicat Ody 1218 Newline du Lloyd’s de Londres et Bureau européen d’assurance hospitalière, requêtes numéros 354652 et 354709, Rec., T., p. 858 ; JCP adm 2012, 2327, concl. N. Boulouis) ou qu’il a été dissuadé, voire empêché, de candidater en raison des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 29 avr. 2015, Syndicat de valorisation des déchets de la Guadeloupe, requête numéro 386748, Rec., T.).
Un contentieux initialement objectif. La question des moyens invocables a été l’une de celles qui a fait l’objet d’une profonde rénovation ces dernières années. Dans son état initial, la jurisprudence admettait que tout moyen pouvait être soulevé, même si le manquement allégué avait préjudicié à d’autres personnes que le requérant (CE, 19 oct. 2001, Sté Alsthom Transport SA, requête numéro 233173, Rec., T., p. 868 ; RDI 2002, p. 65, obs. M. Degoffe). Il en a découlé un contentieux résolument objectif, avec cette sinistre conséquence que de nombreuses procédures ont été censurées alors même que les requérants n’auraient pas eu plus de chance d’emporter les contrats si les vices n’avaient pas existé. L’insécurité juridique qui en résultait était décriée, même si cette jurisprudence avait le mérite de contraindre les personnes publiques à plus de rigueur dans l’établissement des documents de la consultation et dans la conduite des procédures.
La décision Smirgeomes de 2008. Sous la pression des acheteurs publics et de la doctrine, le Conseil d’Etat a dû reconsidérer l’économie générale de ce contentieux. Le revirement de jurisprudence est intervenu avec la décision Smirgeomes du 3 octobre 2008 aux termes de laquelle le juge des référés doit « rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (CE, Sect., 3 oct. 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe, requête numéro 305420, préc.). Tout moyen n’est donc plus de nature à justifier la censure du juge, à un double titre. D’une part, il appartient au requérant de saisir le juge des référés au moment opportun, un moyen risquant d’être rejeté si le référé est introduit trop tardivement par rapport au moment où le manquement a exercé une influence sur le déroulement de la procédure. D’autre part, le requérant devra démontrer qu’il est lésé par le manquement allégué.
Les moyens invocables. Toutes les atteintes aux principes directeurs de la commande publique, que traduisent les obligations de publicité et de mise en concurrence, sont susceptibles d’être invoquées à l’appui du référé.
Il s’agit en premier lieu de s’assurer que l’accès à la commande publique n’a pas été entravé par des prescriptions techniques excessivement ou illicitement restrictives. Le juge des référés peut, par exemple, vérifier :
– que les prescriptions imposées dans les documents de la consultation par le pouvoir adjudicateur ne méconnaissent pas la réglementation technique applicable à l’attribution d’un marché public (CE, 4 févr. 2009, Commune de Toulon, requête numéro 311344, Rec., T., p. 190) ;
– que le choix de recourir à une procédure de dialogue compétitif était justifié par les circonstances (CE, 11 mars 2013, Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie et Mutuelle des chambres de commerce et d’industrie, requêtes numéros 364551 et 364603, Rec., T., p. 691) ;
– que les niveaux minimaux de capacité imposés aux candidats ne sont pas manifestement dépourvus de tout lien avec l’objet du marché et qu’ils ne sont pas manifestement disproportionnés (CE, 7 mai 2013, Sté Segex et Sté Aximum, requête numéro 365706, Rec., T., p. 702 ; BJCP 2013, p. 366, concl. B. Dacosta).
Il s’agit, en deuxième lieu, de s’assurer que l’obligation de transparence des procédures n’a pas été méconnue, notamment qu’est suffisante :
– la diffusion de l’avis d’appel public à la concurrence (CE, 4 févr. 2009, Communauté d’agglomération du bassin de Thau, requête numéro 311949, Rec., T., p. 828) ;
– la détermination de ses besoins par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice (CE, 24 oct. 2008, Communauté d’agglomération de l’Artois, requête numéro 313600, Rec., T., p. 643) ;
– la précision des critères de sélection des offres (CE, 26 sept. 2012, GIE « Groupement des poursuites extérieures », requête numéro 359389, Rec., T., p. 829).
