AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
1°) d’annuler la décision du 17 mars 2011 par laquelle la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a, d’une part, prononcé à son encontre un avertissement et une sanction pécuniaire de 500 000 euros et, d’autre part, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers et dans le recueil annuel des décisions de la commission des sanctions dans des conditions propres à assurer l’anonymat des personnes mises hors de cause ;
2°) de mettre à la charge de l’Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 350064, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juin et 9 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la société Crédit agricole corporate and investment bank, dont le siège social est 9, quai du Président Paul Doumer à Paris La Défense (92920), représentée par son représentant légal ; la société Crédit agricole corporate and investment bank demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler la décision du 17 mars 2011 par laquelle la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a, d’une part, prononcé à son encontre un avertissement et une sanction pécuniaire de 400 000 euros et, d’autre part, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers et dans le recueil annuel des décisions de la commission des sanctions dans des conditions propres à assurer l’anonymat des personnes mises hors de cause ;
2°) de mettre à la charge de l’Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché ;
Vu la directive 2003/124/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le règlement général de l’Autorité des marchés financiers ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,
– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Natixis, à la SCP Vincent, Ohl, avocat de l’Autorité des marchés financiers et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Crédit agricole corporate and investment bank ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-9-1 du code des marchés financiers, dans sa rédaction alors applicable : » Lorsque le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers décide de procéder à des enquêtes, il habilite les enquêteurs selon des modalités fixées par le règlement général. / Les personnes susceptibles d’être habilitées répondent à des conditions d’exercice définies par décret en Conseil d’État » ; que l’article L. 621-10 du même code dispose que : » Les enquêteurs peuvent, pour les nécessités de l’enquête, se faire communiquer tous documents, quel qu’en soit le support, (…) et en obtenir la copie. Ils peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations. Ils peuvent accéder aux locaux à usage professionnel » ; que l’article L. 621-11 du même code précise que : » Toute personne convoquée a le droit de se faire assister d’un conseil de son choix. Les modalités de cette convocation et les conditions dans lesquelles est assuré l’exercice de ce droit sont déterminées par décret en Conseil d’État » ; qu’aux termes du IV de l’article R. 631-32 du même code : » Les ordres de mission sont établis par le secrétaire général qui précise leur objet et les personnes qui en sont chargées » ; que l’article R. 621-34 du même code précise que : » Dans le cadre de ses investigations, l’enquêteur présente son ordre de mission en réponse à toute demande » ; qu’aux termes de l’article R. 621-35 du code: » Les enquêteurs peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations. / La convocation est adressée à l’intéressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, remise en main propre contre récépissé ou acte d’huissier, huit jours au moins avant la date de convocation. Elle fait référence à l’ordre de mission nominatif de l’enquêteur établi par le secrétaire général ou son délégataire. Elle rappelle à la personne convoquée qu’elle est en droit de se faire assister d’un conseil de son choix (…) » ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L 621-15 du code monétaire et financier : » I. – Le collège examine le rapport d’enquête ou de contrôle établi par les services de l’Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée par le président de l’Autorité de contrôle prudentiel. / S’il décide l’ouverture d’une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. La commission des sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s’il n’a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction (…) II. – La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l’encontre des personnes suivantes : / a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l’article L. 621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l’Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l’article L. 612-39 ; (…) » ;
3. Considérant qu’il résulte de l’instruction que, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, l’Autorité des marchés financiers a notifié, le 6 janvier 2010, à la Société Natixis et à la société Crédit agricole corporate and investment bank (CACIB) des griefs tirés du non-respect de la procédure de sondage de marché prévue par l’article 218-1 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers alors en vigueur, devenu l’article 216-1 du même règlement, à l’occasion de la réalisation, le 24 novembre 2008, de sondages auprès d’investisseurs sur le prochain lancement par la société Danone d’un nouvel emprunt obligataire au taux de 6,375 % à échéance du 4 février 2014 ; que la commission des sanctions de l’AMF a prononcé, le 17 mars 2011, un avertissement et une sanction pécuniaire de 500 000 euros à l’encontre de la société Natixis et un avertissement et une sanction pécuniaire de 400 000 euros à l’encontre de la société Crédit agricole corporate and investment bank ; qu’elle a également décidé que sa décision serait publiée sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers dans des conditions propres à assurer l’anonymat des personnes physiques mises hors de cause ; que les requêtes de la société Natixis et de la société Crédit agricole corporate and investment bank sont dirigées contre cette décision ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité de la procédure d’enquête :
