REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 janvier et 17 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’EARL LE PATIS MAILLET, dont le siège est 49 chemin du Pâtis Maillet à Saint-Aignan-des-Gués (45460) ; l’EARL LE PATIS MAILLET demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 0603238 du 4 décembre 2008 par laquelle le vice-président du tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 2 439,96 euros en réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi du fait de la modification du contrat d’agriculture durable qu’elle a conclu avec le préfet du Loiret le 22 avril 2004 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil du 17 mai 1999 ;
Vu le règlement (CE) n° 445/2002 de la Commission du 26 février 2002 ;
Vu le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 ;
Vu le règlement (CE) n° 795/2004 de la Commission du 21 avril 2004 ;
Vu le code rural ;
Vu le décret n° 2003-675 du 22 juillet 2003 ;
Vu l’arrêté du 30 octobre 2003 relatif aux aides accordées aux titulaires de contrats d’agriculture durable ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Auditeur,
– les observations de la SCP Didier, Pinet, avocat de l’EARL LE PATIS MAILLET,
– les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Didier, Pinet, avocat de l’EARL LE PATIS MAILLET,
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 22 avril 2004, l’EARL LE PATIS MAILLET a conclu avec l’Etat un contrat d’agriculture durable (CAD) d’une durée de cinq ans à compter du 1er mai 2004, prévoyant notamment le versement par l’Etat d’un montant annuel d’aides de 1 437,43 euros en contrepartie de la reconversion de 4,49 hectares de terres arables en prairies temporaires ; que, par une décision du 3 avril 2006, le préfet du Loiret a décidé de diminuer le montant unitaire à l’hectare de ces aides à la reconversion de terres arables en prairies temporaires ; que l’EARL LE PATIS MAILLET a présenté, le 21 août 2006, une demande indemnitaire préalable auprès du préfet du Loiret, puis a saisi, le 25 août 2006, le tribunal administratif d’Orléans d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une somme de 2 436,96 euros en réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi du fait de la modification unilatérale du contrat d’agriculture durable qu’elle avait signé ; qu’elle se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 4 décembre 2008 par laquelle le vice-président du tribunal administratif d’Orléans a rejeté cette demande ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article 22 du règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil du 17 mai 1999 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements : » Un soutien est accordé aux méthodes de production agricoles conçues pour protéger l’environnement, préserver l’espace naturel (agroenvironnement) ou améliorer le bien-être des animaux, afin de contribuer à la réalisation des objectifs communautaires en matière d’agriculture, d’environnement et de bien-être des animaux d’élevage (…) » ; qu’aux termes de l’article 23 de ce règlement : » 1. Un soutien est accordé aux agriculteurs qui souscrivent des engagements agroenvironnementaux ou concernant le bien-être des animaux pour une durée minimale de cinq ans (…). 2. Les engagements agroenvironnementaux ou concernant le bien-être des animaux doivent aller au-delà de la simple application des bonnes pratiques agricoles habituelles, y compris des bonnes pratiques en matière d’élevage. / Ils doivent offrir des services que ne peuvent fournir les autres mesures de soutien, telles que les mesures de soutien du marché ou les indemnités compensatoires » : que l’article 24 de ce même règlement dispose : » 1. L’aide versée en contrepartie des engagements agroenvironnementaux ou concernant le bien-être des animaux qui sont souscrits est allouée annuellement et calculée en fonction : / a) de la perte de revenus encourue, / b) des coûts additionnels résultant des engagements, et/ c) de la nécessité de fournir une incitation financière. / Les coûts liés aux investissements ne sont pas pris en compte pour le calcul du niveau de l’aide annuelle. Le coût des investissements non productifs nécessaires au respect des engagements peut être pris en compte pour le calcul du niveau de l’aide annuelle » ;
Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article R. 311-1 du code rural, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : » Toute personne exerçant une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 (…) peut conclure avec l’Etat un contrat d’agriculture durable. / Le contrat d’agriculture durable a pour objet d’inciter l’exploitant qui le souscrit à mettre en oeuvre un projet prenant en compte les fonctions environnementale, économique et sociale de l’agriculture mentionnées à l’article 1er de la loi du 9 juillet 1999 d’orientation agricole. / (…) / Il définit les engagements de l’exploitant ainsi que la nature et les modalités des aides publiques accordées en contrepartie. » ; qu’aux termes de l’article R. 311-2 du même code : » Les contrats d’agriculture durable comportent une ou plusieurs des actions prévues aux contrats types que le préfet arrête, après avis de la commission départementale d’orientation de l’agriculture, pour les territoires qu’il détermine. Ils peuvent également comporter un projet particulier défini par l’exploitant. / Les contrats types mentionnés à l’alinéa précédent fixent les enjeux prioritaires relevant du développement durable de l’agriculture, ainsi que les actions prioritaires et complémentaires répondant aux objectifs mentionnés à l’article R. 311-1. Les actions prioritaires relevant de l’article 22 et de l’antépénultième paragraphe de l’article 33 du règlement (CE) n° 1257/1999 du 17 mai 1999 peuvent être rendues obligatoires par le préfet. / Chaque action fait l’objet d’un cahier des charges qui précise : / – les objectifs poursuivis ; / – le champ d’application ; / – les moyens à mettre en oeuvre ou les résultats à atteindre ; / – la