Il s’agit en troisième lieu de s’assurer que l’égalité de traitement entre les candidats a bien été respectée. Le juge des référés peut ainsi :
– apprécier les motifs de l’exclusion ou de l’admission d’une candidature dans le cadre de l’attribution d’une délégation de service public (CE, 6 oct. 2004, Sté La Communication hospitalière et Assistance publique – Hôpitaux de Paris, requêtes numéros 263083 et 263182, Rec., T., p. 849 ; AJDA 2004, p. 2338, note S. Hul), mais il limite à l’erreur manifeste d’appréciation son contrôle sur les capacités professionnelles et techniques des candidats (CE, 17 sept. 2014, Sté Delta Process, requête numéro 378722, Rec., T., pp. 748 et 823) ;
– s’assurer qu’aucun critère de choix de l’offre n’a été illégalement retenu (CE, 2 août 2011, Parc naturel régional des grands causses, requête numéro 348254, Rec., T., p. 1007 ; BJCP 2011, p. 430, concl. B. Dacosta) ;
– vérifier que l’exécution du contrat en cause entre dans le champ de compétence de la personne publique et, s’il s’agit d’un établissement public, s’assurer que le principe de spécialité n’est pas méconnu (CE, 18 sept. 2015, SARL Sitadin Urbanisme et Paysage et a., requête numéro 390041, Rec., T.).
Les moyens ne pouvant être invoqués. Parce qu’ils ne sont pas tournés vers le respect des principes directeurs de la commande publique, certains moyens ne sont pas, par principe, susceptibles d’être invoqués en référé précontractuel.
Par exemple, il n’appartient pas au juge des référés de se prononcer :
– sur les répercussions que la conclusion du contrat emporterait sur un contrat déjà en cours d’exécution (CE, 28 juill. 1999, SA Bouygues et a., requête numéro 206749, Rec., p. 266) ;
– sur les distorsions de concurrence générées par le contrat projeté (CE, 24 oct. 2001, Collectivité territoriale de Corse et a., requête numéro 236293, Rec., p. 485 ; BJCP 2002, p. 139, concl. C. Bergeal) ;
– sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou sur les mérites respectifs des différentes offres (CE, 29 juill. 1998, Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération clermontoise et Stés Spie Batignolles et ANF Industries, requête numéro 194412, Rec., T., p. 1098 ; RDI 1999, p. 86, obs. F. Llorens), même s’il doit par ailleurs, saisi d’un moyen en ce sens, s’assurer que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu de l’offre en méconnaissant ou en altérant manifestement son contenu (CE, 20 janv. 2016, Sté Derichebourg Polyurbaine, requête numéro 394133, Rec., T.) ;
– sur la méthode de notation, sauf à ce que celle-ci procède d’une erreur de droit ou révèle une discrimination illicite (CE, 11 mars 2013, Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie et Mutuelle des chambres de commerce et d’industrie, requêtes numéros 364551 et 364603, Rec., T., p. 703).
II. La procédure du référé précontractuel
L’encadrement du délai imparti au juge pour statuer. Le juge des référés doit statuer dans un délai de vingt jours à compter de sa saisine (CJA, art. R. 551-5), même si le délai n’est qu’indicatif (CE, 28 juill. 1999, SA Bouygues et a., requête numéro 206749, Rec., p. 266 ; RDI 1999, p. 647, obs. F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; CJEG 1999, p. 357, concl. C. Bergeal). En outre, lorsque l’attributaire du contrat a déjà été choisi, le juge ne peut statuer avant le seizième jour à compter de la date d’envoi de la décision d’attribution du contrat aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre, délai qui est ramené à onze jours lorsque cet envoi a été fait par voie électronique (CJA, art. R. 551-5). Il s’agit ici de concilier deux impératifs : d’une part, celui de permettre au plus vite la conclusion du contrat (pour peu qu’il ait été régulièrement passé), d’autre part, de garantir l’effet utile du référé, les requérants potentiels devant être mis en mesure de saisir effectivement le juge (ce qui suppose de leur laisser le temps de le faire en respectant le délai qui leur est imparti).
Une procédure classique. La procédure du référé précontractuel est contradictoire. La difficulté procède de ce que les documents portés à la connaissance du juge sont parfois couverts par le secret industriel et commercial. Même dans cette hypothèse, le juge ne saurait se fonder sur ces éléments sans que la partie adverse ait été mise en mesure d’y répondre (CE, 10 juin 2009, Sté Baudin Châteauneuf, requête numéro 320037, Rec., T., p. 841). L’urgence ici ne saurait pas plus justifier les entorses au principe du contradictoire. Une exception cependant, qui ne diffère pas de ce que l’on connait en procédure de droit commun, réside dans ce que le juge des référés peut rejeter le référé sans instruction préalable sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative (CE, 7 mars 2005, Sté Grandjouan-Saco, requête numéro 270778, Rec., p. 96).
