REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Donne acte à MM. Mathieu X… et Michel X… (les consorts X…), du désistement partiel de leur pourvoi en ce qu’il est dirigé contre M. Y… et M. Z… ;
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu les articles L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique et 1315 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’Isidro X…, atteint d’un cancer du rein, a subi, le 24 novembre 2009, à la Clinique Axium (la clinique), une néphro-uretérectomie réalisée par M. Y… et M. Z…, chirurgiens urologues exerçant leur activité à titre libéral, et a été placé, le 27 novembre 2009, dans l’unité de surveillance continue de l’établissement ; qu’il est décédé dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2009 ; qu’après avoir sollicité une expertise en référé, les consorts X…, ses fils, ont assigné les praticiens et la clinique en responsabilité et indemnisation de leur préjudice moral résultant du décès de leur père, en invoquant un défaut de soins appropriés dans les heures précédant son décès ; que leurs demandes à l’encontre des praticiens ont été rejetées ;
Attendu que, pour rejeter leurs demandes à l’égard de la clinique, l’arrêt se fonde sur le compte rendu établi par l’infirmière, ayant suivi le patient avant son décès et relaté l’application de prescriptions médicales, la survenue d’une asystolie qui a conduit, outre à un massage cardiaque, à l’appel et l’arrivée rapide du médecin de garde et la constatation du décès, à l’issue d’une réanimation durant trente minutes, ainsi que sur les conclusions de l’expert, pointant une impossibilité de répondre à certaines questions de sa mission, en l’absence de transmission d’informations médicales durant la période précédant le décès, et concluant, au vu de ce compte rendu infirmier, à l’absence de manquement du personnel aux pratiques habituelles d’une unité de surveillance continue ; qu’il en déduit que rien ne permet de retenir que la mise en oeuvre et le suivi par le personnel soignant salarié de l’établissement de santé des prescriptions médicales n’ont pas été conformes aux règles de bonnes pratiques et que le fait que le séjour du patient au service de soins continus n’ait pas toujours été documenté dans son dossier médical est sans lien de causalité direct avec le décès du patient et le préjudice réclamé ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de communication d’informations médicales relatives à la prise en charge du patient dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2009, il incombait à la clinique d’apporter la preuve que les soins avaient été appropriés à son état de santé, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes des consorts X… à l’égard de la clinique, l’arrêt rendu le 29 octobre 2015, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;
Condamne la Clinique Axium aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à MM. Mathieu et Michel X… la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour MM. Mathieu et Michel X…
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté les consorts X… de leurs demandes ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « les consorts X… invoquent une défaillance de la Clinique Axium dans la prise en charge de M. Isidro X… ; que l’expert considère que la contention par sangle ne peut être assimilée à de la maltraitance « face à un opéré récent, porteur transitoirement de drains, de pansements, agité malgré les traitements usuels, dans un service comportant d’autres patients ayant eux aussi des risques vitaux, qu’il a été logique d’opposer un bénéfice fort face à un risque faible pour le patient et que par ailleurs, le décès n’est pas en relation directe et certaine avec cet événement (p. 21) » ; qu’aucune donnée d’ordre médical ne vient contredire cet avis motivé ; que les consorts X… ne produisent pas le moindre élément contraire à cet égard ; que l’expert ne critique par davantage la prescription d’Atarax 100, le 1er décembre 2009 au soir, soit quelques heures avant son décès, se bornant à noter qu’elle était « de nature à apporter une réponse symptomatique mais non étiologique » ; qu’au demeurant, elle est déclarée faite par le médecin réanimateur de garde qui exerce à titre libéral dans l’établissement de santé et qui ne peut engager que sa responsabilité personnelle, à l’exclusion de celle de la clinique, limitée uniquement aux agissements fautifs de ses préposés dont elle doit répondre vis-à-vis du patient ; qu’à la lecture de la déclaration manuscrite de l’infirmière qui mentionne « 2 heures, patient