Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 15 juin 2016
N° de pourvoi: 15-21628
Publié au bulletin Cassation
Mme Batut , président
Mme Canas, conseiller rapporteur
M. Drouet, avocat général
Me Blondel, SCP Odent et Poulet, avocat(s)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, suivant acte notarié du 29 mars 2004, la commune de Papeete (la commune) a vendu une parcelle de terrain à la société Les Horizons (la société), en vue de la construction d’un ensemble immobilier ; que, reprochant à la commune d’avoir, à l’occasion de travaux d’élargissement de la voirie, empiété sur cette parcelle, dont une partie a été détruite afin de réaliser les contreforts de la route située en contrebas, la société a saisi la juridiction administrative pour obtenir réparation du dommage de travaux publics qu’elle estimait avoir subi et voir constater l’existence d’une emprise irrégulière ; que, par jugement du 20 octobre 2009, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa requête ; que la société, depuis placée en liquidation judiciaire, a assigné la commune devant la juridiction judiciaire aux fins d’obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de l’emprise irrégulière et de ses conséquences dommageables ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l’article 1351 du code civil, applicable en Polynésie française ;
Attendu que, pour rejeter la demande indemnitaire formée par la société, après avoir relevé que le tribunal administratif avait expressément reconnu, dans les motifs de son jugement, l’emprise irrégulière commise par la commune, l’arrêt retient que le dispositif dudit jugement, qui a seul l’autorité de la chose jugée, ne reprend pas une telle constatation ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’autorité de la chose jugée dont sont revêtues les décisions de la juridiction administrative s’attache tant au dispositif qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu que, pour statuer comme il le fait, l’arrêt énonce que la commune a réalisé les travaux de voirie litigieux en s’appropriant plus de la moitié de la parcelle qu’elle avait vendue à la société, sans son autorisation et sans titre ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la juridiction administrative avait seule compétence pour se prononcer sur la régularité de l’emprise, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
Et sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :
Vu l’article 545 du code civil, applicable en Polynésie française ;
Attendu qu’aux termes de ce texte, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ;
Attendu que, pour statuer comme il a été dit, l’arrêt retient que la dépossession de la parcelle n’a entraîné aucun préjudice pour la société, le soutènement du talus surplombant la route constituant, au contraire, une sécurité pour la résidence qu’elle a fait édifier ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la seule constatation d’une emprise irrégulière ayant pour effet l’extinction du droit de propriété donne lieu à indemnisation devant le juge judiciaire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 décembre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Papeete ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne la commune de Papeete aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X… la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Les Horizons et M. X…, ès qualités.
II est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris, en ce qu’il avait rejeté les demandes indemnitaires formées par une propriétaire (la SARL Les Horizons), contre une commune (la commune de Papeete), en raison des empiétements sur son terrain et travaux de réalisation d’une voie communale ;
AUX MOTIFS QUE, sur l’existence d’une emprise irrégulière, la SARL Les Horizons avait demandé au tribunal administratif de juger l’existence d’une emprise irrégulière et de la renvoyer devant les juridictions judiciaires pour l’indemnisation de cette emprise ; que comme la société Les Horizons le faisait valoir à juste titre, le tribunal administratif avait expressément reconnu dans ses motifs l’emprise irrégulière commise par la commune sur le terrain privé de la SARL Les Horizons, mais il s’était déclaré incompétent pour en connaître et avait rejeté les demandes de la SARL à ce titre, ce qui ne lui était pas demandé ; que, par ailleurs, le tribunal administratif avait jugé que les dommages de travaux publics n’étaient pas démontrés ; qu’en rejetant dans le dispositif de son jugement toutes les demandes indemnitaires de la SARL, le tribunal administratif avait omis de rappeler qu’il avait admis l’existence de l’emprise irrégulière et s’était jugé incompétent, alors que la requérante avait clairement demandé à être renvoyée devant les tribunaux judiciaires pour son indemnisation ; qu’il apparaissait ainsi que le jugement du tribunal administratif était entaché d’une omission de statuer ou d’une erreur matérielle ; que, cependant, la SARL Les Horizons n’avait jugé utile ni de solliciter la réparation de ces erreurs ou omissions, ni de relever appel de ce jugement ; que le tribunal de première instance ne pouvait pas déjuger le tribunal administratif, même si le dispositif du jugement, qui avait seul autorité de la chose jugée, ne reprenait pas la constatation de l’emprise irrégulière ; que, sur les préjudices allégués, la SARL Les Horizons avait sollicité des juges judiciaires l’indemnisation des préjudices qu’elle prétendait avoir subis, du chef de l’emprise irrégulière et du chef des dommages résultant des travaux publics ; que, sur l’emprise irrégulière, même si l’on admettait que les travaux d’élargissement de la voirie de la route d’Uranie avaient bien empiété sur la parcelle vendue par la commune à la SARL, il convenait de vérifier si cette emprise avait causé un préjudice