La place importante assignée à l’oralité. La clôture de l’instruction intervient à l’issue de l’audience publique. L’obligation de tenir une audience publique (CE, Ass., 10 juin 1994, Commune de Cabourg, requête numéro 141633, Rec., p. 300 ; RFDA 1994, p. 728, concl. S. Lasvignes ; AJDA 1994, p. 560, chron. C. Maugüé et L. Touvet) se pose comme la contrepartie des pouvoirs importants détenus par le juge du référé précontractuel et de l’exclusion de toute faculté d’appel. Les parties doivent être mises en mesure de formuler des observations orales. En pratique, il est indéniable que l’audience publique revêt une grande importance en référé précontractuel. Elle est l’occasion de développer des arguments qui, sur des points parfois très techniques, sont particulièrement utiles au juge qui doit se forger sa conviction.
III. Les pouvoirs du juge du référé précontractuel
Un juge de pleine juridiction. Les pouvoirs du juge du référé précontractuel sont particulièrement importants. En tant que juge de pleine juridiction, le juge du référé précontractuel se place au jour où il statue pour décider des mesures à prendre (CE, 16 oct. 2000, Cie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, requête numéro 212054). Conformément à l’article L. 551-12 du code de justice administrative, il peut également aller au-delà des conclusions du requérant et notamment annuler la procédure là où seule sa suspension était demandée (CE, 20 oct. 2006, Commune d’Andeville, requête numéro 289234, Rec., p. 434 ; AJDA 2006, p. 2340, note D. Casas ; JCP adm. 2006, 1301, note F. Linditch ; JCP gén. 2006, I, 201, obs. B. Plessix). Les pouvoirs du juge diffèrent cependant en partie suivant que le contrat est passé par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice.
Concernant les contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs, le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 551-2-I al. 1er du code de justice administrative, ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat. Mais, suivant la même disposition, le juge du référé précontractuel met en balance les intérêts en présence, notamment l’intérêt public, et peut décider de ne pas mettre en œuvre ses pouvoirs si les conséquences graves résultant des mesures ordonnées devaient l’emporter sur ses avantages. L’article L. 551-2-I al. 1er du code de justice administrative n’est cependant pas applicable, en application du II, aux contrats passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité au sens de l’article 6 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Pour ces contrats, il est fait application des articles L. 551-6 et L. 551-7 du code de justice administrative. Suivant l’alinéa 2, le juge des référés peut également annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions contenues dans les pièces du contrat et qui méconnaissent les obligations auxquelles est soumis le pouvoir adjudicateur.
Concernant les contrats passés par les entités adjudicatrices, et en application de l’article L. 551-6 du code de justice administrative, le juge des référés peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations en lui fixant un délai à cette fin. Il lui est également possible d’enjoindre à l’entité adjudicatrice de suspendre l’exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat. Ces mesures ordonnées peuvent être assorties – et c’est là l’une des spécificités par rapport à l’article L. 551-2 – d’une astreinte. Suivant les mêmes termes que ceux contenus à l’article L. 551-2 du code de justice administrative, l’article L. 551-7 du code autorise le juge des référés à ne pas ordonner des mesures dont les conséquences négatives seraient plus importantes que les avantages. Le pouvoir d’annuler les décisions se rapportant à la passation du contrat et celui de supprimer les clauses et prescriptions qui méconnaissent les obligations du pouvoir adjudicateur ne sont pas reconnus au juge des référés ici. C’est la différence essentielle entre les articles L. 551-2 et L. 551-6.
Un contrôle à géométrie variable. Le juge du référé précontractuel exerce en principe un contrôle normal. Toutefois, ce contrôle est limité à l’erreur manifeste d’appréciation sur certains points. Il en va ainsi du contrôle exercé sur la définition de ses besoins par le pouvoir adjudicateur (CE, 2 oct. 2013, Département de l’Oise, requête numéro 368846, Rec., T., p. 702 ; BJCP 2014, p. 43, concl. B. Dacosta), sur les modalités de l’allotissement auquel s’est livré le pouvoir adjudicateur (CE, 21 mai 2010, Commune d’Ajaccio, requête numéro 333737, Rec., T., p. 849), sur le détermination des niveaux minimaux de capacité (CE, 7 mai 2013, Sté Segex et Sté Aximum, requête numéro 365706, préc.), ou encore sur l’appréciation du caractère anormalement bas de l’offre (CE, 29 mai 2013, Ministre de l’Intérieur c. Sté Artéis, requête numéro 366606, Rec., T., pp. 602 et 703).
IV. Les voies de recours
Le recours en cassation. Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort (CJA, art. L. 551-3 et L. 551-8). L’ordonnance rendue n’est donc susceptible que d’un recours en cassation, dans la quinzaine de sa notification (CJA, art. R. 551-6). Ce recours ne présente souvent d’intérêt, en pratique, que dans le cas où le juge des référés a fait droit au demandeur. En effet, lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de rejet, le juge de cassation devra fréquemment prononcer un non-lieu, le contrat ayant été signé (CE, Sect., 3 nov. 1995, Sté Stentofon Communications, requête numéro 152650, Rec., p. 393, concl. C. Chantepy ; RFDA 1995, p. 1077, concl. C. Chantepy ; CJEG 1996, p. 67, concl. C. Chantepy ; AJDA 1995, p. 888, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux).