agité, agressif, veut se lever, des hallucinations ; allo médecin de garde, consignes, 100 mg d’Atarax en flash + attaches ; 1h20 le scope de M. X… sonne en asystolie. Nous sommes allées directement dans la chambre, le patient était en effet en asystolie. Je commence le massage cardiaque ; je demande à l’aide soignante d’apporter le chariot d’urgence et de téléphoner au médecin de garde pour le prévenir. Le temps que le médecin arrive, l’aide soignante massait le patient pendant que je ventilais. Le médecin de garde est arrivé dans les 5 mns sur place et nous avons continué la réanimation. La réanimation a duré environ 30 minutes au bout desquelles le médecin a décidé d’arrêter la réanimation. 2h le patient est déclaré décédé », aucun manquement du personnel aux pratiques habituelles d’une unité de surveillance continue ne peut être retenue, ainsi que souligné par l’expert lui-même à la page 25 de son rapport ; que la seule donnée apportée par les consorts X…, destinée à contredire les dires de l’infirmière, est le témoignage d’un patient, M. C…, qui partageait la même chambre que M. Isidro X… le soir des faits, recueilli par voie de sommation interpellative en date du 23 février 2010 qui relève l’état de grande faiblesse physique de l’intéressé au point d’être dans l’impossibilité de signer ses déclarations ; que sa lecture confirme l’état d’agitation de M. Isidro X… et la pose de sangles, la médication donnée, la venue d’une infirmière plus tard qui en a appelé trois autres ; que la mise en place d’une paravent entre les deux lits, ainsi que mentionné par ce patient lui-même, ne permet pas de donner valeur probante à ses dires pour la suite dont il n’a pu être le témoin visuel ; que l’expert souligne à cet égard « qu’on peut comprendre les interrogations de témoins non médicaux à des pratiques infirmières réalisées dans l’urgence qui ont pu leur paraître agressives, en l’absence de toute présente physique médicale initiale » ; qu’ainsi, rien ne permet de retenir que la mise en oeuvre et le suivi par le personnel soignant salarié de l’établissement de santé des prescriptions médicales n’ont pas été conformes aux règles de bonnes pratiques ; que le fait que le séjour de M. Isidro X… au service de soins continus n’ait pas toujours été documenté dans son dossier médical est sans lien de causalité direct avec le décès de ce patient et le préjudice d’affection réclamé » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « la responsabilité de la clinique est recherchée par M. X… Michel et M. X… Mathieu à raison d’une maltraitance ou d’une défaillance des soins reprochées aux infirmières, personnel salarié de la clinique, dans les heures qui ont précédé le décès de leur père ; que force est de relever, comme l’a fait l’expert, sur la base des documents infirmiers du dossier médical du patient, produits pour leur part, que la contention mise en place dans la soirée sur M. Isidro X… était justifiée au regard de son état et des nécessités du service de soins intensifs où il se trouvait, et a été mise en place sur prescription médicale et après échec des premiers calmants administrés ; qu’en tout état de cause, aucun lien de causalité n’est établi entre l’emploi de cette technique et le décès de ce dernier ; que le témoignage de M. C…, pris en compte par l’expert aux termes de son rapport définitif dans la mesure de ce qu’il contient, doit être apprécié en observant l’état de santé très fragile de ce témoin, lui-même hospitalisé alors en soins intensifs, et en tenant compte de la forte mais fausse impression que peut causer l’emploi de la contention pour un profane en matière médicale ; que ce seul témoignage ne peut en aucun cas suffire, au vu des autres éléments relatés par l’expertise, pour justifier d’une maltraitance du personnel infirmier qui suppose des éléments caractérisés et objectifs ; que par ailleurs, s’agissant de la surveillance du patient incombant à la clinique, le déroulé des soins entre le 29 novembre et le 30 novembre, tel que repris avec précision par l’expert, met en avant une prise en charge adaptée aux besoins de M. Isidro X… avec appel du médecin avant toute prise en charge de type médical, surveillance régulière et réaction immédiate au moment de l’asystolie ; qu’aucun manquement à l’obligation d’organisation et de surveillance ne peut de ce chef être reproché à la clinique ; qu’en l’état, il convient donc de considérer qu’aucune faute n’est établie à l’endroit du personnel infirmier de la clinique, de sorte que la responsabilité de cette dernière doit être écartée » ;