4. Considérant, en premier lieu, que si, lorsqu’elle est saisie d’agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code monétaire et financier, la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers doit être regardée comme décidant du bien-fondé d’accusations en matière pénale au sens des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le principe des droits de la défense, rappelé tant par l’article 6 de ladite convention que par l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, s’applique seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs par le collège de l’Autorité des marchés financiers et par la saisine de la commission des sanctions, et non à la phase préalable des enquêtes réalisées par les agents de l’Autorité des marchés financiers ; que, cependant, il résulte de l’ensemble des dispositions du code monétaire et financier citées au point 1 que les enquêtes réalisées par les agents de l’Autorité des marchés financiers, ou par toute personne habilitée par elle, doivent se dérouler dans des conditions garantissant qu’il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés ;
5. Considérant que la décision attaquée de la commission des sanctions est fondée sur les investigations conduites par les agents de l’Autorité des marchés financiers ; qu’il résulte de l’instruction que les préposés des sociétés Natixis et CACIB ont été entendus par les enquêteurs de l’AMF dans le cadre d’une enquête qui portait, selon les termes de l’ordre de mission établi par le secrétaire général de l’AMF, sur » les interventions de la Banque postale asset management sur les obligations Danone 6,375 % 14 février 2014 et Danone 5,5 % 6 mai 2015 à compter du 1er novembre 2008 » ; que l’enquête visait notamment à déterminer les conditions des interventions de la société Banque postale asset management sur les obligations de la société Danone le 24 novembre 2008, jour de la réalisation des sondages de marché et veille du lancement du nouvel emprunt obligataire ; que, pour réaliser une telle enquête, il appartenait notamment aux enquêteurs de vérifier auprès des sociétés requérantes, en leur qualité de prestataires d’investissement responsables de l’émission obligataire, si la société Banque postale asset management avait été informée du projet d’émission obligataire à l’occasion d’un sondage de marché ; qu’après avoir constaté que cette société n’avait pas été sondée par les sociétés requérantes, les enquêteurs ont interrogé les préposés de ces sociétés sur les modalités selon lesquelles elles avaient réalisé leurs sondages de marché, afin de préciser les conditions de diffusion sur le marché de l’information relative à l’émission prochaine de nouvelles obligations de la société Danone ; que les éléments d’information qu’ils ont recueillis sur ce point avaient, dans les circonstances de l’espèce, un lien suffisant avec l’objet mentionné sur l’ordre de mission établi par le secrétaire général de l’AMF ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’enquête ainsi conduite ait porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des sociétés requérantes ;
6. Considérant, par ailleurs, que, contrairement à ce que soutient la société Natixis, les questions posées par les enquêteurs de l’AMF à ses préposés n’étaient pas d’une complexité telle qu’elles auraient été de nature à porter une atteinte irrémédiable aux droits de la défense de cette société lorsque des griefs lui ont ensuite été notifiés ; que la société Natixis ne saurait par ailleurs, en tout état de cause, critiquer utilement les conditions dans lesquelles ont été recueillies les déclarations des préposés de la Banque postale asset management, qui n’ont pas servi de fondement aux griefs qui lui ont été ensuite notifiés ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir, à l’appui de leur contestation de la régularité de l’enquête de l’AMF, d’une méconnaissance des stipulations de l’article 6 § 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 14 § 3 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, en soutenant que les enquêteurs n’auraient pas notifié à leurs préposés leur droit de se taire, dès lors que ces stipulations ne sont pas applicables à la procédure d’enquête administrative ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes du second alinéa du I de l’article R. 621-33 du code monétaire et financier : » Nul ne peut être désigné pour effectuer une enquête ou un contrôle auprès d’une personne morale au sein de laquelle il a exercé une activité professionnelle au cours des trois années précédentes » ; que la charte de conduite d’une mission de contrôle sur place de l’AMF prévoit que » les personnes pressenties pour effectuer un contrôle sur place doivent refuser leur mission (…) si elles sont susceptibles d’être en conflits d’intérêts avec la personne appelée à être l’objet de la mission » ; que la société Natixis soutient qu’un des enquêteurs de l’AMF était en situation de conflits d’intérêt dès lors que, sept ans avant la réalisation du contrôle, il avait été licencié par la société Natexis Banque populaire, aux droits de laquelle elle vient ; que, toutefois, eu égard à l’ancienneté du licenciement, ni les dispositions de l’article R. 621-33 du code monétaire et financier ni, en tout état de cause, celles de la charte de conduite d’une mission de contrôle sur place de l’AMF, ni l’exigence d’impartialité de l’enquête n’ont été méconnues ;