§ 2 : Le référé contractuel
Un avènement tardif. L’existence du référé précontractuel a certes permis d’obtenir la censure de nombre d’atteintes aux règles de publicité et de mise en concurrence et rappeler ainsi les acheteurs publics à leurs obligations en la matière. Mais le dispositif ne suffisait pas, notamment en ce que la signature du contrat rendait le référé précontractuel sans objet. Par l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, le législateur délégué est intervenu pour transposer la directive recours du 11 décembre 2007, en instituant en particulier le référé contractuel dont il convient d’examiner les conditions d’admission (I), la procédure (II), les pouvoirs du juge (III) et les voies de recours (IV).
I. Les conditions d’admission du référé contractuel
La compétence. Le juge des référés compétent pour connaître de la demande est le même que celui compétent en référé précontractuel. Il s’agit donc du président du tribunal administratif, ou d’un magistrat qu’il délègue, dans le ressort duquel l’autorité administrative signataire a son siège (CJA, art. R. 312-11). De la même manière qu’en référé précontractuel, les contrats passés et exécutés à l’étranger sont de la compétence du juge des référés du tribunal administratif de Paris (CJA, art. R. 312-19).
Les contrats concernés. Le référé contractuel ne peut être exercé qu’à l’encontre d’un contrat déjà conclu et précédemment susceptible de référé précontractuel (CJA, art. L. 551-13). Le Conseil d’Etat admet qu’un référé précontractuel et un référé contractuel soient contenus dans une seule et même requête (CE, 10 nov. 2010, Etablissement public national des produits de la mer (France Agrimer), requête numéro 340944, Rec., T., p. 858 ; JCP adm. 2010, 2379, note F. Linditch). Ceci ne signifie pas, en réalité, qu’un contrat non signé puisse faire l’objet d’un référé contractuel. Cette faculté offerte au requérant procède de la double considération de ce que, d’une part, il y a identité de juges pour connaître des deux litiges, d’autre part, de ce que, en cas de signature du contrat, le référé contractuel peut alors prendre au plus vite le relai du référé précontractuel.
Le délai pour agir. Le juge du référé contractuel doit être saisi au plus tard le trente et unième jour suivant la publication d’un avis d’attribution ou, pour les marchés fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique, à compter de la notification de la conclusion du contrat (CJA, art. R. 551-7). Il peut néanmoins arriver qu’aucune mesure de publicité n’ait été accomplie par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice. Dans ce cas, le délai pour saisir la juridiction est de 6 mois à compter de la conclusion du contrat (CJA, art. R. 551-7).
L’intérêt pour agir. Suivant l’article L. 551-14 du code de justice administrative, peuvent exercer un référé contractuel les personnes ayant préalablement intenté un référé précontractuel en ayant eu qualité pour ce faire, à la condition supplémentaire que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’ait pas respecté son obligation de suspendre la signature ou ne se soit pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé précontractuel.
Ne sont donc pas recevables à exercer un référé contractuel, d’une part, les candidats dont le référé précontractuel a été rejeté.
Ne sont pas recevables, d’autre part, les candidats qui n’ont pas saisi le juge du référé précontractuel (CE, 2 août 2011, Sté Clean Garden, requête numéro 347526, Rec, T., p. 1021). Concernant cette seconde catégorie, cependant, les candidats ne doivent pas avoir été empêchés d’exercer un tel référé, notamment par un manquement du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice à son obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus (CE, 10 nov. 2010, Etablissement public national des produits de la mer (France Agrimer), requête numéro 340944, préc.) ou qui n’ont pas respecté le délai de stand still. Et encore faut-il, lorsque le délai de stand still ait été respecté, et que les candidats évincés aient été dûment informés de ce délai (CE, 24 juin 2011, Office public de l’habitat interdépartemental de l’Essonne, du Val-d’Oise et des Yvelines et Sté Seni, requête numéro 346665, Rec., T., p. 1024). Lorsque la passation d’un contrat n’est pas soumise à une telle obligation de publicité, conformément à l’article L. 551-15 du code de justice administrative, l’acheteur public doit néanmoins rendre publique son intention de conclure le contrat et respecter le délai de stand still à peine de rendre recevable le référé contractuel (CE, 19 janv. 2011, Grand port maritime du Havre, requête numéro 343435, Rec., p. 11 ; AJDA 2011, p. 800, note J.-D. Dreyfus; BJCP 2011, p. 125, concl. N. Boulouis ; Contrats-March. publ. 2011, n° 3, comm. 92, note G. Eckert).
