REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés respectivement les 25 janvier 2005 et 25 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE, qui a élu domicile pour les besoins de la procédure chez son conseil, la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, 282 boulevard Saint-Germain, à Paris (75007) ; le SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le décret n° 2004-1246 du 22 novembre 2004 modifiant le décret n° 81-505 du 12 mai 1981 relatif à l’Institut géographique national ;
2°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 86 ;
Vu la directive n° 93/36/CEE du Conseil du 14 juin 1993 modifiée, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures ;
Vu la directive n° 93/38/CEE du Conseil du 14 juin 1993 modifiée, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications ;
Vu la directive n° 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public ;
Vu le code de commerce ;
Vu la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 modifiée, relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence ;
Vu la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications ;
Vu l’ordonnance n° 2004-503 du 7 juin 2004 portant transposition de la directive 80/723/CEE, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques ;
Vu le décret n° 81-505 du 12 mai 1981 modifié, relatif à l’Institut géographique national ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Christophe Guettier, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE,
– les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE demande l’annulation du décret du 22 novembre 2004 modifiant le décret du 12 mai 1981 relatif à l’Institut géographique national ;
Considérant qu’aux termes du II de l’article 2 du décret du 12 mai 1981, dans sa rédaction issue du décret du 22 novembre 2004 attaqué, Art. 2 – II. – L’institut constitue et met à jour, dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’équipement pris après avis du Conseil national de l’information géographique, un système intégré d’information géographique de précision métrique couvrant l’ensemble du territoire national, dénommé référentiel à grande échelle (RGE) et composé de quatre bases de données, numérisées et interopérables, correspondant respectivement aux éléments topographiques, orthophotographiques et parcellaires ainsi qu’aux adresses. / Les services et établissements publics de l’Etat sont tenus de fournir à l’institut celles des données dont ils disposent qui sont nécessaires à la constitution ainsi qu’à la mise à jour du référentiel à grande échelle et d’avoir recours aux données qui sont issues de ce référentiel lorsqu’elles correspondent à leurs besoins. Une convention passée entre l’institut et le service ou l’établissement intéressé précise les modalités de mise à disposition et de réutilisation des données. / Sous réserve des impératifs liés à la protection de la sécurité publique et à la défense nationale, l’institut donne accès aux données du référentiel à grande échelle à toute personne qui lui en fait la demande, y compris pour développer des offres de produits et de services dérivés. Les conditions de mise à disposition et de réutilisation des données, notamment les tarifs, sont fixées à l’avance par l’institut, dans le respect des principes de transparence et de non-discrimination. Ces conditions sont publiées par voie électronique. /Les tarifs applicables peuvent prendre en compte les droits privatifs que l’institut détient, au titre de la propriété intellectuelle, sur les données qu’il produit. Ces tarifs sont ajustés, au moins une fois par an, en fonction du coût du service rendu de façon que le total des recettes hors subvention provenant des mises à disposition et des autorisations de réutilisation de tout ou partie d’une des bases de données composant le référentiel à grande échelle ne dépasse pas, sur l’ensemble de la durée de vie de cette base de données, son coût de constitution, de mise à jour et de diffusion. Une comptabilité analytique est tenue par l’institut et vérifiée, chaque année, par les ministres chargés de l’équipement et du budget. ;
Sur la compétence du pouvoir réglementaire :
Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées, loin d’interdire à des entreprises concurrentes du secteur de constituer et de commercialiser des bases de données géographiques, organisent au contraire à cet effet leur accès aux données du référentiel à grande échelle ; que l’octroi à l’Institut géographique national d’un droit exclusif limité, consistant à imposer aux services et établissements publics de l’Etat, d’une part, de lui communiquer les données dont ils disposent, et, d’autre part, d’avoir recours aux données du référentiel, lorsqu’elles leur conviennent, n’est pas sans rapport avec l’objet même du système d’information géographique en cause, qu’il a reçu la mission d’intérêt général de constituer, de mettre à jour et de diffuser, et qui vise à être un référentiel ; qu’il résulte de ce qui précède que le décret attaqué n’a porté d’atteinte illégale ni à la liberté d’entreprendre ni, en tout état de cause, à la liberté d’accès à la commande publique ;
Considérant, en second lieu, que l’autonomie de gestion qu’implique l’attribution de la personnalité morale à un établissement public ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire impose à l’ensemble des établissements publics de l’Etat d’avoir recours à des prestataires déterminés ; que, de même, le pouvoir réglementaire peut fixer le régime juridique des contrats administratifs passés par les établissements publics de l’Etat, entre eux ou avec des services de l’Etat, pour les besoins de leurs missions d’intérêt général ; qu’il en résulte qu’en leur imposant le choix d’un cocontractant pour se procurer des données géographiques présentant les caractéristiques de celles contenues dans le référentiel à grande échelle, le décret attaqué n’est pas intervenu dans le domaine législatif ;