Sur la régularité de la procédure de sanction :
9. Considérant, en premier lieu, que la société Natixis soutient que les auditions réalisées dans le cadre de la procédure de sanction n’ont pas été précédées d’une notification aux personnes entendues du droit de se taire ; qu’il résulte, cependant, de l’instruction que si les retranscriptions des auditions réalisées par le rapporteur ne font pas mention d’une telle notification, les préposés de la société entendus étaient assistés par un avocat ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit, en tout état de cause, être écarté ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que si la société Natixis soutient que la commission des sanctions n’a fondé sa décision ni sur l’audition des enregistrements des déclarations du préposé de la société qui, ainsi que l’a relevé sans commettre d’erreur la commission, a réalisé les sondages de marché, ni sur un procès-verbal de retranscription de ces enregistrements, une telle circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors que la société Natixis a reconnu devant la commission des sanctions qu’elle n’avait pas appliqué la procédure de sondage de marché prévue par l’article 218-1 du règlement général de l’AMF ;
Sur les manquements retenus à l’encontre des sociétés requérantes :
En ce qui concerne les dispositions applicables :
11. Considérant qu’aux termes de l’article 218-1 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers, alors en vigueur : » Lorsqu’un prestataire de services d’investissement entend pratiquer des sondages de marché lors de la préparation d’une opération financière sur le marché primaire ou lors d’une opération de placement, d’acquisition ou de cession d’instruments financiers, il sollicite l’accord préalable des personnes qu’il envisage d’interroger. Il les informe qu’un accord de leur part pour participer au sondage les conduit à recevoir une information privilégiée au sens de l’article 621-1. / Le prestataire de services d’investissement établit et garde opérationnelle une procédure qui prévoit la manière dont le responsable de la conformité est informé du sondage et, à la suite dudit sondage, du nom des personnes ayant accepté d’être interrogées, ainsi que la date et l’heure auxquelles elles ont été contactées. » ;
12. Considérant, en premier lieu, que le principe de légalité des délits et des peines, lorsqu’il est appliqué à des sanctions qui n’ont pas le caractère de sanctions pénales, ne fait pas obstacle à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l’activité qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève, ainsi que le rappellent les dispositions, citées au point 1 du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, selon lesquelles la commission des sanctions peut infliger une sanction aux personnes manquant à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l’AMF ;
13. Considérant qu’il résulte des termes mêmes de l’article 218-1 du règlement général de l’AMF que la procédure de sondage de marché qu’il édicte doit être respectée lorsqu’un prestataire de services d’investissement entend communiquer, dans le cadre de la préparation d’une opération financière sur le marché primaire ou lors d’une opération de placement, d’acquisition ou de cession d’instruments financiers, une information qui, en raison de ses caractéristiques propres, doit être regardée par ce prestataire comme une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF ; que les règles en cause et leurs conditions d’application sont suffisamment claires pour que les sociétés requérantes aient été en mesure, d’une part, de déterminer si elles devaient regarder les informations qu’elles entendaient communiquer aux investisseurs qu’elles sondaient comme des informations privilégiées, d’autre part, de savoir que, si tel était le cas, le non-respect de la procédure de sondage de marché constituait un manquement à leurs obligations professionnelles, susceptible comme tel d’être sanctionné en application de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier ;
14. Considérant, en second lieu, que les paragraphes 2 et 3 de l’article 6 de la directive 2003/6/CE du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché disposent que : » 2. Un émetteur peut, sous sa propre responsabilité, différer la publication d’une information privilégiée, au sens du paragraphe 1, afin de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes, sous réserve que cette omission ne risque pas d’induire le public en erreur et que l’émetteur soit en mesure d’assurer la confidentialité de ladite information. Les États membres peuvent exiger qu’un émetteur informe sans délai l’autorité compétente de la décision de différer la publication d’une information privilégiée. / 3. Lorsqu’un émetteur, ou une personne agissant au nom ou pour le compte de celui-ci, communique une information privilégiée à un tiers dans l’exercice normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, au sens de l’article 3, point a), les États membres exigent qu’il rende cette information intégralement et effectivement publique, soit simultanément en cas de communication intentionnelle, soit rapidement en cas