Dans tous les cas, la signature du contrat au mépris de l’obligation de suspension résultant de l’enregistrement d’un référé précontractuel rend recevable le référé contractuel, sauf à ce que le référé précontractuel n’ait pas été notifié (CE, 30 sept. 2011, Commune de Maizières-Les-Metz, requête numéro 350148, préc.) ni communiqué au signataire par le greffe (CE, 1er mars 2012, OPAC du Rhône, requête numéro 355560, préc.). Il ne s’agit pas là d’une appréciation subjective à porter. Le juge du référé contractuel ne doit pas rechercher si, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, le pouvoir adjudicateur doit être regardé comme ayant eu ou non connaissance de l’existence du référé précontractuel. Il lui incombe uniquement de rechercher si le référé a été communiqué au pouvoir adjudicateur par le greffe ou s’il lui a été notifié par le requérant dans les conditions prévues à l’article R. 551-1 du code de justice administrative (CE, 5 mars 2014, Sté Eiffage TP, requêtes numéros 374048 et 374049, Rec., T., pp. 748 et 749).
Les moyens invocables. Tous les manquements ne sont pas susceptibles d’être contestés devant le juge du référé contractuel. Il ne peut s’agir que de ceux énumérés aux articles L. 551-18 et L. 551-20 du code de justice administrative (CE, 19 janv. 2011, Grand port maritime du Havre, requête numéro 343435, préc.). Il s’agit donc de l’absence des mesures de publicité prescrites par les textes applicables, la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats subséquents dans le cadre d’un accord-cadre ou d’un système d’acquisition dynamique ou encore du non respect du délai de stand still ou de la suspension due à l’exercice d’un référé précontractuel, si ce manquement a privé le requérant de sa faculté d’exercer un référé précontractuel et si les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles la passation du contrat était soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat (CJA, art. L. 551-18). Le Conseil d’Etat a pu encore préciser que les candidats à l’attribution d’une délégation de service public peuvent utilement invoquer les seuls manquements de l’autorité délégante à ses obligations de publicité visées au premier alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative (CE, 25 oct. 2013, Commune de La Seyne-sur-Mer, requête numéro 370393, Rec., T., p. 704).
Pas d’action en réparation en principe. La question des dommages-intérêts peut se poser en référé contractuel. Conformément à l’article L. 551-16 du code de justice administrative, à l’exception des demandes reconventionnelles en dommages-intérêts fondées exclusivement sur l’instance initiale, aucune demande en réparation ne peut être formulée dans le cadre de cette procédure.
II. La procédure
Une procédure semblable à celle du référé précontractuel. Pour l’essentiel, la procédure en référé contractuel est la même que celle qui préside au référé précontractuel. Ainsi, la procédure est contradictoire sauf à ce que le juge rejette le référé sans instruction préalable sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. L’oralité occupe la même place qu’en référé précontractuel et pour les mêmes raisons.
L’existence de quelques particularités. Par la force des choses, la procédure du référé contractuel diffère sur certains points de celle du référé précontractuel. Ainsi, l’enregistrement du référé ne suspend pas l’exécution du contrat, sauf à ce que le juge des référés en décide autrement (CJA, art. L. 551-17) et celui-ci statue dans un délai d’un mois à compter de sa saisine (CJA, art. R. 551-9).
III. Les pouvoirs du juge du référé contractuel
La nullité du contrat, sanction de principe. A la lecture de l’article L. 551-18 du code de justice administrative, il ressort que la nullité du contrat doit sanctionner les manquements constatés. Le juge admet cependant que les effets de l’annulation puissent être d’un effet différé (CE, 1er juin 2011, Sté Koné, requête numéro 346405, Dr. adm. 2011, comm. 85, note F. Brenet ; CE, 23 nov. 2011, Sté GIHP Transports Lorraine, requête numéro 349746, Rec., T., p. 1002 ; BJCP 2011, n° 79, concl. N. Boulouis ; Contrats-March. publ. 2012, comm. 9, note W. Zimmer). Il est également remarquable que l’ensemble des motifs d’annulation est d’ordre public et le juge peut, à ce titre, les soulever d’office même s’il doit très logiquement alors mettre les parties en mesure d’y répondre, par écrit ou à l’audience publique (CJA, art. L. 551-21 et R. 551-8).