contribution financière susceptible d’être versée en contrepartie des engagements souscrits ; / – les modalités de contrôle et la nature des sanctions. / Les cahiers des charges sont arrêtés par le préfet après avis de la commission départementale d’orientation de l’agriculture. Ils s’inscrivent dans le cadre des projets agricoles départementaux et du plan de développement rural national approuvé par la Commission en application du règlement (CE) n° 1257/1999 du 17 mai 1999, ainsi que dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire. » ; qu’aux termes de l’article R. 341-11 : » (…) Un arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre chargé de l’agriculture détermine les montants et les taux maximums des aides qui peuvent être accordées aux souscripteurs de contrats en fonction des différents types d’action (…) » ; qu’enfin, aux termes de l’article R. 341-15 : » Lorsque le titulaire ne se conforme pas à un ou plusieurs engagements pris dans le cadre des actions souscrites, les subventions sont suspendues, réduites ou supprimées dans les conditions prévues aux articles 62 et 64 du règlement (CE) n° 445/2002 de la Commission du 26 février 2002. Un arrêté du ministre chargé de l’agriculture prévoit les modalités selon lesquelles les subventions versées en contrepartie des actions souscrites sont suspendues, réduites ou supprimées. Ces suspensions, réductions ou suppressions sont décidées par le préfet (…) » ;
Considérant que la signature par l’Etat d’un contrat d’agriculture durable, qui a pour objet d’octroyer, en contrepartie d’engagements agro-environnementaux, des aides sur fonds nationaux et communautaires en application des dispositions précitées, avec un exploitant agricole crée des droits au profit de cet exploitant, dans la mesure où il n’est pas porté atteinte à la pleine efficacité du droit communautaire ; qu’il incombe au juge de déterminer, compte tenu de l’objet du contrat d’agriculture durable et des normes qui le régissent, l’étendue des droits ainsi créés ;
Considérant, d’une part, que le titulaire d’un contrat d’agriculture durable bénéficie, en principe, d’un droit au versement des aides que ce contrat prévoit pendant sa durée, dans les conditions et limites fixées par les dispositions réglementaires prises par le ministre chargé de l’agriculture et par le ministre chargé du budget en application de l’article R. 341-11 du code rural et par les contrats types et cahiers des charges arrêtés par le préfet ; que, toutefois, si le titulaire du contrat ne respecte pas les conditions mises à l’octroi de ces aides, celles-ci sont suspendues, réduites ou supprimées dans les conditions prévues aux articles 62 et 64 du règlement (CE) n° 445/2002 de la Commission du 26 février 2002 et selon les modalités définies par les dispositions réglementaires prises par les ministres chargés de l’agriculture et du budget et par le préfet en application des dispositions précitées du code rural ;
Considérant, d’autre part, que le titulaire d’un contrat d’agriculture durable ne peut prétendre au maintien des dispositions réglementaires qui régissent son contrat ; que, toutefois, en ce qui concerne le montant et le taux des aides, fixés, ainsi qu’il a été dit, par les dispositions réglementaires prises par le ministre chargé de l’agriculture et le ministre chargé du budget et par le préfet, l’exploitant titulaire d’un contrat d’agriculture durable a droit, eu égard à l’objet de ces aides et à la nature des engagements souscrits, au maintien, dans la seule mesure où aucun principe ni aucune disposition communautaires n’y font obstacle, de la part de l’aide relative aux investissements non productifs nécessaires au respect des engagements pris et de celle qui a pour objet de prendre en compte les manques à gagner et surcoûts qu’entraîne l’exécution du contrat ;
Considérant, enfin, que, s’il est loisible à l’exploitant titulaire d’un contrat d’agriculture durable, eu égard à la nature ci-dessus analysée de ce contrat, de contester par la voie du recours pour excès de pouvoir les dispositions réglementaires qui régissent son contrat ainsi que les mesures prises par l’administration dans le cadre de son exécution et s’il peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de l’Etat en cas de faute, il ne peut, en revanche, poursuivre la responsabilité contractuelle de l’Etat en cas de modification des dispositions qui régissent son contrat ou en cas de mise en conformité de ce dernier avec ces dispositions ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’en jugeant que le titulaire d’un contrat d’agriculture durable ne peut rechercher la responsabilité contractuelle de l’Etat en cas de mise en conformité du montant des aides prévues par ce contrat avec les dispositions communautaires et réglementaires qui le régissent, le vice-président du tribunal administratif d’Orléans n’a pas commis d’erreur de droit ;
Considérant, toutefois, qu’en ne regardant pas, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu des termes de la demande, les conclusions indemnitaires dont il était saisi par l’EARL LE PATIS MAILLET comme tendant à l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Etat pour avoir commis une faute en ne respectant pas, dans les limites analysées ci-dessus, son droit au maintien de certaines aides, le vice-président du tribunal administratif d’Orléans s’est mépris sur le sens et la portée du litige qui lui était soumis ; que son ordonnance doit, par suite, être annulée ;
Considérant qu’il y lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à l’EARL LE PATIS MAILLET d’une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’ordonnance du 4 décembre 2008 du vice-président du tribunal administratif d’Orléans est annulée.
Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif d’Orléans.
Article 3 : L’Etat versera à l’EARL LE PATIS MAILLET la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’EARL LE PATIS MAILLET et au ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.