REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 14 janvier 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Jean-Hugues A, demeurant … ; M. A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 décembre 2007 par laquelle le ministre de la défense a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire du premier groupe ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu le code de la défense ;
Vu la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 ;
Vu le décret n° 2005-794 du 15 juillet 2005 ;
Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,
– les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
Considérant que, par la décision attaquée du 17 décembre 2007, le ministre de la défense a prononcé à l’encontre de M. A, chef d’escadron de la gendarmerie nationale, un blâme du ministre, pour manquement à son obligation de discrétion professionnelle et à son devoir de réserve ;
Sur la régularité de la procédure de sanction :
Considérant, en premier lieu, que la procédure au terme de laquelle le ministre de la défense exerce son pouvoir disciplinaire n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cet article est inopérant ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du premier alinéa du I de l’article 3 du décret du 15 juillet 2005 relatif aux sanctions disciplinaires et à la suspension de fonctions applicables aux militaires : Avant qu’une sanction ne lui soit infligée, le militaire a le droit de s’expliquer oralement ou par écrit, seul ou accompagné d’un militaire en activité de son choix sur les faits qui lui sont reprochés devant l’autorité militaire de premier niveau dont il relève. Au préalable, un délai de réflexion, qui ne peut être inférieur à un jour franc, lui est laissé pour organiser sa défense. ; qu’il ne résulte ni de ce texte, ni d’aucune autre disposition non plus que d’aucun principe général du droit que M. A disposait d’un droit à être informé, préalablement à sa convocation devant l’autorité militaire de premier niveau, de la faculté de préparer sa défense ou de la date de l’audition par l’autorité militaire de premier niveau ; qu’il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu’il soutient, il a reçu communication de l’ensemble des pièces constituant son dossier disciplinaire le 22 novembre 2007, que l’audition par l’autorité militaire de premier niveau a eu lieu le 26 novembre suivant et qu’il a pu présenter des observations orales et écrites sur les faits qui lui étaient reprochés ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que la demande de sanction émane de l’autorité militaire de premier niveau et que le dossier a été transmis à l’autorité militaire de deuxième niveau, puis au ministre de la défense, afin de prononcer la sanction disciplinaire de blâme du ministre, qui relevait de la seule compétence de ce dernier ; qu’ainsi, le moyen tiré du non respect de la procédure de transmission entre autorités militaires pour infliger la sanction manque en fait ; qu’au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’autorité de premier niveau n’aurait pas apprécié la gravité des faits reprochés à M. A avant de transmettre son dossier à l’autorité de deuxième niveau ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A n’est pas fondé à soutenir que la décision contestée a été prise au terme d’une procédure irrégulière ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires, désormais codifié à l’article L. 4121-2 du code de la défense : Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. / Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. (…) ;
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 7 du décret du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution : Le présent décret entre en vigueur le 1er mars 2010. Dans les instances en cours, une question prioritaire de constitutionnalité doit, pour être recevable, être présentée sous la forme d’un mémoire distinct et motivé produit postérieurement à cette date.( …) ; que, par suite, faute d’avoir été présenté selon ces modalités, après le 1er mars 2010, le moyen tiré de la méconnaissance, par les dispositions de l’article 4 de la loi du 24 mars 2005, de celles de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à laquelle renvoie le préambule de la Constitution, est irrecevable ;
Considérant, en deuxième lieu que compte tenu des termes, cités ci-dessus, de l’article L. 4121-2 du code de la défense, M. A ne saurait en tout état de cause soutenir que, faute d’être prévu de manière précise par des dispositions législatives, le manquement à l’obligation de réserve des militaires se heurterait aux stipulations, relatives à la liberté d’expression, de l’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il ne peut davantage se prévaloir des stipulations de l’article 7 de la même convention qui concernent les décisions de nature pénale, ni invoquer le principe de légalité des délits, qui ne s’applique pas aux sanctions disciplinaires que l’autorité administrative a le pouvoir d’édicter à l’égard des agents publics placés sous son autorité ; qu’enfin, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de légalité des peines ne peut qu’être écarté, dès lors que le blâme du ministre fait partie des sanctions du premier groupe énumérées à l’article L. 4137-2 du code de la défense ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que, lors d’interventions sur une radio à diffusion nationale en octobre et novembre 2007, et dans un éditorial publié au mois de novembre 2007 dans une revue spécialisée, M. A s’est exprimé en termes critiques au sujet de la politique du gouvernement relative à la gendarmerie nationale et du fonctionnement de celle-ci et a remis en cause certains éléments du statut général des militaires ; que la décision de sanction a été prise en se fondant notamment sur ce qu’il n’avait pas tenu compte de l’injonction qui lui avait été adressée de respecter son devoir de réserve et est à nouveau intervenu sur des médias après cette mise en demeure ; que l’édition du journal dans lequel cet officier avait co-rédigé l’éditorial reproché a été imprimée et distribuée dans les derniers jours du mois d’octobre 2007, après la mise en demeure dont il avait fait l’objet ; qu’il ressort également des pièces du dossier que la décision n’est pas fondée sur la circonstance que M. A aurait sollicité une expression médiatique, mais sur le fait qu’il ne s’en est pas abstenu ; qu’enfin il en ressort également que la mention selon laquelle il donne du crédit à l’affirmation du journaliste relative à la fermeture de la moitié des brigades n’est pas entachée d’erreur de fait ; qu’ainsi M. A n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d’inexactitude matérielle sur ces différents points ;
Considérant, en quatrième lieu, que les interventions médiatiques reprochées à M. A excédaient, par leur nature et leur tonalité, les limites que les militaires doivent respecter en raison de la réserve à laquelle ils sont tenus à l’égard des autorités publiques ; qu’ainsi, le ministre de la défense n’a pas inexactement qualifié les faits reprochés à M. A en estimant qu’ils justifiaient le prononcé d’une sanction disciplinaire ; qu’eu égard à leur nature et aux fonctions exercées par cet officier, le blâme du ministre qui lui a été infligé n’est pas entaché de disproportion manifeste ;
Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. A n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ; que, par suite, ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Hugues A et au ministre de la défense.