La modulation possible des sanctions. Il eût été surprenant – car pourquoi se priver de ce qui constitue le charme du contentieux contractuel rénové ? – que les textes ne prévoient pas la possibilité pour le juge de moduler la sanction au regard des circonstances. On ne sera donc pas surpris ici. Ainsi, suivant l’article L. 551-19 al. 1er du code de justice administrative, si le prononcé de la mesure d’annulation se heurte à une raison impérieuse d’intérêt général, le juge peut limiter la sanction en décidant alternativement la résiliation du contrat, la réduction de sa durée, le prononcé d’une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice. Cette sanction modérée, comme l’annulation, peut être décidée d’office par le juge (CJA, art. L. 551-21 et R. 551-8). La notion de raison impérieuse d’intérêt général n’étant pas explicitée, il appartient aux juges des référés, sous le contrôle du Conseil d’Etat d’apprécier souverainement ce qui en relève. Tout au plus peut-on souligner que le juge des référés « peut prendre en compte, notamment, la nature et l’ampleur de la méconnaissance constatée, ses conséquences pour l’auteur, le montant et la durée du contrat en cause et le comportement du pouvoir adjudicateur » (CE, 30 nov. 2011, Sté DPM Protection, requête numéro 350788, Rec., p. 597 ; AJDA 2012, p. 270, note J.-D. Dreifuss ; Dr. adm. 2012, comm. 15, note E. Langelier). En outre, la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011, codifiée sur ce point à l’article L. 551-19 al. 2 du code de justice administrative, dispose dans ses articles 6-2° et 9-III que cette raison impérieuse d’intérêt général « ne peut être constituée par la prise en compte d’un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l’intérêt économique atteint n’est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public ou encore si la nullité du contrat menace sérieusement l’existence même d’un programme de défense ou de sécurité plus large qui est essentiel pour les intérêts de sécurité de l’Etat ». Et encore cette limite n’est-elle pas imposée lorsque le manquement consiste dans la méconnaissance du délai de stand still ou de la suspension prévue en cas de saisine du juge du référé précontractuel (CJA, art. L. 551-20). Il résulte nécessairement de ce qui précède que l’appréciation du juge du référé précontractuel sera, ici encore, concrète et globale.
Les pénalités financières, pénalités dissuasives. L’article L. 551-22 du code de justice administrative dispose que le montant des pénalités financières, qui seront versées au Trésor public, doit tenir compte de manière proportionnée de leur objet dissuasif, sans toutefois excéder 20% du montant hors taxe du contrat. Il y a là une sanction qui peut effectivement inciter les acheteurs publics au respect des principes directeurs de la commande publique. La question reste toutefois posée de la propension du juge à infliger de telles sanctions.
IV. Les voies de recours
Le recours en cassation. Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort (CJA, art. L. 551-23). L’ordonnance rendue n’est donc susceptible que d’un recours en cassation, dans la quinzaine de leur notification (CJA, art. R. 551-10).
Sous-section 2 – Les autres référés ordinaires spécifiques
En dehors du code de justice administrative. Il est loisible au législateur d’organiser des voies de recours spécifiques dans certaines lois particulières, et le code de justice administrative ne joue alors que le rôle de code suiveur. C’est le cas, notamment, du référé fiscal (§ 1) et du référé en matière de communications audiovisuelle et électroniques (§ 2).
§ 1 : Le référé fiscal
Deux référés en un. Le référé fiscal est prévu aux articles L. 552-1 à L. 552-3 du code de justice administrative. Il trouve ses origines dans la loi du 28 décembre 1959 portant réforme du contentieux fiscal. La procédure sera, par touches impressionnistes, améliorée, jusqu’à la clarification en 2008 de l’article L. 277 du livre des procédures fiscales (loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008). Au demeurant, le code de justice administrative ne détaille nullement les modalités de cette voie de recours, se bornant à reproduire les dispositions des articles L. 279 et L. 277 du livre des procédures fiscales. Le référé fiscal se décline en deux branches : le référé-garanties (I) et le référé mesures-conservatoires (II).
I. Le référé-garanties
Les conditions de recevabilité du référé-garanties. Les conditions de recevabilité de la requête sont classiques. La requête doit être enregistrée dans les quinze jours de la réception de la lettre recommandée adressée par le comptable et doit être signée du contribuable ou de son mandataire. Elle doit être, au moins sommairement, motivée en fait et en droit. Produite en quatre exemplaires, elle doit être accompagnée de la décision litigieuse et des éléments justifiant la consignation du dixième des impositions contestées telle qu’imposée par l’article L. 279 du livre des procédures fiscales, à peine d’irrecevabilité non régularisable à l’expiration du délai de saisine (CE 17 mai 1989, Bion, requête numéro 93182, RJF 1989, n° 901). Par ailleurs, le référé n’est recevable qu’à la condition que le comptable soit effectivement averti de l’existence d’un engagement de caution dans le délai de saisine (CE 23 avr. 1997, Mieg de Boofzheim, requête numéro 162322, RJF 1997, n° 625), étant précisé que les mesures d’exécution mises en œuvre par l’administration fiscale avant l’enregistrement de la demande de sursis de paiement (CE, Sect., 25 avr. 2001, Sté Parfival, requête numéro 213460, Rec., p. 209) autant que les versements en espèces sur un compte d’attente du Trésor présentés à titre de garanties (CE, 20 févr. 2002, SA France Nord Logistique, requête numéro 233783, RJF 2002, n° 573, concl. E. Mignon) valent consignation. En revanche, la détention d’une créance sur l’Etat ne saurait valoir consignation au sens de l’article L. 279 du livre des procédures fiscales et ne saurait rendre à ce titre la demande recevable (CE, 5 juin 2015, Sté MCE 5, requête numéro 386793, Rec., T.).