à la SARL Les Horizons ; qu’il résultait des pièces produites aux débats (plans, profils des terrains, études…) que le projet de résidence empiétait sur le domaine communal et qu’il existait un fort dénivelé entre le sol d’assise de la résidence et l’assiette du chemin existant ; que cela obligeait le promoteur, d’une part, à acquérir une superficie égale à la superficie dont il avait besoin pour la modification de son projet, d’autre part, à réaliser les travaux de consolidation du terrain d’assiette de la résidence et, d’autre part, à subir le confortement du talus surplombant la route en contrebas ; qu’en effet, la route de l’Uranie, qui initialement n’était qu’un simple chemin de terre surplombant le cimetière du même nom, devait être élargie à hauteur du 6eme niveau du cimetière construit à flanc de montagne et mise aux normes de sécurité et équipée des réseaux afin de desservir les projets immobiliers en cours de création, c’est-à-dire d’abord la résidence Le Grand Large, puis ultérieurement la résidence Les Horizons ; que la résidence de la SARL Les Horizons devait elle aussi être desservie par cette route ; que, cependant, le promoteur avait refusé de participer aux frais d’aménagement des réseaux, préférant créer un autre accès ; qu’il était exact que les travaux de voirie, déjà presque achevés en mars 2004, comme l’avait relevé le premier juge, avaient été finalisés par un empiétement sur la parcelle acquise par la SARL ; qu’il était vrai aussi que la commune avait réalisé les contreforts de la route de l’Uranie en s’appropriant plus de la moitié de la parcelle qu’elle avait vendue à la SARL, sans son autorisation et sans titre, comme l’avait relevé le tribunal administratif; que, pour autant, la SARL Les Horizons ne pouvait pas en demander réparation, dans la mesure où c’était l’erreur du promoteur ou du maître d’oeuvre de la résidence qui était à l’origine des modifications et travaux supplémentaires qu’ils avaient dû supporter et non l’inverse ; qu’ainsi, même si le creusement du talus par la commune s’était fait sans l’accord de la SARL, la dépossession de la parcelle n’avait entraîné aucun préjudice pour elle ; qu’au contraire, le soutènement du talus surplombant la route constituait une sécurité pour la résidence et non l’inverse ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU’il n’existait aucun jugement ayant constaté l’emprise irrégulière subie par la SARL Les Horizons et ayant autorité de chose jugée ; que, par ailleurs, la saisine du juge administratif sur le caractère régulier d’une emprise n’est un préalable nécessaire que si l’irrégularité de celle-ci soulève une question relative à l’appréciation de la légalité ou à l’interprétation d’un acte administratif; qu’en l’espèce, l’examen de l’irrégularité de l’emprise invoquée par la requérante ne soulevait aucune question relative à l’appréciation de la légalité ou à l’interprétation d’un acte administratif, de sorte que le tribunal administratif ne pouvait que décliner sa compétence, sur les conclusions tendant à ce que soit déclarée irrégulière l’emprise des travaux réalisés par la commune de Papeete ;
1°) ALORS QUE l’autorité de chose jugée dont est revêtu un jugement d’un tribunal administratif s’attache tant au dispositif de celui-ci qu’aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire ; qu’en énonçant que le tribunal administratif de la Polynésie française n’avait pas, dans son jugement du 20 octobre 2009, statué sur l’irrégularité de l’emprise revendiquée par la société Les Horizons, car le dispositif de ce jugement ne la constatait pas, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil applicable en Polynésie française ;
2°) ALORS QUE le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur le caractère irrégulier d’une emprise ; qu’en ayant constaté le caractère irrégulier de l’emprise dénoncée par la société Les Horizons, la cour d’appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs, la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret de fructidor an III ;
3°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu’en ayant tout à la fois constaté que le tribunal administratif ne s’était pas prononcé sur l’irrégularité de l’emprise dénoncée par la société Les Horizons et statué sur l’indemnisation de celle-ci, la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction de motifs, en violation de l’article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
4°) ALORS QUE le seul constat de l’irrégularité d’une emprise emporte indemnisation ; qu’ayant constaté que les travaux de voirie entrepris par la commune de Papeete avaient été finalisés par un empiétement sur la parcelle acquise par la société Les Horizons (arrêt, p. 5 § 9), que la commune avait réalisé les contreforts de la route de l’Uranie en s’appropriant plus de la moitié de la parcelle qu’elle avait vendue à l’exposante (arrêt, p. 5 § 10) et que celle-ci avait été dépossédée de sa parcelle (arrêt, p. 6 § 1), sans indemniser la société Les Horizons des conséquences d’une telle emprise irrégulière, la cour d’appel a violé les articles 545 et 1382 du code civil applicables en Polynésie française ;
5°) ALORS QUE la simple constatation de l’irrégularité d’une emprise donne lieu à indemnisation ; qu’en ayant refusé d’indemniser la société Les Horizons des conséquences de l’emprise dont elle avait pourtant constaté l’irrégularité, aux motifs inopérants que l’exposante ne pouvait en demander réparation, car c’était les constructeurs de la résidence qui se trouvaient à l’origine des travaux et modifications qu’ils avaient dû supporter, et non la commune de Papeete, et que le soutènement du talus surplombant la route constituait une sécurité pour la résidence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 545 et 1382 du code civil applicables en Polynésie française.