Sur la régularité de la consultation du conseil de la concurrence :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 462-2 du code de commerce, le conseil de la concurrence est obligatoirement consulté par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : (…) 2° d’établir des droits exclusifs dans certaines zones ; que si l’organisme, dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l’intervention d’une décision, doit être mis à même d’exprimer son avis sur l’ensemble des questions soulevées par cette décision, l’autorité compétente pour prendre la décision n’est pas tenue, après avoir recueilli cet avis, de le consulter à nouveau lorsqu’elle envisage d’apporter à son projet des modifications qui ne posent pas de questions nouvelles ;
Considérant que le projet de décret, dans sa version initiale, a été transmis au conseil de la concurrence, qui a donné son avis le 30 juin 2004 ; que si la rédaction du projet a été ensuite modifiée, en ce que le champ de l’exclusivité de l’Institut géographique national a été réduit et que la durée de six ans fixée pour cette exclusivité a été supprimée, ces modifications ne soulèvent aucune question qui n’ait été déjà soumise au conseil de la concurrence ; que, par suite, le SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE n’est pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait intervenu selon une procédure irrégulière ;
Sur la conformité aux stipulations de l’article 86 du Traité instituant la Communauté européenne :
Considérant qu’aux termes de l’article 86 du Traité instituant la Communauté européenne : 1. Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues à l’article 12 et aux articles 81 à 89 inclus. / 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté. / 3. La Commission veille à l’application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats membres. ;
Considérant qu’il résulte de ces stipulations que s’il est loisible aux Etats membres d’accorder à des entreprises gérant des services d’intérêt économique général des droits exclusifs pouvant faire obstacle à l’application des règles du traité relatives à la concurrence, ces restrictions à la concurrence ne doivent pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à l’accomplissement de leur mission particulière et doivent rester proportionnées à ces nécessités ;
Considérant que le référentiel à grande échelle est une base de données qui rassemble un ensemble d’informations géographiques numérisées de précision métrique, couvrant l’ensemble du territoire national et comprenant quatre composantes compatibles entre elles, superposables et interopérables, contenant des données topographiques, orthophotographiques et parcellaires ainsi que des adresses ; que ce référentiel répond à des besoins propres de l’Etat, notamment en matière de défense nationale et de prévention des risques, en sorte que sa réalisation est nécessaire à la conduite des missions d’intérêt général assurée pour l’Etat et ses établissements publics ; que la cohérence d’ensemble du dispositif, l’ampleur et l’urgence du projet ainsi que l’investissement qu’il représente et la rentabilité économique incertaine de certains de ses constituants justifient la concentration des moyens financiers et humains nécessaires à cette réalisation sur un seul opérateur ; qu’enfin les services de l’Etat et ceux de ses établissements publics ne sont tenus d’y recourir que lorsque les données qu’il contient correspondent à leurs besoins ; que, par suite, le droit exclusif ainsi conféré à l’Institut géographique national n’excède pas les nécessités des services d’intérêt général auxquels l’outil est destiné ;
Considérant enfin, que si les droits exclusifs accordés à l’Institut géographique national par le décret attaqué lui confèrent une position dominante sur les marchés concernés, cette circonstance ne le place pas pour autant en situation d’en abuser automatiquement ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, que doit être écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 86 du traité instituant la Communauté européenne ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des directives n° 93/36/CEE et 93/38/CEE, de la loi du 3 janvier 1991 et de la loi du 11 décembre 1992 susvisées :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la directive 93/36/CEE du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures : Aux fins de la présente directive, on entend par : a) marchés publics de fournitures : des contrats conclus par écrit à titre onéreux ayant pour objet l’achat, le crédit-bail, la location ou la location-vente, avec ou sans option d’achat, de produits entre un fournisseur (personne physique ou morale), d’une part, et d’autre part, un des pouvoirs adjudicateurs définis au point b). La livraison des produits peut comporter, à titre accessoire, des travaux de pose et d’installation ;
Considérant que si les conventions conclues entre l’Etat ou un de ses établissements publics et l’Institut géographique national ont pour objet à la fois la fourniture d’un produit et une prestation de service, il ne ressort pas des pièces du dossier que la fourniture du produit soit prépondérante ; qu’en conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance des règles relatives aux marchés de fournitures est inopérant ;