Une procédure contradictoire adaptée à l’urgence. Un membre de la juridiction est désigné par le président du tribunal administratif. La procédure étant contradictoire, la requête est notifiée à l’administration chargée du recouvrement. Le juge du référé devant statuer dans le mois suivant sa saisine, le délai imparti à l’administration pour présenter ses observations sera nécessairement bref et cette brièveté explique encore que le respect du contradictoire puisse être limité à ce que le principe commande. Ainsi, la communication des observations en défense de l’administration n’est pas obligatoire (CE, 22 mai 2002, Benamou, requête numéro 224591, Rec., T., p. 849).
La décision du juge du référé. Le choix, discrétionnaire, est laissé au juge, qui peut prendre sa décision à la suite d’une audience publique sans toutefois que celle-ci ne soit obligatoire (CE, 18 juill. 2011, Sté Omni Metal Service, requête numéro 346935). La décision du juge doit être expresse, et son ordonnance, motivée, doit statuer sur la question de savoir si les garanties offertes satisfont les conditions légales et si, par voie de conséquence, le comptable est tenu ou non de les accepter. Dans l’affirmative, les sommes ou valeurs consignées doivent être restituées, sans intérêt moratoire (CE, 3 juin 1992, SA BEM, requête numéro 107563, RJF 1992, n° 1264). Dans la négative, le comptable peut conserver les sommes consignées et réclamer des garanties supplémentaires dans la limite des 9/10ème de l’impôt à garantir.
Les voies de recours. Un appel peut être interjeté dans les huit jours à compter de la notification de l’ordonnance (CE, 6 juin 1984, requête numéro 47853, RJF 1984, n° 1100). Le président de la cour administrative d’appel compétente ou son délégué statue seul, dans le délai d’un mois, à la suite ou non d’une audience publique (CAA Versailles, 21 févr. 2012, Didelon, ordonnance numéro 12-00424, Rev. fisc. patr. juill. 2012, comm. 53, note S. Rudeaux). Son appréciation est souveraine. Un pourvoi en cassation peut être formé, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision de rejet du juge d’appel. A l’exception de l’Etat, le ministère d’avocat est alors obligatoire.
II. Le référé-mesures conservatoires
Les mesures conservatoires prises par le comptable. Le contribuable peut avoir demandé le sursis de paiement sans offrir des garanties suffisantes. Dans un tel cas, le comptable peut prendre des mesures conservatoires, de nature à sauvegarder les droits du Trésor.
Pour l’essentiel, il s’agit :
– d’une saisie-attribution pour les créances portant sur des sommes d’argent détenues par des tiers, à l’exception des rémunérations ;
– d’une saisie-vente pour les biens meubles corporels ;
– d’une saisie conservatoire pour les biens mobiliers, corporels ou incorporels.
La saisine du juge du référé. Lorsque le comptable a fait procéder à une saisie conservatoire en application du quatrième alinéa, le contribuable peut demander au juge du référé de prononcer la limitation ou l’abandon de cette mesure si elle comporte des conséquences difficilement réparables (LPF, art. L. 277 al. 5), c’est-à-dire celles qui ont pour effet d’empêcher le contribuable de subvenir aux exigences de la vie quotidienne pour une personne physique ou de compromettre la pérennité de l’activité d’une personne morale. Une réclamation préalable assortie d’une demande de sursis de paiement doit avoir été préalablement présentée et le contribuable doit avoir reçu notification des actes de poursuite qu’il conteste, tout référé introduit avant la signification de l’ordonnance autorisant la saisie étant prématuré. Le référé-mesures conservatoires n’est cependant, et à la différence du référé garanties, soumis à aucun délai, et ne suppose pas une consignation préalable d’un pourcentage des impositions contestées.
La décision du juge du référé et ses suites. L’appréciation portée par les juges du fond sur l’existence de conséquences difficilement réparables est souveraine, le Conseil d’Etat limitant son contrôle à la dénaturation. Le juge peut prononcer, dans le mois suivant sa saisine, le rejet de la demande, la limitation ou l’abandon des mesures conservatoires litigieuses, l’administration devant alors procéder à la main levée, partielle ou totale suivant les cas, de ces mesures. L’ordonnance rendue, ici encore, susceptible d’appel dans les huit jours, la décision rendue sur l’appel pouvant faire l’objet d’un recours en cassation.