de communication non intentionnelle. / Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas lorsque la personne qui reçoit l’information est tenue par une obligation de confidentialité, que cette obligation soit légale, réglementaire, statutaire ou contractuelle. » ; que l’article 2 de la même directive précise que : » Aux fins de l’application de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2003/6/CE, les États membres exigent que l’émetteur, afin d’être en mesure d’assurer la confidentialité d’une information privilégiée, contrôle l’accès à cette information et, en particulier : (…) b) qu’il ait pris les mesures nécessaires pour veiller à ce que toute personne ayant accès à cette information reconnaisse les obligations légales et réglementaires liées à cet accès et soit avertie des sanctions prévues en cas d’utilisation ou de diffusion indue de cette information » ;
15. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que si la directive du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché ne prévoit pas qu’un accord préalable doive être donné à la communication de toute information privilégiée, il appartient aux autorités nationales, pour assurer le respect des objectifs de la directive, de prévoir les mesures garantissant, à l’occasion de la communication d’une information privilégiée, le respect par le tiers informé des obligations légales liées à l’accès à cette information ; qu’en imposant que le prestataire qui procède à un sondage sollicite l’accord préalable des personnes qu’il envisage d’interroger et les informe qu’un accord de leur part pour participer au sondage les conduit à recevoir une information privilégiée, l’article 218-1 du règlement général de l’AMF permet le respect, par ces personnes, de leurs obligations légales ; que, par suite, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, l’article 218-1 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers, devenu l’article 216-1 du même règlement, impose des contraintes nécessaires et proportionnées, conformes aux objectifs posés par la directive ;
En ce qui concerne la caractérisation des manquements en l’espèce :
16. Considérant, en premier lieu, que les obligations professionnelles édictées par le règlement général de l’AMF sont destinées à assurer le respect de l’intégrité des marchés financiers ; que les manquements à ces obligations, qui ne constituent pas des infractions pénales, sont caractérisés du seul fait du non-respect par les professionnels concernés de leurs obligations ; qu’en relevant que le manquement résultant du non-respect de la procédure de sondage de marché édictée par l’article 218-1 du règlement général de l’AMF constitue un manquement objectif et en en déduisant que l’erreur commise par la société Natixis sur le caractère privilégié de l’information qu’elle a communiquée était sans incidence sur la caractérisation de ce manquement, la commission des sanctions n’a entaché sa décision ni d’erreur de droit, ni d’insuffisance de motivation ; que, par ailleurs, après avoir relevé que le sondage de marché réalisé par la société CACIB auprès de la société Crédit agricole asset management n’avait pas respecté la procédure prévue par l’article 218-1, la commission des sanctions a pu retenir, par une décision suffisamment motivée, un manquement caractérisé à ses obligations, sans que la société CACIB ne puisse utilement faire valoir qu’elle appartient au même groupe que Crédit agricole asset management ;
17. Considérant, en deuxième lieu, que, dans le cadre d’une opération de sondage de marché, les échanges entre le préposé de la société qui réalise le sondage et le responsable de l’investisseur potentiel au sujet du projet d’émission obligataire doivent respecter des exigences minimales de formalisme, afin de garantir, conformément aux dispositions de l’article 218-1 du règlement général de l’AMF, que l’investisseur potentiel a, tout d’abord, été informé de la nature privilégiée de l’information qu’il va, le cas échéant, recevoir et qu’il a, ensuite, donné son accord préalable à la communication de cette information ; qu’en relevant, pour caractériser un manquement aux dispositions de l’article 218-1, que le message électronique adressé au responsable de la société Crédit agricole asset management contenait d’emblée toutes les caractéristiques principales de l’opération et que les deux phases successives rappelées ci-dessus n’avaient pas été distinguées avec une rigueur suffisante, la commission des sanctions n’a pas entaché sa décision d’insuffisance de motivation ;
18. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF, auquel renvoie l’article 218-1 du même règlement : » Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés. / Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés. / Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement. » ;
19. Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que le projet d’émission obligataire de la société Danone ne présentait pas de probabilité suffisante de réalisation et que les informations relatives à ce projet étaient, dans un contexte marqué par la crise financière, sans effet identifiable sur les cours des instruments financiers concernés, et en déduisent que les informations délivrées par leurs préposés sur ces projets ne sauraient, en raison de leur manque de précision, être regardées comme des informations privilégiées ;
