LA COUR;—Vu les art. 3 c. inst. crim., 1350 et 1352 c. nap.; —Attendu que la disposition du code d’instruction criminelle qui suspend l’exercice de l’action civile devant le juge civil, tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique, attribue ainsi à l’action publique un caractère essentiellement préjudiciel ; que, dès lors, le jugement intervenu sur cette action, même en l’absence de la partie privée, a nécessairement envers et contre tous l’autorité de la chose jugée quand il affirme ou nie clairement l’existence du fait qui est la base commune de l’une et de l’autre action, ou la participation du prévenu à ce fait ; qu’en effet le ministère public, agissant dans l’intérêt général de la société, représente, à ce titre, la personne lésée, sinon en ce qui concerne les dommages-intérêts ou réparations qui sont l’objet de l’action civile, du moins en ce qui concerne la recherche et la constatation du fait qui donne simultanément naissance aux deux actions ; que, lorsque la justice répressive a prononcé, il ne saurait être permis au juge civil de méconnaître l’autorité de ses souveraines déclarations ou de n’en faire aucun compte ; que l’ordre social aurait à souffrir d’un antagonisme qui, en vue seulement d’un intérêt privé, aurait pour résultat d’ébranler la foi due aux arrêts de la justice criminelle, et de remettre en question l’innocence du condamné qu’elle aurait reconnu coupable, ou la responsabilité du prévenu qu’elle aurait déclaré n’être pas l’auteur du fait imputé ; —Attendu, dès lors, que la chose jugée au criminel soit sur l’existence ou la nonexistence du fait générateur des deux actions, soit sur la participation ou la non-participation du prévenu à ce fait, a une influence souveraine sur le sort de l’action civile ; que la déclaration de culpabilité du prévenu devenant ainsi pour l’action civile poursuivie ensuite un titre irréfragable qui ne permet pas au condamné de contester le fait qui a engagé sa responsabilité, il faut, par une nécessaire et juste réciprocité, que l’affirmation de l’innocence absolue du prévenu par la justice répressive soit aussi pour lui un titre irréfragable contre les prétentions contraires de la partie civile ; que l’action civile ne conserve son indépendance vis-à-vis du prévenu acquitté que dans les cas où la déclaration de non-culpabilité n’exclut pas nécessairement l’idée d’un fait dont le prévenu ait à répondre envers la partie civile, en telle sorte que la recherche ou la preuve de ce fait ne puisse pas aboutir à une contradiction entre ce qui a été jugé au criminel et ce qui serait jugé ensuite au civil ; Attendu, en fait, que l’action introduite par le défendeur devant les juges civils repose uniquement sur le fait qui avait été l’objet de l’action portée précédemment par le ministère public devant les juges correctionnels, c’est-à-dire sur le fait imputé au demandeur en cassation d’avoir, par sa faute, son imprudence, sa maladresse, son inattention, sa négligence ou son inobservation des règlements, causé involontairement des blessures au défendeur; — Attendu que, par jugement du 9 août 1850 passé en force de chose jugée, la juridiction correctionnelle a prononcé l’acquittement du prévenu, en affirmant qu’il avait pris toutes les mesures habituellement employées, et suffisamment éclairé sa voiture pour prévenir l’accident dont se plaint le défendeur, si celui-ci avait lui-même conduit son tilbury avec moins de vitesse, et s’il avait pris certaines précautions commandées par la prudence ; d’où le jugement a conclu, par une affirmation d’un caractère plus précis encore et tout à fait absolu, qu’on ne saurait donc attribuer au prévenu la responsabilité d’un acte auquel il est tout à fait étranger ; — Attendu que cette déclaration et l’allégation de la partie civile qui prétend faire peser sur le demandeur en cassation la responsabilité du même fait, sont deux propositions inconciliables qui ne comportent pas une proposition intermédiaire, la seconde ne pouvant s’établir que par le renversement de la première ; — D’où il suit qu’en admettant le défendeur à faire la preuve de la participation du demandeur à un acte auquel celui-ci avait été déclaré tout à fait étranger par un jugement du tribunal d’appel de police correctionnelle passé en force de chose jugée, la cour impériale de Nîmes a méconnu l’influence de la chose jugée au criminel sur le civil, et violé les dispositions ci-dessus visées ; — Par ces motifs ; — Casse l’arrêt de la cour de Nîmes du 11 juill. 1853. Du 7 mars 1855.
Cour de cassation, civ., 7 mars 1855, publié au bulletin
Citer : Revue générale du droit, 'Cour de cassation, civ., 7 mars 1855, publié au bulletin, ' : Revue générale du droit on line, 1855, numéro 19390 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=19390)
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