§ 2 : Le référé en matière de communications audiovisuelle et électroniques
L’objet du référé audiovisuel. L’article L. 553-1 du code de justice administrative renvoie à l’article 42-10 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté audiovisuelle, lequel permet au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel de saisir le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat d’une demande tendant à ce qu’il soit mis fin aux manquements aux obligations résultant des dispositions de cette loi. Il peut s’agir de faire respecter les obligations légales et réglementaires (CE, ord., 21 juin 1988, CNCL c. Sté d’exploitation de la cinquième chaine « La Cinq », requête numéro 97234, Rec., p. 250), les engagements souscrits (CE, ord., 7 déc. 1988, CNCL c. Sté La Cinq, requête numéro 103064, Rec., p. 997), une sanction du CSA (CE, ord., 27 mars 2003, Conseil supérieur de l’audiovisuel, requête numéro 254736, Rec., p. 153). Depuis la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, il est encore possible au juge de statuer sur des manquements commis par des chaines non européennes utilisant la capacité satellitaire des opérateurs de satellite relevant de la France (CE, ord. 20 août 2004, Conseil supérieur de l’audiovisuel, requête numéro 269813, Rec., p. 357).
La recevabilité de la requête. Le président du CSA est seul titulaire du droit de saisir le président de la section du contentieux. Sa décision de ne pas le faire est d’ailleurs susceptible d’être déférée au juge administratif (CE, 19 mars 2003, Sté Métropole Télévision M6, requête numéro 204515, Rec., T., p. 976). Il ne lui est en revanche pas nécessaire de produire, à l’appui de sa requête, une délibération l’habilitant à agir (CE, 21 juin 1988, CNCL c. Sté d’exploitation de la cinquième chaine « La Cinq », requête numéro 97234, préc.). La circonstance que le CSA a engagé une procédure de sanction parallèlement à l’introduction d’un référé est sans influence sur la recevabilité de celui-ci (CE, 13 déc. 2004, CSA c. Sté Eutelstat, requête numéro 274757, Rec., p. 456).
La procédure. Si le président du CSA est seul titulaire du droit de saisir le président de la section du contentieux, le principe de l’intervention est admis (CE, 13 déc. 2004, CSA c. Sté Eutelstat, requête numéro 274757, préc.). Il doit être statué dans les meilleurs délais sur la demande, comme cela doit être le cas en référé. Rien ne s’oppose cependant à ce que l’affaire soit renvoyée à la section du contentieux (CE, 20 janv. 1989, CNCL c. Sté La Cinq, requête numéro 102993, Rec., p. 124). En toute hypothèse, eu égard à la nature des pouvoirs que le président de la section du contentieux peut exercer en la matière, une audience publique doit se tenir préalablement au règlement du litige (CE, 25 nov. 1994, Sté La Cinq, requête numéro 110810, Rec., p. 511).
Les pouvoirs du juge. Le président de la section du contentieux peut constater l’existence des manquements et enjoindre au titulaire de l’autorisation de se conformer à ses obligations, sous astreinte (CE, 16 mars 1988, CNCL c. Sté TF1, requête numéro 92256, Rec., p. 124). Mais il ne saurait enjoindre par anticipation ce titulaire à se conformer à ses obligations. En d’autres termes, les manquements doivent être avérés et non seulement imminents (CE, 19 juill. 2006, CSA c. Sté Saprodif, requête numéro 294663). Il est possible pour le juge de tenir compte des difficultés qu’il y aura, pour l’exercice en cours, à se conformer aux obligations légales, et il peut alors imposer des mesures de programmation avec des échéances intermédiaires (CE, 21 juin 1988, CNCL c. Sté d’exploitation de la cinquième chaine « La Cinq », requête numéro 97234, préc.). En revanche, il n’est pas possible d’obtenir du juge du référé audiovisuel qu’il inflige une sanction ou qu’il condamne pécuniairement l’auteur du manquement en réparation du préjudice subi par des tiers (CE, 21 juin 1988, CNCL c. Sté d’exploitation de la cinquième chaine « La Cinq », requête numéro 97234, préc.).
Bibliographie indicative.
G. Berthon, « La suspension juridictionnelle du contrat administratif entre référé suspension et référé contractuel », RFDA 2009, pp. 1215 et s.
P. Caille, « Les particularités contentieuses des marchés de droit privé de l’administration en France », Dr. et ville 2010, pp. 253 et s.
C. Louit, « Procédures d’urgence : les référés en matière fiscale », Dr. fisc. 2015, n° 23, 394.
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