20. Considérant, tout d’abord, que la mise en oeuvre de la procédure de sondage de marché prévue par l’article 218-1 du règlement général de l’AMF suppose le constat, par le prestataire de services d’investissement, que le projet d’émission obligataire est suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir, même s’il comporte encore des aléas liés, notamment, aux résultats des sondages de marché, et non que sa réalisation soit certaine ; qu’il résulte de l’instruction que l’échéance, la taille de référence ainsi que l’écart de rendement indicatif par rapport au taux de swap de référence ( » spread « ) avaient été arrêtés pour le projet d’émission obligataire en cause ; que c’est ainsi, sans erreur de droit ni erreur d’appréciation, que la commission des sanctions de l’AMF a relevé, pour juger précises les informations communiquées, que les différentes modalités du projet d’émission avaient été étudiées et arrêtées par la société Danone en accord avec les sociétés requérantes désignées comme banques chefs de file du projet d’émission obligataire ;
21. Considérant, par ailleurs, que si les sociétés Natixis et Crédit agricole corporate and investment bank soutiennent que les analystes pouvaient déduire des besoins de refinancement de la société Danone et des contraintes du marché obligataire primaire que cette société pourrait émettre un nouvel emprunt obligataire avant la fin de l’année 2008, une telle circonstance n’était pas de nature à priver de son caractère non public l’information relative aux caractéristiques précises du projet d’émission obligataire ; que, par suite, la commission des sanctions de l’AMF n’a entaché sa décision ni d’erreur de droit ni d’erreur d’appréciation en estimant, par une motivation suffisante et exempte de contradiction, que, la société Danone n’ayant, antérieurement au 25 novembre 2008, délivré au public aucune information sur une émission obligataire au dernier trimestre 2008, le caractère prévisible de la réalisation d’une opération de cette nature au cours de la même période n’ôtait pas à l’information communiquée son caractère non public au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF ;
22. Considérant, enfin, qu’il résulte de l’instruction que si, à l’époque des faits, la détermination des prix de référence sur le marché obligataire secondaire a été rendue plus difficile en raison de la crise financière, les échanges sur les obligations de la société Danone demeuraient, comme l’a relevé la commission des sanctions, soutenus ; que les possibilités d’arbitrage entre des obligations de la société Danone déjà détenues par des investisseurs et des obligations nouvelles à souscrire pouvaient raisonnablement conduire à une dépréciation de la valeur des obligations existantes ; que si les sociétés requérantes soutiennent qu’une convergence des valeurs des anciennes et des nouvelles obligations était envisageable, une telle perspective, qui, au demeurant, n’était pas nécessairement de court terme, n’était pas de nature, en raison de l’écart de rémunération entre les différentes obligations, à priver de tout intérêt une opération d’achat de nouvelles obligations de la société Danone ; que, par suite, les informations relatives à l’émission de nouvelles obligations de cette société étaient susceptibles d’être utilisées par un investisseur raisonnable détenteur d’obligations de la société Danone comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF ; qu’ainsi, la commission des sanctions n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant, par une décision suffisamment motivée sur ce point, que les informations communiquées étaient susceptibles d’avoir une influence sensible sur le cours des obligations Danone en circulation sur le marché secondaire ;
23 Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit aux points 20 à 22 que la commission des sanctions a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant que les informations en cause avaient le caractère d’informations privilégiées ;
24. Considérant que s’il ressort des énonciations de la décision attaquée que la commission des sanctions a également relevé que, le jour du lancement des nouvelles obligations, le cours des obligations existantes a été sensiblement déprécié, la société Natixis ne saurait utilement se prévaloir de l’erreur de droit qu’elle aurait ainsi commise en se référant à de tels faits, dès lors que ceux-ci ne constituent pas un motif de sa décision ;
Sur les sanctions prononcées :
24. Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’en infligeant à la société Natixis et à la société Crédit agricole corporate and investment bank un avertissement ainsi qu’une sanction pécuniaire d’un montant de 500 000 euros pour la première et de 400 000 euros pour la seconde, et en décidant la publication de sa décision, la commission des sanctions ait, dans les circonstances de l’espèce, retenu des sanctions disproportionnées au regard de la gravité et de la nature des manquements commis ;
25. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Natixis et Crédit agricole corporate and investment bank ne sont pas fondées à demander l’annulation des sanctions qui leur ont été infligées ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de chacune d’elles le versement à l’Autorité des marchés financiers d’une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes des sociétés Natixis et Crédit agricole corporate and investment bank sont rejetées.
Article 2 : Les sociétés Natixis et Crédit agricole corporate and investment bank verseront chacune à l’Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Natixis, à la société Crédit agricole corporate and investment bank et à l’Autorité des marchés financiers.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l’économie et des finances.