Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 août et 8 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Maurice A, demeurant … ; M. A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 17 janvier 2006 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande de condamnation de l’Etat à l’indemniser du préjudice résultant d’un refus de concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice ;
2°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 30 000 euros avec les intérêts à compter du 13 avril 2005 et la capitalisation desdits intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais engagés par lui et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la construction et de l’habitation ;
Vu la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Capron, Capron, avocat de M. A,
– les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. A a demandé le concours de la force publique pour l’exécution d’un jugement du 19 juin 2003 du tribunal d’instance d’Apt ordonnant l’expulsion de Mme Richard-Naegelen d’un immeuble lui appartenant, situé à Grambois (Vaucluse) ; qu’il demande l’annulation du jugement du 17 janvier 2006 par lequel le vice-président délégué par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté son recours indemnitaire, tendant à la réparation par l’Etat des conséquences dommageables du refus du concours de la force publique pour l’exécution du jugement du tribunal d’instance qui lui a été opposé par le préfet du Vaucluse ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu’à l’appui de sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une somme de 20 000 euros M. A faisait état de pertes de loyers et du préjudice résultant de l’impossibilité de vendre l’immeuble ; qu’il produisait notamment des copies du bail et du jugement ordonnant l’expulsion de Mme Richard-Naegelen, faisant apparaître le montant du loyer et de l’indemnité d’occupation fixée par le tribunal d’instance ; que, dans son mémoire en défense, le préfet du Vaucluse indiquait qu’à supposer engagée la responsabilité de l’Etat le montant des pertes de loyers n’excédait pas 3 357 euros ; que le juge du fond, qui pouvait, dans le cadre de ses pouvoirs d’instruction, inviter le requérant à produire tous éléments nécessaires à la vérification du calcul, n’a pu, sans commettre d’erreur de droit, rejeter le recours au motif que la somme demandée aurait revêtu un caractère forfaitaire ; qu’ainsi, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens de la requête, M. A est, pour ce motif, fondé à demander l’annulation du jugement attaqué ;
Considérant que, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond ;
Sur la responsabilité de l’Etat :
Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution : « L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation » ; que l’article 50 du décret du 31 juillet 1992 pris pour l’application de cette loi, dispose que : « Si l’huissier de justice est dans l’obligation de requérir la force publique, il s’adresse au préfet … Le défaut de réponse dans un délai de deux mois équivaut à un refus » ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que le concours de la force publique a été demandé le 3 juin 2004 par l’huissier de justice chargé de l’exécution du jugement du 19 juin 2003 du tribunal d’instance d’Apt ; que le préfet du Vaucluse, en gardant le silence pendant plus de deux mois sur cette demande, lui a opposé un refus implicite ; que la responsabilité de l’Etat est engagée à compter du 3 août 2004, date à laquelle ce refus a été acquis, jusqu’au 5 avril 2006, date à laquelle il est constant que l’immeuble a été libéré ;
Sur l’évaluation du préjudice :
Considérant, en premier lieu, qu’il ressort de l’instruction que M. A a subi, du fait du non versement des indemnités d’occupation dues par Mme Richard-Naegelen entre décembre 2004 et mars 2005 et entre septembre 2005 et avril 2006, un préjudice dont le montant s’élève, compte tenu des sommes qu’il a perçues directement de la caisse d’allocations familiales au titre de l’allocation logement dont bénéficiait l’occupante, à 5 785,22 euros ; que le requérant peut également prétendre au remboursement par l’Etat d’une somme de 203 euros correspondant aux taxes d’enlèvement des ordures ménagères dont l’occupante ne s’est pas acquittée ;
Considérant, d’autre part, que M. A, qui avait donné congé à la locataire afin de vendre l’immeuble, s’est vu, du fait du refus de concours de la force publique, empêché pendant une période de vingt mois de donner suite à son projet de cession ; qu’il a subi de ce fait des troubles dans ses conditions d’existence dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant une indemnité de 3 000 euros ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le préjudice dont la réparation incombe à l’État s’élève à un montant total de 8 988, 22 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que la somme de 1 787, 60 euros correspondant aux indemnités d’occupation non versées dont l’échéance est antérieure au 7 avril 2005, date de la réclamation préalable présentée par M. A, et la somme de 3 000 euros réparant les troubles qu’il a subis dans ses conditions d’existence doivent porter intérêts à compter du 7 avril 2005 ; que les indemnités mensuelles non payées échues à compter du 1er septembre 2005, d’un montant de 557, 81 euros chacune, doivent porter intérêts à compter de leurs dates d’échéance respectives ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois le 11 août 2006 au cours de l’instance en cassation ; qu’il y a lieu d’ordonner la capitalisation à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure s’agissant des sommes de 1 787,60 euros et 3 000 euros sur lesquelles il était alors dû plus d’un an d’intérêts ; que les intérêts sur les sommes dues au titre des indemnités mensuelles d’occupation échues à compter du 1er septembre 2005 seront capitalisés un an après la date de leur exigibilité et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l’Etat une somme de 1000 euros au titre des frais exposés par M. A devant le tribunal administratif et non compris dans les dépens ; que, devant le juge de cassation, M. A a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés devant le Conseil d’Etat ; que cette somme sera versée à Me Yves Capron, avocat de M. A, sous réserve qu’il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat ;
D E C I D E : ————– Article 1er : Le jugement du 17 janvier 2006 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. A est annulé.
Article 2 : L’Etat versera à M. A une somme de 8 988,22 euros ; la somme de 4 787, 60 euros portera intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2005 ; les intérêts sur cette somme seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à la date du 11 août 2006 et à chaque échéance annuelle ultérieure. Les sommes dues au titre des indemnités mensuelles d’occupation échues à compter du 1er septembre 2005 porteront intérêt à compter de leurs dates d’échéance respectives ; les intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts un an après la date de leur exigibilité et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L’Etat versera à M. A la somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par lui en première instance et non compris dans les dépens.
Article 4 : l’Etat versera à Me Yves Capron, avocat de M. A devant le Conseil d’Etat, une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Maurice A et au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.