Vu la requête, enregistrée le 12 décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE, dont le siège est …, représentée par son président en exercice ; l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler, pour excès de pouvoir, en tant qu’il la concerne, le décret du 19 octobre 2002 complétant le décret du 25 septembre 2001 réglementant les relations financières avec certaines personnes ou entités, ensemble la décision implicite de rejet opposée par le Premier ministre à son recours gracieux ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Charte des Nations-Unies signée le 26 juin 1945 à San Francisco, ratifiée le 31 août 1945, ensemble le décret n° 46-35 du 4 janvier 1946 ;
Vu le traité instituant les Communautés européennes signé le 25 mars 1957, ratifié le 14 septembre 1957, ensemble le décret n° 58-84 du 28 janvier 1958 ;
Vu le règlement CE n° 881/2002 du Conseil de l’Union européenne en date du 27 mai 2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes ou entités liées à Oussama X…, au réseau Al-Qaida et aux Taliban ;
Vu le code pénal ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu le décret n° 2001-875 du 25 septembre 2001 réglementant les relations financières avec certaines personnes ou entités ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Laurence Marion, Auditeur,
– les conclusions de M. Y… Donnat, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE demande l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 19 octobre 2002 l’inscrivant à l’annexe du décret du 25 septembre 2001 réglementant les relations financières avec certaines personnes ou entités, cette annexe dressant la liste des personnes et entités pour lesquelles les opérations de change, les mouvements de capitaux et les règlements financiers de toute nature entre la France et l’étranger sont soumis à autorisation préalable du ministre de l’économie et des finances ;
Considérant que, eu égard à sa date de publication et en tout état de cause, le décret attaqué ne se borne pas, contrairement à ce que soutient le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, à tirer les conséquences d’une résolution du conseil de sécurité des Nations-Unies ; qu’il doit être regardé comme une mesure de police détachable de la conduite des relations internationales de la France ; que par suite, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la requête de l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 : Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délais des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet doivent être motivées les décisions qui : / – restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent des mesures de police… ; qu’aux termes du second alinéa de l’article 4 de la même loi : Les dispositions de la présente loi ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret ; que l’article 413-10 du code pénal dispose qu’est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait, par toute personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ou permanente, d’un renseignement, procédé, objet, document, donnée informatisée ou fichier qui a un caractère de secret de la défense nationale, soit de le détruire, détourner, soustraire ou de le reproduire, soit de le porter à la connaissance du public ou d’une personne non qualifiée ; qu’aux termes de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 : Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les motifs ayant justifié l’inscription de l’association requérante sur la liste prévue par le décret du 25 septembre 2001 sont couverts par le secret de la défense nationale protégé par l’article 413-10 du code pénal ; que par suite, l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE n’est pas fondée à soutenir que le décret attaqué aurait dû être motivé ni que celui-ci aurait été pris au terme d’une procédure irrégulière dès lors qu’elle n’aurait pas été mise à même de présenter ses observations écrites ou orales ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 151-2 du code monétaire et financier : Le Gouvernement, peut pour assurer la défense des intérêts nationaux et par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie : / 1 Soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle : / a) Les opérations de change, les mouvements de capitaux et les règlements de toute nature entre la France et l’étranger ; / b) La constitution, le changement de consistance et la liquidation des avoirs français à l’étranger ; c) La constitution et la liquidation des investissements étrangers en France ; d) L’importation et l’exportation de l’or ainsi que tous autres mouvements matériels de valeurs entre la France et l’étranger… ;
Considérant que par la résolution n° 1390 en date du 16 janvier 2002, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a décidé que tous les Etats doivent prendre les mesures ci-après à l’égard d’Oussama X…, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associées figurant sur la liste établie en application des résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000), qui doit être mise à jour périodiquement par le Comité créé en application du paragraphe 6 de la résolution 1267… / a) Bloquer sans délai les fonds et autres avoirs financiers ou ressources économiques de ces personnes, groupes, entreprises ou entités, y compris les fonds provenant de biens leur appartenant ou contrôlés, directement ou indirectement, par eux ou par des personnes agissant pour leur compte ou sous leurs ordres et de veiller à ce que ni ces fonds ni d’autres fonds, actifs financiers ou ressources économiques ne soient rendus disponibles, directement ou indirectement, pour les fins qu’ils poursuivent, par leurs citoyens ou par une personne se trouvant sur leur territoire ;
Considérant qu’eu égard aux renseignements dont disposaient les autorités françaises, corroborés par les circonstances que le 22 octobre 2002, soit quelques jours après la parution au Journal officiel de la République française du décret attaqué, l’association requérante a été inscrite sur la liste élaborée et mise à jour périodiquement par le comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1267 du Conseil de sécurité des Nations-Unies et que par le règlement CE n° 1893/2002 du 23 octobre 2002, la Commission des Communautés européennes a également inscrit l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE sur la liste des personnes et entités pour lesquelles le Conseil de l’Union européenne a institué des mesures financières restrictives, il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a, dans ces circonstances, commis une erreur d’appréciation en estimant qu’en application de l’article L. 151-2 du code monétaire et financier, la défense des intérêts nationaux justifiait que les opérations de change, les mouvements de capitaux et les règlements financiers de toute nature avec l’étranger de l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE devaient être soumises à autorisation préalable ; que l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE, qui se borne à soutenir qu’elle constitue une association indépendante à vocation humanitaire, inscrite au registre des associations du tribunal d’instance de Strasbourg et que le préfet du Bas-Rhin a indiqué, au moment de cette inscription, que son objet statutaire n’appelait aucune objection de sa part, n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause de façon probante l’appréciation du ministre ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la requête de l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE doit être rejetée ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION SECOURS MONDIAL DE FRANCE, au Premier ministre, au ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre des affaires étrangères.