Considérant que les conventions de prestations de services sont régies par la directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 modifiée portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, laquelle prévoit, à son article 6, qu’elle ne s’applique pas aux marchés publics de services attribués à une entité qui est elle-même un pouvoir adjudicateur au sens de l’article 1er point b) sur la base d’un droit exclusif dont elle bénéficie en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives publiées, à condition que ces dispositions soient compatibles avec le traité ; que cette disposition a été reprise dans le code des marchés publics de 2004 alors en vigueur, au 2° de l’article 3, et transposée, s’agissant des établissements publics industriels et commerciaux, au 8° du V de l’article 10 de la loi du 3 janvier 1991 susvisée ; que l’article 11 de la directive n° 93/38/CEE contient une disposition identique pour les marchés de services qui entrent dans son champ d’application, laquelle a été transposée au 7° du IV de l’article 4-1 de la loi du 11 décembre 1992 susvisée ;
Considérant que l’obligation faite à l’Etat et à ses établissements publics de fournir à l’Institut géographique national les données en leur possession, et de recourir au référentiel à grande échelle constitue, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, un droit exclusif établi en faveur de l’Institut géographique national, qui n’est pas contraire au traité ; que, par voie de conséquence, les conventions conclues entre l’Etat ou un de ses établissements publics et l’Institut géographique national échappent à l’application des règles de mise en concurrence prévues par les directives communautaires et les dispositions de droit interne invoquées par le SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE ; que, par suite, le décret n’a méconnu ni les directives n° 93/36/CEE et n° 93/38/CEE, ni la loi du 3 janvier 1991, ni la loi du 11 décembre 1992 ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des principes de libre concurrence, de libre accès et d’égalité de traitement entre les candidats à la commande publique :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre sur ce chef de conclusions ;
Considérant que, selon le SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE, les dispositions déjà citées du troisième alinéa du II de l’article 2 du décret du 12 mai 1981, dans sa rédaction issue du II de l’article 1er du décret du 22 novembre 2004, conduiront l’Institut géographique national à offrir, dans les marchés des collectivités territoriales, un prix résultant de l’application des tarifs qu’il doit annuellement établir et publier par voie électronique, c’est-à-dire un prix connu par avance, tant de l’acheteur public, que des autres entreprises candidates à l’attribution du marché, en sorte que sa participation à ces marchés conduira nécessairement à méconnaître les principes de libre concurrence et d’égalité de traitement entre les candidats et donc à vicier la procédure ;
Considérant toutefois que, comme cela ressort des dispositions de l’article 7 de la directive 2003/98CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public, celles-ci doivent pouvoir être délivrées à toute personne en faisant la demande selon une tarification fixée à l’avance et publiée ; que cette obligation pèse en particulier sur l’Institut géographique national pour les données d’intérêt général contenues dans le référentiel à grande échelle qui doivent être rendues aisément accessibles aussi bien techniquement que financièrement, tout en respectant les principes de transparence et de non discrimination ; qu’il suit de là que le moyen susanalysé doit être rejeté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des prescriptions de l’article 2 de l’ordonnance du 7 juin 2004 :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de l’ordonnance du 7 juin 2004 : I. – Sont soumis à l’obligation de tenir des comptes séparés, dans des conditions et selon des modalités définies au II, les organismes qui exercent des activités de production ou de commercialisation de biens ou de services marchands et qui, pour certaines de ces activités, soit sont chargés d’une mission de service public pour laquelle ils reçoivent une compensation, soit bénéficient de droits exclusifs ou spéciaux. / II. – Les organismes mentionnés au I ont l’obligation de tenir des comptes séparés relatifs, d’une part, aux activités pour lesquelles ils sont soit chargés d’une mission de service public pour laquelle ils reçoivent une compensation, soit bénéficiaires de droits exclusifs ou spéciaux, d’autre part, à leurs autres activités de production de biens ou services marchands. (…) ;
Considérant que l’obligation de tenir des comptes séparés posée par ce texte s’impose à l’Institut géographique national tant pour ses activités relevant de ses missions d’intérêt général que pour ses activités complémentaires purement commerciales ; que cette obligation n’avait toutefois pas à être rappelée par le décret attaqué ; que contrairement à ce que soutient la requête, la dernière phrase du II de l’article 2 du décret attaqué n’a ni pour objet ni pour effet d’exclure qu’une comptabilité analytique soit tenue pour l’ensemble des activités de l’Institut géographique national ; qu’ainsi le décret n’a pas méconnu les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance du 7 juin 2004 précitée ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête du SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demande le SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA GEOMATIQUE, au Premier ministre, au ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, au ministre de la fonction publique et au ministre de l’écologie et du développement durable.