Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 décembre 2003 et 19 avril 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par le SYNDICAT NATIONAL DESENSEIGNANTS ET ARTISTES, dont le siège est …, représenté par son secrétaire général ; le SYNDICAT NATIONAL DES ENSEIGNANTS ET ARTISTES demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’instruction 5 F-16-03 du 22 octobre 2003 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie relative au régime des frais professionnels réels et justifiés en faveur desprofessions artistiques ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts, notamment son article 83, et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean-Baptiste Laignelot, Maître des requêtes,
– les conclusions de M. Stéphane Verclytte, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 83 du code général des impôts : Le montant net du revenu imposable est déterminé en déduisant du montant brut des sommes payées et des avantages en argent ou en nature accordés : (…) / 3° Les frais inhérents à la fonction ou à l’emploi lorsqu’ils ne sont pas couverts par des allocations spéciales. / La déduction à effectuer du chef des frais professionnels est calculée forfaitairement en fonction du revenu brut (…) ; elle est fixé à 10 % du montant de ce revenu. (…) / Les bénéficiaires de traitements et salaires sont également admis à justifier du montant de leurs frais réels (…). ;
Considérant que l’interprétation que, par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions, l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en oeuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de tout caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence destextes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens ou la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;
Considérant, en premier lieu, que l’instruction ministérielle attaquée du 22 octobre 2003 prévoit, notamment pour les artistes musiciens, la possibilité de déduire, en cas d’option pour les frais réels, leurs frais d’instrument de musique et frais accessoires ainsi que diverses dépenses pour un montant respectivement égal à 14 % et 5 % du montant total de la rémunération nette annuelle déclarée ; que, si le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie soutient que l’instruction se borne à résumer les modifications apportées par le législateur au dispositif concernant les déductions pour frais professionnels et que, par suite, elle n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir, ce moyen doit être écarté dès lors que l’instruction présente un caractère impératif ; qu’elle est donc susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ;
Considérant, en deuxième lieu, que le ministre soutient que la requête du SYNDICAT NATIONAL DES ENSEIGNANTS ET ARTISTES est tardive du fait que l’instruction attaquée se réfère, en les citant, aux dispositions contenues dans la réponse ministérielle faite par lui à M. X…, député, laquelle a été publiée le 11 novembre 2002 au Journal officiel des débats de l’Assemblée Nationale ; que toutefois, en tout état de cause, la publication de cette réponse ministérielle au Journal officiel des débats de l’Assemblée Nationale n’a pas fait courir le délai du recours contentieux ; que, dès lors, la requête est recevable ;
Considérant, enfin, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a, par l’instruction attaquée, prévu, en faveur des artistes musiciens, la possibilité d’opérer des déductions de 14 % et 5 % du montant total de leur rémunération nette annuelle au titre des frais réels ; que le ministre ne tenait d’aucune disposition législative le pouvoir d’édicter de telles normes ; qu’ainsi, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête, le SYNDICAT NATIONAL DES ENSEIGNANTS ET ARTISTES est fondé à demander l’annulation de l’instruction attaquée ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros que le SYNDICAT NATIONAL DES ENSEIGNANTS ET ARTISTES demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’instruction 5 F-16-03 du 22 octobre 2003 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est annulée.
Article 2 : L’Etat versera au SYNDICAT NATIONAL DES ENSEIGNANTS ET DES ARTISTES une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT NATIONAL DES ENSEIGNANTS ET ARTISTES, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre de la culture et de la communication.