Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 septembre et 8 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SARL LOVE BEACH, dont le siège est au Centre commercial San Ciprianu à Lecci (20137), représentée par son gérant en exercice ; la SARL LOVE BEACH demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’article 1er de l’arrêt n° 06MA03491-06MA03492 du 7 juillet 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a, sur la requête de M. Paul A et de l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien, annulé le jugement n° 0600473 du 19 octobre 2006 du tribunal administratif de Bastia en tant qu’il a rejeté les conclusions à fin d’annulation de la décision du préfet de Corse-du-Sud refusant de constater la caducité du permis de construire délivré le 11 mars 2003 à la SARL LOVE BEACH ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. A et de l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien ;
3°) de mettre à la charge de M. A et de l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la SARL LOVE BEACH et de Me Le Prado, avocat de M. A et de l’association de défense des intérêts de Saint Cyprien,
– les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la SARL LOVE BEACH et à Me Le Prado, avocat de M. A et de l’association de défense des intérêts de Saint Cyprien ;
Considérant que, par arrêté du 11 mars 2003, le maire de Lecci, agissant au nom de l’Etat, a délivré un permis de construire à la SARL LOVE BEACH en vue d’installer un restaurant de plage démontable sur le territoire de la commune pour la période s’étendant du 1er juin au 30 septembre de chaque année ; que, par l’article 1er de l’arrêt du 7 juillet 2008 dont cette société demande l’annulation, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement du 19 octobre 2006 par lequel le tribunal administratif de Bastia avait rejeté la demande de M. A et de l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien tendant à l’annulation de la décision implicite de refus opposée par l’administration à leur demande tendant à constater la caducité du permis de construire délivré le 11 mars 2003, et a annulé cette décision ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, alors en vigueur : » En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre (…) d’une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et, s’il y a lieu, au titulaire de l’autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant (…) une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol. L’auteur d’un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d’irrecevabilité du recours contentieux qu’il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours (…) » ;
Considérant qu’en application de ces dispositions, il appartient à l’auteur d’un recours tendant à l’annulation d’un jugement ayant refusé d’annuler une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme d’adresser au greffe de la juridiction une copie du certificat de dépôt de la lettre recommandée adressée à l’auteur de la décision contestée et au titulaire de l’autorisation ; qu’il appartient au juge, au besoin d’office, de rejeter le recours comme irrecevable, lorsque son auteur, après y avoir été invité par lui, n’a pas justifié de l’accomplissement des formalités requises par les dispositions précitées de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, qui ne comportent ni copie du certificat de dépôt de la lettre recommandée adressée à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation ni invitation adressée à la partie appelante à produire celle-ci, que la cour administrative d’appel de Marseille ne s’est pas assurée du respect par l’auteur du recours de la formalité prévue par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ; que, faute de l’avoir fait, la cour a statué irrégulièrement ; que la SARL LOVE BEACH est ainsi fondée à demander, par ce moyen d’ordre public qui pouvait être présenté pour la première fois en cassation, l’annulation de l’article 1er de l’arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par la SARL LOVE BEACH :
Considérant que M. A, voisin de la construction litigieuse, et l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien, dont l’objet social est » la protection de l’environnement des sites et des plages, du respect des lois et règlements d’urbanisme dans la commune de Lecci « , ont intérêt à demander l’annulation du refus de constater la caducité du permis de construire délivré à la SARL LOVE BEACH par arrêté du maire de Lecci du 11 mars 2003 ;
Considérant qu’il résulte des pièces produites devant le Conseil d’Etat que les auteurs du recours en appel ont notifié celui-ci à la SARL LOVE BEACH et au préfet de Corse-du-Sud par deux lettres recommandées avec accusé de réception adressées le 20 décembre 2006, soit dans le délai imparti ; qu’eu égard à l’objet des formalités prévues par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme et au fait qu’en l’espèce, le maire de Lecci, qui est réputé avoir pris la décision implicite de rejet résultant du silence gardé sur la demande de M. A et de l’association tendant au constat de caducité du permis en cause, agissait au nom de l’Etat, la circonstance que les requérants ont notifié leur requête d’appel au préfet et non au maire ne fait pas obstacle à ce qu’ils soient regardés comme ayant satisfait à l’obligation de notification de leur recours auprès de l’auteur de la décision litigieuse ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par la SARL LOVE BEACH à la requête de M. A et de l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien doivent être écartées ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant qu’à la date d’édiction du permis litigieux, le cinquième alinéa de l’article L. 421-1 du code de l’urbanisme disposait que : » Lorsque la construction présente un caractère non permanent et est destinée à être régulièrement démontée et réinstallée, le permis précise la ou les périodes de l’année pendant lesquelles la construction doit être démontée. Dans ce cas, un nouveau permis n’est pas exigé lors de chaque réinstallation de la construction. Le permis de construire devient caduc si la construction n’est pas démontée à la date fixée par l’autorisation. » ; que n’entraient pas dans le champ d’application du permis de construire, en vertu du 7 de l’article R. 421-1 du même code, » Les terrasses dont la hauteur au-dessus du sol n’excède pas 0,60 mètre » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le permis de construire délivré le 11 mars 2003 à la SARL LOVE BEACH en vue de l’installation d’un restaurant de plage prévoit que l’autorisation a été accordée à titre saisonnier pour une période allant du 1er juin au 30 septembre 2003 ; que l’article 3 de ce permis précise qu’après cette période, la construction devra être démontée, qu’un nouveau permis ne sera pas exigé lors de chaque réinstallation de la construction mais que, en revanche, le permis de construire deviendra caduc si la construction n’est pas démontée à la date fixée par l’autorisation ; qu’il ressort des mêmes pièces que le permis litigieux portait sur l’ensemble des différents éléments constitutifs de la structure abritant le restaurant, notamment les murs et la toiture ; qu’ainsi, certains éléments du restaurant dépassaient le seuil de 0,60 mètre fixé par les dispositions citées ci-dessus de l’article R. 421-1 du code de l’urbanisme ; qu’est sans incidence à cet égard la circonstance, à la supposer établie, que le support de la construction, qui est qualifié de terrasse démontable par le projet déposé par la société dans le cadre de sa demande de permis de construire, ne comportait pas, une fois démonté le reste de la structure, d’éléments dépassant le seuil de 0,60 mètre ; que, dans ces conditions, dès lors qu’il n’est pas contesté que la société titulaire du permis n’a pas respecté l’obligation qui lui était faite de démonter la terrasse à l’issue des périodes de validité de l’autorisation accordée, les appelants sont fondés à soutenir que l’administration a commis une erreur de droit en refusant de constater que le permis de construire dont se prévalait la SARL LOVE BEACH était devenu caduc ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, M. A et l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien sont fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Bastia a rejeté leurs conclusions tendant à l’annulation de la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé de constater la caducité du permis de construire délivré le 11 mars 2003 par le maire de Lecci à la SARL LOVE BEACH ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SARL LOVE BEACH le versement à M. A et à l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien de la somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées, au même titre, par la SARL LOVE BEACH ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’article 1er de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 7 juillet 2008 est annulé.
Article 2 : La décision implicite de rejet résultant du silence gardé par l’administration sur la demande adressée au préfet de Corse-du-Sud en vue de constater la caducité du permis de construire délivré le 11 mars 2003 par le maire de Lecci à la SARL LOVE BEACH est annulée.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 19 octobre 2006 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : La SARL LOVE BEACH versera à M. A et à l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien une somme globale de 3.000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SARL LOVE BEACH est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SARL LOVE BEACH, à M. Paul A, à l’association de défense des intérêts de Saint-Cyprien et à la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.