1°/ ALORS QUE, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense ; qu’en l’espèce, l’expert D… indiquait expressément, dans son pré-rapport du 29 février 2012, qu’il manquait « de façon cruciale un écrit du médecin réanimateur prescripteur (a priori le docteur E…) qui pourrait permettre de mieux répondre à ce dossier. Il nous semble qu’à l’issue de notre accrédit, un des médecins des parties présentes, s’était proposé d’obtenir cet élément » ; qu’il ajoutait qu’il lui était « impossible de répondre, en l’absence d’autres informations médicales transmises durant cette période », aux questions de savoir si le patient était monitoré ou non, s’il y avait eu une présence médicale lors de la phase d’agitation, à la suite de l’appel de l’IDE ou pour la prescription, de sorte que ce manque d’information « laisse ainsi planer un doute » (cf. pré-rapport, pp. 21 et 22) ; que dans leurs conclusions d’appel, les consorts X… ajoutaient qu’à la suite de ce pré-rapport, « aucun document établi par un médecin n’a(vait) été fourni, ce qui corrobor(ait) le fait que M. X… n’a(vait) pas été examiné par un médecin avant son décès malgré un état de santé des plus inquiétants », et qu’ « aucun document justifiant d’une surveillance médicale adéquate n’a(vait) été fourni par les requis » (cf. conclusions, p. 5) ; qu’en retenant néanmoins que « s’agissant de la surveillance du patient incombant à la clinique, le déroulé des soins entre le 29 novembre et le 30 novembre, tel que repris avec précision par l’expert, met en avant une prise en charge adaptée aux besoins de M. Isidro X… avec appel du médecin avant toute prise en charge de type médical, surveillance régulière et réaction immédiate au moment de l’asystolie », la Cour d’appel a méconnu les termes du litige et violé l’article 4 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE, les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner, même sommairement, les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu’en l’espèce, les consorts X… invoquaient expressément, dans leurs conclusions d’appel (p. 5), qu’était « versé aux débats le rapport critique du docteur F…, qui avait au demeurant adressé un dire à expert au docteur D…, lequel n’en a pas tiré les conséquences idoines. Qu’en effet, le docteur F… n’a pas manqué de rappeler au docteur D… que c’est en vain que celui-ci avait réclamé lors de son expertise aux parties concernées les documents émanant du réanimateur de garde et/ou du médecin de garde concernant le suivi médical de M. X… dans la nuit du 30 novembre 2009 au 1er décembre 2009 » ; qu’il résultait en effet des observations écrites du docteur F…, en date du 10 octobre 2012, qu’« aucun document établi par un médecin n’a pu être fourni (concernant le suivi médical d’Isidro X… dans la nuit du 30 novembre 2009 au 1er décembre 2009), ce qui corrobore le fait que M. X… n’a pas été examiné par un médecin avant son décès malgré l’état de santé inquiétant qu’il a présenté dès 20 heures le 30 novembre 2009 » et que « l’absence de documents médicaux essentiels concernant le suivi médical de M. X… Isidro dans la nuit du 30 novembre 2009 au matin du 1er décembre 2009 prouve qu’il existe un manquement qui peut être reproché à la clinique Axium. Une prise en charge rapide par un médecin au moment de l’aggravation de l’état de santé de M. X… Isidro aurait pu éviter vraisemblablement son décès » ; qu’en statuant comme elle l’a fait, sans examiner, même sommairement, ces observations écritures du docteur F… en date du 10 octobre 2012, la Cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ; que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ; qu’en l’espèce, les consorts X… faisaient valoir, sans être contestés, qu’« aucun document établi par un médecin n’a(vait) été fourni, ce qui corrobor(ait) le fait que M. X… n’a(vait) pas été examiné par un médecin avant son décès malgré un état de santé des plus inquiétants », et qu’« aucun document justifiant d’une surveillance médicale adéquate n’a(vait) été fourni par les requis » (cf. conclusions, p. 5) ; qu’il appartenait en conséquence à la Clinique Axium de fournir les documents médicaux établissant qu’elle avait assuré une surveillance médicale adéquate à M. X… dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2009 ; qu’en retenant, pour écarter toute responsabilité de la Clinique, que « le fait que le séjour de M. Isidro X… au service de soins continus n’ait pas toujours été documenté dans son dossier médical est sans lien de causalité direct avec le décès de ce patient et le préjudice d’affection réclamé », la Cour d’appel a violé les articles 1315 et 1147 du code civil.