REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 25 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le ministre de l’économie et des finances ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 08MA04100 du 24 avril 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir annulé le jugement n° 0404908 du 15 avril 2008 du tribunal administratif de Nice, a déchargé M. et Mme B…A…des cotisations d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1998 et 1999 et des pénalités correspondantes ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. et MmeA… ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Vu la convention fiscale conclue le 18 mai 1963 entre la République française et la Principauté de Monaco ;
Vu la directive 88/361 du 24 juin 1988 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Olivier Japiot, Conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme A…;
1. Considérant qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction issue du traité d’Amsterdam applicable à l’année d’imposition en litige, devenu article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites » ; qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 57 du traité instituant la Communauté européenne, devenu article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » L’article 56 ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers (…) » ; qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention fiscale entre la France et la Principauté de Monaco, signée le 18 mai 1963 : » Les personnes physiques de nationalité française qui transporteront à Monaco leur domicile ou leur résidence – ou qui ne peuvent pas justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962 – seront assujetties en France à l’impôt sur le revenu des personnes physiques et à la taxe complémentaire dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France (…) » ; qu’aux termes de l’article 164 C du code général des impôts : » Les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France mais qui y disposent d’une ou plusieurs habitations, à quelque titre que ce soit, directement ou sous le couvert d’un tiers, sont assujetties à l’impôt sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative réelle de cette ou de ces habitations à moins que les revenus de source française des intéressés ne soient supérieurs à cette base, auquel cas le montant de ces revenus sert de base à l’impôt. Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas aux contribuables de nationalité française qui justifient être soumis dans le pays où ils ont leur domicile fiscal à un impôt personnel sur l’ensemble de leurs revenus et si cet impôt est au moins égal aux deux tiers de celui qu’ils auraient à supporter en France sur la même base d’imposition. (…) » ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B…A…, de nationalité allemande et domiciliés à Monaco, ont été imposés à l’impôt sur le revenu en France au titre des années 1998 et 1999, en application du premier alinéa de l’article 164 C du code général des impôts précité, sur une base forfaitaire égale à trois fois la valeur locative réelle du bien immobilier dont ils sont propriétaires à Odratzheim (Bas-Rhin) ; que M. et Mme A…ont contesté les impositions mises à leur charge et les pénalités correspondantes ; que le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande par un jugement du 15 avril 2008 ; que le ministre de l’économie et des finances se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 24 avril 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et accordé aux requérants la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3. Considérant que, pour accorder aux contribuables la décharge de l’imposition forfaitaire à laquelle ils ont été assujettis, en application de l’article 164 C du code général des impôts, à raison de leur habitation en France, la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que, du fait de la combinaison de ces dispositions avec les stipulations précitées du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention fiscale entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963, des ressortissants français placés dans la même situation n’étaient pas assujettis à cette imposition et sur ce que cette différence de traitement constituait une atteinte à la liberté de circulation des capitaux incompatible avec les stipulations de l’article 56 du traité instituant la communauté européenne, sans que le ministre puisse se prévaloir de la possibilité, prévue par l’article 57 du même traité, de maintenir des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers existant au 31 décembre 1993, dès lors que l’investissement en litige n’entrait pas dans le champ de cette stipulation ;
4. Considérant que par un arrêt C-181/12, Yvon Welte, du 17 octobre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que si les notions d' »investissements directs » et d' »investissements immobiliers » n’étaient pas définies par le traité, il ressortait de l’énumération figurant dans la rubrique I de l’annexe I de la directive 88/361/CEE du 24 juin 1988 et des notes explicatives s’y rapportant que la notion d’investissement direct concernait les investissements auxquels procèdent les personnes physiques ou morales et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l’entreprise à qui ces fonds sont destinés en vue de l’exercice d’une activité économique et qu’il ressortait de l’intitulé même de la rubrique II de cette annexe que les « investissements immobiliers » visés à cette rubrique ne comprenaient pas les investissements directs visés à la rubrique I de cette annexe ; que la Cour en a déduit que, lorsqu’il se réfère aux « investissements directs, y compris les investissements immobiliers », l’article 57, paragraphe 1 vise les seuls investissements immobiliers qui constituent des investissements directs relevant de la rubrique I de l’annexe I de la directive 88/361 et qu’en revanche, des investissements immobiliers de type « patrimonial », effectués à des fins privées sans lien avec l’exercice d’une activité économique, ne relèvent pas du champ d’application de cet article ; qu’il en résulte qu’en jugeant, après avoir relevé que l’acquisition par M. et Mme A… d’une résidence secondaire en France n’avait pas été effectuée en vue de l’exercice d’une activité économique, qu’un tel investissement ne constituait pas un investissement direct au sens de l’article 57, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, la cour administrative d’appel de Marseille, n’a pas, contrairement à ce que soutient le ministre, commis d’erreur de droit ;
4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’économie et des finances n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque ;
5. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3000 euros à verser à M. et MmeA…, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l’économie et des finances est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à M. et Mme A…une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie et des finances et à M. et Mme B…A….